Date : 20120921
Dossier : T‑1174‑07
Référence : 2012 CF 1110
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 21 septembre 2012
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX
ACTION RÉELLE EN MATIÈRE D’AMIRAUTÉ CONTRE LE NAVIRE
« DUBAI FORTUNE »
ENTRE :
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GRIEG SHIPPING A/S
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demanderesse
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et
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LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE « DUBAI FORTUNE », FORTUNE MARITIME LTD., LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR « TIGER SHARK 2 », SMIT HARBOUR TOWAGE VANCOUVER INC., et BRAD DUESTERDIEK
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défendeurs |
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
TABLE DES MATIÈRES
II. L’accostage du Dubai Fortune
III. Les arguments avancés par les parties
1. Pour la demanderesse Grieg Shipping A/S
a. En ce qui concerne la responsabilité du fait d’autrui
b. En ce qui concerne la limite de responsabilité
2. Pour la défenderesse Fortune Maritime, le propriétaire du Dubai Fortune
a. En ce qui concerne la responsabilité du fait d’autrui
b. En ce qui concerne la limite de responsabilité
1. Le témoignage du capitaine Roman
2. Le témoignage du capitaine Rayner
3. Le témoignage du capitaine Duesterdiek, capitaine du Shark
4. Le témoignage du capitaine O’Brien, capitaine du Spirit
5. Le témoignage du capitaine Broderick, capitaine du Sun
[1] Dans la présente affaire, la demanderesse, Grieg Shipping A/S (Grieg Shipping) poursuit le navire Dubai Fortune (Dubai Fortune) et son propriétaire Fortune Maritime Ltd. (Fortune Maritime) au motif qu’ils sont responsables du fait d’autrui pour la négligence commise par un remorqueur participant à l’accostage du Dubai Fortune, lequel était à ce moment sous la conduite obligatoire de pilotes. Dans la matinée du 22 juin 2007, vers 10 h 14, le remorqueur Tiger Shark 2 (Shark) a heurté l’hélice du MS « Star Hansa » (Star Hansa), également un vraquier à long cours, à ce moment amarré en toute sécurité au poste d’accostage Lynnterm #1. Le propriétaire du Star Hansa, Grieg Shipping, a engagé une action réclamant des dommages‑intérêts de 2 700 000 $, en sus des intérêts. En plus de poursuivre le Dubai Fortune et le Fortune Maritime, il a également poursuivi Smit Harbour Towage Vancouver Inc. (Smit), le propriétaire du Shark et de deux autres remorqueurs, soit le Tiger Spirit (Spirit) et le Tiger Sun (Sun), qui ont également participé à l’accostage du Dubai Fortune au poste d’accostage Neptune #3, situé directement en face de celui de Lynnterm.
[2] La Cour accordera uniquement son attention à la question de la responsabilité; l’action en dommages‑intérêts devra être instruite ultérieurement, au besoin. Seulement deux questions ont été soulevées quant à la responsabilité :
i. Le propriétaire du Dubai Fortune, Fortune Maritime, est‑il responsable du fait d’autrui à l’égard de la demanderesse pour les dommages causés à son navire, le Star Hansa, par le Shark?
ii. Dans l’affirmative, la responsabilité du Dubai Maritime est‑elle établie en fonction de la jauge du Star Hansa, (27 000 tonneaux) ou de la jauge du Shark, laquelle est inférieure à 100 tonneaux?
[3] La décision concernant la question de la responsabilité devant être tranchée lors de l’instruction a été simplifiée pour les raisons suivantes :
i. Premièrement, en décembre 2011, Smit et Fortune en sont arrivés à une entente de règlement à l’amiable de leurs différends. Smit a admis que les dommages subis par le Star Hansa avaient été causés par la manœuvre négligente du Shark et a convenu que son propriétaire Smit avait le droit de limiter sa responsabilité en se fondant sur la jauge du Shark conformément à la Loi sur la responsabilité en matière maritime (LC 2001, c 6) (LRMM), dont l’Annexe 1 incorpore au droit maritime canadien la Convention de 1976 sur la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes (la Convention de 1976). Selon l’article 29 de la LRMM, la responsabilité maximale de Smit était de 500 000 $ parce que le Shark avait une jauge brute de moins de 300 tonneaux.
ii. Deuxièmement, Grieg Shipping, la demanderesse, a accepté l’offre de Smit au montant de 500 000 $, à la condition expresse qu’elle puisse faire valoir sa réclamation contre Fortune Maritime au motif qu’elle était responsable du fait d’autrui pour la négligence du capitaine du Shark. Les demandes formées contre les autres remorqueurs ont été retirées. Smit n’a pas pris part à l’instruction des questions qui restaient à trancher, lesquelles n’intéressaient que Grieg Shipping, Fortune Maritime et le Dubai Fortune.
iii. Troisièmement, lors de l’argumentation, les avocats de Grieg Shipping ont reconnu qu’il n’y avait aucune négligence de la part des deux pilotes ou de quiconque à bord du Dubai Fortune lors de l’accostage. En raison de cette concession, il ne restait que la question de la responsabilité pour autrui à débattre au chapitre de la responsabilité.
iv. Quatrièmement, les parties ont convenu que Fortune Maritime avait le droit de limiter sa responsabilité, ne laissant à débattre à ce sujet que la seule question de l’importance du montant de cette limite, laquelle dépend, comme nous l’avons déjà mentionné, de la jauge appliquée : celle du navire étant amarré ou celle du Shark, le remorqueur ayant causé les dommages. Fortune Maritime soutient que la jauge pertinente qu’il convient d’appliquer au calcul de sa limite de responsabilité est celle du remorqueur en faute, soit le Shark et que, par conséquent, sa limite est fixée à 500 000 $, incluant les intérêts et les dépens, au 16 décembre 2011. Fortune Maritime soutient de plus que la LRMM et la Convention ne prévoient l’application que d’un seul fonds de limitation pour chaque événement différent de sorte que les montants qu’elle aurait l’obligation de payer sont déjà intégrés dans la somme de 500 000 $ versée par Smit à Grieg Shipping. Par ailleurs, Grieg Shipping soutient que la jauge pertinente qu’il convient d’appliquer pour déterminer la limite maximale de responsabilité de Fortune Maritime est celle du navire qui accoste. Si tel est le cas, le fonds de limitation suffirait à couvrir les dommages subis par le Star Hansa.
v. Cinquièmement, les avocats de la demanderesse et des défendeurs, les seules parties qui se trouvent encore devant moi, soutiennent qu’il est possible de tirer des conclusions quant à la responsabilité du fait d’autrui fondées sur le droit en matière de remorquage, dont les dispositions traitent des relations entre un remorqueur et le navire remorqué ou amarré, ces relations étant fondées sur la question de savoir si, à l’époque pertinente, le remorqueur agissait comme préposé du navire remorqué ou amarré; pour répondre à cette question il convient d’appliquer le test selon lequel il est possible de déterminer l’identité de la personne qui contrôlait la manœuvre du Shark ayant causé les dommages, de sorte que cette personne puisse porter la responsabilité, en droit, de la négligence du Shark.
[4] Les avocats de Grieg Shipping se sont largement appuyés sur la décision de la Cour fédérale dans Canada c Delta Pride (The), 2003 CFPI 11 (Delta Pride), alors que les avocats de Fortune Maritime ont souligné l’importance de la décision du Royaume‑Uni dans l’arrêt « M.S.C. Panther » et le Ericbank, Vol 1, 1957, p 57, Lloyd’s List Law Reports (le Panther) (MSC Panther).
II. L’accostage du Dubai Fortune
[5] L’accostage du Dubai Fortune au poste d’accostage Neptune #3 situé dans les eaux restreintes du bassin où se trouvent à la fois les postes d’accostage Neptune et Lynnterm a eu lieu, tel que mentionné, alors que le navire était assujetti au pilotage obligatoire régi par la Loi sur le pilotage (LRC, 1985, c P‑14). L’article 25 de cette loi prévoit, sauf dispositions contraires du Règlement général sur le pilotage qui ne s’applique pas en l’instance, qu’« il est interdit à quiconque d’assurer la conduite d’un navire à l’intérieur d’une zone de pilotage obligatoire (en l’instance, le port de Vancouver) à moins d’être un pilote breveté ». Les services de trois remorqueurs ont été nécessaires pour l’accostage du Dubai Fortune : le Shark, le Spirit et le Sun, étant tous la propriété de Smit, et founis par cette dernière pour remplir les tâches suivantes :
i. Le Shark a été désigné pour agir en tant que ligneur. Il n’était pas relié au Dubai Fortune par un câble et, par conséquent, il pouvait se déplacer librement. Le Shark avait un certain nombre de tâches à remplir en relation avec l’accostage. Il devait fournir en continu l’information pertinente aux pilotes sur le déroulement de l’accostage car le Dubai Fortune est un très gros navire et les pilotes travaillant à sa poupe ne pouvaient avoir une idée précise de ce qui se passait dans la zone de la proue alors que le navire progressait jusqu’à sa position d’accostage. En résumé, le Shark devait servir d’organes de la vue aux pilotes, alors que le Dubai Fortune se dirigeait vers son étroit mouillage au poste d’accostage Neptune #3 qui a été décrit comme étant un [traduction] « poste d’accostage effilé » situé à côté du poste d’accostage Lynnterm #3 occupé par le Star Hansa, ne laissant qu’un étroit passage entre les deux vraquiers océaniques pour permettre le déplacement de bâtiments ou de remorqueurs.
ii. Le Shark avait une deuxième tâche. Une fois que le Dubai Fortune était presque en position finale d’accostage, le Shark devait récupérer les amarres de l’avant du navire descendues du pont avant du Dubai Fortune et les amener à la station d’ancrage Neptune où des débardeurs les attendaient pour les attacher à des bornes de façon à maintenir en place le Dubai Fortune. Une fois les câbles filés et serrés, le Shark devait quitter la proue du Dubai Fortune, emprunter l’étroit passage entre le Dubai Fortune et le Star Hansa, en passant derrière les poupes du Spirit et du Sun, de façon à amener les câbles de la proue du Dubai Fortune au poste d’accostage Neptune afin d’immobiliser la proue du navire.
iii. Le Spirit et le Sun remplissaient respectivement les fonctions de remorqueurs d’assistance avant et arrière. Le Spirit se trouvait à tribord de la zone de proue du Dubai Fortune alors que le Sun était à tribord de la zone de poupe du navire. Les deux remorqueurs étaient attachés par des câbles de remorquage au Dubai Fortune. La fonction de base de ces deux remorqueurs était de réagir aux ordres des pilotes afin de générer ensemble une puissance de poussée ou de retenue, le cas échéant, de concert avec les moteurs du Dubai Fortune, afin de positionner le navire et de le retenir dans sa position finale appropriée jusqu’à ce qu’il soit amarré de façon sécuritaire.
iv. L’opération d’accostage s’est compliquée avec l’entrée en scène d’un autre remorqueur dont Smit est propriétaire, le Pacific Tyee (le Tyee); le Tyee devait remplacer le Shark étant donné que le capitaine du Shark était sur le point de terminer son quart de travail de 12 heures ayant débuté dans la soirée de la veille, soit à 22 heures.
