Date : 20120731
Dossier : IMM‑8357‑11
Référence : 2012 CF 957
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Vancouver (Colombie‑Britannique), le 31 juillet 2012
En présence de Mme la juge Mactavish
ENTRE :
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RENADI GERGEDAVA
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Renadi Gergedava a présenté une demande d’asile au Canada en affirmant qu’il craignait d’être persécuté dans son pays d’origine, la Géorgie, en raison de son orientation sexuelle. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande de M. Gergedava au motif que ses allégations de persécution n’étaient pas crédibles et qu’en fait, il n’était pas un homosexuel.
[2] M. Gergedava affirme que la Commission a commis une erreur en tirant ses conclusions de fait sans tenir compte des éléments de preuve qui lui étaient soumis et en se fondant sur des hypothèses et sur des idées préconçues pour conclure qu’il n’était pas gai.
[3] Pour les motifs qui suivent, je suis arrivée à la conclusion que plusieurs des conclusions de fait tirées par la Commission étaient effectivement déraisonnables. La présente demande de contrôle judiciaire sera par conséquent accueillie.
Absence de preuve documentaire en provenance de la Géorgie
[4] La Commission a fondé sa conclusion que M. Gergedava n’avait pas démontré qu’il avait eu deux liaisons homosexuelles avant de quitter la Géorgie en partie sur le fait qu’il n’avait pas produit d’éléments documentaires objectifs concernant l’une ou l’autre liaison.
[5] Suivant M. Gergedava, ses relations sexuelles avec son ami d’enfance Tengo avaient pris fin lorsque le père de Tengo avait découvert leur liaison. Le père a rossé les deux jeunes hommes et a menacé de les tuer, affirmant que M. Gergedava avait gâché la vie de la famille de Tengo. Lorsque les voisins de M. Gergedava ont entendu parler de cette liaison, ils ont proféré des menaces à l’endroit de M. Gergedava et de sa mère, qui ont dû aller vivre dans une autre ville à environ 200 km de distance.
[6] La mère de M. Gergedava aurait ensuite exercé des pressions sur lui pour qu’il se marie et qu’il devienne [traduction] « un homme “normal” ».
[7] Après son mariage, M. Gergedava a eu sa deuxième liaison homosexuelle avec un homme nommé Tamaz. Cette relation a pris fin lorsque des hommes ont fait irruption dans l’appartement de Tamaz et ont roué de coups les deux hommes. Peu de temps après, M. Gergedava a appris que Tamaz avait été assassiné, probablement par l’un des membres de sa famille ou par des voisins.
[8] La Commission a fait observer que la mère de M. Gergedava lui avait fourni certains documents pour appuyer sa demande d’asile, mais qu’aucun document n’avait été fourni pour confirmer l’une ou l’autre des liaisons homosexuelles. La Commission a en particulier fait observer que la mère de M. Gergedava n’avait pas été en mesure de retrouver le certificat de décès de Tamaz et qu’elle n’avait jamais tenté d’entrer en communication avec les membres de la famille de Tamaz pour se les procurer.
[9] Cette conclusion était déraisonnable.
[10] Ainsi que le juge Russell l’a fait observer dans Ogunrinde c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CF 760, « les actes et les conduites qui établissent l’homosexualité d’un demandeur sont de nature intrinsèquement privée » (paragraphe 42). Par conséquent, la démonstration qu’un demandeur d’asile s’est adonné à des activités homosexuelles comporte souvent des difficultés inhérentes.
[11] Qui plus est, suivant la preuve soumise à la Commission en l’espèce, la mère de M. Gergedava était mortifiée par le comportement de son fils, qui avait jeté l’opprobre sur sa famille. La famille de Tamaz était furieuse après avoir découvert que M. Gergedava avait eu des rapports sexuels avec Tamaz. D’ailleurs, M. Gergedava a expliqué que Tamaz avait probablement été tué par des membres de sa famille parce qu’il avait déshonoré celle‑ci.
[12] Dans ces conditions, il était tout simplement déraisonnable de la part de la Commission de s’attendre à ce que la mère de M. Gergedava s’adresse aux membres d’une famille qui reprochaient à M. Gergedava d’avoir attiré une grande réprobation sur leur famille pour pouvoir obtenir des documents à l’appui de la demande d’asile canadienne de M. Gergedava.
Agissements de l’épouse de M. Gergedava
[13] La Commission a tiré deux conclusions négatives au sujet de la crédibilité de M. Gergedava en raison d’agissements attribués à sa femme.
[14] M. Gergedava n’a pas consulté de médecin après avoir été tabassé avec Tamaz, et ce, même s’il affirme qu’il s’est fait briser le nez et qu’il était couvert d’ecchymoses. Il a expliqué que, s’il consultait un médecin, la police serait prévenue. M. Gergedava ne pouvait raconter aux policiers ce qui lui était réellement arrivé, car il lui faudrait alors divulguer son homosexualité. M. Gergedava a admis qu’il avait menti à sa femme au sujet de ce qui lui était arrivé mais il explique qu’il ne voulait pas mentir à la police.
