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Date : 20120911

Dossier : T‑1678‑11

Référence : 2012 CF 1073

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 septembre 2012

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

CHEF WILBUR DEDAM, IRENE DEDAM,
RONALD SOMERVILLE et
JASON BARNABY

 

demandeurs

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur les articles 18, 18.1 et 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, et visant la décision du 14 septembre 2011 par laquelle l’honorable John Duncan, ministre des Affaires autochtones et du Développement du Nord Canada (le ministre), a destitué les demandeurs, Wilbur Dedam, Irene Dedam, Ronald Somerville et Jason Barnaby, des postes de chef et de conseillers de bande de la Première nation Esgenoopetitj auxquels ils avaient été élus, en vertu du sous‑alinéa 78(2)b)(iii) de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I‑5. La décision du ministre reposait sur la conclusion que les demandeurs s’étaient livrés à des manœuvres frauduleuses durant l’élection générale qui s’est tenue le 25 mai 2010 dans la Première nation Esgenoopetitj, ou qu’ils y étaient liés d’assez près.

 

[2]               Les demandeurs sollicitent une ordonnance annulant la décision du ministre et rétablissant Wilbur Dedam dans son poste de chef, et Irene Dedam, Ronald Somerville et Jason Barnaby dans ceux de conseillers de bande de la Première nation Esgenoopetitj.

 

[3]               Les demandeurs demandent subsidiairement une déclaration portant que la décision du ministre est invalide, ainsi qu’une ordonnance provisoire fondée sur l’article 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales, rétablissant Wilbur Dedam dans son poste de chef, et Irene Dedam, Ronald Somerville et Jason Barnaby dans ceux de conseillers de bande de la Première nation Esgenoopetitj, en attendant l’issue finale de la présente demande.

 

[4]               Enfin, les demandeurs sollicitent une ordonnance portant que la présente requête soit instruite de manière accélérée conformément au paragraphe 385(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, ainsi que les dépens afférents à l’instance.

 

Le contexte

 

[5]               Le 25 mai 2010, les demandeurs ont remporté l’élection générale qui s’est tenue dans la Première nation Esgenoopetitj (Burnt Church). Le demandeur Wilbur Dedam a été élu au poste de chef et les demandeurs, Irene Dedam, Ronald Somerville et Jason Barnaby, aux postes de conseillers de bande. Ils sont entrés en fonction le 19 juin 2010 et devaient le demeurer jusqu’au 18 juin 2012 ou vers cette date.

 

[6]               Le 29 juin 2010, Curtis Bartibogue a interjeté appel auprès du sous‑ministre adjoint en application de l’alinéa 12(1)a) du Règlement sur les élections au sein des bandes d’Indiens, CRC c 952 (le Règlement). Curtis Bartibogue est un candidat défait au poste de chef de la Première nation Esgenoopetitj lors de l’élection de mai 2010.

 

[7]               Après avoir été saisi de l’appel de Curtis Bartibogue, le ministre a, en vertu de l’article 13 du Règlement, désigné M. Jacob Hes pour qu’il enquête sur les allégations de manœuvres frauduleuses soulevées par M. Bartibogue. M. Hes a été membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) pendant plus de trente‑cinq années et a déjà enquêté dans le cadre d’appels en matière électorale concernant les Premières nations; ses services ont été retenus le 5 mars 2011. Il a été chargé d’enquêter sur les allégations soulevées dans l’appel relatif à l’élection et de faire rapport de ses conclusions avant le 31 mars 2011.

 

[8]               Le 16 mars 2011, M. Hes s’est rendu au bureau du conseil de bande de la Première nation Esgenoopetitj pour informer le chef et l’administrateur de la bande du mandat qui lui avait été confié. Comme le chef Wilbur Dedam n’était pas libre à ce moment, il a rencontré la première dirigeante, Ashley Dedam, le contrôleur de la bande, Alex Dedam, et le directeur de l’éducation, Simon Dedam. M. Hes a laissé ses coordonnées à l’intention des demandeurs.

 

[9]               Par la suite, les quatre demandeurs ont rencontré M. Hes ensemble et/ou séparément, et ont fait des déclarations au sujet des allégations concernant l’appel relatif à l’élection. M. Hes a également interrogé d’autres membres et fonctionnaires de la bande et a obtenu des déclarations écrites de certains d’entre eux. Le 21 mars 2011, M. Hes a rencontré des membres de la Section des infractions commerciales de la GRC à Fredericton (le bureau local de la GRC) pour discuter de l’enquête criminelle portant sur l’élection de 2010 dans la Première nation Esgenoopetitj.

 

[10]           M. Hes a rassemblé ses conclusions et recommandations dans un rapport daté du 23 mars 2011 (le rapport Hes).

 

Le rapport Hes

 

[11]           Dans son rapport, M. Hes a examiné deux des motifs soulevés dans l’appel relatif à l’élection, à savoir : les électeurs Patrick Leon Somerville et Sylvia Arlene Martin auraient reçu, le 8 mai 2010, de l’argent d’au moins un demandeur en échange de leur vote. Selon le premier motif, Patrick Leon Somerville aurait reçu 260 $ des demandeurs Jason Barnaby, Wilbur Dedam et Irene Dedam contre son vote. Suivant le deuxième, Sylvia Arlene Martin aurait reçu de l’argent du demandeur Jason Barnaby, elle aussi en échange de son vote. Cette dernière transaction aurait été enregistrée sur un DVD déposé par Curtis Bartibogue dans le cadre de son appel relatif à l’élection.

 

[12]           Le 8 mai 2010, Doris Abrams avait convié chez elle plusieurs parents et invités pour un souper de homard. Mme Abrams est la tante de Jason Barnaby. C’est lui qui a apporté les homards. D’après les affidavits des demandeurs, on peut considérer les homards ainsi offerts soit comme un cadeau traditionnel à partager entre proches et amis, soit comme un cadeau personnel à Mme Abrams pour la fête des Mères, soit encore comme un geste de reconnaissance pour le soutien électoral constant de sa famille.

 

[13]           À l’appui du premier motif touchant le prétendu achat du vote de Patrick Leon Somerville, M. Hes cite le témoignage de ce dernier voulant que Jason Barnaby lui ait dit pour qui voter et lui ait remis 260 $ contre son vote. Patrick Leon Somerville a prétendu qu’il avait reçu plus de 300 $ lors des quatre élections précédentes en échange de son vote. M. Hes renvoie également au témoignage du fonctionnaire électoral, Kevin Brian Dorey, selon qui des paquets de bulletins postaux destinés à six membres non‑résidents de la bande ont été envoyés à l’adresse postale de Doris Abrams, et que les déclarations d’identité remplies par les membres de la famille de Doris Abrams ont toutes été attestées par l’une des trois personnes.

 

[14]           Quant à la preuve contredisant ce premier motif, M. Hes rapporte les témoignages de Mary Ann Somerville, de Doris Abrams et de l’ensemble des demandeurs, qui affirment que des conversations ont eu lieu chez Doris Abrams au sujet des élections prochaines du chef et du conseil, que certains électeurs ont reçu de l’aide pour remplir leurs bulletins, mais qu’aucune somme d’argent ne leur a été versée en échange de leur vote.

 

[15]           Wilbur et Irene Dedam ont déclaré que Sylvia Arlene Martin avait exigé 500 $ en échange de son vote, alors qu’elle était au téléphone avec sa mère, Doris. Wilbur a toutefois répondu qu’il n’était pas nécessaire qu’elle vote en l’occurrence, et que c’était la deuxième fois qu’elle demandait de l’argent en échange de son vote. Mme Abrams a expliqué qu’elle s’était arrangée pour que les demandeurs viennent lui rendre visite de manière à ce que ses enfants n’aient pas à se rendre à Burnt Church pour voir le chef. D’après elle, l’appel vise uniquement à obtenir des allocations.

