Date : 20120917
Dossier : T‑494‑11
Référence : 2012 CF 1085
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 17 septembre 2012
En présence de monsieur le juge Russell
ENTRE :
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LA NATION DE LAKE BABINE
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demanderesse
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et
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NANCY WILLIAMS
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défenderesse
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
INTRODUCTION
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, visant la décision arbitrale (la décision) par laquelle un arbitre (l’arbitre) désigné en vertu de l’article 242 du Code canadien du travail, LRC 1985, c L‑2 (le Code) a conclu que la défenderesse avait été congédiée injustement.
CONTEXTE ET DÉCISION
[2] La demanderesse est une bande indienne au sens de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I‑2. La défenderesse est membre de la bande demanderesse.
[3] Le 3 octobre 2003, la demanderesse a embauché la défenderesse à titre de directrice du développement social. La défenderesse avait entre autres comme fonctions de distribuer des prestations d’aide sociale aux membres de la bande en fonction de critères établis. À un certain moment en cours d’emploi, la défenderesse a également été directrice de la justice et elle a été chargée de l’administration des programmes en matière de justice et de services à l’enfance et à la famille de la demanderesse.
[4] La demanderesse a congédié la défenderesse le 24 novembre 2009. Dans sa lettre de congédiement, la demanderesse faisait état du fait que la défenderesse avait harcelé et intimidé des employés, avait abusé de son autorité et n’avait pas suivi des ordres légitimes. La défenderesse a déposé une plainte pour congédiement injuste en application de l’article 240 du Code. L’audition de la plainte par l’arbitre en novembre et en décembre 2011 a duré plusieurs jours. À l’audience, la demanderesse a fait valoir quatre motifs de congédiement : la défenderesse avait falsifié des demandes de rémunération d’heures supplémentaires ou gonflé les montants réclamés à ce titre, n’avait pas suivi des ordres légitimes, n’avait pas remboursé un prêt personnel qu’on lui avait consenti et avait attribué irrégulièrement à son mari un contrat pour la fabrication de tables en vue d’une réception.
[5] Le 21 février 2011, l’arbitre a conclu que la défenderesse avait été congédiée injustement. Il a ordonné à la demanderesse de réintégrer la défenderesse dans ses fonctions et de lui verser rétroactivement son salaire depuis la date de son congédiement. L’arbitre a conclu que le comité sur la justice de la demanderesse avait correctement accordé le prêt à la défenderesse puis dispensé cette dernière de le rembourser. La défenderesse n’avait rien fait d’irrégulier à cet égard. L’arbitre a également conclu que le supérieur de la défenderesse avait approuvé les demandes de rémunération d’heures supplémentaires de cette dernière, et que personne n’avait jamais contesté la procédure suivie à cette fin. La demanderesse a prétendu que la défenderesse avait désobéi à des ordres légitimes en refusant de signer un registre d’arrivée et de départ au travail. L’arbitre a toutefois conclu que la demanderesse avait accepté ce comportement. Celle‑ci savait que la défenderesse ne consignait pas ses arrivées et ses départs, mais elle n’avait rien fait pour qu’elle modifie ce comportement. Enfin, l’arbitre a conclu que le fait que la défenderesse ait embauché son mari pour la fabrication de tables n’avait rien d’inapproprié. La décision d’embauche avait été prise lors d’une réunion du personnel, et la direction en avait donc eu connaissance. La demanderesse avait déjà embauché des membres de la famille d’autres cadres, et elle n’était pas intervenue lorsqu’à certaines occasions la défenderesse avait embauché d’autres membres de sa famille.
[6] Le 23 mars 2011, la demanderesse a déposé son avis de demande. Elle ne contestait pas la conclusion de congédiement injuste tirée par l’arbitre. Elle soutenait plutôt que l’arbitre n’avait pas compétence pour entendre la plainte de la défenderesse et pour imposer la réparation qu’il a accordée. Dans une lettre datée du 7 juin 2001, la demanderesse a abandonné deux des trois motifs invoqués dans l’avis de demande, de sorte qu’il conteste uniquement la compétence de l’arbitre.
QUESTION EN LITIGE
[7] La demanderesse soulève la question suivante :
1. la section XIV du Code est‑elle on non applicable à la demanderesse dans la mesure où la défenderesse occupait un poste de directeur au sens du paragraphe 167(3) du Code?
NORME DE CONTRÔLE
[8] Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’était pas nécessaire de procéder dans tous les cas à une analyse relative à la norme de contrôle. Lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière soumise à la cour est bien établie par la jurisprudence passée, la cour de révision peut adopter cette norme. Ce n’est que lorsque cette recherche s’avère infructueuse que la cour de révision doit examiner les quatre facteurs devant être pris en compte dans l’analyse relative à la norme de contrôle.
[9] La demanderesse présente la question à trancher par la Cour comme en étant une de compétence. Je relève toutefois que, dans Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 963 c Société des alcools du Nouveau‑Brunswick, [1979] 2 RCS 227, à la page 233, le juge Dickson a déclaré que les « tribunaux devraient éviter de qualifier trop rapidement un point de question de compétence, et ainsi de l’assujettir à un examen judiciaire plus étendu, lorsqu’il existe un doute à cet égard ». La Cour suprême a depuis souscrit au conseil de prudence du juge Dickson (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 35). Dans Conseil des Canadiens avec déficiences c VIA Rail Canada Inc., 2007 CSC 15, la juge Abella a ainsi déclaré ce qui suit (au paragraphe 89) :
Si chaque disposition de la loi habitante d’un tribunal administratif devait être traitée comme si elle avait des conséquences sur le plan de la compétence qui autoriseraient une cour de justice à substituer ce qu’elle estime être la juste interprétation à donner, le rôle du tribunal administratif se limiterait en réalité à constater des faits. Le contrôle judiciaire ou l’examen en appel sera [traduction] « mieux guidé par une appréciation des opinions du tribunal administratif qui œuvre quotidiennement dans le domaine pertinent » : D. Mullan, « Tribunals and Courts — The Contemporary Terrain : Lessons from Human Rights Regimes » (1999), 24 Queen’s L.J. 643, p. 660. Tout comme ils « devraient éviter de qualifier trop rapidement un point de question de compétence, et ainsi l’assujettir à un examen judiciaire plus étendu, lorsqu’il existe un doute à cet égard », les tribunaux judiciaires devraient également s’abstenir de faire abstraction de l’expertise qu’un tribunal administratif peut mettre à profit lorsqu’il s’agit d’interpréter sa loi habilitante et de définir l’étendue du pouvoir que la loi en question lui confère.
[10] La situation en l’espèce correspond, selon moi, à celle que la juge Abella avait en vue dans VIA Rail, précité. La compétence de l’arbitre repose sur une conclusion portant que la défenderesse n’est pas une directrice; il s’agit manifestement d’une question mixte de fait et de droit relevant de l’expertise de l’arbitre. Dans 6245820 Canada Inc. c Perrella, 2011 CF 728, le juge André Scott a conclu que le contrôle visant l’interprétation du terme « directeur » au paragraphe 167(3) du Code doit s’effectuer au regard de la norme de la raisonnabilité. Il ne conviendrait pas que la Cour substitue sa propre opinion à celle de l’arbitre simplement parce qu’une conclusion portant que la défenderesse n’est pas une directrice au sens du paragraphe 167(3) du Code a des conséquences sur le plan de la compétence. La seule question en litige en l’espèce sera donc tranchée en fonction de la norme de la raisonnabilité.
[11] Lorsque le tribunal contrôle une décision au regard de la norme de la raisonnabilité, il doit s’attacher « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59). Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».
Dispositions législatives applicables
[12] Voici les dispositions du Code qui s’appliquent en l’espèce :
167. (3) La section XIV ne s’applique pas aux employés qui occupent le poste de directeur.
