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Date : 20120731

Dossier : IMM-8879-11

Référence : 2012 CF 947

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 31 juillet 2012

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

 

DIANA PAPLEKAJ,

LEONARDO ANDREW PAPLEKAJ,

AURORA PAPLEKAJ

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandes d’asile présentées par Diana Paplekaj et sa fille née en Albanie ont été rejetées par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié parce que cette dernière a estimé que le témoignage de Mme Paplekaj n’était pas digne de foi. Elle a conclu ce qui suit : « En raison de l’absence de documents indépendants appuyant les demandes d’asile présentées à l’égard de l’Albanie, les deux demandes d’asile sont rejetées. » La demande du fils de Mme Paplekaj, Leonardo Paplekaj, citoyen des États‑Unis d’Amérique âgé d’un an, a été rejetée pour absence de preuve établissant qu’il ne pouvait se prévaloir de la protection de l’État.

 

[2]               Les demandeurs soutiennent que la Commission s’est appuyée sur des différences mineures et anodines entre le formulaire de renseignements personnels (le FRP) de Mme Paplekaj et son témoignage oral. 

 

[3]               On a allégué que Mme Paplekaj avait été agressée sexuellement par M. Nikoll, politicien puissant en Albanie, qui l’aurait poursuivie et agressée à trois occasions. En raison de ses conclusions relatives à la crédibilité, la Commission a estimé que les deux premiers de ces incidents ne s’étaient pas produits. Cependant, les demandeurs signalent qu’aucune conclusion défavorable relative à la crédibilité n’a été tirée quant au troisième incident. Ils invoquent la décision Isakova c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 149, au paragraphe 17 [Isakova], dans laquelle le juge Campbell a conclu que « [l]orsque la SPR tire à bon droit une conclusion de crédibilité ou d’invraisemblance quant à un aspect de la preuve présentée par le demandeur, cela ne justifie pas nécessairement le rejet de la demande du demandeur dans son intégralité ». Ils invoquent également la décision RER c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1339, au paragraphe 9 [RER], où le juge Campbell a conclu qu’il faut tenir compte de tous les éléments de preuve relatifs à la demande du demandeur avant de dégager une conclusion globale quant à la crédibilité.

 

[4]               Pour donner plus de poids à la preuve, les demandeurs ont en outre déposé un rapport psychologique faisant état des expériences traumatisantes vécues par Mme Paplekaj et de la façon dont ces expériences auraient pu influer sur sa mémoire. Ils affirment que, comme elle ne mentionne jamais le rapport psychologique dans ses motifs, la Commission a omis d’en tenir compte, et que sa décision est donc déraisonnable : Yilmaz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1498, Khawaja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 1213, et C.A. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] ACF no 1082.

 

[5]               Je n’accepte aucun de ces arguments.

 

[6]               Premièrement, les différences entre le FRP et le témoignage oral sur lesquelles la Commission s’est appuyée n’étaient ni mineures ni anodines; elles allaient au cœur des allégations de harcèlement et de voies de fait, comme il est précisé ci‑dessous.

 

[7]               La Commission a signalé que, dans son FRP, Mme Paplekaj allègue que, lors du premier incident, M. Nikoll et une autre personne qui s’est présentée comme un garde du corps l’ont arrêtée et confrontée. Elle a écrit que [traduction] « [...] les deux hommes ont tenté de me faire monter dans la voiture de M. Nikoll, qui était garée dans la rue près du trottoir, mais j’ai refusé. » Au contraire, à l’audience, elle a témoigné que M. Nikoll et deux de ses gardes du corps étaient sortis de la voiture et l’avaient appelée par son nom; elle a continué de marcher et cela a mis fin à l’incident.

 

[8]               La Commission a demandé à Mme Paplekaj pourquoi elle n’avait pas mentionné, dans son témoignage, que les hommes avaient tenté de la faire monter dans la voiture, plutôt que d’affirmer que l’incident s’était terminé lorsqu’elle avait continué de marcher. En réponse, elle a déclaré que c’était parce qu’elle n’avait pas été forcée de monter dans la voiture. La Commission, qui ne l’a pas crue, a estimé qu’il était déraisonnable d’avoir omis l’acte le plus menaçant de l’incident.

 

[9]               De plus, la Commission a fait remarquer que la demanderesse précise, dans son FRP, qu’un seul garde du corps était présent pendant l’incident, alors qu’elle mentionne à l’audience qu’ils étaient deux. Lorsqu’elle a été interrogée sur cette incohérence, Mme Paplekaj a répondu que le FRP ne faisait mention que d’un garde du corps parce que seulement l’un d’eux lui a adressé la parole. Cette explication n’a pas convaincu la Commission, laquelle a renvoyé à un passage du FRP relatif au second incident. Dans cette partie du FRP, on peut lire ce qui suit : [traduction] « un des gardes du corps, pas le même que la première fois » [souligné par la Commission]. Selon la Commission, si cette explication était vraie, Mme Paplekaj aurait écrit que le garde du corps du second incident « n’était ni l’un ni l’autre des deux gardes du corps du premier incident » [souligné par la Commission].

