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Cour fédérale

Federal Court

Date : 20120725


Dossier : IMM-4724-11

Référence : 2012 CF 930

 

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 juillet 2012

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

 

SOOK JIN YANG

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               La demanderesse sollicite, sur le fondement du par. 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), le contrôle judiciaire de la décision en date du 14 juin 2011 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a jugé qu’elle n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger aux termes de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi. Cette décision découlait des conclusions tirées par la Commission relativement à la crainte subjective de la demanderesse et à la possibilité de se réclamer de la protection de l’État en Corée du Sud.

 

[2]               La demanderesse prie la Cour d’annuler la décision et de renvoyer l’affaire à la Commission pour nouvel examen par un tribunal différemment constitué.

 

Contexte

 

[3]               La demanderesse, Sook Jin Yang, est citoyenne de la Corée du Sud.

 

[4]               Au mois de mars 1996, une connaissance lui a présenté M. Jeong Tae Kim, et une relation s’est formée entre eux. Ils ont commencé à vivre ensemble au mois de janvier 1997. Plus tard cette année‑là, M. Kim a perdu son emploi. Il s’est cherché du travail pendant un certain temps, mais sans succès, et il s’est mis à boire.

 

[5]               En 2003, M. Kim a agressé la demanderesse une première fois. Celle‑ci est allée à l’hôpital, mais comme elle ne souffrait que de contusions et qu’il n’y avait aucune preuve d’agression sexuelle, il n’y a pas eu de rapport médical.

 

[6]               Après la première agression, M. Kim a commencé à se livrer à des agressions sexuelles sur la demanderesse et à la frapper presque un jour sur deux. Il la frappait avec la paume de la main et évitait les coups au visage, pour ne pas laisser de traces.

 

[7]               Au début, la demanderesse n’a pas dénoncé cette violence parce que M. Kim lui demandait pardon et promettait de ne pas recommencer. Toutefois, au mois de mai 2004, la violence est devenue si insupportable qu’elle s’est rendue au poste de police. La police est allée chez elle, a brièvement questionné M. Kim et lui a dit de ne pas agresser la demanderesse, mais elle n’a déposé aucune accusation parce qu’il n’y avait pas de témoin.

 

[8]               En 2006, M. Kim a commencé à s’adonner au jeu. Il demandait de l’argent à la demanderesse et la battait quand elle refusait de lui en donner. Elle a signalé les agressions à la police par téléphone. La police est allée chez elle mais, encore une fois, aucune accusation n’a été portée à cause de l’absence de preuve ou de témoin.

 

[9]               La demanderesse a témoigné qu’elle a tenté de se cacher de M. Kim en déménageant une dizaine de fois en Corée du Sud. Parfois il s’agissait de déplacements temporaires, comme aller au spa pendant quelques jours, et parfois les déménagements étaient plus permanents. Cependant, M. Kim réussissait chaque fois à la retrouver. Il est également allé à l’endroit où elle travaillait et l’a menacée.

 

[10]           Pour échapper à M. Kim, la demanderesse est venue au Canada au mois de février 2007, en possession d’un visa de visiteur d’une durée de six mois. Au mois de juillet 2007, elle a demandé la prolongation de son visa, laquelle lui a été refusée au mois de novembre 2007.

 

[11]           Pendant le séjour de la demanderesse au Canada, sa mère a reçu la visite de M. Kim, lequel lui promis de ne plus la maltraiter. La mère de la demanderesse a donc convaincu sa fille de donner une autre chance à M. Kim. La demanderesse est retournée chez elle le 31 janvier 2008.

 

[12]           Après le retour de la demanderesse, les choses se sont d’abord bien passées, mais après un mois M. Kim a recommencé à l’agresser. Au mois d’avril 2008, il l’a enfermée dans une pièce, l’a battue et l’a menacée d’un couteau. Elle a signalé l’incident à la police, qui lui a dit de retourner à la maison et d’attendre qu’une enquête soit faite. L’attente s’est étirée sans qu’elle ait de nouvelles de la police. Elle est donc retournée au Canada le 13 mai 2008, en possession d’un deuxième visa de visiteur d’une durée de six mois.