[…]
242. (1) Sur réception du rapport visé au paragraphe 241(3), le ministre peut désigner en qualité d’arbitre la personne qu’il juge qualifiée pour entendre et trancher l’affaire et lui transmettre la plainte ainsi que l’éventuelle déclaration de l’employeur sur les motifs du congédiement.
[…]
(3) Sous réserve du paragraphe (3,1), l’arbitre :
a) décide si le congédiement était injuste;
[…]
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167. (3) Division XIV does not apply to or in respect of employees who are managers.
[…]
242. (1)
The Minister may, on receipt of a report pursuant to subsection 241(3),
appoint any person that the Minister considers appropriate as an Adjudicator
to hear and adjudicate on the complaint in respect of which the report was
made, and refer the complaint to the Adjudicator along with any statement
provided pursuant to subsection 241(1). […]
(3) Subject to subsection (3,1), an Adjudicator to whom a complaint has been referred under subsection (1) shall
(a) consider whether the dismissal of the person who made the complaint was unjust and render a decision thereon;
[…] |
ARGUMENTATION DES PARTIES
Arguments de la demanderesse
Les erreurs de compétence sont susceptibles de contrôle
[13] Bien que la question n’ait pas été soulevée devant l’arbitre, la Cour peut décider si ce dernier avait ou non compétence pour entendre la plainte de la défenderesse. Comme l’a déclaré le juge Frank Gibson dans Regional Cablesystems Inc. c Wygant, 2003 CFPI 236, au paragraphe 13, une partie peut soulever la question de la compétence d’un tribunal même si cette question n’a pas été soulevée lors de l’audience initiale.
L’arbitre a commis une erreur en se déclarant compétent
[14] L’arbitre n’avait pas compétence pour entendre la plainte parce que la défenderesse occupait un poste de directeur. Le paragraphe 167(3) du Code prive les directeurs de la protection contre le congédiement injuste. Selon Pepper c Fort McMurray First Nations Band N° 648, [2004] CLAD no 205, un employé est un directeur lorsque sont réunies les deux conditions suivantes :
1. il gère les affaires de l’employeur;
2. il est habilité à accomplir des actions de façon indépendante et autonome, et investi de pouvoirs discrétionnaires pour un nombre important de questions qui relèvent de son autorité.
[15] Comme la défenderesse satisfait à ces deux critères, elle est une directrice au sens du paragraphe 167(3).
Gestion des affaires de l’employeur
[16] Lorsqu’elle travaillait pour la demanderesse, la défenderesse était chargée de la gestion du service du développement social. Elle pouvait également infliger des mesures disciplinaires à d’autres employés, et elle avait le pouvoir d’embaucher et de diriger le personnel de son service. La défenderesse gérait un service dont le budget s’élevait à 2 000 000 $. Ces facteurs étaient des indicateurs tangibles de son statut de directrice (Donio c Matawa First Nations Management Inc, [2007] CLAD no 33 (QL), au paragraphe 40).
Indépendance, autonomie et pouvoirs discrétionnaires
[17] La défenderesse jouissait dans l’exercice de ses fonctions d’une autonomie substantielle, justifiant qu’elle soit considérée comme une directrice au sens du paragraphe 167(3). Comme il a été établi dans Banque canadienne impériale de commerce c Bateman, [1991] 3 CF 586, bien que l’autonomie soit nécessaire, elle n’a pas à être absolue. Dans l’affaire Bateman, un arbitre avait conclu qu’un travailleur chargé d’un service comptant 200 employés et ayant un budget de 10 000 000 $, qui fixait les salaires dans les limites prescrites, n’était pas un directeur. Le juge Bud Cullen a annulé la décision de l’arbitre et déclaré ce qui suit (au paragraphe 32) :
À mon avis, l’arbitre a interprété erronément le paragraphe 167(3). Il a déclaré que, pour être considéré comme un « directeur », au sens de cette disposition [traduction] « il faut que le degré d’autonomie qu’exerce un employé soit, sinon absolu, alors très considérable ». Sauf le respect de l’arbitre, une telle approche étend le droit sur cette question bien plus loin que ce qu’envisageait la Cour d’appel fédérale. Un directeur doit être « un administrateur habilité à accomplir des actions de façon indépendante et autonome, et investi de pouvoirs discrétionnaires », mais il est irréaliste d’exiger que cette autonomie soit quasi absolue pour que l’on considère la personne comme un « directeur », même dans le sens « étroit » où l’entend le paragraphe 167(3). Comme l’a fait valoir l’avocat de la requérante, même le président du conseil d’une grande société ne jouit pas d’une autonomie absolue; il doit rendre compte au conseil d’administration. Il est indiscutable que M. Bateman jouissait d’une grande autonomie et d’importants pouvoirs discrétionnaires au poste qu’il occupait, relativement aux salaires, aux mesures disciplinaires et au pouvoir d’embaucher et de muter des employés. En fait, l’arbitre a conclu que [traduction] « le plaignant a effectivement exercé un degré d’autonomie et d’indépendance qui lui permettait de décider de certaines questions dans des limites assez étroites fixées par ses supérieurs à Toronto ».La preuve montre aussi que même quand M. Bateman devait faire approuver ses décisions, on avait généralement accepté ses recommandations. L’arbitre semble s’être attaché plutôt au fait que les supérieurs de M. Bateman avaient rejeté quelquefois ses recommandations.
[18] Tout comme dans l’affaire Bateman, précitée, les supérieurs de la défenderesse acceptaient généralement les recommandations de celle‑ci.
Principes applicables au paragraphe 167(3)
[19] Il convient d’appliquer les principes suivants en vue d’établir si un travailleur est un directeur au sens du paragraphe 167(3) du Code :
1. il ne faut pas trop s’écarter dans l’interprétation du paragraphe 167(3) de la classification habituellement utilisée dans le contexte des relations de travail;
2. le plein exercice des pouvoirs conférés n’est pas requis pour qu’un poste en soit un de directeur;
3. un directeur devant respecter des politiques détaillées dans l’exécution de ses fonctions n’en est pas moins un directeur.
[20] Ces trois principes s’appliquent à la défenderesse. Premièrement, son poste aurait, le cas échéant, été exclu d’une unité de négociation en raison des fonctions de supervision qui s’y rattachaient. Deuxièmement, bien que dans les faits la défenderesse n’ait jamais embauché ou congédié d’employés, elle n’en était pas moins une directrice. Troisièmement, le fait que la défenderesse devait s’en remettre à un manuel détaillé pour déterminer si une personne était admissible à l’aide sociale n’avait lui non plus aucune incidence sur son statut de directrice.
[21] D’autres arbitres ont conclu dans le passé que des personnes exerçant des responsabilités semblables à celles de la défenderesse étaient des directeurs (Danes c Conseil de la bande Moricetown, [2010] CLAD no 394; Johnson‑Macdonald c Six‑Nations de la rivière Grand, [2003] CLAD no 350; Brooks c Première nation de St. Mary’s, [2010] CLAD no 132; Lahache and Polson c The Long Point Band Council, décision inédite, le 4 septembre 1992; Fontaine c Première nation Sagkeeng, [2005] CLAD no 406; Pepper, précitée; Rollingson c Banque royale du Canada, [2003] CLAD no 223; Skeete and National Bank of Canada, [1996] CLAD no 410; Normandeau and National Bank of Canada, [1996] CLAD no 712.
[22] La situation de travail de la défenderesse était semblable à celle des intéressés dans les affaires ci‑haut mentionnées. La défenderesse avait des responsabilités et des pouvoirs substantiels et elle relevait directement du directeur général de la demanderesse. Elle avait sous sa responsabilité les employés du service du développement social et de celui des services à l’enfance et à la famille. La défenderesse disposait aussi de pouvoirs en matière d’embauche et de discipline, et elle n’avait pas besoin de l’autorisation de ses supérieurs pour embaucher des employés saisonniers ou temporaires. En outre, elle avait elle‑même défini ses rôles et responsabilités en tant que directrice de la justice. Le rôle de directrice de la défenderesse n’était pas amoindri du simple fait qu’il lui fallait parfois obtenir l’autorisation du directeur et qu’elle devait suivre les politiques établies.