 

[16]           Compte tenu de cette preuve, M. Hes est parvenu à la conclusion suivante à l’égard du premier motif :

[traduction] Il ressort clairement des interrogatoires et des déclarations qu’il ne s’agissait pas tant de faire campagne pour l’élection, mais de remplir les bulletins et les déclarations d’identité.

 

 

[17]           Pour ce qui est du second motif concernant le prétendu achat du vote de Sylvia Arlene Martin, M. Hes cite la déclaration de cette dernière voulant que sa mère l’ait appelée le soir du 8 mai 2010 pour lui dire que Jason Barnaby et sa sœur iraient la chercher. Lorsqu’elle est arrivée chez sa mère, Jason lui a remis le bulletin postal sur lequel elle a coché le nom de Curtis Bartibogue. Voyant cela, Jason s’est exclamé [traduction] « Non, non, non », a effacé la marque et a coché à la place le nom de Wilbur Dedam. Sylvia Arlene Martin a expliqué qu’elle ne pouvait pas voir, et Jason a rempli le reste du bulletin, lui a remis de l’argent et l’a reconduite chez elle. Elle a déclaré qu’elle avait fait filmer le tout par son fils à l’aide d’un stylo‑caméra, et aussi qu’elle avait été payée pour son vote lors des sept dernières élections.

 

[18]           Jason Barnaby a indiqué en revanche qu’il avait aidé Sylvia Arlene Martin, à sa demande, à remplir son bulletin en respectant les indications qu’elle lui avait données au préalable. Un peu plus tard, lorsqu’elle lui a confié qu’elle était [traduction] « en mal de rhum », il lui a donné de l’argent. M. Hes rapporte la déclaration de Doris Abrams selon laquelle sa fille, Sylvia Arlene Martin, ne voulait plus être mêlée à cette affaire. Il cite également les renseignements que lui ont transmis les agents du bureau local de la GRC qui ont pris part aux enquêtes criminelles connexes. Ces derniers l’ont informé que Sylvia Arlene Martin avait rencontré un agent de police le 8 juillet 2010, qu’elle lui avait décrit sa rencontre avec Jason Barnaby et lui avait remis les 260 $ que celui‑ci lui aurait donnés. M. Hes fait cette remarque :

[traduction] Lorsque j’ai rencontré Arlene chez elle, il était évident que ses ressources financières étaient très limitées, et remettre les 260 $ à titre de preuve plutôt que de les garder pour elle représentait un grand sacrifice financier.

 

 

[19]           À propos de l’achat de votes, M. Hes a noté ce qui suit :

[traduction] Il m’est apparu assez clairement, en parlant à différents témoins et membres de la collectivité, que l’achat de voix est une pratique acceptée ayant cours depuis de nombreuses élections du chef et du conseil de la Première nation Esgenoopetitj. Le chef Wilbur Dedam, Irene Dedam, Mary Ann Somerville, Ronald Somerville et Jason Barnaby reconnaissent volontiers qu’ils se sont rendus chez des membres non‑résidents de la bande pour faire campagne, alors qu’en réalité il s’agissait d’obtenir leurs voix.

 

 

[20]           M. Hes a également tiré des conclusions défavorables des éléments suivants : la déclaration écrite de Wilbur Dedam dans laquelle celui‑ci ne semblait pas s’émouvoir du fait que Sylvia Arlene Martin lui ait demandé 500 $ en échange de son vote; le DVD, tel qu’il a été traduit par Arthur Bartibogue; et la déclaration de Jeff Narvey qui l’a contacté ensuite pour lui signaler qu’il avait vu son fils recevoir 200 $ des mains de Jason Barnaby, le 20 mai 2010.

 

[21]           Après que M. Hes eut déposé son rapport, des copies ont été distribuées à tous les candidats. Leurs réponses étaient initialement attendues dans les deux semaines. Ce délai a ensuite été prorogé, et les réponses ont été acceptées aussi tard que le 14 juin 2011.

 

Le rapport sur l’appel relatif à l’élection

 

[22]           Le 12 août 2011, Nathalie Nepton, directrice, Administration des bandes pour Affaires indiennes et du Nord Canada (AINC), a terminé le Rapport sur l’appel relatif à l’élection de la Première nation Esgenoopetitj (le rapport sur l’appel relatif à l’élection). D’après ce document, seuls les deux motifs d’appel examinés dans le rapport Hes étaient pertinents; les trois autres ont été rejetés pour différentes raisons, y compris le manque d’information.

 

[23]           Le rapport sur l’appel relatif à l’élection indique que Wilbur Dedam est le seul demandeur à avoir déposé un affidavit en réponse au rapport Hes. Il n’a toutefois contesté aucun des faits sur lesquels reposent les conclusions et recommandations du rapport Hes, pas plus qu’il n’a présenté de nouveaux éléments de preuve.

 

[24]           S’agissant du premier motif, le rapport sur l’appel relatif à l’élection indique que même s’il n’avait pas été établi que les demandeurs avaient donné 260 $ à Patrick Leon Somerville en échange de son vote, les événements du 8 mai 2010 appuient l’allégation voulant que des manœuvres frauduleuses aient eu lieu. Les électeurs ont eu droit à du homard en échange de leur voix, mais non à l’intimité nécessaire pour remplir leur bulletin en secret. Il était donc raisonnable de conclure que, dans ces circonstances, ils ont subi une pression énorme pour voter en faveur des candidats présents chez les Abrams le 8 mai 2010.

 

[25]           Pour ce qui est du second motif, le rapport sur l’appel relatif à l’élection indique que la vidéo de la transaction qui aurait eu lieu entre Sylvia Arlene Martin et Jason Barnaby n’était pas fiable pour les raisons suivantes : la piètre qualité de la piste sonore, une traduction sujette à caution, et le montage apparent du contenu. Le rapport sur l’appel relatif à l’élection conclut toutefois :

[traduction] Quels qu’aient été le but recherché et le montant versé, le fait qu’un candidat remplisse le bulletin d’une électrice, surtout si elle est en état d’ébriété et n’est pas forcément en mesure de vérifier que le bulletin reflète ses véritables intentions, et qu’il lui offre ensuite de l’argent ou des biens en retour, constitue une manœuvre corruptrice. Arlene Martin s’est vu refuser le droit de voter en secret, et Jason Dean Barnaby l’a payée en échange de son vote.

 

 

[26]           Se fondant sur cette analyse, la Direction de l’administration des bandes de l’AINC a recommandé au ministre de destituer les demandeurs en vertu du pouvoir que lui confère le sous‑alinéa 78(2)b)(iii) de la Loi sur les Indiens. Cette recommandation reposait sur le fait que les demandeurs étaient liés à des manœuvres électorales frauduleuses, ayant pris part à l’échange de homard contre les votes inscrits sur les bulletins postaux qui a eu lieu le 8 mai 2010 chez Doris Abrams.

 

[27]           Le rapport sur l’appel relatif à l’élection recommandait que les demandeurs Wilbur Dedam, Irene Dedam et Ronald Somerville soient déclarés inéligibles aux postes de chef et de conseiller de la Première nation Esgenoopetitj pendant deux ans, puisqu’il s’agissait de leur première condamnation pour manœuvres frauduleuses et que la valeur des biens en jeu était faible. Le rapport recommandait aussi que le demandeur Jason Barnaby soit déclaré inéligible aux postes de chef et de conseiller de la Première nation Esgenoopetitj pendant quatre ans, étant donné qu’il était lié à deux incidents d’achat de voix et que le montant d’argent ou la valeur des biens en jeu étaient faibles.