 

[13]           Au Canada, la demanderesse a demandé une prolongation de visa. Au mois d’octobre 2008, elle a appris l’existence du système canadien de protection des réfugiés en lisant un journal coréen, mais elle n’a su qu’au mois de février 2009 qu’elle pouvait demander asile pour violence familiale.

 

[14]           Pendant qu’elle était au Canada, elle a appris de sa mère que M. Kim la cherchait toujours et qu’il s’était rendu chez cette dernière en compagnie d’hommes vêtus de complets noirs.

 

[15]           Au mois de juin 2009, M. Kim s’est rendu une autre fois chez la mère de la demanderesse et a menacé de ne plus laisser partir la demanderesse si elle revenait en Corée à moins qu’elle ne lui donne de l’argent. Il a également dit qu’il connaissait des criminels et qu’il avait donc des moyens de la trouver. Il a déclaré qu’il mourrait avec elle. Lorsqu’elle a été mise au courant de ces menaces, la demanderesse a présenté une demande d’asile.

 

[16]           Sa demande a été transmise à la Commission le 29 juillet 2009, et elle a été entendue le 15 avril 2011.

 

Décision de la Commission

 

[17]           La Commission a rendu sa décision le 14 juin 2011. L’avis de décision a été envoyé le 4 juillet 2011.

 

[18]           La Commission a commencé par résumer les allégations de la demanderesse figurant dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) initial et dans son FRP modifié. Elle a pris acte de la citoyenneté sud-coréenne de la demanderesse.

 

[19]           Elle a ensuite signalé que la demande d’asile comportant des allégations de violence fondée sur le sexe, elle avait pris en compte les directives intitulées Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe (les directives concernant la persécution fondée sur le sexe) pour l’appréciation des questions de crédibilité. En outre, c’est une commissaire qui a entendu la demande d’asile.

 

[20]           Selon la Commission, les questions déterminantes étaient le délai dans la présentation de la demande d’asile, le défaut de demander l’asile, le fait que la demanderesse se soit réclamée à nouveau de la protection de l’État et la protection offerte par l’État.

 

[21]           Examinant d’abord la visite effectuée au Canada en 2007, la Commission a tiré une conclusion défavorable au sujet de la crainte subjective de la demanderesse du fait qu’elle n’avait pas alors demandé asile ni cherché à se renseigner sur la façon de demeurer légalement au Canada en permanence et du fait qu’elle se soit de nouveau réclamée de la protection de la Corée du Sud en retournant auprès de M. Kim, un homme qui jouait, buvait, prenait son argent et qui l’avait maltraitée régulièrement pendant quatre ans.

 

[22]           S’agissant de la deuxième visite de la demanderesse au Canada, la Commission a estimé que la demanderesse n’avait pas expliqué de façon raisonnable la longueur du délai mis à demander asile. Soulignant que la demanderesse était très instruite, qu’elle avait fui la Corée une seconde fois pour échapper à son conjoint violent, qu’elle savait fort bien depuis sa première visite que la prolongation d’un visa de visiteur n’était pas garantie et qu’elle n’avait pas cherché à se renseigner au sujet du système canadien de protection des réfugiés bien qu’elle en connût l’existence depuis le mois d’octobre 2008, la Commission a tiré une conclusion défavorable au sujet de la crainte subjective de la demanderesse du fait que celle‑ci avait tardé à demander asile.

 

[23]           Au sujet de la question de la protection offerte par l’État, la Commission a relevé l’affirmation de la demanderesse qu’elle avait signalé les agressions à la police à trois reprises. Les directives relatives à la préparation du FRP indiquent qu’il faut fournir les rapports de police à l’appui de telles allégations. La demanderesse a témoigné qu’elle avait demandé à sa mère de se procurer ces rapports, mais que la police exigeait que la demanderesse en fasse elle‑même la demande. La Commission a signalé que l’affidavit de la mère ne faisait pas mention de tentatives d’obtenir ces rapports.