III. Les arguments avancés par les parties
1. Pour la demanderesse Grieg Shipping A/S
a. En ce qui concerne la responsabilité du fait d’autrui
[6] Les avocats de la demanderesse affirment que le Fortune Maritime est responsable de la négligence du Shark, l’unique cause des dommages subis par son navire, le Star Hansa. Ils soutiennent qu’en droit la responsabilité du fait d’autrui s’applique en matière de manœuvres d’accostage effectuées sous la conduite de pilotes obligatoires. Ils font également valoir que la présente cause est impossible à distinguer de celle du Delta Pride et ils invoquent certains précédents comme Hamilton Marine & Engineering Ltd. c CSL Group Inc. [1995] ACF no 739 (Hamilton Marine). Ils soutiennent de plus que la preuve de la responsabilité du fait d’autrui avait également été établie sur le fondement du critère « étroit » en vertu duquel l’analyse de la conduite du capitaine du Shark doit être décomposée de façon à déterminer si l’acte négligent en cause relevait du ressort ou de la compétence du pilote, ou s’il s’agissait d’une matière de la compétence du capitaine du remorqueur, échappant ainsi au contrôle des pilotes.
[7] S’appuyant sur la preuve versée au dossier, ils font également valoir que le capitaine du Shark a été négligent en s’écartant prématurément des manœuvres d’accostage, sans la permission des pilotes, et cela, (1) avant que les amarres de l’avant aient été filées (2) alors que la position d’accostage du Dubai Fortune n’était pas définitive, et (3) alors que le Spirit et le Sun exerçaient une poussée pour maintenir le Dubai Fortune contre le quai Neptune générant à leurs poupes de la turbulence sous forme de remous de sillage. La preuve démontre, à leur avis, que si le capitaine du Shark avait demandé l’autorisation de partir tôt, les pilotes ne la lui auraient pas accordée en raison du risque même qui s’est finalement matérialisé, notamment le fait qu’il n’était pas prudent qu’un remorqueur emprunte le passage étroit existant entre le Dubai Fortune et le Star Hansa alors que l’accostage du Dubai Fortune n’était pas terminé.
b. En ce qui concerne la limite de responsabilité
[8] Tel que déjà mentionné, le seul aspect litigieux quant à cette question réside dans l’établissement de la limite de responsabilité du Dubai Fortune – cette limite est‑elle fondée sur la jauge du Shark, auquel cas l’action en responsabilité du fait d’autrui engagée par la demanderesse, si elle était accueillie, serait limitée à 500 000 $ ou, comme le soutiennent les avocats de la demanderesse, la limite de responsabilité est‑elle fondée sur la jauge du Dubai Fortune, ce qui serait suffisant, en ce cas, pour couvrir les dommages subis par le Star Hansa.
[9] Les avocats de Grieg Shipping s’appuient sur la Convention de 1976 telle que modifiée par le Protocole de 1996. Comme je l’ai mentionné, la Convention a force de loi parce qu’elle a été incoporée à l’Annexe 1 de la LRMM. Ils citent :
i. Le chapitre premier de l’Annexe 1, intitulé « Le droit à limitation », son article 1 traitant des personnes en droit de limiter leur responsabilité, et son article 2 ayant trait aux créances soumises à la limitation;
ii. Le chapitre II, intitulé « Limites de responsabilité », son article 6 « Limites générales » et son article 9 traitant du concours de créances.
[10] Ils soulignent que la Convention prévoit qu’il pourrait être possible pour ses signataires de fixer des limitations additionnelles à l’égard des propriétaires de petits navires et que le Canada a pris des mesures en ce sens en adoptant l’article 29 de la LRMM, dont les dispositions prévoient ce qui suit :
Autres créances
29. La limite de responsabilité pour les créances maritimes — autres que celles mentionnées à l’article 28 — nées d’un même événement impliquant un navire d’une jauge brute inférieure à 300 est fixée à :
a) 1 000 000 $ pour les créances pour décès ou blessures corporelles;
b) 500 000 $ pour les autres créances.
[Notre soulignement] |
Other claims
29. The maximum liability for maritime claims that arise on any distinct occasion involving a ship of less than 300 gross tonnage, other than claims referred to in section 28, is
(a) $1,000,000 in respect of claims for loss of life or personal injury; and
(b) $500,000 in respect of any other claims.
[Emphasis added] |
[11] Ils soutiennent que la position de la demanderesse est simple quant à la limitation : (1) la manœuvre d’accostage était dirigée du Dubai Fortune sous la responsabilité de deux pilotes assurant le contrôle des manœuvres d’accostage et des remorqueurs désignés pour apporter leur aide à cette opération; (2) cette situation engendre la responsabilité du propriétaire du Dubai Fortune; et (3) si Fortune Maritime est responsable, rien dans les termes de la Convention, dans les politiques ou en jurisprudence ne justifie l’application d’une limitation fondée sur la jauge d’un autre navire que le Dubai Fortune. Fortune Maritime est clairement un propriétaire de navire tel que défini par la Convention. La créance de Grieg Shipping est une créance admissible visée par l’article 2, ce qui justifie par conséquent l’application à cette créance de la limitation établie par la Convention, laquelle est calculée selon la jauge du « navire », qui ne peut être que le Dubai Fortune. Les avocats soulignent que l’article 2 de la Convention s’applique à toutes les créances dont les catégories sont décrites « quel que soit le fondement de la responsabilité », par exemple, une créance fondée sur la responsabilité du fait d’autrui. Les avocats citent de plus des publications universitaires à l’appui de leur argument.
2. Pour la défenderesse Fortune Maritime, le propriétaire du Dubai Fortune
a. En ce qui concerne la responsabilité du fait d’autrui
[12] Les avocats de Fortune Maritime soutiennent que leur cliente n’est pas responsable du fait d’autrui pour la manœuvre reconnue négligente du capitaine du Shark, cause des dommages subis par le Star Hansa. Leur argument est fondé sur la nature de l’acte ayant causé le dommage, soit la manœuvre négligente du Shark. À leur avis, la question est celle de savoir si cet acte tombe dans le champ d’application de la compétence du pilote à bord, ou comme ils le prétendent, dans celui du capitaine du Shark. Ils citent l’extrait qui suit, tiré de Panther, où le juge Willmer présidant l’instance, a appliqué les principes énoncés par la Chambre des lords dans Mersey Docks & Harbour Board c Coggins & Griffiths (Liverpool) Ltd. [1947] AC 1 (Mersey Docks) :
[traduction]
a) mais, comme dans le cas d’une tierce partie blessée à la suite du geste d’un préposé, la question de savoir lequel de deux employeurs potentiels est responsable (l’employeur régulier ou l’employeur temporaire à qui les services du préposé ont été loués) ne dépend pas des modalités du contrat intervenu entre ces deux employeurs : elle dépend de l’employeur qui dispose du droit de contrôle sur le préposé, et non seulement sur ce qu’il doit faire, mais aussi sur la façon dont il doit le faire. En outre, il a déjà été établi que lorsque les services du préposé d’un employeur sont temporairement loués à un autre, il est nécessaire de présenter une preuve très forte pour démontrer que ce dernier a acquis le degré de contrôle qui le rendrait lui‑même, et non l’employeur régulier, responsable en cas de négligence de la part du préposé.
b) Il ne suffit cependant pas que la tâche à accomplir puisse être sous son contrôle, il doit également contrôler la façon dont cette tâche doit être réalisée. Il est vrai que dans la plupart des cas aucun ordre sur la façon d’accomplir un travail n’est donné ni requis : on laisse la personne faire son travail à sa manière. La question fondamentale n’est cependant pas de savoir quels ordres précis ont été donnés, ou plutôt y en a‑t‑il eu, mais plutôt qui a le droit de donner des ordres sur la façon dont le travail devrait être accompli. Lorsqu’un travailleur opérant un dispositif mécanique, comme une grue, est envoyé pour s’acquitter d’une tâche, il est plus facile d’inférer que l’employeur général continue de contrôler la méthode de rendement vu qu’il s’agit de sa grue et que l’opérateur demeure responsable à son égard de sa garde en lieu sûr.
c) L’avocat des demandeurs a soutenu que les défendeurs, propriétaires du Ericbank, étaient responsables de cette faute, en premier lieu, parce que les membres de l’équipage du remorqueur doivent être considérés en droit comme les préposés des propriétaires du navire remorqué; deuxièmement, en raison des faits, il a allégué que le pilote à bord du Ericbank avait compétence pour ordonner l’arrêt des moteurs du remorqueur. À mon avis, ce dernier point est incontestable. On ne peut s’attendre d’aucun pilote qu’il puisse contrôler chacune des manœuvres de ses deux remorqueurs. La preuve démontre qu’en pratique les manœuvres précises du remorqueur sont laissées, comme il se doit, entre les mains du capitaine du remorqueur, le devoir du pilote étant limité à donner des instructions générales, comme celles d’initier le touage ou d’y mettre fin, ou de touer dans telle ou telle direction. Je ne saisis pas comment on pourrait s’attendre à ce qu’il soit possible pour un pilote à partir du pont d’un grand navire d’ordonner les mouvements de machine d’un remorqueur d’arrière, manœuvrant à trois ou quatre cents pieds derrière lui, presque hors de sa vue, ou même de savoir à quel régime tournent les moteurs du remorqueur à un moment précis.
d) Il me semble que les principes qui s’appliquent à une grue et à son opérateur devraient également s’appliquer à un remorqueur et à son capitaine ou officier responsable. Par conséquent, en appliquant les principes indiqués aux faits en l’espèce, je ne suis pas en mesure de conclure que les membres de l’équipage du M.S.C. Panther sont devenus en droit des préposés des propriétaires du Ericbank, de façon à rendre ceux‑ci, et non ceux‑là, responsables de la manœuvre fautive qui était de la compétence de la personne responsable à bord du remorqueur. Je crois que cette position serait différente si la manœuvre fautive avait été de la compétence du pilote ou de l’officier responsable du navire remorqué, par ex., si le remorqueur n’avait pas obéi à un ordre, ou avait exécuté, sans qu’il ne soit ordonné de le faire, de façon négligente une manœuvre que les personnes responsables à bord du navire remorqué avaient la compétence d’ordonner. En l’espèce, cependant, la manœuvre fautive consistant à ne pas avoir arrêté à temps le moteur de propulsion de bâbord était une manœuvre relevant exclusivement du remorqueur et non du navire remorqué, et, en pareilles circonstances, je conclus que la responsabilité découlant de la négligence du second du M.S.C. Panther incombe aux employeurs réguliers, soit les propriétaires du M.S.C. Panther.
[Notre soulignement]
[13] Les avocats de Fortune Maritime font valoir que la preuve est claire en l’espèce. Immédiatement avant de heurter le Star Hansa, le Shark a frappé la poupe du Sun, lequel était attaché au poste de poupe tribord du Dubai Fortune. Ce choc avec le Sun a été la cause du virage serré effectué par le Shark dans l’étroit passage séparant les deux vraquiers océaniques. Ils citent le capitaine du Shark qui, lors de son témoignage, aurait déclaré que [traduction] « si je n’avais pas heurté le Sun, j’aurais profité d’un alignement approprié et me serais probablement faufilé hors du passage ». Selon les avocats, n’eût été la collision entre le Shark et le Sun, le Star Hansa n’aurait subi aucun dommage. En résumé, cette manœuvre négligente de la part du Shark a été la cause première du dommage; une manœuvre qu’il était impossible de contrôler pour les pilotes à bord du Dubai Fortune. Les manœuvres d’un remorqueur relèvent de la compétence de son exploitant.
b. En ce qui concerne la limite de responsabilité
[14] Les avocats de Fortune Maritime soutiennent que leur cliente peut invoquer le fonds de limitation de Smit. Ils s’appuient sur la décision de la Cour suprême du Canada dans Rhône (Le) c Peter A.B. Widener (Le), [1993] 1 RCS 497 (Rhône) dans laquelle ont été interprétées les dispositions de limitation de responsabilité, en particulier les articles 647 et 649, alors en vigueur dans la Loi sur la marine marchande du Canada (LRC, 1970, c S‑9). Le Rhône a subi des avaries alors qu’il était amarré; il a été heurté par le Widener, une péniche remorquée ayant à son bord un capitaine et étant touée par quatre remorqueurs appartenant à trois entreprises différentes. La cause de l’accident réside dans des erreurs de navigation commises par le capitaine du remorqueur de tête décrit comme ayant le « commandement de fait de la flottille ».