 

La décision du ministre

 

[28]           Après avoir examiné le rapport Hes et le rapport sur l’appel relatif à l’élection, le ministre a lui‑même fait rapport au gouverneur en conseil, conformément au paragraphe 14(1) du Règlement. Le 14 septembre 2011, le ministre déclarait les quatre demandeurs inhabiles à être candidat aux postes de chef et de conseiller de la Première nation Esgenoopetitj. Ces déclarations reposaient sur des éléments de preuve suffisamment solides pour établir que des manœuvres frauduleuses avaient eu lieu lors de l’élection du 25 mai 2010 et que les demandeurs y avaient pris part. Wilbur Dedam, Irene Dedam et Ronald Somerville ont été déclarés inhabiles à se porter candidat aux élections de la Première nation Esgenoopetitj pendant deux ans, alors que Jason Barnaby a été déclaré inéligible pour une période de quatre ans.

 

[29]           Les demandeurs ont reçu notification de la décision du ministre par lettre datée du 16 septembre 2011.

 

Les questions en litige

 

[30]           Les demandeurs soumettent les points litigieux suivants :

1.         Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision du ministre du 14 septembre 2010?

2.         La tenue d’une enquête criminelle parallèle par la Section des infractions commerciales de la GRC portait‑elle atteinte aux droits des demandeurs à l’équité procédurale et/ou à la justice naturelle?

3.         La preuve dont disposait le ministre était‑elle suffisante pour destituer les demandeurs de leurs postes ?

4.         L’imposition par ordonnance du ministre d’une période d’inéligibilité était‑elle raisonnable dans les circonstances?

 

[31]           Je reformulerais ainsi les questions en litige :

1.         Quelle est la norme de contrôle?

2.         Y a‑t‑il eu violation de l’équité procédurale et/ou de la justice naturelle?

3.         La preuve dont disposait le ministre était‑elle suffisante pour justifier sa décision?

4.         La décision du ministre de déclarer les demandeurs inhabiles à se porter candidat pour une période déterminée était‑elle raisonnable?

 

Les observations écrites des demandeurs

 

[32]           Les demandeurs soulèvent trois arguments principaux en l’espèce :

1.         La décision de confier à M. Hes le mandat de faire enquête alors qu’une enquête criminelle de la GRC était en cours contrevient à l’équité procédurale et/ou à la justice naturelle;

2.         La preuve était insuffisante pour autoriser la destitution des demandeurs;

3.         La décision du ministre de déclarer les demandeurs inhabiles à se porter candidat pour une période déterminée était déraisonnable.

 

[33]           Les demandeurs font valoir que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.

 

[34]           Pour ce qui est du premier argument, les demandeurs font observer que tout au long du mandat de M. Hes, le bureau local de la GRC faisait enquête sur la preuve vidéo obtenue par Curtis Bartibogue où, apparemment, on pouvait voir Jason Barnaby en train de remettre de l’argent à Sylvia Arlene Martin. Les demandeurs soutiennent qu’en raison de cette enquête criminelle parallèle, leur avocat leur a conseillé d’éviter d’aborder la question de l’échange d’argent contre des votes qui aurait eu lieu chez Doris Abrams, car le bureau local de la GRC pourrait recevoir des renseignements qui l’amèneraient à porter des accusations criminelles contre eux. Les demandeurs n’avaient donc pas la liberté de s’exprimer pleinement et franchement devant M. Hes.

 

[35]           Les demandeurs font valoir que le ministre a contrevenu à un principe fondamental de justice naturelle en ordonnant l’enquête de M. Hes alors qu’une enquête criminelle était en cours, puisqu’il leur était impossible de fournir des déclarations exhaustives et franches à M. Hes sans craindre de s’exposer à des poursuites criminelles.

 

[36]           Les demandeurs font également remarquer que M. Hes n’a jamais indiqué que les renseignements recueillis dans le cadre de son enquête pourraient être utilisés contre eux en cas de poursuite criminelle. Or, il appert d’une pièce jointe à son rapport que M. Hes communiquait avec des membres du bureau local de la GRC.

 

[37]           S’agissant de leur deuxième argument, les demandeurs font valoir que ni la Loi sur les Indiens ni le Règlement ne définissent les manœuvres frauduleuses, mais que, dans Wilson c Ross, 2008 CF 1173, [2008] ACF no 1456, la Cour a expliqué qu’il fallait tenir compte dans ce genre de décision du mobile ou de l’intention qui sous‑tend la conduite reprochée et se demander si celle‑ci visait à influencer irrégulièrement le résultat d’une élection.

 

[38]           Les demandeurs prétendent que le rapport Hes contenait plusieurs erreurs factuelles et que certains faits importants y mentionnés exigeaient des précisions et pouvaient avoir influencé la décision du ministre. En voici des exemples : Mary Ann Somerville est désignée à tort comme une conseillère de bande (Mary Ann est l’épouse du demandeur Ronald Somerville); Emile Vienneau et Doris Abrams sont incorrectement désignés comme étant des électeurs de la Première nation Esgenoopetitj; sept des neuf personnes ayant signé une déclaration ne corroborent pas les allégations de l’appel relatif à l’élection, quoique les conclusions de deux d’entre elles soient incluses dans la première allégation du rapport Hes.

 

[39]           Les demandeurs soutiennent par ailleurs que le rapport Hes manque de crédibilité et qu’il trahit une extrême partialité à leur endroit. Ils font valoir que M. Hes n’a obtenu aucune déclaration secondaire de la part de Curtis Bartibogue parce qu’il estimait qu’un tel élément de preuve ne relevait pas de son enquête. Ils prétendent également que les conclusions du rapport Hes concernant l’achat de voix ou les pratiques électorales frauduleuses s’appuient sur des sources d’information peu fiables. Ils attirent ici l’attention sur la déclaration de Patrick Leon Somerville selon laquelle celui‑ci a reçu de l’argent en échange de son vote. L’intéressé n’a pas affirmé que cet argent lui avait été remis par l’un des demandeurs, mais plutôt par [traduction] « une dame » qu’il n’a pu ni identifier ni nommer.

 

[40]           Pour ces motifs, les demandeurs soutiennent que le rapport Hes n’est pas digne de foi, qu’il est truffé de déclarations inexactes et de renseignements insuffisants, et que la preuve documentaire permettant d’appuyer ses conclusions est maigre. Ils prétendent donc que M. Hes a présenté son rapport au ministre de manière arbitraire et sans tenir compte de tous les documents dont il disposait.

 

[41]           De plus, les demandeurs font valoir que la preuve était insuffisante pour établir qu’un achat de voix avait eu lieu. Ils renvoient au rapport sur l’appel relatif à l’élection et font valoir que seuls deux des cinq motifs de manœuvres frauduleuses soulevés dans l’appel ont été confirmés sur la foi des recommandations du rapport Hes.

 

[42]           Le premier motif d’appel concernait le prétendu paiement reçu par Patrick Leon Somerville en échange de son vote. Les demandeurs soutiennent toutefois que ce motif ne satisfait pas à la norme de preuve requise pour leur destitution. Ils signalent que Patrick Leon Somerville n’a été en mesure d’identifier ni la personne qui l’a invité chez les Abrams, ni celle qui est allée le chercher pour l’y amener, ni celle qui l’aurait payé en échange de son vote. Les demandeurs font également observer que, suivant le rapport sur l’appel relatif à l’élection, le souper de homard chez les Abrams est une preuve que des cadeaux ont été remis à ceux qui ont voté. Cependant, cette question n’a pas été soulevée dans l’appel relatif à l’élection ou dans le rapport Hes. La conclusion selon laquelle cette activité pré‑électorale justifiait la destitution des demandeurs n’était donc pas très convaincante.