 

[24]           La Commission a relevé également qu’un rapport psychologique en date du 15 janvier 2011 faisait état que la demanderesse n’avait communiqué avec personne en Corée du Sud depuis le mois de juin 2008. Elle a signalé en outre que la demanderesse avait témoigné n’avoir jamais tenté de communiquer elle‑même avec la police. Pour ces motifs, la Commission a estimé que la demanderesse n’avait pas fourni d’explication raisonnable à l’absence de corroboration des plaintes faites à la police et elle a, par conséquent, conclu que, selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse n’avait pas cherché à obtenir la protection de l’État en s’adressant à la police en Corée du Sud.

 

[25]           S’appuyant sur les principes jurisprudentiels en matière de protection offerte par l’État, la Commission a rappelé qu’il incombait à la demanderesse de réfuter la présomption relative à la protection de l’État au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants et que la réticence subjective à s’adresser à l’État ne constitue pas une telle preuve, et elle a réitéré sa conclusion antérieure selon laquelle les allégations de la demanderesse voulant qu’elle ait communiqué avec la police à plusieurs reprises n’étaient pas crédibles.

 

[26]           La Commission a conclu que l’État offrait une protection adéquate et qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que la demanderesse s’en prévale. Elle a reconnu que le problème de la violence envers les femmes est sérieux en Corée du Sud, mais a estimé que la preuve documentaire indiquait aussi que le gouvernement de ce pays déployait de réels efforts pour le corriger. Après examen de l’ensemble de la preuve, la Commission a conclu qu’elle établissait de façon prépondérante que l’État faisait des efforts sérieux pour lutter contre la violence familiale et que ces efforts, bien que la protection ne fût pas parfaite, étaient adéquats.

 

[27]           De plus, la preuve indiquait que les femmes aux prises avec la violence familiale peuvant se réclamer de la protection de l’État. Cette conclusion de la Commission reposait sur une preuve statistique. La Commission a relevé également que des lois récentes prévoyaient des mesures pour les victimes de violence familiale. La preuve indiquait en outre qu’il existait des refuges pour femmes, majoritairement destinés aux victimes de violence familiale. Signalant le témoignage de la demanderesse selon lequel elle n’avait pas demandé d’aide auprès d’organismes gouvernementaux ou non gouvernementaux en Corée du Sud, la Commission a conclu que celle‑ci n’avait pas démontré qu’elle avait pris toutes les mesures raisonnables pour obtenir la protection de l’État.

 

[28]           La Commission a également fait état du rapport Emery déposé par la demanderesse, signalant qu’il était le fruit de quatre entrevues, dont deux étaient traduites et réalisées par des personnes ayant suivi une formation de deux heures seulement. L’auteur y conclut que la Corée du Sud n’offre pas une protection adéquate et que la situation est particulièrement préoccupante pour les femmes ayant des enfants, les femmes de professionnels et les femmes divorcées. La Commission a indiqué que la demanderesse n’entrait pas dans ces catégories, et elle a conclu que la preuve établissait toujours de façon prépondérante que la Corée du Sud déployait des efforts sérieux de protection et que cette protection était adéquate.

 

[29]           Enfin, la Commission a reconnu que la violence infligée à la demanderesse avait pu laisser des séquelles, mais qu’elle pouvait obtenir des services de counselling ou de thérapie en Corée du Sud. Compte tenu de la preuve documentaire, la Commission a en outre estimé que, selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse pourrait s’adresser aux autorités pour obtenir protection en Corée du Sud et que cette protection lui serait accordée. Elle a conclu, pour ces raisons, qu’il n’existait pas de possibilité sérieuse que la demanderesse soit persécutée en Corée du Sud ou qu’elle soit personnellement exposée à une menace à sa vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités, ou au risque d’être soumise à la torture, et elle a, en conséquence, rejeté la demande d’asile.