[15] Les avocats citent le paragraphe 66 de la décision Rhône comme celui indiquant l’intention que visait le paragraphe 647(2) de la Loi sur la marine marchande du Canada :
[…] limiter la responsabilité à l’égard d’erreurs de navigation uniquement en fonction de la jauge des navires qui auraient causé l’avarie. Outre le navire responsable de la navigation générale d’une flottille, seuls les navires du même propriétaire qui ont matériellement causé ou contribué à causer l’avarie peuvent entrer en ligne de compte pour limiter la responsabilité.
[Notre soulignement]
[16] Les avocats dans Rhône ont soutenu que la responsabilité devrait être fixée en se fondant sur la jauge du remorqueur de tête exclusivement, car « il serait contraire à l’objet de ces dispositions en matière de limitation de responsabilité si l’on tenait compte, pour limiter la responsabilité, d’un remorqueur d’appoint qui n’a lui‑même commis aucune faute, ni rien fait d’autre pour causer matériellement l’avarie en question ». Selon les avocats de Fortune Maritime, ce sont les circonstances qui s’appliquent au Dubai Fortune, navire « innocent ». Ils citent un certain nombre de décisions de notre Cour qui ont suivi l’arrêt Rhône.
[17] Les témoins suivants ont été assignés par les avocats de Grieg Shipping : (1) le capitaine du Shark, capitaine Duesterdiek, (2) le capitaine du Spirit, capitaine O’Brien, (3) les deux pilotes à bord du Dubai Fortune, les capitaines Roman et Rayner. Les avocats de la défenderesse Fortune Maritime ont assigné le capitaine Broderick, capitaine du Sun. Aucune des parties n’a assigné le capitaine du Tyee comme témoin.
[18] Je signale également que les avocats de Grieg Shipping ont proposé de présenter le témoignage d’un expert. Après avoir lu le témoignage proposé, entendu un résumé de la preuve projetée qui a été suivi du contre‑interrogatoire de l’expert en ce qui a trait à ce résumé et entendu les observations des avocats des deux parties, j’ai repoussé la nécessité de l’entendre comme témoin expert au seul motif que son témoignage avait été supplanté par des éléments de preuve directe présentés par les capitaines et les pilotes lors de l’instruction. Si des témoins antérieurs ne m’avaient pas présenté ces éléments de preuve directe, je l’aurais entendu.
[19] Je vais maintenant résumer brièvement les témoignages de vive voix, tout en soulignant qu’il y a au dossier un exposé conjoint des faits.
[20] Il convient de résumer en premier lieu le témoignage des pilotes en soulignant que le capitaine Rayner était responsable de l’accostage. Parce qu’il était un apprenti pilote (tout juste sur le point de compléter son apprentissage), il était sous la supervision du capitaine Roman qui a déclaré dans son témoignage que le capitaine Rayner avait très bien dirigé l’accostage du Dubai Fortune.
1. Le témoignage du capitaine Roman
[21] Le capitaine Roman était le pilote en chef supervisant le capitaine Rayner. Lors de son interrogatoire principal, voici ce qu’il a déclaré : (1) un navire étant à quai au poste d’accostage situé en face, il a examiné la possibilité d’accoster à Neptune 3 ou Lynnterm 1 [traduction] « l’un des deux postes d’accostage où il est le plus difficile de manœuvrer au quotidien dans le port de Vancouver » (transcription, p. 281), (2) l’attention qu’il convient de porter à un poste d’accostage confiné lors de l’accostage s’explique du fait qu’un grand navire déplace de l’eau lorsqu’il progresse vers le poste d’accostage; cette masse d’eau doit être évacuée et habituellement elle est évacuée vers l’avant du navire, où elle doit se dissiper [traduction] « et ainsi elle doit s’écouler entre votre bâtiment et les navires, ou à l’intérieur du poste d’accostage créant alors un « effet de chasse » (transcription, p. 282), (3) le temps pris pour l’accostage du Dubai Fortune était normal, mais ce qui l’était moins était causé par le fait que le navire reglissait dans le site d’accostage en raison, selon lui, du déplacement de l’eau. Les moteurs du navire ont été mis à contribution pour le propulser vers l’avant (transcription, p. 283), (4) c’est à ce moment qu’il a entendu sur le canal radio qu’un des remorqueurs d’assistance réduisait sa puissance ou ses révolutions par minute de façon à céder le passage au Shark, ce qui était inhabituel, selon lui, parce que les lignes d’avant n’avaient pas encore été filées; comme il était le remorqueur d’amarres, la présence du Shark était essentielle pour assurer aux pilotes une vision de la manœuvre car ces derniers ne pouvaient rien voir au‑dessus de la proue du navire qui était très élevée; bien que le navire était le long du quai et que les câbles avaient été filés, mais n’étaient pas serrés (transcription, p. 311), le Dubai Fortune continuait de revenir en arrière et le capitaine Rayner n’avait pas libéré le Shark ou ne l’avait pas contacté (transcription, p. 283 et 284), (5) habituellement, lorsqu’un remorqueur doit quitter ou partir, le remorqueur de lignes reste afin de filer les câbles d’avant et le remorqueur arrivant s’occupe des câbles d’arrière afin d’éliminer, en particulier dans un bassin confiné, l’interaction des remorqueurs quittant les lieux ou y arrivant. Il a déclaré qu’il était essentiel pour le pilote d’avoir sur place le remorqueur de lignes en tout temps jusqu’à ce que le navire soit fixé solidement (transcription, p. 284 et 285), (6) un poste d’accostage en épi se termine en un cul‑de‑sac; le poste d’accostage Neptune fait face au nord‑sud, et si quelque chose ne tourne pas rond, il n’y a nulle part où aller; le navire est alors plus exposé aux changements que s’il se trouvait dans un poste d’accostage régulier où il est possible d’effectuer un plus grand nombre de manœuvres ou de se laisser glisser avec le courant (transcription, p. 287), (7) du point de vue de la sécurité, il ne serait pas prudent pour les remorqueurs d’aller et venir dans leur sillage, c.‑à‑d. le passage d’un remorqueur de lignes quittant les lieux près d’un navire accosté dans un espace réduit alors qu’un autre navire est accosté au poste Lynnterm 1, ces déplacements ayant lieu avant que les amarres de l’avant soient filées (transcription, p. 293), (8) alors que le Dubai Fortune était toujours en mouvement pour trouver sa position définitive et que les amarres de l’avant n’étaient pas filées, si le Shark l’avait appelé pour lui demander l’autorisation d’être libéré, il aurait demandé pourquoi il était nécessaire pour le remorqueur d’être libéré et lui aurait probablement refusé cette autorisation, sauf si le Shark avait fourni une raison urgente liée à la sécurité. (transcription, p. 295), (9) il a répété l’importance du remorqueur d’amarres parce qu’il permettait ni plus ni moins aux pilotes de visualiser le processus d’accostage et que le navire n’aurait pas été fixé solidement avant que les amarres d’avant et d’arrière ne parviennent au quai et y soient serrées; en d’autres termes, le travail n’était pas encore terminé (transcription, p. 295), (10) le va‑et‑vient des deux remorqueurs créait un risque inutile parce que des pépins pouvaient survenir (transcription, p. 296 et 297), (11) après avoir réalisé le départ du Shark, il a appelé le remorqueur, mais il n’a pas obtenu de réponse, (12) il a appelé le Shark parce qu’il était contrarié de le voir quitter les manœuvres d’accostage sans demander l’autorisation et sans que le capitaine l’ait libéré d’accomplir ses fonctions (transcription, p. 298); il a déjà déclaré qu’il avait par la suite discuté avec d’autres capitaines de remorqueur qui ont indiqué n’avoir jamais entendu parler d’un remorqueur d’amarres ayant quitté les opérations sans demander d’autorisation (transcription, p. 291).
[22] Voici ce qu’a déclaré le capitaine Roman lors de son contre‑interrogatoire; (1) le Shark n’avait pas été utilisé le jour de l’accostage (transcription, p. 302), (2) les pilotes n’avaient pas transmis d’instructions au Shark « en ce qui avait trait à l’accostage » (transcription, p. 302), (3) le Dubai Fortune était en position définitive d’accostage, c.‑à‑d. dès que la passerelle d’embarquement est placée sur le quai (transcription, p. 308), (4) généralement, après avoir terminé les amarres de l’avant, le remorqueur d’amarres se dirige de façon automatique pour filer les amarres de poupe, (5) un pilote ne gère pas ni ne dirige la façon dont un ligneur circule de la proue à la poupe (transcription, p. 310), (6) le Tyee a accompli la tâche de filer les amarres de l’avant et de l’arrière sans que cela ne cause problème (transcription, p. 312), (7) le Tyee a été en mesure de circuler vers le nord sans disposer de voie de sortie vers le sud (transcription, p. 313), (8) de façon courante, un ligneur s’occupe des amarres arrières après avoir terminé celles de l’avant, même en présence de deux navires dans le bassin; il s’agit de la procédure normale et le capitaine ajoute [traduction] « lorsque les amarres de l’avant sont serrées, il n’y a aucun problème à ce que les remorqueurs diminuent la puissance des moteurs », mais sans amarres de l’avant serrées, le remorqueur d’assistance (suivant les indications) doit pousser pour maintenir la position du navire remorqué avec le niveau de puissance qu’il juge à propos, ce qui varie en fonction de la dimension du remorqueur. Cette décision lui appartient (transcription, p. 313 et 314), (9) le ligneur ne demande par l’autorisation du pilote pour se diriger vers l’arrière parce qu’il connaît son travail et comment le faire, mais, selon la procédure normale, il l’informe du fait que les amarres de l’avant ont été filées (transcription, p. 314 et 315), (10) le pilote ne peut pas contrôler la façon dont un capitaine de remorqueur entreprend son travail (transcription, p. 315), (11) un pilote donne des ordres ou formule des demandes de nature générale aux remorqueurs d’assistance (transcription, p. 315), (12) le capitaine du remorqueur manœuvre son navire de façon à suivre ces instructions générales (transcription, p. 315), (13) et ces manœuvres sont accomplies d’une façon qu’il ou qu’elle juge être la bonne (transcription, p. 315), (14) un pilote ne transmet pas d’instruction à un capitaine de remorqueur sur la façon de manœuvrer leurs remorqueurs (transcription, p. 315), (15) un pilote ne peut contrôler la façon dont le capitaine d’un remorqueur le dirige vraiment, mais le seul contrôle qu’il pourrait exercer serait de lui dire de pousser à moitié et constatant que cette poussée est plus importante que celle qu’il désirait, il lui ordonnerait d’y aller plus doucement. Le capitaine Roman a dit « C’est ainsi que je leur indique la puissance de la poussée qu’ils doivent fournir » (transcription, p. 316), (16) il s’agit d’une indication générale, et le capitaine du remorqueur exerce alors son pouvoir discrétionnaire pour déterminer la meilleure façon de répondre à cet ordre (transcription, p. 316), (17) l’utilité du ligneur est somme toute secondaire au regard des manœuvres d’accostage (transcription, p. 317), (18) les ligneurs effectuent leur travail sans trop de communication avec le pilote en ce qui a trait à la façon de filer ses amarres, mais d’un autre côté le pilote communique avec lui pour connaître la distance devant, la proximité du navire avec la barge‑grue – le ligneur lui permet de saisir ces données en particulier dans ce site d’accostage (transcription, p. 317 et 318), (19) ils contrôlent leur remorqueur de la façon dont ils effectuent leur travail; dans la manipulation des amarres; la manière dont ils traitent avec le courant et les remous; la façon de manœuvrer leur remorqueur entre l’avant et l’arrière d’un navire; un pilote ne peut contrôler la façon dont un capitaine manœuvre vraiment son vaisseau (transcription, p. 319), (20) [traduction] « Les amarres d’avant se coincent à l’occasion dans une ancre et le ligneur a déjà quitté avant que les amarres n’aient été serrées, auquel cas je vais lui demander de retourner parce que nous avons un problème, nous avons un enchevêtrement d’amarres » [notre soulignement] (transcription, p. 320), (21) il a reconnu qu’il est possible qu’un ligneur quitte avant que les amarres d’avant soient serrées « Cela se produit, effectivement » (transcription, p. 230), (22) il appartient au pilote de déterminer la tâche d’un remorqueur d’assistance à l’avant (le Spirit) ou à l’arrière (le Sun) alors que le Shark ne participe pas à l’accostage (transcription, p. 321), (23) en réponse à une question de la Cour, le capitaine Roman a admis que le Tiger Shark participait à l’accostage parce qu’il avait la tâche de filer les amarres de l’avant et de l’arrière, et de les apporter sur le quai, mais que le Shark a quitté avant d’accomplir cette tâche, ce qui avait rendu le capitaine Roman furieux.