[23] Par ailleurs, la demanderesse ne pourra assurer efficacement son bon fonctionnement s’il devait être conclu que la défenderesse n’est pas une directrice. Les directeurs ne sont pas visés par les dispositions du Code interdisant le congédiement injuste parce que le législateur n’a pas voulu indûment restreindre le droit que la common law accorde aux employeurs de licencier les membres de leur haute direction. Dans Johnson‑Macdonald, précitée, l’arbitre a déclaré ce qui suit sur le sujet (paragraphes 44 et 45) :
Pour revenir à l’examen du fondement et de la signification de l’exclusion des directeurs, il faut également tenir compte de l’effet pour en employé d’être désigné à titre de « directeur ». Je signalerais ici que si la conclusion devait être que Mme Johnson‑MacDonald occupait un poste de « directeur », elle ne serait pas privée de tout recours relativement à un prétendu traitement inapproprié de la part de l’employeur. La plaignante et d’autres qui ne peuvent recourir au Code peuvent encore intenter une poursuite en dommages‑intérêts en common law. Lassant de côté la question des dépens et d’autres considérations de ce genre, la différence principale entre ces recours est que, en vertu du Code, un arbitre peut ordonner la réintégration du plaignant; auprès des tribunaux, la réparation se limiterait normalement au versement de dommages‑intérêts.
La distinction ci‑dessus est un point utile pour la mise en application du paragraphe 167 (3). Bref, si la réintégration d’un plaignant [entraînait] des problèmes importants pour l’employeur dans l’exécution de ses activités, il serait peut‑être préférable de limiter la réclamation à une demande de dommages‑intérêts. Il me semble qu’il y a des situations où le maintien de la relation d’emploi nuirait à l’employeur et, peut‑être, à l’employé à un point tel qu’il ne faudrait pas le permettre. En fin de compte, un employeur peut mettre fin à la relation, mais il se peut qu’il ait à assumer les coûts qui en découlent.
[24] La défenderesse dispose d’un autre recours valable si le paragraphe 167(3) entraîne son exclusion : elle peut réclamer des dommages‑intérêts pour congédiement abusif dans une action civile. Si on la réintégrait, elle se trouverait dans une situation où elle aurait des pouvoirs et des responsabilités d’importance, mais serait inapte pour le poste. La preuve faisant voir clairement que la défenderesse est une directrice, les dispositions sur le congédiement injuste de la section XIV du Code ne lui sont pas applicables. Ainsi, l’arbitre n’avait pas compétence pour examiner la plainte de la défenderesse.
Arguments de la défenderesse
[25] La défenderesse fait valoir qu’ayant accepté la compétence de l’arbitre pour entendre la plainte, la demanderesse ne peut maintenant contester cette compétence par voie de contrôle judiciaire. La preuve révèle également que la défenderesse n’est pas une directrice, de telle sorte que les dispositions du Code portant sur le congédiement injuste lui sont applicables.
Compétence
[26] La demanderesse ne peut contester la compétence de l’arbitre. La procédure de contrôle judiciaire est un processus d’examen des décisions, et non pas une audience de novo portant sur des questions sans lien aucun avec la preuve soumise au tribunal (voir Regional Cablesystems, précitée, au paragraphe 29). Les parties ont soulevé la question de la compétence devant l’arbitre et la demanderesse a convenu que ce dernier avait été régulièrement nommé pour entendre l’ensemble du différend. Essentiellement, la demanderesse a de la sorte convenu que la défenderesse n’était pas une directrice.
[27] Bien que la demanderesse ait eu l’occasion d’aborder à l’audience la question du statut de directrice de la défenderesse, elle ne l’a pas fait. Les parties avaient en main les éléments de preuve permettant d’établir si la défenderesse était ou non une directrice, mais elles ne les ont pas soumis à l’arbitre. L’arbitre n’a pu commettre une erreur de compétence puisque les faits permettant de décider de la question de la compétence ne lui avaient pas été présentés lorsqu’il a examinée cette question en présence des parties. La Cour ne doit pas autoriser un examen de novo d’une question que la demanderesse a convenu être réglée.
[28] La demanderesse a attiré l’attention de la Cour sur de nombreuses décisions dans lesquelles, dans des situations semblables, on a conclu que les plaignants étaient des directeurs. Dans toutes ces affaires, sauf une, toutefois, la compétence de l’arbitre pour entendre la plainte avait été soulevée à l’audience. Dans l’affaire faisant exception, Regional Cablesystems, précitée, l’arbitre n’avait pas examiné correctement la question de sa compétence. En l’espèce, la demanderesse n’a soumis à l’arbitre aucune preuve démontrant que la défenderesse était une directrice, de sorte qu’on doit considérer qu’elle a accepté la compétence de l’arbitre (Msuya c Sundance Balloons International Ltd., [2006] ACF no 398).
La défenderesse n’est pas une « directrice »
[29] Même s’il est loisible à la Cour d’examiner la question de la compétence de l’arbitre pour entendre la plainte, il reste que l’arbitre avait bel et bien compétence puisque la défenderesse n’occupait pas un poste de directrice. Il a été établi dans Poirier c Lake Babine Nation, [2005] CLAD no 237 qu’il convenait de donner une interprétation étroite à l’expression « directeur ». Plusieurs éléments sont requis pour qu’il soit permis de conclure qu’un travailleur occupe le poste de directeur :
1. le travailleur doit avoir le pouvoir d’agir et d’accomplir ses tâches de façon indépendante;
2. il doit être membre de l’équipe de gestion;
3. ses principales fonctions sont des fonctions de gestion;
4. il a le pouvoir d’embaucher, de superviser et de congédier des employés, y compris le pouvoir de prendre des mesures disciplinaires;
5. on doit prouver qu’il a procédé à des congédiements et pris des mesures disciplinaires;
6. il exerce les fonctions opérationnelles et de gestion de l’employeur à cette fin;
7. le travailleur dispose d’un pouvoir décisionnel indépendant suffisant, qui n’a pas à être absolu, mais qui est dans une certaine mesure discrétionnaire;
8. il a le pouvoir de prendre des décisions définitives importantes.
[30] La preuve soumise à la Cour fait voir que la défenderesse était une simple coordonnatrice disposant de pouvoirs restreints. Elle devait discuter de toutes les décisions importantes avec son supérieur et ne détenait pas de pouvoirs financiers. Elle ne pouvait communiquer avec les organismes gouvernementaux qui finançaient les services sous sa responsabilité. Elle n’était pas non plus habilitée à agir de façon indépendante. En outre, la défenderesse ne pouvait ni embaucher ni congédier des employés permanents; elle pouvait uniquement confier du travail de courte durée à des clients approuvés au préalable. La défenderesse ne pouvait prendre des mesures disciplinaires envers d’autres employés. Lorsqu’une fois elle a tenté de prendre de telles mesures, son supérieur l’a fait venir dans son bureau et il lui a fait comprendre qu’elle n’en avait pas le pouvoir. Elle devait enfin se conformer, pour l’administration courante de son service, aux politiques et aux manuels préparés par ses supérieurs.
[31] La défenderesse convie la Cour à tirer une inférence défavorable du fait que la demanderesse n’ait pas produit le témoignage de l’un ou l’autre de ses dirigeants (voir le paragraphe 81(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106). La Cour devrait tenir pour acquis que la preuve n’ayant pas été présentée par la demanderesse lui serait défavorable. La demanderesse aurait pu produire le témoignage de Frank Alec – le supérieur immédiat de la défenderesse –, mais elle ne l’a pas fait. Il est raisonnable de déduire du défaut de fournir un affidavit souscrit par M. Alec que son témoignage aurait été préjudiciable à la demanderesse.