 

[43]           Le second motif d’appel concernait le paiement qu’aurait reçu Sylvia Arlene Martin en échange de son vote. Les demandeurs font valoir que Jason Barnaby a reconnu avoir offert à Sylvia Arlene Martin de l’argent pour qu’elle puisse acheter de l’alcool. Cependant, Jason jure qu’il ne lui a donné que 30 $ et non 260 $, et maintient par ailleurs que cette pratique est courante et existe depuis longtemps dans sa collectivité. Les demandeurs font valoir que rien ne permet de lier Wilbur Dedam, Irene Dedam ou Ronald Somerville à cette prétendue manœuvre frauduleuse.

 

[44]           Quant à leur troisième argument, les demandeurs soutiennent que la période d’inéligibilité imposée était déraisonnable compte tenu des déclarations contradictoires, du manque de témoins crédibles et de la preuve tenue sur laquelle le ministre a appuyé sa décision. Ils font valoir que les décideurs doivent être conscients des répercussions de leurs décisions sur la vie des personnes concernées, et que plus ces répercussions sont importantes, plus les garanties procédurales doivent être strictes. Le ministre a eu tort de reconnaître que le fait pour Jason Barnaby d’avoir apporté du homard chez les Abrams constituait une manœuvre frauduleuse. Le homard n’était pas réservé à un groupe présélectionné de personnes présentes, mais était plutôt destiné à tous les parents et invités qui se trouvaient chez les Abrams. Par ailleurs, rien n’indique que les autres demandeurs aient contribué à offrir le homard.

 

[45]           Les demandeurs affirment que leur destitution leur a causé, à eux et à leur famille, des difficultés financières immédiates. Comme ils sont des politiciens de carrière ayant déjà été élus à des postes de fonctionnaires dans leur collectivité, ils tirent leur subsistance de la vie politique. La décision de les destituer de leurs postes appelle la norme la plus élevée d’équité procédurale, d’où l’application d’une norme de preuve élevée exigeant d’établir qu’ils sont liés de façon importante aux manœuvres électorales frauduleuses. Les demandeurs font valoir que la preuve sur laquelle le ministre s’est fondé est insuffisante, s’agissant de simples conjectures et suppositions.

 

Les observations écrites du défendeur

 

[46]           Le défendeur aborde dans un premier temps la norme de contrôle applicable à la décision prise par le ministre sous le régime du sous‑alinéa 78(2)b)(iii) et du paragraphe 78(3) de la Loi sur les Indiens. Appliquant les directives de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, le défendeur fait valoir que ces dispositions ne prévoient aucune clause privative. Il soutient en outre que la Cour a établi que la norme de contrôle applicable aux décisions concernant un achat allégué de voix est celle de la raisonnabilité, et que la décision du ministre est donc assujettie à cette norme. Cependant, il reconnaît que la norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte.

 

[47]           Le défendeur s’attarde ensuite à la norme de preuve applicable à la décision du ministre fondée sur le sous‑alinéa 78(2)b)(iii) et le paragraphe 78(3) de la Loi sur les Indiens. Il prétend que la norme de preuve à laquelle le ministre doit satisfaire pour établir l’existence de pratiques frauduleuses est beaucoup moins élevée que celle qui se rapporte aux affaires civiles ou criminelles. En l’espèce, le défendeur affirme que l’apparence de manœuvres frauduleuses était étayée par une preuve spécifique contenue dans le rapport Hes, et notamment par une preuve indirecte. Il soutient en outre que d’attendre l’issue de l’enquête criminelle parallèle reviendrait à ignorer les différentes normes de preuve s’appliquant aux deux enquêtes.

 

[48]           En réponse à l’observation des demandeurs selon laquelle la conduite contestée doit avoir pour but d’influer irrégulièrement sur l’issue de l’élection, le défendeur fait valoir que la preuve indique clairement que : des biens et de l’argent ont été offerts pour s’assurer des votes; les votes ont été obtenus irrégulièrement, les bulletins n’ayant pas été remplis en secret; et les votes ont été recueillis et soumis irrégulièrement. Le défendeur rappelle qu’un seul vote acquis irrégulièrement peut jouer sur l’issue d’une élection. Il soutient qu’en l’espèce la preuve et les circonstances prises en compte par le ministre répondaient à la norme de preuve requise pour établir l’apparence de manœuvres frauduleuses.

 

[49]           Le défendeur fait en outre observer que les demandeurs ont reçu tous les documents dont disposait le ministre et qu’une possibilité raisonnable de présenter une réponse leur a été offerte. Il ajoute que la décision du ministre était une issue raisonnable de ce processus administratif.

 

[50]           Le défendeur fait également valoir que le ministre n’a pas eu tort de déclarer les demandeurs inhabiles à se présenter aux futures élections. Il affirme qu’il ressort clairement de la preuve que tous les demandeurs avaient convenu d’apporter du homard chez Doris Abrams le 8 mai 2010. Il est aussi clairement établi que les bulletins ont été remplis au mépris du secret, que certains électeurs ont été aidés en ce sens et que de l’argent a été versé au même moment. Les demandeurs auraient dû empêcher que le vote ait lieu dans de telles circonstances, ou à tout le moins quitter l’assemblée. Le défendeur soutient que les sanctions sont adéquates attendu que les demandeurs étaient présents à la réunion chez les Abrams, et que la pénalité plus sévère infligée à Jason Barnaby était appropriée compte tenu de son rôle ultérieur au moment du vote de Sylvia Arlene Martin.

 

[51]           Le défendeur soutient par ailleurs que le ministre n’a pas mené son enquête de manière arbitraire ou avec une partialité extrême, et signale à cet égard que les faits allégués dans la demande des demandeurs ne laissent voir aucune intention déplacée, un esprit fermé, un conflit d’intérêts, un rapport passé avec les demandeurs, des décisions préétablies sur des questions à examiner durant l’enquête, ou tout autre problème pouvant légitiment soulever une crainte de partialité. Leur demande soulève plutôt des questions de suffisance de la preuve et de l’enquête. Ces questions sont sans rapport avec la partialité et ont déjà été abordées par le défendeur.

 

[52]           Quant à l’équité procédurale, le défendeur affirme que les demandeurs ont reçu tous les documents touchant l’appel relatif à l’élection contenant les allégations originales de manœuvres électorales frauduleuses; ont eu la possibilité de présenter des réponses écrites aux allégations formulées en appel; ont eu accès au rapport Hes et ont disposé d’un délai amplement suffisant pour y répondre; ont reçu des copies de tous les documents, à l’exception des documents confidentiels présentés au ministre. Le défendeur fait valoir que ce dernier ne disposait pas du dossier de l’enquête criminelle et que celui‑ci ne faisait donc pas partie du dossier de la présente instance. Le défendeur soutient donc que le processus administratif s’est déroulé de manière équitable.

 

[53]           Le défendeur aborde également la question de l’enquête criminelle menée simultanément par le bureau local de la GRC. Il affirme qu’en vertu du paragraphe 13(1) du Règlement, le ministre jouit d’un grand pouvoir discrétionnaire quant au choix des modalités de l’enquête. Il affirme que ce dernier doit tenir compte du droit des demandeurs et des appelants d’obtenir un règlement rapide et équitable. Il ajoute que le ministre n’a pas à attendre les résultats de l’enquête criminelle, soumise à des exigences et à une norme de preuve plus strictes, s’il peut conclure, à l’issue d’une enquête obéissant à une norme moins exigeante, qu’il y a apparence de manœuvres frauduleuses. Il fait donc valoir que le ministre n’a pas contrevenu à l’équité procédurale en ordonnant l’enquête de M. Hes avant que celle du bureau local de la GRC ne soit terminée. En fait, l’intérêt public à ce qu’une allégation d’élection irrégulière trouve une résolution rapide exigeait qu’il confie l’enquête à M. Hes au moment où il l’a fait.