2. Le témoignage du capitaine Rayner
[23] Comme il a été mentionné, le capitaine Rayner était responsable, le 22 juin 2007, de l’accostage du Dubai Fortune; il était alors un apprenti pilote et il est devenu pilote le 9 juillet 2007 (transcription, p. 330); il avait accosté 113 navires pendant son apprentissage et il était sous la supervision du capitaine Roman.
[24] Lors de son interrogatoire principal, voici comment le capitaine Rayner a témoigné : (1) pendant l’accostage, il a entendu sur le canal de communication que le Shark se proposait de quitter ou était sur le point de quitter et que le Spirit réduisait son régime moteur afin de laisser passer le Shark (transcription, p. 333), (2) [traduction] « au même moment ou peu de temps après, les pilotes ont entendu le Tyee, un autre ligneur, se joindre aux conversations sur le canal de communication » (transcription, p. 333), (3) il n’avait reçu aucun appel antérieur du Shark concernant son départ et ce qui se passait semblait étrange (transcription, p. 336), (4) il ne savait rien de l’arrivée éventuelle du Tyee (transcription, p. 337), (5) les amarres d’avant n’avaient pas été filées, (6) le moment choisi par le Shark pour quitter n’était pas opportun pour un certain nombre de raisons, notamment parce qu’il occupait une position difficile d’accès; alors que le navire remorqué progresse dans le poste d’accostage, le ligneur circule en avant du navire car il n’y a pas vraiment de place pour l’esquiver, c’est pourquoi il demeure en avant pour saisir les amarres d’avant; de plus, le remorqueur d’assistance avant, attaché au tribord avant du navire, constitue un obstacle que le ligneur ne peut généralement contourner sans manœuvrer de façon assez prudente. Il fournit également au pilote une vision de la situation – un contrôle de sécurité en cas des problèmes dans la zone de la proue (transcription, p. 337 et 338), (7) s’il avait reçu un appel du Shark demandant l’autorisation de quitter, il l’aurait refilé au pilote en chef, mais s’il avait été seul, il lui aurait demandé pourquoi il lui était nécessaire de quitter et s’il avait reçu comme réponse « un changement de quart », il ne lui aurait pas donné l’autorisation de quitter (transcription, p. 338 et 339).
[25] Lors de son contre‑interrogatoire, voici ce que le capitaine Rayner à déclaré : (1) les pilotes ont choisi les remorqueurs qui, à leur avis, était nécessaires pour la tâche (transcription, p. 342 et 343), (2) la marée n’était pas importante, elle ne constituait pas un facteur préoccupant en cette journée, mais elle devait tout de même être prise en compte à l’approche du poste d’accostage (transcription, p. 345), (3) la visibilité était bonne; l’eau était calme (transcription, p. 346), (4) il n’a pas eu recours aux remorqueurs d’assistance lors de l’approche du poste d’accostage; il n’y avait pas de vent et le courant était minime; il a utilisé les moteurs et les dérives du navire à son entrée dans le poste d’accostage (transcription, p. 351), (5) il était conscient de la présence du Star Hansa, (6) le Dubai Fortune s’est bien aligné; il ne se mettait pas du tout en place (transcription, p. 354); il n’était pas préoccupé par la présence du Star Hansa étant donné la largeur du Dubai Fortune, la position parallèle adoptée pour avancer dans le poste d’accostage, la présence à peine sentie du courant et de la marée, et le fait que son navire longeait de près le côté du quai Neptune 3 (transcription, p. 354 et 355), (7) alors que le Dubai Fortune était placé en position définitive, il a utilisé des remorqueurs d’assistance à quelques reprises soit pour reculer ou pousser de façon à conserver la position parallèle au quai du Dubai Fortune; il a aussi confirmé l’utilisation des moteurs du Dubai Fortune pour le propulser en arrière le long du poste d’accostage afin d’assurer un arrimage parfait avec la passerelle d’embarquement et il a dû procéder à des ajustements additionnels en ordonnant, à 10 h 13 m 5 s, que le Dubai Fortune soit propulsé vers l’avant de quelques mètres (transcription, p. 358 et 366), (8) à ce stade du processus, il n’avait donné aucune instruction au Shark vu qu’il ne lui restait comme tâche qu’à filer les amarres d’avant et que le Shark ne participait pas à ce que le Dubai Fortune effectuait à ce stade (transcription, p. 366), (9) il a reconnu que le Sun était inactif à ce stade de l’accostage du Dubai Fortune; c’était un remorqueur puissant et il n’était pas nécessaire de lui en demander plus (transcription, p. 367 et 368), (10) il n’a pas eu de communication avec le Shark avant son départ (transcription, p. 368), (11) il n’était au courant de rien à propos du Tyee à ce moment, mais il a reconnu que le Tyee était présent à la proue du Dubai Fortune pour filer les amarres en temps opportun, soit après l’installation complète de la passerelle d’embarquement. Le synchronisme du positionnement du Tyee convenait très bien. Sa seule tâche consistait à filer les amarres d’avant (transcription, p. 369), (12) après l’entrée du Tyee dans le bassin, les pilotes ont communiqué à son capitaine les détails de la situation; le Tyee est entré, a effectué le travail et il s’est ensuite positionné pour filer les amarres arrières; le capitaine connaissait son métier; il n’avait pas besoin des indications du pilote et ce dernier n’a d’aucune façon contrôlé le Tyee, le capitaine ajoutant que parce que le site Neptune 3 est un endroit exigu [traduction] « nous avions fixé les amarres d’avant de façon à nous assurer qu’elles étaient bien serrées et fixées en place »; le Tyee devait contourner le Spirit (transcription, p. 370 et 371), (13) il a supposé que le Tyee, une fois les amarres d’avant à quai, aurait attendu que le Spirit réduise la puissance de ses moteurs de façon à lui céder le passage; le Spirit devait pousser à ce moment (transcription, p. 371), (14) les capitaines de remorqueur sont expérimentés et compétents; le pilote ne contrôle pas le mouvement des machines d’un remorqueur; un capitaine de remorqueur est maître à bord de son propre navire [traduction] « alors, de façon générale, ils jugent s’il est prudent de se positionner derrière un autre remorqueur dans cet endroit exigu, mais il a reconnu que s’il avait été demandé à un remorqueur de pousser un navire de côté et que ce dernier estimait que la position du navire pourrait en être affectée il pourrait ou aurait dû communiquer avec le pilote pour demander l’autorisation de réduire la puissance de ses machines de façon à permettre à l’autre remorqueur de le contourner par l’arrière, (15) il n’a donné aucune directive au Shark ni au Tyee, et il ne dirait pas aux chefs de bord de l’un ou l’autre de ces remorqueurs comment manœuvrer leurs navires, et il n’aurait pas l’expertise pour le faire, et il ne contrôle pas leur remorqueur (transcription, p. 374 et 375), (16) « Nous lui donnons des ordres sur la façon de manœuvrer notre navire » [notre soulignement] et s’il estime que ces ordres mettent en péril la sécurité de son remorqueur, il le fera savoir. « Ils sont responsables de la façon dont ils obéissent à nos ordres » et ils possèdent les habiletés et le jugement pour y parvenir (transcription, p. 376), (17) en réponse à une question de la Cour, le capitaine Rayner a admis qu’il savait que le Shark avait quitté; il avait vu le Tyee, un ligneur, arriver et sachant que le Dubai Fortune était déjà positionné de côté de façon définitive, le changement entre le Tyee et le Shark lui convenait parce qu’il avait à disposition ses deux remorqueurs d’accostage et, étant solidement fixé de côté, il pourrait rester sur place et attendre une demi‑heure l’arrivée d’un ligneur de remplacement (transcription, p. 377 et 379).
[26] Lors de son réinterrogatoire, le capitaine Rayner a ainsi témoigné : (1) au moment du départ du Shark, ses instructions au Spirit et au Sun étaient de pousser afin de garder le navire au poste d’accostage (transcription, p. 380); (2) il ne se rappelait pas d’avoir donné instructions au Spirit de donner au Dubai Fortune une légère poussée vers le haut du poste d’accostage; (3) il était de coutume pour le ligneur d’informer le pilote que les amarres d’avant étaient rendues à terre; (4) si les amarres d’avant n’étaient pas serrées, il donnerait instructions au ligneur d’attendre à la proue du navire jusqu’à ce que les amarres soient serrées de façon à permettre au remorqueur d’assistance d’avant de baisser de régime, voire même de laisser aller (transcription, p. 380 et 382).
3. Le témoignage du capitaine Duesterdiek, capitaine du Shark
[27] Le capitaine du Shark a été appelé comme témoin défavorable du consentement des deux parties en vertu de la règle prévue par la Loi sur la preuve au Canada (LRC, 1985, c C‑5). Il est un capitaine de remorqueur qualifié et expérimenté, et il est à l’emploi de Smit depuis 2002. Il était le maître à bord du Shark le 22 juillet 2007; il avait alors commencé son quart de travail de 12 heures à 22 h la soirée précédente, et sa relève était prévue pour 10 h le jour de l’incident.