ANALYSE
Introduction
[32] La demanderesse a choisi de contester la décision de l’arbitre pour défaut de compétence. Après examen de cette décision, je peux en comprendre la raison. La décision est convaincante et exhaustive. Il serait extrêmement difficile de conclure que sur le fon la décision de l’arbitre donne ouverture à un contrôle judiciaire.
[33] Un élément révélateur de l’approche de la demanderesse vient de ce que celle‑ci n’a pas soulevé la question de la compétence devant l’arbitre, et le fait pour la première fois dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire. Cela m’oblige à décider en premier lieu si, dans les circonstances, il convient de procéder au contrôle de la décision sur le fondement d’une seule question qui n’a pas été soulevée devant l’arbitre.
Compétence
[34] En l’espèce, la demanderesse a déclaré à l’arbitre que sa compétence n’était pas en cause, et qu’il devrait statuer sur la plainte sur le fond. La demanderesse n’a toutefois pas dit à l’arbitre que, si la décision rendue ne lui était pas favorable, elle en demanderait le contrôle judiciaire pour défaut de compétence. Tout au long de la procédure, des avocats chevronnés ont représenté la demanderesse, qui savait sûrement que la question de la compétence devait être soulevée devant l’arbitre. J’en fais état parce que la demanderesse a déjà dû passer par ce processus ces dernières années. Dans Poirier, précitée, l’arbitre a déclaré ce qui suit (au paragraphe 3) :
Au début de l’audience, William Ferguson, le représentant de la Première nation de Lake Babine, a formulé une objection relativement à ma compétence à trancher cette plainte sous prétexte que Mary‑Ann Poirier était une directrice à la Première nation de Lake Babine. En vertu du paragraphe 167(3) du Code canadien du travail, la section XIV ne s’applique pas aux employés qui occupent un poste de directeur. Il a été convenu qu’afin de juger si Mary‑Ann Poirier occupait un poste de directeur, il fallait absolument entendre des témoignages portant sur les tâches qu’elle accomplissait et les avocats ont accepté que tous les éléments de preuve soient présentés. L’arbitre déterminerait si elle occupait un poste de directeur après la présentation de toute la preuve.
[35] Le directeur général en cause dans l’affaire Poirier, Frank Alec, est aussi en l’espèce le directeur général de qui relevait la défenderesse.
[36] La conclusion sur la compétence tirée dans Poirier permet dans une certaine mesure de comprendre pourquoi la demanderesse n’a pas soulevé la question de la compétence devant l’arbitre en l’espèce, et pourquoi elle n’a pas expliqué à la Cour pour quel motif, après avoir convenu que l’arbitre avait compétence pour entendre la plainte, elle revient sur sa position et soumet maintenant cette question à la Cour pour qu’elle procède à son examen de novo. Dans la décision Poirier, au paragraphe 16, l’arbitre a relevé des points importants au sujet de la structure hiérarchique de la bande demanderesse et de son incidence sur la principale question en jeu dans la présente affaire :
DANS QUEL CAS UN DIRECTEUR N’EST‑IL PAS UN DIRECTEUR?
16 À cette question, je réponds : lorsque le système en place ne lui permet pas de diriger. La structure hiérarchique présidée par le chef et le conseil de bande est conçue et fonctionne de façon très directive. Ce type de structure ne permet aucunement à des gens inférieurs sur le plan hiérarchique de donner des conseils ou des suggestions. Le chef et le conseil de bande communiquent à leurs membres ce qu’ils veulent bien, quand ils le veulent bien et s’ils gardent quelque chose pour eux, seul le conseil est au courant. En contre‑interrogatoire, Frank Alec a déclaré très candidement qu’il ne remettrait jamais en question la décision d’un conseiller. De plus, si un conseiller demande à un employé de faire quelque chose, cet employé devait en parler aves (sic) lui plutôt que de seulement exécuter la tâche demandée. Cependant, il n’aurait jamais repris un conseiller. Compte tenu de ce type d’intimidation organisationnelle, il n’est pas surprenant que MAP avait de la difficulté à diriger lorsqu’elle tentait de soutenir et de promouvoir son projet de faire revivre Old Fort. Cependant, je ne peux pas conclure qu’elle occupait un poste de directeur parce que le système en place ne lui permettait pas de diriger.
[37] Comme l’arbitre l’a fait remarquer en l’espèce, on ne lui a présenté le témoignage d’aucun cadre ni d’aucun dirigeant de la demanderesse, et il en a été de même devant moi dans le cadre de la présente demande. Aucune preuve directe (sauf le témoignage de M. Alec) émanant de personnes pouvant décrire le fonctionnement du système n’a donc été présentée, et aucune de ces personnes n’a été contre‑interrogée. Les témoins de la demanderesse n’avaient aucune connaissance directe de fond de la plainte ou des agissements de la demanderesse et, quoi qu’il en soit, ils ont été discrédités lors de leur contre‑interrogatoire. L’avocat de la demanderesse a lui‑même concédé que dans le cadre de la présente demande la décision de l’arbitre, l’affidavit de la défenderesse et le contre‑interrogatoire de celle‑ci constituent l’essentiel de la preuve de la demanderesse.
[38] Il ressort clairement de la décision de l’arbitre que la question de la compétence a été soulevée devant lui et que les deux parties ont convenu que l’arbitre avait été [traduction] « régulièrement nommé pour entendre l’ensemble du différend et pour décider de la réparation appropriée ». La demanderesse souhaite maintenant renier cette entente devant la Cour, sur le fondement d’éléments de preuve qui n’ont pas été présentés à l’arbitre. Il ne s’agit pas à mon sens d’un contrôle judiciaire. On me demande plutôt de décider de novo d’une question déclarée ne pas être en litige devant l’arbitre, sur le fondement d’une nouvelle preuve ne lui ayant pas été soumise.
[39] La demanderesse affirme que je n’ai d’autre choix que de procéder à l’examen de la question de la compétence. Avant de décider si la demanderesse a raison sur ce point, j’estime nécessaire de dire que je juge quelque peu abusif son comportement dans la présente affaire. Il me semble inopportun pour la demanderesse de convenir que l’arbitre est [traduction] « régulièrement nommé pour entendre l’ensemble du différend et pour décider de la réparation appropriée » puis, une fois qu’une décision a été prononcée contre elle, de venir demander à la Cour – sans explication ni excuse – d’annuler cette décision parce que l’arbitre n’aurait pas été « régulièrement nommé », et ce, en s’appuyant sur une preuve qui ne lui avait pas été présentée.
[40] La demanderesse invoque la décision Gleason c Le Conseil Daylu Dena, [2006] CLAD no 298, dans laquelle l’arbitre a fait le résumé suivant (aux paragraphes 3 et 4) de la jurisprudence sur ce point :
Les questions de déterminer s’il y a eu suppression d’un poste ou si Mme Gleason occupait un poste de directeur sont des questions ayant trait uniquement à la compétence. L’avocat de l’employée a soutenu que l’employeur devait être empêché par préclusion de soulever la « question du poste de directeur », parce qu’il ne s’agissait pas d’une question en litige à l’audience et qu’il serait inéquitable de trancher cette question en ce moment, sans que les parties aient eu l’occasion d’organiser leur preuve.
Il est malheureux que la question du poste de directeur n’ait pas été soulevée durant l’audience, car les deux parties auraient pu l’aborder en tant qu’élément de la preuve. L’employeur n’est pas empêché de soulever cette question après la clôture de la preuve, car j’accepte l’argument selon lequel la question de la compétence pourrait être soulevée dans le cadre d’un contrôle judiciaire de ma décision, même si la question n’avait pas été soulevée durant l’audience : Regional Cable Systems c. Wygant, [2003] A.C.F. 321 (1re inst.). Dans cette décision, le tribunal a fait renvoi à la décision Bande indienne de Shubenacadie c. Canada (Commission des droits de la personne), [1998] 2 C.F. 198 (1re inst.), confirmé (sic), (2000), 256 N.R. 109 (C.A.F.) :
[39] Je demeure sceptique sur l’argument selon lequel la Cour doit s’abstenir de revoir la décision d’un tribunal, même si cette décision excède la compétence conférée par la loi au tribunal ou est rendue en vertu d’une disposition attributive de compétence qui est inconstitutionnelle.