 

Questions en litige

 

[30]           La demanderesse présente ainsi les points en litige :

            1.         Dans l’évaluation du fait que la demanderesse se soit de nouveau réclamée de la protection de l’État, la Commission n’a pas tenu compte des raisons d’ordre culturel et sociologique expliquant pourquoi une Sud-Coréenne reviendrait auprès d’un conjoint abusif.

            2.         La Commission a écarté à tort l’explication donnée par la demanderesse au délai d’un peu plus d’un an suivant son arrivée au Canada mis à présenter sa demande d’asile.

            3.         La Commission a commis une erreur de droit dans l’appréciation de la protection offerte par l’État en ne tenant pas compte de la preuve relative à cette question et en accordant à l’affidavit Emery un traitement démontrant qu’elle l’avait mal compris ou évalué.

            4.         La Commission a exigé à tort que la demanderesse produise une preuve corroborante, un rapport de police, pour prouver sa demande.

 

[31]           Je reformulerais ainsi les questions :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.         La conclusion de la Commission relative à l’inexistence d’une crainte subjective est‑elle déraisonnable?

            3.         La Commission a‑t‑elle mal analysé la question de la protection offerte par l’État?

 

Argumentation écrite de la demanderesse

 

[32]           Selon la demanderesse, quatre erreurs entachent la décision de la Commission.

 

[33]           La demanderesse soutient, premièrement, que la Commission a mal évalué la question relative au fait de se réclamer de nouveau de la protection de l’État. La demanderesse avait témoigné qu’elle n’avait pas parlé à sa mère de la gravité des agressions pour ne pas la traumatiser. Selon elle, la Commission a conclu à tort que son retour en Corée en 2008 dénotait une absence de véritable crainte subjective, en ne tenant pas compte de la preuve qui lui avait été présentée au sujet du syndrome de la femme battue et des normes et pressions culturelles en Corée.

 

[34]           La demanderesse signale aussi qu’elle a présenté après l’audience une preuve établissant qu’il était vraisemblable que sa mère lui conseille de revenir auprès de M. Kim et raisonnable qu’elle suive ce conseil. Cette preuve indique qu’en Corée l’obéissance est essentielle au fonctionnement de la famille et à son harmonie, de sorte que son acquiescement au vœu de sa mère répondait à une attente culturelle familiale et n’était pas indicatif d’une absence de crainte subjective. La demanderesse fait également valoir que, bien que la Commission affirme avoir tenu compte des directives concernant la persécution fondée sur le sexe, ses motifs et ses conclusions au sujet du fait qu’elle se soit réclamée de nouveau de la protection de l’État témoignent du contraire. La Commission a erré en n’analysant pas les explications données par la demanderesse au sujet de son comportement.

 

[35]           La demanderesse soutient, deuxièmement, que la Commission aurait erronément écarté l’explication qu’elle a donnée du retard mis à présenter sa demande d’asile. Elle fait d’abord valoir qu’il ne s’agissait pas d’un retard important; elle a demandé asile un peu plus d’un an après son arrivée au Canada et seulement quatre mois après avoir appris que la violence conjugale pouvait fonder une telle demande. Elle soutient aussi qu’il ne s’ensuivait pas de ses études universitaires qu’elle comprenait le processus de demande d’asile ou qu’elle était capable de faire des recherches à ce sujet; elle ne parle pas anglais couramment et n’a pas de famille dans la région de Toronto où elle habite. Selon elle, la conclusion de la Commission relative au retard était déraisonnable tout comme l’utilisation de cette conclusion pour mettre en doute l’existence d’une crainte subjective.

 

[36]           Troisièmement, la demanderesse affirme que la Commission a erré en ne tenant pas compte d’éléments de preuve. Son analyse a donc été viciée parce que d’importants éléments de preuve probants et actuels étayant une conclusion contraire à celle qu’elle a tirée n’ont pas été examinés.