 

[54]           Enfin, en ce qui concerne la liste des documents requis par les demandeurs dans leur demande, le défendeur signale que le ministre ne disposait pas d’un certain nombre d’entre eux lorsqu’il a rendu sa décision, et que dès lors il lui paraît inapproprié de les demander. S’appuyant sur la jurisprudence établie, le défendeur fait valoir que le dossier relatif à la présente demande de contrôle judiciaire doit se limiter aux éléments suivants :

1.         Les allégations formulées par les personnes qui interjettent l’appel;

2.         Les détails de ces allégations certifiés par affidavit;

3.         Les réponses écrites des candidats aux renseignements particuliers contenus dans l’appel;

4.         Tout document justificatif ayant trait aux réponses des candidats, dûment certifié par affidavit;

5.         Le rapport Hes et les documents y afférents.

 

[55]           Les documents compris dans le dossier d’enquête du bureau local de la GRC dont ne disposait pas le ministre ne devraient pas faire partie du dossier relatif à la présente demande.

 

[56]           En résumé, le défendeur soutient que le ministre s’est appuyé sur des éléments de preuve documentaire, de vive voix ou indirecte, suffisants pour conclure que les demandeurs ont agi de concert pour obtenir des votes en échange de biens et (ou) d’argent. La décision du ministre était raisonnable puisque la conduite des demandeurs appelait une sanction appropriée pour mettre fin à des manœuvres frauduleuses apparemment bien établies.

 

Analyse et décision

 

[57]           Question 1

            Quelle est la norme de contrôle?

            Lorsque la jurisprudence a établi la norme de contrôle applicable à une question donnée, la cour de révision peut l’adopter (voir Dunsmuir, précité, par. 57).

 

[58]           Il est bien établi en droit que les questions d’équité procédurale appellent la norme de la décision correcte (voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] ACS no 12, par. 43; Ross c Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2007 CF 499, [2007] ACF no 675, par. 22; et Muskego c Comité d’appel de la Nation crie de Norway House, 2011 CF 732, [2011] ACF no 963, par. 26). La même norme s’applique de façon générale à l’interprétation juridique de la notion de manœuvres électorales frauduleuses (voir Wilson, précité, par. 26 et 27). Lorsque la norme de la décision correcte s’applique, il n’y a pas lieu de faire preuve d’une grande déférence à l’égard de la décision du ministre (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 50).

 

[59]           Inversement, la question de savoir si la preuve permet de conclure à l’existence de manœuvres électorales frauduleuses en est une de fait et de droit, soumise à la norme de la raisonnabilité (voir Hudson c Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2007 CF 203, [2007] ACF no 266, par. 74). Lorsqu’elle examine la décision du ministre suivant cette norme, la Cour ne doit intervenir que si ce dernier est parvenu à une conclusion qui n’est pas transparente, justifiable et intelligible, et qui n’appartient pas aux issues acceptables au regard de la preuve dont elle dispose (voir Dunsmuir, par. 47, et Khosa, par. 59, précités). Il n’est pas loisible à la cour de révision d’y substituer la solution qui lui semble préférable, ni de soupeser à nouveau les éléments de preuve (voir l’arrêt Khosa, précité, par. 59 et 61).

 

[60]           Question 2

            Y a‑t‑il eu manquement à l’équité procédurale et (ou) à la justice naturelle?

            Le fait qu’une décision soit de nature administrative et qu’elle touche les droits, les privilèges ou les biens d’une personne suffit généralement à entraîner l’application de l’obligation d’équité (voir Ross, précité, par. 38). Cependant, le contenu de l’obligation d’équité est variable et est tributaire du contexte particulier de chaque cas.

 

[61]           Dans Ross, précité, le juge Pierre Blais a soupesé les facteurs permettant de déterminer le contenu de l’obligation d’équité, énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, [1999] ACS no 39, et a conclu que « les demandeurs avaient droit à un degré élevé d’équité procédurale, particulièrement à la lumière de l’objet de la décision du ministre et de son importance » (par. 57). Cependant, il a également estimé que le degré d’équité procédurale requis n’était pas le même qu’en matière quasi judiciaire (voir Ross, précité, par. 57).

 

[62]           Le juge Blais a expliqué que le ministre n’était pas tenu de donner avis qu’une enquête était ouverte, ni d’interroger les demandeurs dans le cadre de cette enquête (voir Ross, précité, par. 58). Il a toutefois estimé que l’obligation d’équité procédurale exigeait du ministre qu’il divulgue les résultats de l’enquête et permette aux demandeurs de répondre par des observations écrites dont il tiendrait compte dans sa décision finale (voir Ross, précité, par. 59 et 66; et Esquega c Canada (Procureur général), 2005 CF 1097, [2005] ACF no 1332, par. 25). S’il y avait eu manquement à l’obligation d’équité procédurale à l’étape de la décision du ministre sur les manœuvres électorales frauduleuses, tout ce qui en découlait directement, comme les déclarations ministérielles révoquant certaines personnes de leurs postes, serait aussi « vicié par cette erreur » (voir Ross, précité, par. 72).

 

[63]           En l’occurrence, les demandeurs ont été avisés de l’enquête dès le début du processus. Ils ont également eu la possibilité de parler avec M. Hes et de lui faire des déclarations. Une fois le rapport terminé, les demandeurs en ont reçu copie, des renseignements sur l’appel relatif à l’élection leur ont été transmis, et ils ont joui d’une prorogation de délai pour soumettre leurs commentaires en réponse. Les faits indiquent donc qu’ils ont bénéficié de plus grandes garanties procédurales que n’en impose la décision Ross, précitée.

 

[64]           Il n’en reste pas moins que la principale préoccupation des demandeurs concernant la violation de leurs droits en matière d’équité procédurale avait trait au mandat que le ministre avait confié à M. Hes alors qu’une enquête criminelle de la GRC était en cours. Le pouvoir du ministre d’enquêter sur un appel relatif à une élection est prévu à l’article 13 du Règlement.

 

[65]           Il existe une jurisprudence sur la question des enquêtes criminelles menées par la GRC sur des allégations de manœuvres électorales frauduleuses alors que le ministre était saisi d’un appel relatif à une élection. Dans Ross, précité, le ministre a d’ailleurs considéré que le rapport de la GRC était le seul rapport d’enquête requis par l’article 13 du Règlement (par. 10). Ayant examiné le libellé du paragraphe 13(1) du Règlement, le juge Blais a estimé que cette disposition accordait au ministre un large pouvoir discrétionnaire dans le choix de la procédure (voir Ross, précité, par. 31). Ce pouvoir procède notamment de l’exigence faite au ministre de soupeser les droits des demandeurs en regard de l’intérêt public général (voir Ross, précité, au paragraphe 42).

 

[66]           Le juge Blais a reconnu que la personne choisie par le ministre pour enquêter sur l’appel relatif à l’élection aurait pu coordonner son enquête avec celle de la GRC (voir Ross, précité, par. 33). Le ministre aurait aussi pu estimer que « la manière la plus convenable pour arriver à une décision fondée sur les articles 78 et 79 de la Loi » était de s’appuyer sur la preuve recueillie par la GRC lors de son enquête (voir Ross, précité, par. 35). Enfin, le juge Blais a reconnu que les rapports préparés dans le cadre d’une enquête criminelle, comme celle menée par le bureau local de la GRC en l’espèce, pouvaient contraindre à ne pas divulguer certains renseignements afin de protéger les témoins et de préserver la preuve (voir Ross, précité, par. 75).