Dans l’arrêt Crevier c. Procureur général du Québec et autres, [1981] 2 R.C.S. 220, la Cour suprême du Canada a jugé qu’un tribunal administratif n’est pas mis à l’abri d’un contrôle judiciaire par ses erreurs de compétence. Voici les propos du juge en chef Laskin [...] :
[…] si le tribunal a excédé sa compétence dans une décision, cette dernière n’est pas une décision du tout, selon la loi qui définit les pouvoirs du tribunal, parce que le Parlement ne pouvait pas avoir l’intention de conférer à pareil tribunal le pouvoir d’étendre sa compétence légale au moyen d’une décision erronée quant à l’étendue de ses propres pouvoirs. [Je souligne.]
Puisqu’une décision rendue par un tribunal administratif au‑delà des limites de sa compétence « n’est pas une décision du tout », il semble paradoxal de dire que cette même « décision » puisse être à l’abri d’un contrôle judiciaire si le défaut de compétence n’est jamais soulevé, et de dire que la compétence du tribunal ou la constitutionnalité de la loi organique de ce tribunal puisse être présumée. Cela équivaut à dire que les parties à une procédure administrative peuvent, par renonciation ou acquiescement, conférer à un tribunal une compétence qui n’a pas été, ou n’a pu être, conférée par le Parlement et que cette attribution de compétence par les parties échappe à tout contrôle judiciaire après que la décision est rendue. Il n’est d’ailleurs pas difficile d’imaginer qu’un tribunal outrepassera les limites de sa compétence simplement pour ne pas avoir entendu les arguments concernant cet aspect.
Vus sous cet angle, les arrêts Toussaint, Poirier [1989] A.C.F. no 240] et Sirois [1988] A.C.F. no 577] de la Cour d’appel fédérale doivent être distingués de la présente espèce parce que les nouveaux arguments soulevés ici font intervenir des questions de compétence. La Cour d’appel de l’Alberta et la Haute Cour de l’Ontario ont examiné ce point et jugé qu’une juridiction de contrôle peut prononcer sur une exception déclinatoire qui n’a jamais été alléguée devant le tribunal visé par cette exception [...] Cette manière de considérer les questions de compétence est, à mon sens, davantage en harmonie avec le raisonnement suivi dans l’arrêt Crevier, et j’arrive à la conclusion qu’il est opportun d’examiner les nouveaux arguments de cette nature soulevés en l’espèce par le requérant.
[41] La Cour d’appel fédérale a également donné des indications à cet égard. La demanderesse me renvoie ainsi au paragraphe 9, reproduit ci‑après, de l’arrêt Payiappily c Rogers Cantel Inc., [2000] ACF n° 630 :
Le juge des requêtes a décidé que l’arbitre n’avait pas commis d’erreur en concluant qu’il n’avait pas compétence étant donné cet article. Si l’arbitre n’avait pas compétence, il était alors sans importance de savoir si l’une ou l’autre des parties avait soulevé la question. Le consentement ne saurait être attributif de compétence. [Je souligne.]
[42] Comme en témoignent les faits de l’espèce, dans la mesure où le consentement ne saurait attribuer compétence à un tribunal administratif et que sa décision n’est pas à l’abri d’un contrôle judiciaire, il s’ensuit que le tribunal administratif ne peut se fonder sur ce consentement et qu’il doit entendre la preuve ainsi que les arguments sur la question de la compétence. Il s’ensuit également qu’une partie à un différend peut se réserver le droit de convenir que la question de la compétence n’est pas en cause puis, si elle n’obtient pas le résultat souhaité du tribunal administratif concerné, demander à une cour de révision d’examiner la question de novo.
[43] La Cour suprême du Canada s’est récemment penchée sur la question de savoir ce qu’une cour de justice devrait faire lorsqu’on lui demande d’examiner une question qui n’a pas été soulevée devant le tribunal administratif en cause. Dans Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654, elle a formulé les principes directeurs suivants (aux paragraphes 22 à 26) :
L’ATA a demandé le contrôle judiciaire de la décision de la déléguée. Elle n’avait invoqué l’inobservation du délai ni devant le commissaire ni devant sa déléguée. Elle ne l’a même pas fait dans l’avis introductif d’instance en contrôle judiciaire, invoquant la question pour la première fois en plaidoirie. L’ATA pouvait certainement demander le contrôle judiciaire, mais elle ne pouvait contraindre la cour à examiner la question. Tout comme elle jouit du pouvoir discrétionnaire de refuser d’entreprendre un contrôle judiciaire lorsque, par exemple, il existe un autre recours approprié, une cour de justice peut également, à son gré, ne pas se saisir d’une question soulevée pour la première fois dans le cadre du contrôle judiciaire lorsqu’il lui paraît inopportun de le faire. Voir, p. ex., Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3, le juge en chef Lamer, par. 30 : « [L]a réparation qu’une cour de justice peut accorder dans le cadre du contrôle judiciaire est essentiellement discrétionnaire. Ce principe [général de longue date] découle du fait que les brefs de prérogative sont des recours extraordinaires [et discrétionnaires]. » [Je souligne.]
En règle générale, dans une instance en contrôle judiciaire, ce pouvoir discrétionnaire n’est pas exercé au bénéfice du demandeur lorsque la question en litige aurait pu être soulevée devant le tribunal administratif, mais qu’elle ne l’a pas été (Toussaint c. Conseil canadien des relations du travail (1993), 160 N.R. 396 (C.A.F.), par. 5, citant Poirier c. Canada (Ministre des Affaires des anciens combattants), [1989] 3 C.F. 233 (C.A.), p. 247; Bande indienne de Shubenacadie c. Canada (Commission des droits de la personne), [1998] 2 C.F. 198 (1re inst.), par. 40‑43; Legal Oil & Gas Ltd. c. Surface Rights Board, 2001 ABCA 160, 303 A.R. 8, par. 12; United Nurses of Alberta, Local 160 c. Chinook Regional Health Authority, 2002 ABCA 246, 317 A.R. 385, par. 4). [Je souligne.]
Un certain nombre de considérations justifient cette règle générale, l’une des principales étant que le législateur a confié au tribunal administratif la tâche de trancher la question (Legal Oil & Gas Ltd., par. 12‑13). Comme l’explique notre Cour dans Dunsmuir, « les cours de justice doivent tenir compte de la nécessité [. . .] d’éviter toute immixtion injustifiée dans l’exercice de fonctions administratives en certaines matières déterminées par le législateur » (par. 27). La cour de justice doit donc respecter le choix du législateur de désigner le tribunal administratif comme décideur de première instance et laisser à ce tribunal administratif la possibilité de se pencher le premier sur la question et de faire connaître son avis.
Le principe vaut particulièrement lorsque la question soulevée pour la première fois lors du contrôle judiciaire a trait au domaine d’expertise du tribunal administratif et à ses attributions spécialisées. La Cour doit alors être bien consciente que si elle accepte de se pencher sur la question, elle le fera sans pouvoir connaître l’opinion du tribunal administratif. (Voir Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada Inc., 2007 CSC 15, [2007] 1 R.C.S. 650, par. 89, la juge Abella.)