 

[10]           De plus, la Commission a remarqué certaines incohérences liées aux événements qui auraient eu lieu pendant le second incident. Dans son témoignage, Mme Paplekaj a déclaré que M. Nikoll avait baissé la vitre de la portière et avait sorti le bras pour tenter de l’attraper tandis que, dans son FRP, elle a écrit qu’il avait ouvert la portière de sa voiture pour tenter de l’attraper. Devant la Commission, l’avocat a affirmé qu’il s’agissait d’une erreur de traduction, mais cette explication n’a pas été acceptée. La Commission a écrit que « [r]ien ne laissait entendre que le terme [traduction] “porte”, qu’elle a employé, a été interprété comme le terme [traduction] “fenêtre”. De plus, l’interprète a traduit de l’albanais l’expression [traduction] “baisser la fenêtre”, ce qui ne pourrait pas s’appliquer si en fait la porte avait été ouverte. »

 

[11]           La Commission avait également des doutes quant à la vraisemblance de certains faits se rapportant à cet incident. Elle a signalé que, selon le FRP de Mme Paplekaj, M. Nikoll s’était approché d’elle dans sa voiture roulant à toute vitesse. De l’avis de la Commission, « [i]l est tout simplement invraisemblable qu’un homme à bord d’une voiture en mouvement puisse s’approcher suffisamment pour pouvoir saisir une femme sur la rue, d’une manière ou d’une autre, alors qu’elle marche sur l’esplanade. »

 

[12]           Ces conclusions ont mené la Commission à n’accorder à aucun des témoignages des demandeurs un poids suffisant pour étayer la demande. La Commission a conclu que, malgré des documents étayant le fait que M. Nikoll soit maintenant député et qu’il ait été déclaré coupable de manque de discernement en ce qui concerne les femmes, aucun élément de preuve indépendant ou digne de foi ne permet de croire qu’il s’intéresse à Mme Paplekaj.

 

[13]           À mon avis, ces conclusions sont raisonnables et étayées par des éléments de preuve établissant l’existence d’incohérences entre les assertions formulées par Mme Paplekaj dans son FRP et pendant son témoignage oral.

 

[14]           Deuxièmement, il est exact que la Commission ne se prononce pas sur la valeur probante du témoignage de Mme Paplekaj relatif au troisième incident avec M. Nikoll; j’estime toutefois qu’elle n’était pas tenue de le faire avant de conclure au manque de crédibilité de Mme Paplekaj.

 

[15]           Contrairement à ce qui est avancé en l’espèce, la décision RER de la Cour ne permet pas d’affirmer que la Commission ne peut tirer une conclusion générale quant à la crédibilité avant d’avoir examiné l’ensemble de la preuve. L’essentiel de cette décision se trouve au paragraphe 10, où le juge Campbell écrit que l’erreur réside dans le fait de rejeter une preuve indépendante uniquement parce que l’on ne croit pas le demandeur :

[…] je suis d’avis que la SPR a commis une erreur en rejetant la preuve provenant de sources autres que le témoignage du demandeur principal, et cela uniquement parce qu’elle ne croyait pas le demandeur principal. Selon moi, chaque source de preuve indépendante requiert une évaluation indépendante. Il en est ainsi parce que les sources indépendantes peuvent avoir pour effet d’établir le bien‑fondé de la position d’un demandeur sur un point donné, alors même que son propre témoignage sur ce point n’est pas accepté.

 

 

[16]           La décision Isakova va, pour l’essentiel, dans le même sens. Dans cette affaire, la Cour s’est appuyée sur la décision antérieure RKL c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, où le juge Martineau mentionne que « [l]es incohérences mineures ou secondaires contenues dans la preuve du demandeur ne devraient pas inciter la Commission à conclure à une absence générale de crédibilité si la preuve documentaire confirme la vraisemblance du récit de celui‑ci. » [Non souligné dans l’original.]

 

[17]           Dans la présente affaire, contrairement aux décisions RER et Isakova, aucune preuve indépendante n’a été produite au soutien de l’allégation de Mme Paplekaj voulant que M. Nikoll ait accompli ces actes, et encore moins une quelconque preuve établissant qu’il se soit jamais intéressé à elle. En conséquence, rien n’empêchait la Commission, après avoir conclu que Mme Paplekaj avait fabriqué deux des trois incidents invoqués, de rejeter l’ensemble de son témoignage sans examiner le troisième incident, que seul ce témoignage appuyait.

 

[18]           Troisièmement, même si le rapport psychologique mentionne que Mme Paplekaj peut éprouver de la difficulté à comprendre les questions qu’on lui pose, peut demander que les questions soient posées à nouveau ou formulées différemment et peut être incapable de se souvenir de détails précis du passé ou de formuler des phrases précises, rien de tout cela n’a de pertinence au regard des incohérences signalées par la Commission ou n’était évident à la lecture de son témoignage.

 

[19]           La Commission a interrogé Mme Paplekaj pendant un bon moment au sujet des incohérences relevées dans son témoignage; cette discussion s’étend sur plus de six pages dans la transcription. Mme Paplekaj n’a jamais allégué qu’elle avait oublié des éléments de preuve ou qu’elle était confuse; ni son avocat, d’ailleurs. Les explications offertes visaient plutôt à dénigrer la pertinence des incohérences. Ces explications ont été prises en compte et elles ont été rejetées, avec raison selon moi.

 

[20]           Pour ces motifs, la demande est rejetée. Les parties n’ont pas proposé la certification d’une question.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8879-11

 

INTITULÉ :                                      DIANA PAPLEKAJ ET AL c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 11 juillet 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 31 juillet 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

D. Clifford Luyt

 

Bradley Bechard

 

                                      POUR LES DEMANDEURS

 

                                        POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

D. Clifford Luyt

Avocat

Toronto (Ontario)

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

 

                                    POUR LES DEMANDEURS

 

 

 

                                       

                                      POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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