 

[67]           En l’occurrence, le ministre a plus que satisfait aux exigences légales en matière d’équité procédurale en notifiant à l’avance aux demandeurs l’enquête en cours, en leur transmettant des copies du rapport Hes et en leur accordant une prorogation de délai pour faire parvenir leurs commentaires en réponse. En dépit de cette prorogation, Wilbur Dedam était le seul demandeur à avoir déposé des observations additionnelles. Comme l’indique le rapport sur l’appel relatif à l’élection, ce dernier n’a pas apporté de nouveaux éléments de preuve, mais a utôt relevé des erreurs mineures figurant dans le rapport Hes et contredit certaines des déclarations qu’il contenait. Par ailleurs, la question de l’enquête simultanée de la GRC n’a été soulevée qu’en novembre 2011 dans des affidavits complémentaires déposés par les demandeurs et l’avocat de Wilbur Dedam.

 

[68]           Comme nous l’avons déjà mentionné, le ministre jouit, en vertu de l’article 13 du Règlement, d’un large pouvoir discrétionnaire quant au choix de la procédure. Bien que la situation factuelle particulière à laquelle nous avons affaire ne se soit jamais posée auparavant, la jurisprudence laisse clairement entendre qu’il est possible que les enquêtes criminelles de la GRC et celles qui concernent des appels relatifs à des élections soient menées simultanément. L’emploi du mot « convenable » au paragraphe 13(1) du Règlement confirme que le ministre doit, au moment de choisir la procédure applicable au titre de cette disposition, prendre en compte à la fois les intérêts des demandeurs et ceux du public en général.

 

[69]           En résumé, les faits indiquent que les demandeurs ont bénéficié de garanties importantes en matière d’équité procédurale tout au long de l’enquête sur l’appel relatif à l’élection. Le large pouvoir discrétionnaire du ministre et son obligation de statuer sur la validité de l’élection faisant l’objet de l’appel de manière convenable confirment que sa décision de confier l’enquête sur l’appel relatif à l’élection à M. Hes, alors que l’enquête de la GRC était en cours, ne contrevenait pas à l’équité procédurale.

 

[70]           Question 3

            La preuve dont disposait le ministre était‑elle suffisante pour justifier sa décision?

            Ni la Loi sur les Indiens ni le Règlement ne définissent les manœuvres frauduleuses. La jurisprudence permet néanmoins de dégager le sens de ce terme. Comme l’indiquait la juge Eleanor Dawson dans la décision Wilson, précitée, au paragraphe 23 :

À mon avis, aucune définition exhaustive ne peut être donnée sur ce qui constitue une manœuvre corruptrice dans le contexte d’une élection. Cependant, une conception fondamentale d’une manœuvre corruptrice est, à tout le moins, qu’il s’agit d’une tentative pour éviter, entraver ou influencer le libre exercice du droit d’un électeur de choisir pour qui voter. Ce qui importe, c’est le mobile ou l’intention qui sous‑tend la conduite reprochée. La conduite a‑t‑elle pour objet d’influencer irrégulièrement le résultat d’une élection?

 

 

[71]           La juge poursuit son raisonnement, au paragraphe 33 :

[…] Les avantages doivent être distribués au mérite. Lorsqu’un avantage conféré n’est pas fondé sur le mérite, mais plutôt sur une intention d’influencer un électeur, cela donne lieu à une manœuvre corruptrice.

 

 

[72]           Des éléments de preuve indirects suffisamment concluants peuvent fonder une décision touchant à des manœuvres électorales frauduleuses (voir Hudson, précité, par. 86). De plus, il est possible d’inférer d’une certaine conduite que celle‑ci vise à corrompre des électeurs (voir Wilson, précité, par. 22).

 

[73]           Les constatations et les conclusions d’un enquêteur désigné en vertu de l’article 13 du Règlement sont pertinentes au moment d’évaluer la décision du ministre ayant trait aux manœuvres électorales frauduleuses (voir Hudson, précité, par. 78).

 

[74]           Par ailleurs, comme l’indique le libellé de l’article 14 du Règlement, la norme de preuve relative aux manœuvres frauduleuses n’exige que l’apparence d’un acte répréhensible (voir Keeper c Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2011 CF 307, [2011] ACF no 387, par. 5 et 16). Ainsi, la preuve doit permettre de conclure qu’il y a lieu de croire que l’allégation est vraie (voir Keeper, précité, par. 8). Comme l’expliquait la juge Dawson dans Wilson, précité, au paragraphe 34 :

[…] La question fondamentale à laquelle il fallait répondre est la suivante : les trois candidats réélus, de par leur conduite, considérée dans son ensemble, avaient‑ils l’intention ou ont‑ils tenté d’influencer irrégulièrement l’issue de l’élection?

 

 

[75]           En l’espèce, la preuve indique clairement que tous les demandeurs étaient présents chez Doris Abrams le 8 mai 2010. Un souper de homard a été servi aux invités. C’est Jason Barnaby qui avait apporté les homards. Des bulletins de vote ont été remplis publiquement dans la cuisine de Doris Abrams sans respecter la confidentialité nécessaire. Dans le rapport sur l’appel relatif à l’élection, AINC a reconnu que la preuve établissant que Patrick Leon Somerville avait reçu 260 $ en échange de son vote était insuffisante, et que la vidéo montrant la transaction qui aurait eu lieu entre Sylvia Arlene Martin et Jason Barnaby n’était pas fiable. Quoi qu’il en soit, les circonstances entourant le fait d’avoir offert des homards en cadeau et l’absence d’intimité au moment de remplir les bulletins ont été jugées suffisantes pour conclure que des pressions considérables ont pu s’exercer sur les électeurs pour qu’ils votent pour les candidats présents (c’est‑à‑dire les demandeurs).

 

[76]           Compte tenu de la norme de preuve moins stricte à laquelle est assujettie la décision du ministre au titre de l’article 14 du Règlement, j’estime que la preuve dont le ministre disposait était suffisante pour conclure à une apparence de manœuvres électorales frauduleuses.

 

[77]           Question 4

            L’imposition par le ministre aux demandeurs d’une période d’inéligibilité déterminée était‑elle raisonnable?

            Le pouvoir du ministre de déclarer certaines personnes inéligibles durant une période pouvant aller jusqu’à six ans est prévu au paragraphe 78(3) de la Loi sur les Indiens. Cette disposition est ainsi libellée :

78.(3) Le ministre peut déclarer un individu, qui cesse d’occuper ses fonctions en raison du sous‑alinéa (2)b)(iii), inhabile à être candidat au poste de chef ou de conseiller d’une bande durant une période maximale de six ans.

 

78.(3) The Minister may declare a person who ceases to hold office by virtue of subparagraph (2)(b)(iii) to be ineligible to be a candidate for chief or councillor of a band for a period not exceeding six years.

 

[78]           Le sous‑alinéa 78(2)b)(iii) de la Loi sur les Indiens prévoit :

78. (2) Le poste de chef ou de conseiller d’une bande devient vacant dans les cas suivants :

 

[…]

 

b) le ministre déclare qu’à son avis le titulaire, selon le cas :

 

[…]

 

(iii) à l’occasion d’une élection, s’est rendu coupable de manœuvres frauduleuses, de malhonnêteté ou de méfaits, ou a accepté des pots‑de‑vin.

 

78. (2) The office of chief or councillor of a band becomes vacant when

 

 

 

(b) the Minister declares that in his opinion the person who holds that office

 

 

(iii) was guilty, in connection with an election, of corrupt practice, accepting a bribe, dishonesty or malfeasance.

 

 

[79]           Ayant estimé que la conclusion du ministre au titre du sous‑alinéa 78(2)b)(iii) était raisonnable, je dois maintenant décider s’il en va de même des périodes d’inéligibilité qu’il a imposées aux demandeurs.

 

[80]           Il ressort clairement de la Loi que le ministre peut, en vertu du sous‑alinéa 78(2)b)(iii) de la Loi, déclarer les personnes concernées inhabiles à se présenter comme candidat pendant une certaine période. Dans le cas des demandeurs, hormis Jason Dean Barnaby, il les a déclarés inhabiles à se porter candidat pendant deux ans à partir de la date de l’ordonnance. Compte tenu de la preuve produite en l’espèce, j’estime que le ministre pouvait prendre cette décision raisonnable et qu’il s’agit d’une décision raisonnable.