Qui plus est, soumettre une question pour la première fois lors du contrôle judiciaire peut porter indûment préjudice à la partie adverse et priver la cour de justice des éléments de preuve nécessaires pour trancher (Waters c. British Columbia (Director of Employment Standards), 2004 BCSC 1570, 40 C.L.R. (3d) 84, par. 31 et 37, citant Alberta c. Nilsson, 2002 ABCA 283, 320 A.R. 88, par. 172, et J. Sopinka et M. A. Gelowitz, The Conduct of an Appeal (2e éd. 2000), p. 63‑68; A.C. Concrete Forming Ltd. c. Residential Low Rise Forming Contractors Assn. of Metropolitan Toronto and Vicinity, 2009 ONCA 292, 306 D.L.R. (4th) 251, par. 10 (la juge Gillese)).
[44] Dans Alberta Teachers’ Association, la question qui n’avait pas été soulevée devant le tribunal administratif était celle du « délai ». Ce n’était pas celle de la compétence. La Cour suprême du Canada s’est toutefois exprimée en des termes généraux destinés de toute évidence à s’appliquer plus largement qu’aux seuls faits de l’espèce. « En règle générale, dans une instance en contrôle judiciaire, ce pouvoir discrétionnaire n’est pas exercé au bénéfice du demandeur lorsque la question en litige aurait pu être soulevée devant le tribunal, mais qu’elle ne l’a pas été » et « une cour de justice peut […], à son gré, ne pas se saisir d’une question soulevée pour la première fois dans le cadre du contrôle judiciaire lorsqu’il lui paraît inopportun de le faire […] ».
[45] La première question qu’il me faut trancher, par conséquent, est celle de l’opportunité d’un contrôle sachant que la question n’ayant pas été soulevée concerne la « compétence » ou, pour être plus exact, sachant que la question de la compétence a été soulevée, mais que les deux parties ont convenu que l’arbitre était compétent. Après examen de la jurisprudence à laquelle la Cour suprême du Canada a renvoyé, il est difficile de déterminer si celle‑ci avait à l’esprit la question de la « compétence » lorsqu’elle a fait les commentaires susmentionnés, et un doute subsiste quant à savoir si j’ai le pouvoir discrétionnaire de ne pas instruire la demande de la demanderesse qui met en jeu la question de la compétence.
[46] Selon la froide logique de la jurisprudence, le consentement ne saurait être attributif de compétence, non plus qu’un tribunal administratif ne saurait être à l’abri d’un contrôle judiciaire quant aux erreurs de compétence. Il subsiste un doute dans mon esprit quant à savoir si la Cour suprême dit dans Alberta Teachers’ Association que j’ai le pouvoir discrétionnaire de ne pas examiner les questions de compétence soulevées en l’espèce si cela me paraît inopportun. Je n’ai heureusement pas à en décider en fonction des faits de l’espèce puisque, selon moi, il découle manifestement de la preuve que la défenderesse n’était pas une directrice, que l’arbitre avait donc compétence et que la décision doit être maintenue. Il faut toutefois dans l’appréciation de la preuve, me semble‑t‑il, être conscient du fait qu’en convenant que l’arbitre pouvait entendre l’affaire, la demanderesse a déjà montré qu’elle ne croyait pas que la défenderesse était une directrice, et qu’elle n’a pas non plus jugé nécessaire de soumettre la moindre preuve à l’arbitre sur ce point. On ne m’a non plus d’aucune façon expliqué pourquoi la demanderesse, si ce n’est parce que la décision sur le fond ne lui plait pas, avait désormais changé d’avis sur cette question. Je ne dois pas oublier non plus que la demanderesse n’a offert le témoignage d’aucune personne occupant un poste élevé dans sa structure hiérarchique qui aurait pu traiter de la question et être contre‑interrogé. Mis à part la décision de l’arbitre, la demanderesse fonde son argumentation sur ce que la défenderesse a déclaré dans son affidavit et lors de son interrogatoire.
[47] Ayant conclu que je devais exercer mon pouvoir discrétionnaire et entendre l’affaire, il me faut maintenant décider si, au vu de la preuve qu’on m’a présentée, la défenderesse était une directrice de sorte que, le cas échéant, sa plainte ne relevait pas de la compétence de l’arbitre.
[48] Cet exercice est tributaire des faits et, comme je l’ai déjà signalé, la seule preuve convaincante qu’on m’ait présentée sur ce point provient de la décision de l’arbitre et de la défenderesse elle‑même. Dans Msuya, précitée, le juge Barnes a résumé comme suit (au paragraphe 23) l’approche que la Cour doit adopter :
Il existe une abondante jurisprudence qui traite de l’attribution à une personne de la qualité de directeur selon le paragraphe 167(3) du Code. Le critère fondamental est de décider si cette personne avait une autonomie, un pouvoir discrétionnaire et une autorité importants dans l’entreprise de l’employeur. On trouve une recension très fouillée de la jurisprudence pertinente dans la décision Isaac c. Listuguj Mi’gmaq First Nation [2004] CLAD no 287 de l’arbitre A.E. Bertrand. Cette décision fournit également une liste utile des facteurs et principes qui devraient normalement être pris en compte pour établir si une personne est un directeur au sens du paragraphe 167(3) (voir le paragraphe 164). L’approche de l’arbitre Bertrand dans la décision Isaac, précitée, est l’approche correcte.
[49] Le juge Barnes a également déclaré ce qui suit dans Msuya (au paragraphe 25) :
Il est clair que le fardeau de la preuve établissant qu’un employé est un directeur au sens du paragraphe 167(3) du Code repose sur la partie qui fait cette affirmation (Sundance en l’espèce). Ce principe a été reconnu par le juge MacKay dans la décision Waldman, précitée, lorsqu’il dit aux paragraphes 15 et 16 :
15 En dernier ressort, l’arbitre a décidé qu’il appartenait au conseil de bande de prouver que M. Waldman échappait à l’examen prévu au Code à titre de « directeur ». Selon l’arbitre, la preuve ne permettait pas de conclure qu’en raison des fonctions qu’il exerçait, M. Waldman échappait à cet examen à titre de « directeur ». Il a donc statué qu’il avait compétence pour examiner la plainte.
16 À mon avis, l’arbitre a eu raison d’agir ainsi.
[50] Chacune des parties au présent différend m’a transmis son analyse de la preuve et ses conclusions. Voici le résumé fait par la demanderesse :
[traduction]
Les faits de la présente affaire ressemblent à ceux des affaires examinées précédemment. Le poste, les fonctions et les responsabilités de la défenderesse sont très semblables à ceux des plaignants qu’on a jugé être des directeurs échappant aux dispositions de la section XIV du Code. Plus particulièrement, les responsabilités et les pouvoirs de la défenderesse à titre de directrice du développement social et de la justice, et de responsable des services à l’enfance et à la famille, étaient substantiels. Les éléments qui ressortent de la preuve sont exposés ci‑dessous.
La défenderesse relevait directement du directeur exécutif.
Le seul employé d’un rang supérieur à la défenderesse était le directeur exécutif.
À titre de directrice du développement social, la défenderesse avait sous sa charge tous les employés du service du développement social et de celui des services à l’enfance et à la famille.
La défenderesse disposait de vastes pouvoirs administratifs étendus et elle devait prendre et mettre en œuvre d’importantes décisions. On a nommé la défenderesse au poste de directrice du développement social pour qu’elle veille à ce que le programme respecte à nouveau les normes. La défenderesse a aussi réussi à faire en sorte que le service du développement social respecte de nouveau son budget.
Le bon fonctionnement administratif quotidien des services du développement social, du service de la justice et des services à l’enfance et à la famille relevait de la seule responsabilité de la défenderesse.
La défenderesse a elle‑même défini son rôle et ses responsabilités en tant que directrice de la justice. Elle était responsable en dernier ressort de tout ce qui se produisait au sein du service de la justice.