[15] La Commission a conclu qu’il n’était pas crédible que l’épouse de M. Gergedava n’ait pas insisté pour qu’il se fasse soigner s’il était aussi grièvement blessé qu’il l’affirmait. La Commission ne disposait cependant d’aucun élément de preuve permettant de savoir si l’épouse de M. Gergedava l’avait encouragé ou non à consulter un médecin. La question ne s’est tout simplement pas posée. L’absence d’éléments de preuve justifiant la conclusion que la Commission a tirée à cet égard fait en sorte que cette conclusion est déraisonnable.
[16] La Commission a conclu que la demande d’asile de M. Gergedava se trouvait davantage minée par le fait qu’il était toujours légalement marié à son épouse. L’épouse de M. Gergedava aurait été furieuse lorsqu’elle a découvert son homosexualité. Son père a menacé de tuer M. Gergedava. Le fait qu’elle n’a pas divorcé de M. Gergedava a amené la Commission à s’interroger sur l’authenticité de toute la demande d’asile de M. Gergedava.
[17] La Commission n’avait toutefois au dossier aucun élément de preuve concernant le droit de la famille en vigueur en Géorgie, notamment en ce qui concerne la question de savoir s’il était même possible pour une femme d’obtenir le divorce en invoquant l’homosexualité de son mari et la question de savoir si une femme peut obtenir un divorce unilatéralement. Des éléments de preuve établissaient, par contre, que la société géorgienne est très religieuse et profondément conservatrice. La conclusion que la Commission a tirée à cet égard ne reposait donc sur aucun fondement probatoire et elle ne prenait pas en compte des éléments de preuve pertinents, de sorte qu’elle était déraisonnable.
Témoignage de l’ancien employeur de M. Gergedava
[18] La Commission n’a par ailleurs pas accepté l’allégation suivant laquelle, après son arrivée au Canada, M. Gergedava a eu une liaison amoureuse avec un collègue de travail dénommé Carlos. La Commission a rejeté l’affidavit souscrit par l’ancien employeur de M. Gergedava qui confirmait que ses deux employés avaient eu une liaison homosexuelle. Une des raisons invoquées par la Commission pour justifier son rejet de cet affidavit était que l’ancien employeur n’avait pas produit de relevé d’emploi démontrant que Carlos existait effectivement.
[19] Compte tenu du fait qu’au moment où il a souscrit son affidavit, l’employeur de M. Gergedava avait vendu sa participation dans l’entreprise et qu’il n’avait plus de lien avec celle‑ci, il était déraisonnable de la part de la Commission de présumer que l’employeur aurait facilement accès aux relevés d’emploi de ses anciens employés.
Témoignage de la logeuse de M. Gergedava
[20] La Commission a également choisi d’accorder peu de poids à l’affidavit souscrit par la logeuse de M. Gergedava qui confirmait que M. Gergedava était effectivement gai. La Commission a expliqué que la logeuse en question était l’épouse du « représentant » qui avait aidé M. Gergedava après son arrivée au Canada. Il ressort par ailleurs à l’évidence des questions que le commissaire a posées lors de l’audience relative au statut de réfugié de M. Gergedava qu’il croyait comprendre que le « représentant » en question avait peut‑être participé au passage de clandestins étrangers illégaux, dont M. Gergedava, et avait facilité leur passage au Canada.
[21] En raison de ce qu’elle a appelé l’« intervention » du « représentant » et de l’épouse de M. Gergedava dans la demande d’asile de ce dernier, la Commission a décidé d’accorder peu de poids au témoignage de la logeuse.
[22] Abstraction faite de la question de savoir si l’on peut légitimement qualifier un demandeur d’asile d’« étranger illégal », la difficulté que soulève cette conclusion est le fait que la Commission ne disposait d’aucun élément de preuve permettant de penser que la personne qui avait accueilli M. Gergedava à l’aéroport de Vancouver était effectivement impliquée dans le passage de clandestins ou qu’il avait facilité de quelque façon l’arrivée de M. Gergedava au Canada. Il aurait pu tout aussi facilement faire partie de la communauté géorgienne de Vancouver qui avait accepté d’aider un compatriote nouvellement arrivé au Canada.
Dispositif
[23] Bien que la Commission ait eu plusieurs autres raisons de conclure que la version des faits de M. Gergedava n’était pas crédible, l’effet cumulatif des erreurs que nous avons signalées fait en sorte que sa décision était déraisonnable.
[24] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Je suis d’accord avec les parties pour dire que la présente affaire ne soulève aucune question à certifier.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE :
1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’il rende une nouvelle décision;
2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.
« Anne Mactavish »
Juge
Traduction certifiée conforme
Christiane Bélanger, LL.L., réviseure
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM‑8357‑11
INTITULÉ DE LA CAUSE : RENADI GERGEDAVA c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Vancouver (Colombie‑Britannique)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 30 juillet 2012
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LA JUGE MACTAVISH
DATE DES MOTIFS : Le 31 juillet 2012
COMPARUTIONS :
Me Lesley Stalker
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POUR LE DEMANDEUR |
Me Aman Sanghera
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Me Lesley Stalker Avocat Vancouver (Colombie‑Britannique)
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POUR LE DEMANDEUR |
Myles J. Kirvan Sous‑procureur général du Canada Vancouver (Colombie‑Britannique) |
POUR LE DÉFENDEUR |