[28] Voici le témoignage rendu lors de son interrogatoire principal (transcription, p. 141) :
i. La présence des trois remorqueurs était nécessaire pour accoster au poste d’accostage Neptune un vraquier océanique comme le Dubai Fortune.
ii. Le pilote est responsable de l’accostage du navire et il donne des ordres en conséquence.
iii. En tant que ligneur, le Shark est tenu de fournir au pilote une vision de la situation en lui transmettant tous les renseignements pertinents comme la distance séparant le navire de l’extrémité du poste d’accostage; une fois le navire en position le long du quai (en position définitive, ou presque), il est tenu d’amener au quai les amarres de l’avant se trouvant à la proue du navire, et ensuite de gagner la poupe pour filer les amarres de l’arrière (transcription, p. 151 à 153).
iv. Le poste d’accostage Neptune 3 avait la configuration d’un poste en épi exigu et le Shark est entré dans le bassin à reculons plutôt que de se trouver le long du Dubai Fortune en raison du manque d’espace à cet endroit causé par la présence du Dubai Fortune, du Star Hansa et d’une barge‑grue (transcription, p. 162).
v. Il a quitté sa position à la proue de tribord du Dubai Fortune après que ce navire eût gagné sa position (transcription, p. 163); toutefois, peu de temps avant de quitter les lieux pour laisser le Tyee prendre sa place, il a dit à l’équipage du navire de cesser de descendre à l’eau les amarres d’avant depuis le pont avant du Dubai Fortune. Il a agi de la sorte parce que le Spirit poussait (et qu’il continuerait jusqu’à ce que les amarres d’avant soient sur le quai), ce qui créait un sillage et un risque que les amarres se retrouvent dans la barre du Spirit. L’endroit pour amener les amarres d’avant du Dubai Fortune sur le pont du Shark n’était pas très propice et, de toute façon, il ne prenait pas les amarres et quittait les lieux parce que le Tyee devait le remplacer, et qu’il n’y avait pas suffisamment d’espace pour trois remorqueurs et la barge‑grue dans la zone des opérations. Lorsqu’il a quitté sa position où il se trouvait à bâbord du Dubai Fortune, le Tyee se trouvait dans le passage entre le Dubai Fortune et le Star Hansa, à mi‑chemin entre la position du Sun et celle du Spirit (transcription, p. 167 à 171).
vi. Il a reconnu que le Tyee n’était pas immobilisé à cet endroit avant que le Shark croise sa poupe sur le chemin de la sortie du bassin parce qu’alors qu’il s’approchait de la proue du Dubai Fortune, un flux constant d’eau était produit par les deux remorqueurs s’assistance qui poussaient le Dubai Fortune, ce qui signifiait que le Tyee aurait à composer avec des turbulences dans l’eau (transcription, p. 171).
vii. Après avoir quitté sa position, il a croisé le Spirit et a dû manœuvrer dans son sillage, mais il ajouté que cela était normal en ce sens que les remorqueurs produisaient toujours des sillages plus ou moins importants (transcription, p. 171); il s’agissait d’un volet de la manœuvre du gouvernail d’un remorqueur (transcription, p. 174).
viii. Il a confirmé qu’en temps normal, contrairement à la journée du 22 juin 2007, il n’aurait pas quitté la zone de la proue avant d’avoir filé les amarres de l’avant jusqu’au quai. Les remorqueurs d’assistance devaient pousser jusqu’à ce que le pilote leur dise d’arrêter de le faire, ce qui ne se produirait pas tant que la position du navire ne serait pas définitive (transcription, p. 172).
ix. Il a confirmé qu’après avoir croisé la poupe du Spirit il était à proximité du Tyee qui, à ce moment, se trouvait entre le Spirit et le Sun. À cet endroit, il a dit que le Shark avait ressenti l’effet de l’écoulement de l’eau déplacé par la progression du Dubai Fortune dans le poste d’accostage et des sillages produits par les remorqueurs (transcription, p. 175). La présence du Tyee l’a contraint à modifier son alignement pour sortir du bassin (transcription, p. 176). Après avoir croisé le Tyee, il était à quelques secondes de s’approcher du Sun.
x. Les avocats de Grieg Shipping lui ont soumis l’hypothèse selon laquelle, après avoir croisé le Tyee, il n’exerçait qu’un contrôle limité sur le Shark (transcription, p. 176), ce à quoi le capitaine a répondu ce qui suit :
[traduction]
Bon, ma position n’était pas celle que j’aurais occupée normalement n’eût été la présence d’un remorqueur à cet endroit. Mon alignement aurait été différent. J’ai dû contourner et dépasser le Tyee. Ma position n’était alors pas parfaite pour sortir, mais vous êtes pris dans ce scénario parce que la turbulence latérale vous entraîne ni plus ni moins, et c’est ce qui se produit en fait, sans compter les retards dans la réponse des commandes de gaz du remorqueur, ce qui fait que j’ai donc heurté le côté du Sun en quittant les lieux.
[Notre soulignement]
xi. Il a convenu qu’il se débattait contre le courant (transcription, p. 177).
xii. On lui a suggéré l’hypothèse qu’il était moins en contrôle lorsqu’il se débattait contre le courant, et voici comment il a répondu :
R. Bon, il n’y a pas de courant constant. C’est de la turbulence.
Q. Oui.
R. Alors cela n’a rien à voir avec un courant constant, continu. Vous avez toujours en plus du sillage du Sun rebondissant sur le Star Hansa.
Q. Et vous avez dû – avez‑vous eu à modifier votre cours de quelque façon en raison de la position du Tyee?
R. Dans cet espace, vous ajustez vos manettes de gaz et la barre en conséquence. Vous y allez en vous fiant à votre instinct.
[Notre soulignement]
xiii. On lui a laissé entendre que les choses étaient différentes le 22 juin 2007, notamment la présence du Tyee, un quatrième remorqueur positionné entre les deux remorqueurs d’assistance, ce à quoi le capitaine du Shark a répondu « exact » (transcription, p. 178).
xiv. On a suggéré au capitaine du Shark qu’avant de communiquer avec le Sun [traduction] « vous tournoyiez ou perdiez le contrôle ni plus ni moins du Shark », ce à quoi il a répondu qu’il avait toujours été en contrôle du Shark (transcription, p. 182).
xv. Lors de l’échange entre les avocats de Grieg Shipping et le capitaine du Shark en ce qui concerne ses manœuvres pour dépasser la poupe du Sun (transcription, p. 191), le capitaine Duesterdiek a déclaré ce qui suit (1) après avoir dépassé le Tyee [traduction] « je m’en retournais pour regagner mon alignement afin de quitter les lieux » (transcription, p. 182); (2) [traduction] « normalement lorsque vous croisez un remorqueur qui pousse, vous tentez de le dépasser le plus près possible de la poupe parce que le sillage n’est pas aussi fort tout près de la poupe […] ainsi plus vous frôlez la poupe, plus l’effet ressenti sera moindre » (transcription, p. 183); (3) le fait de passer la proue d’un remorqueur qui pousse le propulserait à bâbord, mais il donnerait un coup de barre pour contrebalancer; (4) il n’était pas bien aligné le long de la proue du Sun en partie à cause du Tyee et du volume d’eau (transcription, p. 184); (5) le fait de frapper le Sun l’a en réalité aidé un peu en empêchant le Shark de heurter le Star Hanna à 90° (transcription, p. 184); (6) s’il n’était pas entré en contact avec le Sun « J’aurais retrouvé l’alignement qui me convenait et j’aurais probablement pu quitter les lieux » [notre soulignement] ajoutant qu’il n’était pas adéquatement aligné lorsqu’il a quitté (un peu à angle) et comme il s’agissait d’un navire se mouvant sur l’eau il est entré en contact avec le Sun proue contre proue (transcription, p. 185); (7) en temps normal, le croisement d’un remorqueur par la proue le « projetterait à une certaine distance » dans les eaux du bassin en cette zone (transcription, p. 186), distance qu’il a estimée, en interrogatoire, à dix pieds, selon le nombre de chevaux‑vapeur du Sun. S’il était question de 5 000 chevaux‑vapeur, il aurait été projeté à quarante pieds; (8) de toute façon, il n’aurait pas pu stopper la progression avant du Shark vers le Star Hansa, mais, ayant conservé le contrôle de son remorqueur, il a tenté de braquer vers la droite pour minimiser les dommages (transcription, p. 188); (9) il avait accosté de nombreux navires au poste Neptune 3 et n’en avait jamais heurté un (transcription, p. 189); (10) il ne se souvenait pas d’avoir quitté la proue, au poste Neptune 3, avant d’avoir filé les amarres de l’avant (transcription, p. 191); (11) il a quitté la proue du Dubai Fortune sans le demander au pilote, mais il a ajouté qu’il l’avait avisé d’un changement d’équipage prochain, et après avoir été questionné davantage sur ce point, le capitaine du Shark a admis qu’il n’y avait eu aucune discussion avec le pilote quant à la possibilité de quitter les lieux avant que les amarres de l’avant aient été filées (transcription, p. 197 et 198); (12) lorsque les avocats de Grieg Shipping lui ont demandé s’il n’y avait rien qu’il aurait pu faire de façon différente en cette journée qui aurait influé sur son issue, il a répondu que les contrôles répondaient bien et, à la suite de questions additionnelles, il a dit [traduction] « J’aurais pu ne pas quitter la proue » [notre soulignement] (transcription, p. 199 et 200); (13) voici ce qu’il a répondu en ce qui a trait aux manœuvres et à la conduite du Shark : [traduction] « J’ai réalisé les mêmes manœuvres à de nombreuse reprises, avant et après, sans obtenir ce résultat » (transcription, p. 200); (14) après l’accident, Smit a tenu une réunion sur les mesures de sécurité; aucune critique n’a été formulée à l’égard de façon dont il a manœuvré le Shark. Le point central de cette réunion a porté sur les postes d’accostage exigus du port de Vancouver. Des modifications de procédure en ont résulté. Le Tyee agirait comme ligneur parce qu’il était de plus petite taille. Le ligneur aurait l’obligation de filer les amarres de l’avant; d’attendre que ces amarres soient fixées et serrées; de s’assurer que le remorqueur d’assistance d’avant ait fini de pousser avant de se diriger vers la poupe, et aucun changement d’équipage ne pourrait être effectué à l’intérieur des postes d’accostage exigus (transcription, p. 2002 et 2004).