D’après la jurisprudence examinée précédemment :
a. l’on doit considérer que les employés qui occupent un poste et exercent des responsabilités et des pouvoirs semblables à ceux de la demanderesse, sont des « directeurs » au sens du paragraphe 167(3) du Code;
b. le fait que la défenderesse devait dans certains cas obtenir l’autorisation du directeur exécutif n’a pas miné son statut de directrice;
c. le fait qu’elle devait se conformer à des politiques détaillées dans l’exercice de ses fonctions n’a pas non plus miné le statut de directrice de la défenderesse.
[51] La défenderesse a fait pour sa part le résumé suivant.
[traduction]
La défenderesse était chargée de la coordination quotidienne des activités du service, mais elle n’avait pas l’autorité ni la discrétion voulue pour :
a. prendre en matière de développement social quelque décision que ce soit qui s’écarte des critères fixés dans le manuel ou des conseils donnés par la Société;
b. établir ou modifier le budget du service;
c. signer des chèques et autoriser l’émission de chèques, de quelque montant que ce soit;
d. négocier ou signer des contrats avec les bailleurs de fonds, et même pour communiquer directement avec un organisme bailleur de fonds;
e. négocier dans le cadre de projets et pour autoriser des projets;
f. embaucher des employés à temps plein;
g. prendre des mesures disciplinaires à l’endroit d’employés;
h. congédier des employés;
i. donner de l’avancement à des employés;
j. accorder des augmentations à des employés;
k. établir l’horaire de travail des employés;
l. approuver le calendrier de vacances des employés.
En résumé, la preuve permet clairement de constater que, dans le cadre de son emploi, la défenderesse n’était pas habilitée à accomplir des actions de façon indépendante et autonome, ni investie de pouvoirs discrétionnaires.
[52] Selon la jurisprudence relative au paragraphe 167(3) du Code, les deux conditions suivantes doivent être réunies pour qu’un travailleur soit réputé être un directeur :
a. il gère les affaires de l’employeur;
b. il est habilité à accomplir des actions de façon indépendante et autonome, et investi de pouvoirs discrétionnaires, à l’égard d’un nombre important de questions qui relèvent de sa responsabilité.
[53] Compte tenu de la preuve produite dans le cadre de la présente demande, on a satisfait au premier volet de ce critère. L’examen du poste, des fonctions et des responsabilités de la défenderesse au moment de son congédiement permet aisément de constater que celle‑ci gérait bien les affaires de la demanderesse.
[54] Le second volet du critère est celui qui pose problème, celui‑ci nécessitant que l’employé soit habilité à accomplir des actions de façon indépendante et autonome, et investi de pouvoirs discrétionnaires, à l’égard d’un nombre important de questions qui relèvent de sa responsabilité.
[55] La demanderesse a porté à mon attention une longue liste de décisions, et elle m’invite à faire des rapprochements entre elles et la présente affaire. La demanderesse attire particulièrement mon attention sur la décision Danes, précitée, visant une situation tout spécialement semblable à celle de la défenderesse. J’estime toutefois, après examen de cette décision, que Mme Danes et la défenderesse exerçaient un rôle sensiblement différent. Citons notamment les conclusions suivantes tirées au paragraphe 11 de Danes :
Je retiens le témoignage de la directrice de la bande selon lequel la plaignante avait le pouvoir de signature pour dépenser son budget, qu’elle avait le pouvoir d’engager des dépenses pour toutes les questions reliées au développement social. Il n’y avait, au sein de la bande, que quatre personnes qui signaient leurs propres bons d’achat, dont l’une était Bonita Danes. Danes a déclaré que, lorsqu’elle avait besoin d’acheter quelque chose, elle remplissait un bon d’achat lorsque la somme était importante, mais demandait d’abord l’autorisation de Gagnon. Danes a également déclaré, pour ce qui est de la banque alimentaire, qu’elle avait reçu une carte de crédit à son nom et pouvait l’utiliser pour acheter de la nourriture en grandes quantités. La bande n’a pas plafonné les dépenses de Bonita Danes; il suffisait qu’elle respecte son budget. La directrice de la bande avait une limite de 5 000 $ par transaction, alors que Danes était autorisée à dépenser une somme illimitée, jusqu’au montant autorisé par la source de financement. Par exemple, si la source de financement l’autorisait à dépenser 100 000 $ pour un programme, la plaignante aurait pu faire un seul chèque de 99 000 $.
[56] Selon la preuve qui m’a été présentée en l’espèce, la défenderesse
a. ne disposait d’aucun pouvoir de signature pour dépenser son budget, ni d’aucun pouvoir d’engager des dépenses en matière de développement social;
b. ne signait pas ses propres bons de commande;
c. ne disposait pas d’une carte de crédit pour acheter de la nourriture;
d. était soumise à un plafond de dépenses.
[57] En comparaison de la plaignante dans l’affaire Danes, en outre, la défenderesse
a. ne pouvait exercer qu’après consultation son autorité à l’égard d’autres membres du personnel;
b. ne prenait pas de décisions en matière de dotation et ne pouvait embaucher que des employés à temps partiel, parmi un groupe préautorisé de personnes et pour une très courte période;
c. ne pouvait prendre de mesures disciplinaires à l’endroit des membres du personnel et a été réprimandée la seule fois qu’elle a tenté de le faire;
d. ne pouvait traiter avec le MAINC ni soumettre des propositions au MAINC;
e. n’exerçait pas ses responsabilités en toute indépendance;
f. ne pouvait prendre de décisions sans consulter le directeur général ou le conseil de bande.
[58] La présente affaire a ceci d’étrange que, la demanderesse ayant convenu que l’arbitre avait compétence, il n’a pas été établi à l’étape de l’arbitrage que la défenderesse était exclue à titre de directrice. La demanderesse est revenue par la suite sur l’entente intervenue devant l’arbitre et a en fait soumis de novo à la Cour la question de la compétence, mais cela ne change rien au fait que « le fardeau de la preuve établissant qu’un employé est un directeur au sens du paragraphe 167(3) du Code repose sur la partie qui fait cette affirmation […] ». Cette partie en l’espèce est la demanderesse. N’ayant pas produit aucune preuve fiable émanant de ses propres cadres, membres de la direction ou employés, la demanderesse a tenté de s’acquitter de son fardeau en s’appuyant l’affidavit de la défenderesse, sur son contre‑interrogatoire de la défenderesse et sur la décision de l’arbitre. Sans surprise, selon moi, la demanderesse ne s’est pas acquittée du fardeau lui incombant de prouver que la défenderesse est une directrice. La preuve prépondérante qui m’a été soumise donne plutôt à penser le contraire.
[59] En d’autres termes, l’examen de la preuve me conduit à conclure que la thèse de la demanderesse, voulant que défenderesse ait été habilitée à accomplir des actions de façon indépendante et autonome, et investie de pouvoirs discrétionnaires, ne reflète pas le rôle joué par la défenderesse ni le système au sein duquel elle devait agir. Je suis d’avis que la description donnée par la défenderesse, particulièrement les éléments suivants, se rapproche davantage de la réalité :
[traduction]
Service du développement social
Lorsqu’on a confié le poste de directrice du développement social à la défenderesse, on lui a remis un cartable d’une épaisseur de cinq pouces sur les politiques applicables, appelé le « Manuel des politiques et procédures pour les programmes de développement social des Premières Nations » (le manuel).
Le manuel était un document exhaustif qui visait pratiquement toutes les situations auxquelles le service était susceptible de rencontrer en ce qui concerne les questions d’admissibilité et les critères de financement.
La défenderesse avait reçu instruction du directeur général de suivre à la lettre les prescriptions du manuel.
Le directeur général avait en outre donné instruction à la défenderesse, si une situation non abordée dans le manuel devait se présenter, de demander conseil à la Société de développement social autochtone pour toute question concernant l’admissibilité.
La défenderesse n’avait pas le pouvoir de prendre de son propre chef des décisions en matière d’admissibilité; toutes les décisions devaient se prendre en fonction des critères énoncés dans le manuel, ou conformément aux directives et conseils donnés par la Société.