 

[37]           Elle se reporte à cet égard à l’affidavit de M. Emery et aux sources qui y sont citées. Elle soutient que la Commission a conclu à tort que, parce que la demanderesse n’appartenait pas aux catégories de femmes courant un risque particulier selon M. Emery, cette preuve n’était pas convaincante et qu’elle s’est trompée en affirmant que l’opinion de M. Emery ne reposait que sur quatre entrevues dont deux étaient traduites. La demanderesse soutient que cette opinion était fondée sur la recherche approfondie qu’il avait effectuée sur la violence envers les femmes en Corée du Sud et que la Commission avait erré en n’effectuant pas de réelle analyse du témoignage et en n’expliquant pas pourquoi il n’emportait pas la conviction.

 

[38]           Selon la demanderesse, la Commission aurait aussi erré en ne tenant pas compte du témoignage sous serment de personnes en semblable situation, car il s’agissait d’importants éléments de preuve probants établissant que la réponse policière à la violence familiale était inadéquate en Corée du Sud.

 

[39]           La Commission a aussi commis une erreur en ne tenant pas compte d’éléments de preuve documentaire contredisant sa conclusion que l’État offrait une protection suffisante en Corée du Sud. La demanderesse affirme que les statistiques citées par la Commission n’étayent pas sa conclusion que le pays fait adéquatement respecter les lois relatives à la violence familiale et que les agresseurs sont traduits en justice. Ces statistiques font état de taux de poursuite très faibles, et la Commission a erré en n’examinant pas l’écart entre le nombre de poursuites et le nombre de plaintes enregistrées.

 

[40]           La demanderesse ajoute que la Commission a eu tort de faire fond sur le statut d’État démocratique de la Corée du Sud et sur l’existence de droits garantis par la constitution sans analyser la preuve des graves inégalités existant dans la structure et les institutions de l’État. L’évaluation de la Commission aurait dû scruter les efforts de l’État pour lutter contre les problèmes de violence et de criminalité. La preuve indique que les droits des femmes et ceux des hommes ne sont pas protégés de la même façon en Corée, sans compter que l’adultère y est toujours un crime, ce qui témoigne de l’existence de lois inconstitutionnelles, et qu’un arrêt de la Cour suprême du pays a rejeté sur la femme la responsabilité des agressions du mari, ce qui souligne le sexisme systémique existant dans le pays.

 

[41]           Quatrièmement, la demanderesse soutient que la Commission a exigé à tort une preuve corroborante des plaintes à la police. Il n’est pas obligatoire de présenter une telle preuve à l’égard de témoignages non contredits lorsque la crédibilité n’est pas en cause, et il n’était pas nécessaire de le faire, en l’espèce, car la demanderesse avait fourni un témoignage précis et cohérent des trois tentatives faites pour obtenir l’aide et la protection de la police. La demanderesse avait témoigné que sa mère avait tenté d’obtenir les rapports de police mais s’était fait dire que la demande devait provenir de la demanderesse elle‑même.

 

[42]           Enfin, en n’exposant pas ses préoccupations au sujet de l’absence de renseignement et en ne permettant pas à la demanderesse d’y répondre, la Commission a manqué à l’équité procédurale.

 

Argumentation écrite du défendeur

 

[43]           Le défendeur fait valoir que la norme de contrôle applicable aux questions relatives à la crédibilité et à la protection de l’État est celle de la raisonnabilité. Les décisions en ces matières seront jugées raisonnables si elles reposent sur des conclusions dûment tirées de la preuve au dossier et non sur de pures hypothèses ou des conjectures non étayées.

 

[44]           Selon le défendeur, les conclusions de la Commission relatives à la crédibilité étaient raisonnables et suffisamment expliquées. La preuve du retour d’une personne dans un pays à risque, le retard à demander asile et l’omission de produire une preuve corroborante permettent à bon droit de douter de la crédibilité de la demanderesse. Il souligne le témoignage de la demanderesse selon lequel l’hôpital a refusé de remettre les dossiers la concernant à sa mère, exigeant que ce soit elle qui les demande en personne.