[29] Lors de son contre‑interrogatoire, voici les réponses fournies par le capitaine Duesterdiek : (1) en temps normal, il aurait pris les amarres que l’équipage de navire avait descendues afin de les filer jusqu’au quai sans instruction du pilote parce qu’on savait qu’il était là pour s’occuper des amarres de l’avant (transcription, p. 216); (2) dans des circonstances normales, le moment venu de filer les amarres, les remorqueurs d’assistance continueraient de pousser afin de maintenir le navire au degré demandé par le pilote (transcription, p. 217) et ils maintiendraient cette position, dans la mesure exigée par le pilote, alors que le ligneur se dirigerait à la poupe (transcription, p. 219); (3) Au moment de son départ, il a cru que le Spirit et le Sun étaient au ralenti ou en halte ce qui aurait créé beaucoup moins de sillage que s’ils avaient été à demi ou plein régime (transcription, p. 219); (4) en temps normal, il aurait filé les amarres d’arrière sans instruction; personne n’a besoin de lui dire de le faire, ou comment le faire; il connaît son travail (transcription, p. 220); (5) il manœuvre son remorqueur selon son bon jugement et ses habiletés en tant que capitaine de remorqueur; il contrôle la conduite de son remorqueur; (6) si la conduite de son remorqueur était déficiente, son employeur, Smit, prendrait des mesures, et non le pilote (transcription, p. 221); (7) il lui revient de décider du moment opportun de quitter pour filer les amarres de l’arrière, mais il attend habituellement qu’elles soient serrées (transcription, p. 222); (8) lorsqu’il a quitté son poste à la proue, il était conscient du fait que le Tyee se trouvait entre le Spirit et le Sun, et il avait le contrôle de son navire au moment où il a croisé ce remorqueur (transcription, p. 222 et 223); (9) dans le cadre des manœuvres d’accostage du Dubai Fortune, il a confirmé qu’il n’était pas attaché à ce navire (transcription, p. 225); que la marée n’était pas un facteur; que l’alignement du Dubai Fortune, à son entrée dans le bassin, était excellent : au moment où la passerelle d’embarquement se trouve dans une position où il est possible de la poser sur la plate‑forme, la tâche d’assumer la fonction de vision du navire est bel et bien terminée [traduction] « parce que vous lui avez fourni ses distances et les avez quantifiées, il est donc informé » (transcription, p. 226 et 227); (10) à ce stade, le Dubai Fortune est à l’abri du Star Hansa; essentiellement, la position du navire est fixe, deux remorqueurs le retenant, et les amarres d’arrière ayant été amenées à terre (transcription, p. 227); (11) il a confirmé sa réponse donnée en interrogatoire, selon laquelle le pilote ne donne pas d’ordres précis au ligneur, sauf si la manœuvre ne se déroule pas bien, ce qui n’était pas le cas le 22 juin 2007; tout allait bien (transcription, p. 228 et 229); (12) le pilote ne lui pas demandé de faire quoi que ce soit (transcription p. 232); ni donné d’instructions ou d’ordres en aucun temps (transcription, p. 233); il a en fait été laissé à lui‑même; il savait ce qu’il avait à accomplir et s’est servi de son propre jugement pour le faire (transcription, p. 233); (13) l’équipage du Tyee était pour filer les amarres (transcription, p. 235); (14) un certain temps avant que le Dubai Fortune pénètre dans le bassin, il a dit au capitaine Rayner que le Shark était pour être remplacé par l’équipage du quart de jour s’il arrivait à l’heure, mais il n’a jamais dit au pilote qu’il quitterait les lieux avant que les amarres arrières aient été filées (transcription, p. 237); (15) il a admis s’être placé dans une situation où il était un peu trop près du Sun et ainsi les deux remorqueurs se sont heurtés (transcription, p. 244); la collision avec le Sun et les sillages ont complètement changé la situation; dans la mesure où seulement les sillages l’avait affecté, il aurait été déplacé de 5 à 10 pieds en direction du Star Hansa, l’espace dans le canal étant à cet endroit d’environ 53 pieds, il aurait corrigé le tout d’une simple manœuvre de la barre pour s’assurer de demeurer à tribord [contrairement à se diriger à bâbord pour progresser sur une distance considérable vers le Star Hansa] (transcription, p. 245 et 246); il a confirmé que parmi les facteurs en prendre en considération, il y avait notamment la conjugaison de la collision et de ce qui est survenu par la suite en raison des sillages causés par le Sun, qu’il savait par ailleurs comment gérer, et qui l’ont amené à traverser jusqu’au Star Hansa, lequel n’était pas très éloigné, sans compter la présence du Tyee (ayant une incidence sur son alignement) (transcription, p. 246); (16) lorsqu’il lui a été demandé s’il n’y avait rien que le pilote ait dit ou fait, ou pas fait qui aurait pu causer ce qui était survenu, il a répondu « c’est exact » (transcription, p. 247); (17) il a confirmé ou reconfirmé que les pilotes ne lui avaient pas dit ou tenté de lui dire comment manœuvrer son remorqueur, et que, s’ils l’avaient fait, il n’aurait pas accepté leurs directives (transcription, p. 252).
[30] Les avocats de Grieg Shipping n’ont pas réinterrogé le capitaine du Shark.
4. Le témoignage du capitaine O’Brien, capitaine du Spirit
[31] Le capitaine O’Brien était le maître à bord du Spirit, le 22 juin 2007. Il a une vaste expérience en matière de remorqueurs, d’amarres, de remorqueurs d’assistance avant et arrière participant à des accostages dans des postes d’accostage exigus comme ceux qui se trouvent à Lynnterm /Neptune (transcription, p. 255).
[32] Voici les principaux aspects de son témoignage direct : (1) l’exiguïté de l’extrémité nord du bassin Lynnterm/Neptune doit être prise en compte lorsqu’on considère la sécurité des manœuvres d’accostage des navires (transcription, p. 256); (2) il n’a jamais quitté sa position à la proue d’un navire lors de son accostage dans n’importe lequel des postes d’accostage du port de Vancouver avant que le pilote lui demande de le faire (transcription, p. 256 et 257), ce qui est déjà survenu quand un pilote lui a donné instruction de filer les amarres d’arrière en premier lieu; (3) il ne communiquerait pas nécessairement avec le pilote lorsque les amarres ont été filées; il se dirigerait de façon naturelle vers la poupe (transcription, p. 258); (4) après avoir filé les amarres de l’avant et de l’arrière, il en aviserait le pilote qui le libérerait (transcription, p. 258); (5) il pousserait seulement le Dubai Fortune si le pilote lui donnait instruction de le faire selon la puissance des moteurs du remorqueur voulue par le pilote (transcription, p. 259 et 260); le pilote lui a demandé de pousser vers l’avant, ce qu’il faisait lorsque le Shark a quitté les lieux après que ses amarres eurent été larguées par l’équipage du Dubai Fortune et récupérées à nouveau (transcription, p. 263); (6) il était inhabituel pour un ligneur de quitter la proue avant que les amarres de l’avant soient filées, comme il l’était pour les remorqueurs d’assistance de pousser le navire vers l’avant (transcription, p. 263).
[33] En contre‑interrogatoire, le capitaine O’Brien a fait les observations suivantes : (1) il n’attendrait pas nécessairement l’ordre d’un pilote pour filer les amarres (transcription, p. 266); (2) l’équipage du Dubai Fortune a largué les amarres de l’avant au Shark alors que le navire était en position, mais pas nécessairement en position définitive d’accostage (transcription, p. 266); (3) le pilote ne lui indique pas comment opérer ou manœuvrer son remorqueur ni comment filer les amarres (transcription, p. 268); (4) il n’est pas difficile de manœuvrer le remorqueur lorsqu’il progresse de la proue vers la poupe dans les sillages créés par les remorqueurs d’assistance lorsque leur poussée maintient le navire à un régime modéré ou au ralenti (transcription, p. 268); (5) un ligneur se trouvant derrière un remorqueur d’assistance arrière comme le Sun rencontrerait des sillages et serait repoussé de 5 à 10 pieds, sans que cela ne cause de problème parce qu’il avait l’entraînement pour gérer cette situation (transcription, p. 269).
5. Le témoignage du capitaine Broderick, capitaine du Sun
[34] Le capitaine Broderick était maître à bord du Sun, le remorqueur d’assistance arrière avec lequel le Shark est entré en collision le 22 juin 2007. Il est employé de Smit depuis 1994 et il possède une vaste expérience en matière de remorqueur d’accostage. Voici les réponses fournies lors de son interrogatoire principal : (1) il a confirmé qu’un pilote donnant un ordre veut que cet ordre soit exécuté, mais que la façon de le faire lui importe peu; (2) le capitaine du remorqueur le manœuvre de la façon qu’il estime être la meilleure; (3) le pilote ne dit pas au capitaine comment manœuvrer le remorqueur; (4) il s’agit d’une question relevant de ses habiletés et de son jugement (transcription, p. 462); (5) avant d’accéder au poste d’accostage Neptune 3, le pilote communique aux remorqueurs les tâches qu’il veut les voir accomplir à la position qui leur est assignée, et dans son cas, en tant que remorqueur d’arrière, sa tâche consistait à être fixé au Dubai Fortune au moyen des amarres fournies par le Sun (transcription, p. 463); (6) une fois cette tâche accomplie, il devait attendre les instructions du pilote (transcription, p. 464); (7) il n’a pu se rappeler les ordres précis du pilote, mais cela aurait dû être de pousser ou de tirer, au besoin; (8) il appartient au capitaine du remorqueur d’utiliser ses manettes des gaz pour générer la puissance demandée par le pilote (transcription, p. 465); (9) la principale tâche des remorqueurs d’assistance était de maintenir le Dubai Fortune parallèle au poste d’accostage (transcription, p. 466); (10) il a aperçu le Tyee croiser sa poupe après être entré dans le bassin à un moment où son régime était probablement supérieur au régime de ralenti; (11) il a vu le Tyee pour la dernière fois alors qu’il se trouvait environ à mi‑chemin dans le passage entre le Dubai Fortune et le Star Hansa, sur le côté le plus près du navire remorqué, entre le Sun et le Spirit (transcription, p. 466 à 468); (12) alors qu’il était dans la timonerie, il a senti un choc et a regardé derrière, le Shark venait de heurter sa poupe tribord, il a ensuite aperçu, à une distance de 30 ou 40 pieds, le Shark se dirigeant tout droit vers le Star Hansa et il l’a ensuite vu tourner à tribord (transcription, p. 470 et 471); (13) il a confirmé qu’au moment où le Shark l’a heurté, ses moteurs tournaient à un régime ralenti, ce qui signifie que les sillages créés par le Sun étaient minimes (transcription, p. 472).
[35] Lors de son contre‑interrogatoire, voici ce que le capitaine Broderick a déclaré : (1) la première instruction reçue du pilote lui désignait sa position en tant que remorqueur d’assistance arrière; (2) il a reçu les directives du pilote durant l’accostage et, une fois le processus terminé, le pilote lui a donné des instructions visant à le libérer (transcription, p. 473); (3) à l’époque, le Sun était le plus gros remorqueur de la flotte de Smit et, lorsqu’il était en opération, il produisait d’importants sillages (transcription, p. 476); (4) son régime moteur des deux hélices était au ralenti alors qu’il poussait en direction du Dubai Fortune, de sorte que tout son sillage était dirigé vers le Star Hansa (transcription, p. 479); (5) en tant que ligneur, il ne quitterait pas sa tâche sans avoir communiqué avec le pilote, ce qu’il n’a jamais fait (transcription, p. 479); (6) en réponse à une question de la Cour, le capitaine Broderick a confirmé que le pilote ne lui dit pas comment exécuter ses ordres, mais lui indique la manœuvre à exécuter; il obéit aux ordres du pilote et si ce dernier veut apporter un correctif, il l’en avise, le cas échéant (transcription, p. 481).
[36] Avant d’entreprendre l’analyse, il est utile d’énoncer certains principes sous‑jacents à la présente action.
[37] Premièrement, la responsabilité du fait d’autrui est une responsabilité que les tribunaux appliquent, habituellement dans le cadre d’action en responsabilité délictuelle, à diverses parties comme à un employeur même si cette personne n’a rien à se reprocher personnellement. La responsabilité du fait d’autrui est aussi connue sous le nom de responsabilité stricte ou sans faute (Voir, Bazley c Curry [1999] 2 RCS 534, motifs du jugement de l’actuelle Juge en chef, au paragraphe 1; voir aussi, Viasystems (Tyneside) Ltd. c Thermal Transfer (Northern) Ltd & Ors [2005] EWCA Civ 1151, une décision récente de la Cour d’appel du Royaume‑Uni, aux paragraphes 45 et 54 (Viasystems).
[38] Deuxièmement, l’imposition de la responsabilité du fait d’autrui exige une justification. Le cas de la négligence d’un employé plaçant en raison de cette faute une responsabilité sur les épaules de l’employeur constitue une justification parce que l’employeur exerce un droit de contrôle sur la façon dont l’employé effectue son travail. Comme l’a expliqué la Chambre des lords dans l’affaire Mersey Docks où lord Uthwatt a écrit ce qui suit à la page 21 du précédent invoqué :
[traduction]
Afin que soit établie l’autorité nécessaire pour lui imputer une responsabilité, l’employeur doit en quelque sorte avoir le pouvoir de contrôler la façon dont le travailleur exécute sa tâche, la raison étant que c’est la façon dont une tâche en particulier est réalisée (en supposant qu’il s’agisse de fait du geste approprié à poser) qui détermine son caractère juridiquement acceptable ou fautif. Sans cette autorité, le travailleur n’est pas le préposé de l’employeur, et il ne fait que servir les intérêts de l’employeur, et l’exécution d’un service sous la supervision d’un employeur, au sens que j’ai donné à cette activité, est essentielle. Il s’agit d’une question de fait dans chaque cas que de savoir si la prestation d’un service de ce type existe ou non, l’objectif étant de s’assurer de l’effet général de l’entente intervenue.