 

[81]           Cependant, le ministre a déclaré Jason Dean Barnaby inéligible pendant quatre ans à compter de la date de l’ordonnance ministérielle. J’estime que cette décision est déraisonnable. La recommandation figurant à la page 127 du dossier des demandeurs n’indique pas clairement la somme d’argent qui a été versée à Sylvia Arlene Martin. Il est d’ailleurs indiqué que la somme d’argent ou que la valeur des biens était faible dans chaque cas. Compte tenu de la preuve, je suis d’avis qu’une période d’inéligibilité de quatre ans est trop longue, et je la ramènerais plutôt à deux ans.

 

[82]           La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée, à l’exception de la période d’inéligibilité visant Jason Dean Barnaby dont la durée est ramenée à deux ans.

 

[83]           Comme le défendeur a eu largement gain de cause dans la demande de contrôle judiciaire, je lui adjugerais les dépens.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sous réserve de la période d’inéligibilité imposée à Jason Dean Barnaby qui est ramenée à deux ans.

2.         Les dépens de la présente demande sont adjugés au défendeur.

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


ANNEXE

 

Les dispositions législatives pertinentes

 

Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7

 

2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi. . . .

 

« office fédéral » Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale, à l’exclusion de la Cour canadienne de l’impôt et ses juges, d’un organisme constitué sous le régime d’une loi provinciale ou d’une personne ou d’un groupe de personnes nommées aux termes d’une loi provinciale ou de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867.

 

18. (1) Sous réserve de l’article 28, la Cour fédérale a compétence exclusive, en première instance, pour :

 

a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral;

 

b) connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l’alinéa a), et notamment de toute procédure engagée contre le procureur général du Canada afin d’obtenir réparation de la part d’un office fédéral.

 

 

18.1(3) Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut :

 

[…]

 

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

 

(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue que l’office fédéral, selon le cas :

 

[…]

 

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

 

18.2 La Cour fédérale peut, lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, prendre les mesures provisoires qu’elle estime indiquées avant de rendre sa décision définitive.

 

2. (1) In this Act, . . .

 

 

“federal board, commission or other tribunal” means any body, person or persons having, exercising or purporting to exercise jurisdiction or powers conferred by or under an Act of Parliament or by or under an order made pursuant to a prerogative of the Crown, other than the Tax Court of Canada or any of its judges, any such body constituted or established by or under a law of a province or any such person or persons appointed under or in accordance with a law of a province or under section 96 of the Constitution Act, 1867;

 

18. (1) Subject to section 28, the Federal Court has exclusive original jurisdiction

 

 

(a) to issue an injunction, writ of certiorari, writ of prohibition, writ of mandamus or writ of quo warranto, or grant declaratory relief, against any federal board, commission or other tribunal; and

 

(b) to hear and determine any application or other proceeding for relief in the nature of relief contemplated by paragraph (a), including any proceeding brought against the Attorney General of Canada, to obtain relief against a federal board, commission or other tribunal.

 

18.1(3) On an application for judicial review, the Federal Court may

 

 

. . .

 

(b) declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal.

 

(4) The Federal Court may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

 

. . .

 

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;

 

18.2 On an application for judicial review, the Federal Court may make any interim orders that it considers appropriate pending the final disposition of the application.

 

 

Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106

 

385. (1) Sauf directives contraires de la Cour, le juge responsable de la gestion de l’instance ou le protonotaire visé à l’alinéa 383c) tranche toutes les questions qui sont soulevées avant l’instruction de l’instance à gestion spéciale et peut :

 

a) donner toute directive nécessaire pour permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible;

 

b) sans égard aux délais prévus par les présentes règles, fixer les délais applicables aux mesures à entreprendre subséquemment dans l’instance;

 

c) organiser et tenir les conférences de règlement des litiges et les conférences préparatoires à l’instruction qu’il estime nécessaires;

 

d) sous réserve du paragraphe 50(1), entendre les requêtes présentées avant que la date d’instruction soit fixée et statuer sur celles‑ci.

 

385. (1) Unless the Court directs otherwise, a case management judge or a prothonotary assigned under paragraph 383(c) shall deal with all matters that arise prior to the trial or hearing of a specially managed proceeding and may

 

(a) give any directions that are necessary for the just, most expeditious and least expensive determination of the proceeding on its merits;

 

(b) notwithstanding any period provided for in these Rules, fix the period for completion of subsequent steps in the proceeding;

 

(c) fix and conduct any dispute resolution or pre‑trial conferences that he or she considers necessary; and

 

 

(d) subject to subsection 50(1), hear and determine all motions arising prior to the assignment of a hearing date.

 

 

 

Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I‑5.

 

78. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, les chef et conseillers d’une bande occupent leur poste pendant deux années.

 

(2) Le poste de chef ou de conseiller d’une bande devient vacant dans les cas suivants :

 

a) le titulaire, selon le cas :

 

(i) est déclaré coupable d’un acte criminel,

 

(ii) meurt ou démissionne,

 

(iii) est ou devient inhabile à détenir le poste aux termes de la présente loi;

 

b) le ministre déclare qu’à son avis le titulaire, selon le cas :

 

(i) est inapte à demeurer en fonctions parce qu’il a été déclaré coupable d’une infraction,

 

(ii) a, sans autorisation, manqué les réunions du conseil trois fois consécutives,

 

 

(iii) à l’occasion d’une élection, s’est rendu coupable de manœuvres frauduleuses, de malhonnêteté ou de méfaits, ou a accepté des pots‑de‑vin.

 

(3) Le ministre peut déclarer un individu, qui cesse d’occuper ses fonctions en raison du sous‑alinéa (2)b)(iii), inhabile à être candidat au poste de chef ou de conseiller d’une bande durant une période maximale de six ans.

 

78. (1) Subject to this section, the chief and councillors of a band hold office for two years.

 

 

(2) The office of chief or councillor of a band becomes vacant when

 

 

(a) the person who holds that office

 

(i) is convicted of an indictable offence,

 

(ii) dies or resigns his office, or

 

(iii) is or becomes ineligible to hold office by virtue of this Act; or

 

(b) the Minister declares that in his opinion the person who holds that office

 

(i) is unfit to continue in office by reason of his having been convicted of an offence,

 

(ii) has been absent from three consecutive meetings of the council without being authorized to do so, or

 

(iii) was guilty, in connection with an election, of corrupt practice, accepting a bribe, dishonesty or malfeasance.

 

 

(3) The Minister may declare a person who ceases to hold office by virtue of subparagraph (2)(b)(iii) to be ineligible to be a candidate for chief or councillor of a band for a period not exceeding six years.

 

 

Règlement sur les élections au sein des bandes d’Indiens, CRC, c 952 :

 

(4) Sous réserve du paragraphe (5), au moins trente‑cinq jours avant l’élection, le président d’élection envoie par la poste aux électeurs qui ne résident pas dans la réserve une trousse comprenant les éléments suivants :

 

a) un bulletin de vote portant au verso les initiales du président d’élection;

 

b) une enveloppe extérieure, c’est‑à‑dire l’enveloppe de retour préaffranchie et préadressée au président d’élection;

 

c) une enveloppe intérieure portant la mention « bulletin de vote » dans laquelle doit être inséré le bulletin de vote rempli;

 

d) une formule de déclaration d’identité;

 

e) les instructions relatives au vote par bulletin de vote postal;

 

f) un avis mentionnant :

 

(i) l’emplacement de chacun des bureaux de vote,

 

(ii) que l’électeur peut, au lieu de voter par bulletin de vote postal, voter en personne, en conformité avec le paragraphe 6(3), à un bureau de vote le jour de l’élection;

 

 

g) le cas échéant, un avis mentionnant le nom des personnes élues par acclamation.