 

[45]           Le défendeur affirme que la Commission n’a pas commis d’erreur en ne citant pas expressément l’article intitulé « Cane of Love: Parental Attitudes towards Corporal Punishment in Korea ». Cet article a trait à la violence physique envers les enfants comme mesure disciplinaire acceptable. Il ne démontre pas que la Commission a mal analysé la culture coréenne.

 

[46]           Il souligne aussi que la Commission a expressément fait mention des directives concernant la persécution fondée sur le sexe et indiqué qu’elle les prenait en compte. Rien de plus n’était exigé, selon lui, et la demanderesse n’a pas démontré que la Commission n’en avait pas tenu compte.

 

[47]           Le défendeur affirme que la Commission n’a pas commis d’erreur concernant le délai d’un an mis à demander asile; la longueur du délai, jumelée au niveau d’instruction de la demanderesse, à la connaissance qu’elle avait de son risque d’être renvoyée et à sa situation personnelle, faisaient en sorte que la conclusion de la Commission relative au délai était raisonnable.

 

[48]           Il défend également le caractère raisonnable de la conclusion de la Commission relative à la protection offerte par l’État, disant que, compte tenu du témoignage de la demanderesse, de la preuve documentaire et de la présomption de protection de l’État, cette conclusion était raisonnable. Pour prouver que la conclusion était erronée, la demanderesse devait démontrer que la Commission n’avait pas pris en compte des éléments de preuve fiables et probants établissant que l’État ne la protégerait pas ou que la protection ne serait pas adéquate. La preuve de la demanderesse sur ce point n’a pas satisfait à cette norme.

 

[49]           Selon le défendeur, en outre, le traitement du rapport Emery par la Commission était adéquat. Les raisons exposant pourquoi elle lui préférait d’autres éléments de preuve documentaire étaient raisonnables. Le défendeur signale aussi que l’omission de mentionner un élément de preuve n’est pas fatale, la Commission étant présumée examiner et apprécier la totalité de la preuve soumise. Selon le défendeur, l’argumentation de la demanderesse au sujet de la protection de l’État porte principalement sur l’appréciation par la Commission de la preuve qui lui a été présentée.

 

[50]           Enfin, le défendeur fait valoir que la situation dans Park c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 353, [2011] ACF no  461, largement citée par la demanderesse, différait de la présente situation. Contrairement à cette affaire, la crédibilité est en cause en l’espèce, et la Commission n’a pas cru que la demanderesse était victime de violence conjugale.

 

Réponse écrite de la demanderesse

 

[51]           Dans sa réponse, la demanderesse soutient que, bien que le temps mis à demander asile puisse être un facteur pertinent, il ne s’agit pas d’un facteur déterminant en soi pour trancher la question de l’existence d’une crainte fondée de persécution et que, de surcroît, la Commission a erré en ne tenant pas compte des explications données.

 

[52]           La demanderesse affirme aussi que la Commission a erré en n’appliquant pas les directives concernant la persécution fondée sur le sexe. En concluant que la demanderesse ne serait pas retournée auprès de son agresseur, elle a accrédité le mythe selon lequel les victimes de violence familiale auraient quitté leur conjoint violent depuis longtemps si elles étaient aussi maltraitées qu’elles le prétendent.

 

[53]           Première question

            Quelle est la norme de contrôle applicable?

            La demanderesse convient avec le défendeur que la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité.

 

[54]           Lorsque la jurisprudence a défini la norme de contrôle applicable à une question particulière, la cour de révision peut adopter cette norme (voir Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57).