[Notre soulignement]
[39] À la page 18 dans la même affaire, lord Porter a écrit :
[traduction]
En l’espèce soumise à vos Seigneuries, la négligence du travailleur ne réside pas dans l’accomplissement d’un acte sur lequel les défendeurs auraient pu et ont exercé un contrôle parce qu’ils en étaient les fournisseurs et à l’égard duquel ils pourraient être tenus responsables, mais bien dans la façon dont cet acte a été accompli, une activité pour laquelle ils ne pouvaient donner aucune directive et à l’égard de laquelle ils ne peuvent encourir de responsabilité.
Quelle que soit son origine, la nécessité sociale justifie aujourd’hui la doctrine de la responsabilité du fait d’autrui du « supérieur », mais si la question à trancher est de déterminer sur quel fondement cette responsabilité devrait être fondée, la réponse devrait sûrement renvoyer aux gestes posés par le maître dans lesquels il est possible de déceler un certain degré de faute, si éloignée soit‑elle. En l’espèce, il faut imputer la faute, le cas échéant, aux appelants qui, même s’ils n’étaient pas présents pour imposer la façon dont les directives données par une tierce partie devraient être exécutées, avaient dévolu à leur préposé un pouvoir discrétionnaire sur la façon d’exécuter ces directives. S’il survenait alors un accident en raison de sa négligence, le choix de cette personne pour exécuter le travail en aurait été la cause, et les appelants ne sauraient échapper à leur responsabilité en laissant entendre qu’ils avaient été prudents dans leur choix. Supposons que le grutier ait par négligence causé des dommages directs aux défendeurs, je ne vois pas comment les appelants sauraient échapper à leur responsabilité.
[Notre soulignement]
[40] Troisièmement, le critère du contrôle s’applique en droit maritime en matière de remorquage en vue de déterminer la responsabilité d’un navire remorqué à qui rien ne peut être reproché par rapport au remorqueur qui le touait. En 1912, dans l’arrêt S.S. Devonshire and the Owners of the Barge Leslie (H.L. (E) 1912), la Chambre des lords a écrit sous la plume de lord Atkinson, à la page 654, que la question qui doit être posée :
[…] est celle de savoir s’il existait une relation de commettant – préposé entre les propriétaires du navire remorqué et les personnes responsables du remorqueur, qu’aucune règle générale ne peut être établie, et que la réponse à la question de savoir si les membres d’équipage du remorqueur sont des préposés des propriétaires du navire remorqué dépendra des faits de chaque affaire. En la présente instance, il était évident que « même si des hommes se trouvaient sur la barge, la navigation se trouvait entre les mains du capitaine du remorqueur, et que les chalandiers n’ont pu rien faire pour éviter la collision ». Il a donc été jugé en vertu des motifs donnés et de la jurisprudence citée que les propriétaires de la barge ne sauraient être tenus responsables de la négligence du remorqueur.
[Notre soulignement]
[41] Quatrièmement, le juge Nadon, alors juge de la Cour fédérale, première instance, s’est exprimé sur le droit en matière de remorquage dans Hamilton Marine & Engineering Ltd. c CSL Group Inc. [1995] ACF no 739 (Hamilton Marine). Dans cette affaire, les demandeurs étaient les propriétaires du remorqueur James E. McGrath, lequel a chaviré et coulé alors qu’il aidait le navire des défendeurs, l’Hon. Paul Martin, à quitter un poste d’accostage de Port Weller Dry Docks. Le demandeur a poursuivi les propriétaires de l’Hon. Paul Martin pour négligence sur le fondement que le capitaine et le pilote du navire n’avaient pas permis au remorqueur de gagner un endroit sécuritaire avant de mettre en marche vers l’avant les machines du navire, ce qui avait créé un sillage d’hélice excessif. Le juge Nadon a rejeté l’action du demandeur qui n’a pas démontré que le remorqueur avait fait preuve de négligence, et il a plutôt statué que le chavirement du remorqueur avait été causé par la négligence du capitaine et de son équipage qui n’avaient pas assuré une veille visuelle adéquate et pas informé le navire des déplacements et de la position du remorqueur.
[42] Dans Hamilton Marine, le juge Nadon a déclaré que l’affaire dont il était saisi était centrée sur la relation existant entre un remorqueur et le navire remorqué. Il a reconnu que la plus grande partie de la jurisprudence dans ce domaine du droit avait été élaborée au Royaume‑Uni. Citant diverses causes du Royaume‑Uni, il en a réduit le fondement aux propositions suivantes :
i. Lorsqu’il s’agit d’établir les tâches et les obligations respectives d’un remorqueur et d’un navire remorqué, [traduction] « il est important de déterminer qui a le contrôle au moment de l’incident ».
ii. De façon générale, un navire remorqué exerce le contrôle sur un remorqueur et il est par conséquent responsable des actes de négligence du remorqueur.
iii. Citant l’arrêt S.S. Devonshire, il a dit [traduction] « que la question de savoir lequel des navires exerçait un contrôle était une question de fait devant être tranchée dans chaque affaire ».
iv. Il a écrit : [traduction] « Selon la règle telle qu’elle est actuellement appliquée, il existe une présomption générale selon laquelle le navire remorqué exerce un contrôle sur le remorqueur » et « vu qu’un remorqueur est généralement sous le contrôle d’un navire remorqué, le remorqueur doit suivre les instructions du navire remorqué ».
[43] Cinquièmement, les causes du Royaume‑Uni soulignent l’importance de centrer l’enquête menée en matière de responsabilité du fait d’autrui sur l’acte de négligence pertinent et de s’interroger par la suite sur l’identité de la partie à qui il incombait de prévenir cet acte, c.‑à‑d. qui avait le droit de donner des ordres sur la façon dont le travail devait être exécuté afin de prévenir l’acte de négligence à l’origine du préjudice (voir Viasystems¸ aux p. 515, 518 et 519; Mersey Docks, p. 10 : [traduction] « quel est l’acte de négligence ayant causé l’accident » et, à la p. 11 : « avoir le contrôle sur l’accomplissement de l’acte signifierait exercer un contrôle sur la façon dont l’acte de négligence a été accompli ».
[44] Sixièmement;
i. Les avocats des défendeurs se sont essentiellement fondés sur la décision de la Cour d’amirauté rendue en 1957 dans l’arrêt MSC Panther, p. 571).
ii. Tel que mentionné, cette décision a été rendue par le juge Willmer. À la lecture de ses motifs du jugement, il est clair que le juge Willmer a fait une synthèse du droit applicable à l’époque.
iii. Le remorqueur, le Panther, agissait comme remorqueur de poupe pour le navire à vapeur Ericbank ayant à son bord un pilote. Le remorqueur et le navire remorqué ont heurté le Trishna qui a coulé après avoir été troué par l’hélice du Panther. Le Trishna a été jugé négligent pour ne pas avoir respecté les normes de bonne navigation en croisant le Ericbank d’une façon et à une vitesse telles qu’il a été impossible de maintenir le navire; le Ericbank a été trouvé coupable de ne pas avoir respecté les normes de bonne navigation en négligeant de ne pas prévenir le Panther qu’il était sur le point de croiser le Trishna, et le Panther a agi de façon négligente en continuant de faire tourner son hélice de bâbord après la collision.
iv. Tel que je l’ai déjà mentionné, le juge Willmer a appliqué au droit en matière de remorquage le principe énoncé quant à la responsabilité du fait d’autrui par la Chambre des lords dans l’arrêt Mersey Dock; étant donné que j’ai déjà cité dans les présents motifs plusieurs extraits de la décision du juge Willmer, (voir les paragraphes a) à d), pages 9 à 11), je résumerai ci‑dessous leurs aspects importants :
a) Dans la mesure où ils appliquent les ordres généraux donnés par les pilotes, il appartient très souvent aux capitaines des remorqueurs de régler le détail de leurs manœuvres.
b) L’argument selon lequel les propriétaires de l’Ericbank étaient responsables de la faute commise par le capitaine du Panther en ne coupant pas les moteurs plus rapidement n’est pas défendable parce qu’on ne peut s’attendre d’aucun pilote qu’il contrôle les mouvements des machines d’un remorqueur de poupe; comme la preuve le démontre, le devoir du pilote se limite à donner des ordres généraux. Le geste répréhensible posé par le capitaine ne relevait pas de la compétence du pilote, mais de celle du Panther.
c) De toute façon, la preuve présentée lors de l’instruction a démontré que les membres de l’équipage du Panther ne pouvaient pas, en droit, être considérés comme étant les préposés des propriétaires de l’Ericbank, car le droit d’exercer un contrôle sur le geste répréhensible de ne pas avoir coupé les moteurs du Panther n’incombait pas au pilote et, par conséquent, les propriétaires de l’Ericbank ne pouvaient être tenus responsables d’une négligence de ce genre. Il a ajouté que l’issue aurait pu être différente si la manœuvre fautive avait été de la compétence du pilote ou de l’officier du navire remorqué, par exemple si le remorqueur avait omis de respecter un ordre, ou s’il avait accompli de façon négligente, sans en recevoir l’ordre, une manœuvre qui ne pouvait être ordonnée que par la personne responsable du navire remorqué ayant la compétence de donner cet ordre.
[45] Comme il a déjà été mentionné, les avocats de Grieg se sont essentiellement fondés sur la décision rendue par ma collègue feue la juge Layden‑Stevenson (la juge du procès) dans Canada c Delta Pride. Il convient de souligner les aspects importants de sa décision :
i. Le Delta Price est un vraquier océanique qui avait mouillé aux terminaux de Pacific Coast (PCT) dans le port de Vancouver afin d’y recevoir une cargaison de soufre. Il est la propriété de la défenderesse Tristar Shipping Lines Ltd. (Tristar). Le 10 janvier 1995, à 13 h 54, la cargaison chargée, le navire sortait du poste de mouillage avec un pilote obligatoire à son bord; le navire était aussi aidé par deux remorqueurs : le Falcon et le Hawk. Le pilote a donné instructions de faire sortir le Delta Pride du mouillage à reculons jusqu’à ce qu’il atteigne les feux d’alignement du chenal privilégié en eau profonde car il n’était pas possible de faire tourner le navire près de l’aire de mouillage parce que (1) la marée descendait; et (2) le navire était chargé à pleine capacité. Après que le navire eut cessé de faire marche arrière, le pilote a donné des instructions pour que le « Falcon » pousse sur l’avant tribord du navire et pour que le « Hawk » pousse le navire sur la hanche bâbord, de sorte que l’avant du Delta Pride fasse face au nord. Le pilote a remarqué que l’arrière du navire se dirigeait vers le brise‑lame dont le Canada était propriétaire et qui était situé tout près de PCT et d’une marina. Le pilote a donné des instructions pour que l’équipage du navire mette d’abord les machines en marche avant doucement, puis à demi‑vitesse et brièvement, en avant toute. Le Delta Pride a avancé en s’éloignant du brise‑lame, sans entrer en contact avec le brise‑lame flottant qui protégeait la marina, mais la preuve acceptée par feue ma collègue démontre que l’un des remorqueurs d’assistance l’avait heurté causant des dommages pour lesquels son propriétaire a intenté une action réelle contre le Delta Price et ses propriétaires Tristar, alléguant que le Delta Price, alors qu’il sortait de son mouillage à PCT, avait été manœuvré de façon inappropriée par le pilote à bord, ce qui rendait les défendeurs responsables des dommages subis.
ii. La juge Layden‑Stevenson a tiré les conclusions décisives suivantes :
a) Ce qui aurait pu être une affaire simple est devenu complexe en bonne partie en raison des éléments de preuve qui manquaient (voir les paragraphes 47 à 52).