 

(5) Lorsqu’une réserve est divisée en plus d’une section électorale, la trousse envoyée par la poste aux électeurs qui ne résident pas dans la réserve contient un bulletin de vote qui ne concerne que l’élection du chef.

 

6.1 Dans les plus brefs délais après la fermeture du scrutin, en présence des candidats ou de leurs agents qui se trouvent sur les lieux, le président d’élection ou le président du scrutin ouvre les enveloppes reçues avant la fermeture du scrutin et, sans déplier le bulletin de vote postal qu’elles contiennent :

 

a) soit rejette le bulletin si :

 

(i) aucune formule de déclaration d’identité ne l’accompagne ou celle‑ci n’est pas signée ou attestée par un témoin,

 

(ii) le nom mentionné sur la formule de déclaration d’identité n’apparaît pas sur la liste électorale,

 

(iii) la liste électorale indique que l’électeur a déjà voté;

 

b) soit fait une marque sur la liste électorale en regard du nom de l’électeur mentionné dans la formule de déclaration d’identité et dépose le bulletin de vote postal dans une boîte de scrutin.

 

11. Le président d’élection doit remettre tous les bulletins de vote dans des enveloppes scellées, au surintendant, qui doit les garder en sa possession durant huit semaines et, sauf ordonnance contraire du Ministre ou d’une personne qu’il y autorise, les détruire en présence de deux témoins qui déclarent avoir été témoins de leur destruction.

 

 

12. (1) Si, dans les quarante‑cinq jours suivant une élection, un candidat ou un électeur a des motifs raisonnables de croire :

 

a) qu’il y a eu manœuvre corruptrice en rapport avec une élection,

 

b) qu’il y a eu violation de la Loi ou du présent règlement qui puisse porter atteinte au résultat d’une élection, ou

 

c) qu’une personne présentée comme candidat à une élection était inéligible,

 

 

il peut interjeter appel en faisant parvenir au sous‑ministre adjoint, par courrier recommandé, les détails de ces motifs au moyen d’un affidavit en bonne et due forme.

 

(2) Lorsqu’un appel est interjeté au titre du paragraphe (1), le sous‑ministre adjoint fait parvenir, par courrier recommandé, une copie du document introductif d’appel et des pièces à l’appui au président d’élection et à chacun des candidats de la section électorale visée par l’appel.

 

(3) Tout candidat peut, dans un délai de 14 jours après réception de la copie de l’appel, envoyer au sous‑ministre adjoint, par courrier recommandé, une réponse par écrit aux détails spécifiés dans l’appel, et toutes les pièces s’y rapportant dûment certifiées sous serment.

 

(4) Tous les détails et toutes les pièces déposés conformément au présent article constitueront et formeront le dossier.

 

 

13. (1) Le Ministre peut, si les faits allégués ne lui paraissent pas suffisants pour décider de la validité de l’élection faisant l’objet de la plainte, conduire une enquête aussi approfondie qu’il le juge nécessaire et de la manière qu’il juge convenable.

 

(2) Cette enquête peut être tenue par le Ministre ou par toute personne qu’il désigne à cette fin.

 

(3) Lorsque le Ministre désigne une personne pour tenir une telle enquête, cette personne doit présenter un rapport détaillé de l’enquête à l’examen du Ministre.

 

 

14. Lorsqu’il y a lieu de croire

 

a) qu’il y a eu manœuvre corruptrice à l’égard d’une élection,

 

b) qu’il y a eu violation de la Loi ou du présent règlement qui puisse porter atteinte au résultat d’une élection, ou

 

c) qu’une personne présentée comme candidat à une élection était inadmissible à la candidature,

 

le Ministre doit alors faire rapport au gouverneur en conseil.

 

5.(4) Subject to subsection (5), at least 35 days before the day on which an election is to be held, the electoral officer shall mail, to every elector who does not reside on the reserve, a package consisting of

 

 

(a) a ballot, initialled on the back by the electoral officer;

 

(b) an outer, postage‑paid return envelope, pre‑addressed to the electoral officer;

 

 

(c) a second, inner envelope marked “Ballot” for insertion of the completed ballot;

 

(d) a voter declaration form;

 

(e) a letter of instruction regarding voting by mail‑in ballot;

 

(f) a statement

 

(i) identifying the location of all polling places, and

 

(ii) advising the elector that he or she may vote in person at a polling place on the day of the election in accordance with subsection 6(3) in lieu of voting by mail‑in ballot; and

 

(g) a list of the names of any candidates who were acclaimed.

 

(5) Where the reserve consists of more than one electoral section, the package mailed to an elector who does not reside on the reserve shall contain a ballot for the candidates for chief only.

 

 

6.1 As soon as is practicable after the close of the polls, the electoral officer or deputy electoral officer shall, in the presence of any candidates or their agents who are present, open each envelope containing a mail‑in ballot that was received before the close of the polls and, without unfolding the ballot,

 

(a) reject the ballot if

 

(i) it was not accompanied by a voter declaration form, or the voter declaration form is not signed or witnessed,

 

(ii) the name of the elector set out in the voter declaration form is not on the voters list, or

 

(iii) the voters list shows that the elector has already voted; or

 

(b) in any other case, place a mark on the voters list opposite the name of the elector set out in the voter declaration form, and deposit the ballot in a ballot box.

 

 

11. The electoral officer shall deposit all ballot papers in sealed envelopes with the superintendent, who shall retain them in his possession for eight weeks, and unless otherwise directed by the Minister or by a person authorized by him shall then destroy the ballot papers in the presence of two witnesses who shall make a declaration that they witnessed the destruction of those papers.

 

12. (1) Within 45 days after an election, a candidate or elector who believes that

 

 

 

(a) there was corrupt practice in connection with the election,

 

(b) there was a violation of the Act or these Regulations that might have affected the result of the election, or

 

(c) a person nominated to be a candidate in the election was ineligible to be a candidate,

 

may lodge an appeal by forwarding by registered mail to the Assistant Deputy Minister particulars thereof duly verified by affidavit.

 

 

(2) Where an appeal is lodged under subsection (1), the Assistant Deputy Minister shall forward, by registered mail, a copy of the appeal and all supporting documents to the electoral officer and to each candidate in the electoral section in respect of which the appeal was lodged.

 

(3) Any candidate may, within 14 days of the receipt of the copy of the appeal, forward to the Assistant Deputy Minister by registered mail a written answer to the particulars set out in the appeal together with any supporting documents relating thereto duly verified by affidavit.

 

(4) All particulars and documents filed in accordance with the provisions of this section shall constitute and form the record.

 

13. (1) The Minister may, if the material that has been filed is not adequate for deciding the validity of the election complained of, conduct such further investigation into the matter as he deems necessary, in such manner as he deems expedient.

 

(2) Such investigation may be held by the Minister or by any person designated by the Minister for the purpose.

 

(3) Where the Minister designates a person to hold such an investigation, that person shall submit a detailed report of the investigation to the Minister for his consideration.

 

14. Where it appears that

 

(a) there was corrupt practice in connection with an election,

 

(b) there was a violation of the Act or these Regulations that might have affected the result of an election, or

 

(c) a person nominated to be a candidate in an election was ineligible to be a candidate,

 

the Minister shall report to the Governor in Council accordingly.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1678‑11

 

INTITULÉ :                                                  CHEF WILBUR DEDAM, IRENE DEDAM, RONALD SOMERVILLE et JASON BARNABY

 

                                                                        ‑ et –

 

                                                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Fredericton (Nouveau‑Brunswick)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 12 mars 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 11 septembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Thomas J. Burke, c.r.

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Jake Harms

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Theriault Burke

Fredericton (Nouveau‑Brunswick)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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