Le directeur général a lui‑même donné instruction à la défenderesse de ne pas communiquer avec le principal bailleur de fonds du service du développement social, soit le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (le MAINC).
Le directeur général a aussi lui‑même donné instruction à la défenderesse de le consulter avant de mettre en œuvre quelle décision que ce soit.
Budgets et chèques
La défenderesse n’avait pas le pouvoir d’établir un budget.
Le service des finances de la NLB établissait le budget de chacun des services.
Une fois un budget établi par le service des finances, il était remis au service pour qu’il vérifie si tous les programmes applicables avaient été pris en compte.
La défenderesse n’avait aucunement le pouvoir de modifier le budget, et son propre budget a été modifié unilatéralement plus d’une fois par le chef et le conseil de la NLB, sans qu’elle soit consultée ou qu’on obtienne son autorisation.
La défenderesse n’avait pas le pouvoir d’émettre ou de signer des chèques. Si un chèque était requis, la défenderesse devait remplir un formulaire de demande de chèque, puis transmettre ce formulaire pour approbation au directeur général. Si ce dernier approuvait la demande, un dirigeant de la NLB signait ensuite le chèque.
Pendant toute la durée de son emploi au sein du service du développement social, la défenderesse n’a émis ni signé aucun chèque au nom de la NLB.
Rapports et approbation des projets et contrats
La défenderesse n’était pas autorisée à négocier des contrats ou à discuter de ceux‑ci avec les organismes gouvernementaux, ni à signer les rapports destinés à ces organismes.
La défenderesse pouvait de proposer, mais non pas approuver, des projets.
Les contrats du service du développement social devaient tous être approuvés par le directeur général ou une personne d’un niveau supérieur au sien.
Durant toute la durée de son emploi dans le service du développement social, la défenderesse n’a jamais approuvé un seul projet ni signé le moindre contrat avec quelque autorité financière que ce soit.
Embauche – employés à temps plein et permanents
La défenderesse n’avait pas le pouvoir d’embaucher des employés à temps plein ou permanents.
Au cours de son emploi, la défenderesse n’a embauché aucun employé à temps plein ou permanent.
Au cours de son emploi, la défenderesse n’a pas signé un seul contrat de travail visant un employé à temps plein ou permanent, sinon son propre contrat de travail.
Embauche – employés nommés à court terme
Le service du développement social avait le pouvoir de pourvoir à des postes à court terme.
La NLB exigeait que les bénéficiaires d’aide sociale soient disponibles pour travailler. Le service du développement social a dressé une liste de ces bénéficiaires disponibles avant l’arrivée de la défenderesse dans le service. Celle‑ci a tenu cette liste à jour pendant qu’elle a occupé son poste dans le service.
Du travail à court terme devait à l’occasion être accompli, pendant quelques heures ou quelques jours. Dans ces cas, les employés du service, y compris la défenderesse, offraient ce travail à un membre de la NLB inscrit sur la liste des bénéficiaires d’aide sociale.
Travail lié à un projet – le Projet de la nourriture traditionnelle
À une occasion, du travail à court terme a été requis pour un projet touchant le service, soit le projet de la nourriture traditionnelle. Le MAINC a financé ce projet.
Deux employées du service du développement social, la défenderesse et Mary West, ont proposé de ce projet. La proposition a été soumise pour approbation au directeur général et au service des finances. Elle a ensuite été soumise au MAINC, qui a veillé à son financement.
Les employés du service, y compris la défenderesse, ont assuré la coordination du projet et offert le travail à court terme qu’il générait à des membres qualifiés de la NLB.
Pouvoir de prendre des mesures disciplinaires et de congédier
La défenderesse n’avait pas le pouvoir de congédier les employés permanents qui relevaient sous sa responsabilité.
La défenderesse n’a congédié aucun employé au cours de son emploi.
La défenderesse n’avait pas le pouvoir d’imposer des sanctions disciplinaires envers les employés sous sa responsabilité.
À une occasion, la défenderesse a renvoyé à la maison un employé qui était ivre au travail. Le directeur général a plus tard demandé à rencontrer la défenderesse, pour l’interroger et lui demander d’expliquer sa décision. La défenderesse a eu la conviction au sortir de la rencontre que le directeur général estimait, manifestement, qu’elle n’avait pas le pouvoir d’imposer des mesures disciplinaires aux employés.
La demanderesse a soutenu qu’à une autre occasion la défenderesse aurait, à titre de mesure disciplinaire, adressé un avertissement verbal à un employé. La défenderesse n’a aucun souvenir de cet incident, et la demanderesse n’a fourni aucun document ni aucun détail concernant les circonstances qui auraient entouré cet incident, ou le moment et le lieu où il se serait produit.
Promotions
La défenderesse avait le pouvoir de coordonner le travail au sein du service et de muter des employés à des postes d’un même échelon dans le service du développement social.
La défenderesse ne pouvait pas accorder de l’avancement aux employés.
Au cours de son emploi, la défenderesse n’a accordé aucune promotion.
Salaires et augmentations
La défenderesse n’avait pas le pouvoir de fixer les salaires et les augmentations salariales des employés.
Les salaires de tous les employés à temps plein étaient prévus au budget, et ils avaient été fixés avant la nomination de la défenderesse comme directrice du développement social.
La défenderesse n’a établi le salaire d’aucun employé à temps plein.
Les salaires de tous les employés nommés à court terme étaient énoncés dans le budget et dans la description du projet.
La défenderesse n’a en aucun temps établi la rémunération des employés nommés à court terme.
Toutes les augmentations devaient être approuvées par le directeur général. Une seule fois en cours d’emploi, la défenderesse a accordé une augmentation, approuvée au préalable par le directeur général, aux trois employés à plein temps du service du développement social.
Horaires de travail
La défenderesse n’avait pas le pouvoir de fixer les horaires de travail. Pendant qu’elle était au service du développement social, la défenderesse n’a jamais établi les horaires de travail des employés.
La défenderesse n’avait pas le pouvoir d’autoriser les heures supplémentaires. C’est le directeur général qui, pendant que la défenderesse travaillait au service de développement social, a autorisé toutes les heures supplémentaires accomplies par celle‑ci et par les employés de son service.
Calendriers de vacances
La défenderesse n’avait pas le pouvoir d’approuver les calendriers de vacances. Au cours de l’emploi de la défenderesse au service du développement social, toutes les demandes de vacances des employés du service étaient transmises au directeur général pour approbation.
[60] Je conclus que la demanderesse n’a pas démontré que la défenderesse était investie d’un pouvoir décisionnel indépendant, d’un pouvoir d’embauche et de congédiement, ou d’un pouvoir de prendre des décisions d’importance, de nature à faire d’elle une directrice. Je conclus, par conséquent, que l’arbitre avait compétence pour instruire la plainte de la défenderesse et pour accorder les mesures de réparation qui ont été les siennes.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE :
1. La décision de l’arbitre Coleman est maintenue.
2. L’appel de la demanderesse est rejeté, les dépens étant adjugés à la défenderesse.
« James Russell »
Juge
Traduction certifiée conforme
Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T‑494‑11
INTITULÉ : LA NATION DE LAKE BABINE
‑ et ‑
NANCY WILLIAMS
LIEUR DE L’AUDIENCE : Vancouver (Colombie‑Britannique)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 17 juillet 2012
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT: LE JUGE RUSSELL
DATE DES MOTIFS : Le 17 septembre 2012
COMPARUTIONS :
Scott A. McCann
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POUR LA DEMANDERESSE
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Michael Schuster
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POUR LA DÉFENDERESSE
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Harris & Company LLP Vancouver (C.‑B.)
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POUR LA DEMANDERESSE
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Giddings & Company Avocats et notaires publics Smithers (C.‑B.)
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POUR LA DÉFENDERESSE
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