b) Elle a accepté la preuve qui montrait que le remorqueur d’arrière était entré en contact avec le brise‑lame (voir le paragraphe 62), mais elle a toutefois souligné que son capitaine n’avait pas été cité pour en témoigner (voir le paragraphe 53).
c) Elle a conclu que le pilote à bord du Delta Price n’avait pas été négligent lorsqu’il a fait tourner le navire à bâbord après qu’il soit sorti de son mouillage et, par conséquent, ses propriétaires ne l’étaient pas non plus, ajoutant que ses conclusions, parce qu’il y avait eu contact, créaient une présomption de fait contre le corps en mouvement (le remorqueur) qui heurte un corps immobile (le brise‑lame flottant) (voir le paragraphe 57).
d) Elle a examiné la question de la responsabilité résultant du contact en invoquant la décision du juge Nadon dans l’affaire Hamilton Marine ainsi que d’éminents auteurs du Royaume‑Uni s’étant exprimé sur le droit en matière de remorquage quant à la responsabilité du fait d’autrui (voir les paragraphes 63 à 66). Elle a cité en particulier un passage de Robert Grime, dans Shipping Law, 2e éd. (Londres : Street and Maxwell, 1991) énonçant qu’il existait de nombreux types de touage, exprimés dans les maximes suivantes « Le remorqueur est le préposé du navire remorqué » et « Le remorqueur et le navire remorqué ne forment qu’un navire », qui, à son avis, décrivent un type commun de touage, c.‑à‑d. « un navire qui évolue dans un passage étroit avec l’aide de remorqueurs, l’opération étant faite sous un seul commandement et ce commandement est assuré depuis le navire qui est remorqué, ce qui justifierait l’imputation de la responsabilité du fait d’autrui en cas de négligence commise à bord du remorqueur (voir paragraphe 65).
e) Elle a conclu que les remorqueurs étaient assujettis au contrôle du Delta Pride pour trois raisons : (1) il n’existait aucun élément de preuve qui étaye l’idée que les remorqueurs n’étaient pas assujettis au contrôle du navire, notamment lorsqu’on prend en compte le témoignage du pilote qui avait donné des instructions aux remorqueurs et aussi que la présomption selon laquelle le Delta Price n’était pas assujetti au contrôle du remorqueur n’a pas été réfutée (voir paragraphe 69); (2) le Delta Price était sous le commandement du pilote qui, en contre‑interrogatoire, a reconnu qu’il exerçait un contrôle de fait sur le Delta Price; et (3) la preuve dont elle disposait ne permettait pas de conclure à autre chose qu’à un type commun de touage (voir paragraphe 68).
f) Au paragraphe 71 de ses motifs, elle a tiré la conclusion suivante : « Puisque j’ai conclu qu’il y a eu contact entre le remorqueur et le brise‑lame et que le remorqueur était assujetti au contrôle du navire remorqué, il s’ensuit que les défendeurs ont été négligents ».
[46] Dans le reste de ses motifs, la juge Layden‑Stevenson a abordé la question de la causalité en partant du principe que le critère général applicable en matière de causalité, quoique non décisif, est celui du « facteur déterminant » et elle a conclu que le contact du remorqueur de même que le sillage laissé par le remorqueur et le navire ont joué un rôle mineur, et que la cause première des dommages est attribuable à l’état du brise‑lame (voir paragraphe 94).
[47] La première question à laquelle il faut répondre est de savoir si le propriétaire du Dubai Fortune, qui est sans faute, est responsable du fait d’autrui pour les dommages subis par les propriétaires du Star Hansa (également sans faute), lesquels ont été causés par la manœuvre négligente du capitaine du Shark lors de l’accostage du Dubai Fortune.
[48] En pareilles circonstances, le droit de la responsabilité du fait d’autrui est bien établi. Il doit exister une justification pour engager la responsabilité du fait d’autrui d’une personne. Dans les cas de négligence, cette justification repose sur la notion de contrôle, l’émission des ordres ou l’exercice d’une direction, au moment de l’incident, sur la façon ou la manière dont l’acte de négligence pertinent aurait dû être accompli.
[49] Dans le domaine du droit en matière de remorquage, la notion de contrôle est exprimée selon des termes que l’on associe généralement aux conditions d’emploi comme, par exemple, le remorqueur est le préposé du navire remorqué. Le droit est également clair sur un point : la question de savoir quel est le navire assumant le contrôle est une question de fait à déterminer dans chaque cas. En d’autres termes, l’objet de l’enquête porte sur l’acte de négligence pertinent en cause, sur la personne qui était en droit de donner des ordres afin de prévenir l’acte négligent, cause du préjudice, soit celle contrôlant l’exécution de l’acte; l’enquête porte aussi sur la façon dont l’acte négligent a été accompli.
[50] En l’espèce, nous avons eu l’avantage d’entendre plusieurs témoins de l’accostage du Dubai Fortune ainsi que des extraits de l’interrogatoire au préalable d’autres personnes. À mon avis, tous ces témoignages sont crédibles bien que la demanderesse a fait valoir qu’il y aurait eu exagération à l’égard de certains éléments, une question qui pourrait avoir un certain poids. Lorsque la preuve est appréciée dans son ensemble, un point fait l’unanimité dans le témoignage des pilotes et de tous les capitaines de remorqueur ayant participé à l’accostage du Dubai Fortune. Les pilotes n’ont donné aux capitaines des remorqueurs ayant participé à l’accostage, dont aux remorqueurs d’assistance, rien d’autre que des ordres généraux, et n’en ont donné aucun au remorqueur d’accostage, le Shark. Les pilotes ont admis qu’ils ne contrôlent pas la façon dont un capitaine de remorqueur manœuvre ou conduit son remorqueur; la mise en application des ordres généraux des pilotes relève des capitaines de remorqueur. Selon la preuve qui est accablante, la demanderesse ne rencontre pas le critère du contrôle.
[51] Dans une certaine mesure, les avocats de la demanderesse ont à tort accordé une trop grande importance à l’arrêt Delta Pride pour plusieurs raisons :
i. La juge Laydon‑Stevenson ne s’est pas prononcée sur la question de reconnaître de façon automatique la qualité de préposé du Delta Pride aux deux remorqueurs ayant participé à son accostage du simple fait qu’il y avait à bord du Delta Pride un pilote contrôlant le navire et dont la présence à bord était obligatoire, ce qui aurait rendu le Delta Pride responsable du fait d’autrui en raison du remorqueur ayant endommagé le brise‑lame. Elle a au contraire appliqué le critère traditionnel du contrôle lorsqu’il s’agit d’engager la responsabilité du fait d’autrui et a reproché aux parties de ne pas avoir cité à témoigner le capitaine du remorqueur en cause (voir les paragraphes 66 à 74 de ses motifs).
[52] La preuve est également claire sur un autre point. Le capitaine du Shark a reconnu qu’une de ses tâches consistait à filer les amarres de l’avant à partir du Dubai Fortune jusqu’au quai, de sorte que lorsqu’elles étaient serrées aux bittes d’accostage, le navire était maintenu en position finale. Il admet ne pas avoir demandé la permission aux pilotes pour quitter avant d’avoir filé les amarres d’avant.
[53] Dans leur plaidoirie finale, les avocats de Grieg Shipping soutiennent que la négligence du capitaine Duesterdiek en l’espèce reposait sur le fait d’avoir quitté de façon hâtive les lieux sans autorisation. Une série d’événements s’est produite en raison de ce départ, de sorte que la « collision » à la poupe du Sun était inévitable.
[54] À mon avis, la preuve sur laquelle les avocats de la demanderesse se sont appuyés ne tient pas compte d’autres éléments de preuve importants qui militent en faveur de l’existence d’un acte négligent, soit la façon dont il a manœuvré son remorqueur, ce qui a entraîné le Shark à heurter la poupe du Sun et à être propulsé à travers l’étroit passage. Ces éléments de preuve démontrent que :
i. Le Shark n’a pas abandonné le Dubai Fortune lorsqu’il a quitté son poste. Le Dubai Fortune pouvait compter sur la présence du Tyee dont le mandat était de remplacer le Shark et de compléter ses tâches inachevées, ce qui, selon le témoignage des pilotes, a été accompli par le Tyee de façon satisfaite et en temps opportun.
ii. Même s’il est vrai que les pilotes n’avaient pas été avisés à l’avance du remplacement du Shark par le Tyee, ils ont aperçu le Shark après qu’il ait quitté sa position sur le côté tribord du Dubai Fortune et ils ne sont pas intervenus pour lui ordonner de regagner sa position originale, ce qu’ils auraient pu faire, et ce qu’ils ont fait dans des circonstances différentes et en d’autres cas. Selon le capitaine Rayner, le changement ne posait pas de problème parce que le Dubai Fortune se trouvait dans une position sécuritaire le long du quai et qu’il bénéficiait de l’aide du Spirit et du Sun.
iii. Même s’il est exact de soutenir qu’en raison de la présence du Tyee l’alignement du Shark n’était pas approprié lorsqu’il a croisé le Tyee, le capitaine Duesterdiek a dit dans son témoignage qu’il n’avait jamais perdu le contrôle de son remorqueur, et il a ajouté que s’il n’avait pas heurté le Sun, il aurait retrouvé l’alignement convenable et serait probablement sorti du bassin. Il a reconnu avoir manœuvré le Shark près de la poupe du Sun de façon à atténuer l’effet de son sillage et qu’il s’est ainsi trouvé dans une situation où il était un peu trop près du Sun, ce qui explique que les deux remorqueurs se soient heurtés.
[55] Devant cette preuve, je suis convaincu que la cause des dommages subis par le Star Hansa se trouve dans la manière dont le capitaine a manœuvré son remorqueur après avoir croisé le Tyee. Ces manœuvres étaient négligentes et il n’y a aucun élément de preuve qui permette de façon raisonnable de conclure autrement.
[56] Je conclus donc que la demanderesse n’a pas établi le fondement pour pouvoir conclure à la responsabilité du fait d’autrui à l’égard des défendeurs restants. Dans ces circonstances, l’action de la demanderesse doit être rejetée. Aucune responsabilité n’ayant été établie à son égard, les conclusions visant à déterminer la limite de responsabilité du Dubai Fortune sont sans objet en l’espèce.
LA COUR ORDONNE que l’action de la demanderesse soit rejetée et que les dépens soient adjugés selon le maximum de la fourchette prévue à la colonne IV du tarif B de la Cour.
« François Lemieux »
Juge
Traduction certifiée conforme.
Jean‑Jacques Goulet, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T‑1174‑07
INTITULÉ : GRIEG
SHIPPING A/S c
LE NAVIRE « DUBAI FORTURNE » et al
LIEU DE L’AUDIENCE : Vancouver
DATE DE L’AUDIENCE : Le 10 janvier 2012
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT: LE JUGE LEMIEUX
DATE DES MOTIFS : Le 21 septembre 2012
COMPARUTIONS :
Gregory Tucker
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POUR LA DEMANDERESSE
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Peter Bernard, cr
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POUR LES DÉFENDERESSES Dubai Fortune et Fortune Maritime Ltd.
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John Bromley |
POUR LES DÉFENDEURS Tiger Shark 2, SMIT Harbour Towage Vancouver, Brad Duesterdiek |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Owen Bird Law Corporation Vancouver (C.‑B.)
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POUR LA DEMANDERESSE
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Bernard & Partners Vancouver (C.‑B.)
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POUR LES DÉFENDERESSES Dubai Fortune et Fortune Maritime Ltd.
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Bull Housser & Tupper LLP Vancouver (C.‑B.) |
POUR LES DÉFENDEURS |