 

[55]           Il est établi en jurisprudence que les conclusions en matière de crédibilité, décrites comme constituant « l’essentiel de la compétence de la Commission », sont essentiellement de pures conclusions de fait susceptibles de révision selon la norme de la décision raisonnable (voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] ACS no 12, au paragraphe 46; Demirtas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2011 CF 584, [2011] ACF no 786, au paragraphe 23; et Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 116, [2003] ACF no 162, au paragraphe 7).

 

[56]           La pondération de la preuve ainsi que son interprétation et son appréciation s’examinent pareillement en fonction de la norme de la raisonnabilité (voir NOO c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1045, [2009] A.C.F. no1286, au paragraphe 38). Les conclusions relatives à la protection de l’État appellent également un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, [2007] ACF no 584, au paragraphe 38; Gaymes c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 801, au paragraphe 9; James c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 546, [2010] ACF no 650, au paragraphe 16).

 

[57]           L’analyse des directives concernant la persécution fondée sur le sexe en contexte d’appréciation de la crédibilité appelle aussi l’application de la norme de la raisonnabilité (voir Higbogun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 445, [2010] ADC n516, au paragraphe 22).

 

[58]           Lorsqu’elle contrôle une décision de la Commission en fonction de la norme de la raisonnabilité, la Cour ne doit intervenir que si la conclusion de la Commission n’est pas transparente, justifiée et intelligible et n’appartient pas aux issues acceptables compte tenu des éléments de preuve présentés (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Khosa, précité, au paragraphe 59). Ainsi que la Cour suprême l’a exposé dans Khosa, précité, les cours de révision ne peuvent substituer la solution qu’elles jugent appropriée à celle qui a été retenue et il n’entre pas dans leurs attributions de soupeser à nouveau les éléments de preuve (aux paragraphes 59 et 61).

 

[59]           Deuxième question

            La conclusion de la Commission relative à l’inexistence d’une crainte subjective est‑elle déraisonnable?

            La conclusion défavorable de la Commission concernant la crainte subjective reposait sur les éléments suivants :

            le fait que la demanderesse n’ait pas demandé asile pendant son séjour au Canada de février 2007 à janvier 2008;

            le fait qu’elle se soit réclamée de nouveau de la protection de la Corée du Sud et soit retournée auprès de M. Kim en 2008;

            le fait qu’elle ait attendu jusqu’en juin/juillet 2009 pour demander asile alors qu’elle était arrivée au Canada en mai 2008.

 

[60]           La Commission a estimé que le niveau d’instruction de la demanderesse, son voyage antérieur au Canada, son expérience concernant l’expiration des visas de visiteur et le temps qu’elle a pris à se renseigner au sujet du régime canadien de protection des réfugiés ont aggravé le retard mis à demander asile.

 

[61]           La demanderesse reproche à la Commission d’avoir tiré sa conclusion en ne tenant pas compte du syndrome de la femme battue et des normes et pressions culturelles en Corée du Sud. Depuis l’arrêt R c Lavallee, [1990] 1 RCS 852, [1990] ACS no 36, beaucoup d’affaires mettant en cause des femmes manifestant ce syndrome ont été entendues par les tribunaux. La jurisprudence qui en résulte souligne l’importance de comprendre le contexte des gestes accomplis ou de l’inaction lorsqu’on statue sur de telles affaires (voir Garcia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 79, [2007] ACF n118, au paragraphe 27). L’appréciation de la preuve dans son contexte exige de se montrer sensible au contexte social et culturel dont elle émane (voir Edobor c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 883, [2007] ACF n1147, au paragraphe 13; et Rani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] ACF n94, 2006 CF 73, au paragraphe 8).

 

[62]           Comme l’a indiqué la Commission, la demanderesse n’a pas révélé à sa mère la gravité des mauvais traitements infligés par M. Kim. La demanderesse a aussi témoigné qu’elle n’avait pas informé sa sœur à Edmonton de sa difficile situation, expliquant qu’elle ne leur en avait pas parlé parce que cela leur aurait causé de la peine. La juge Wilson a reconnu que la réticence à révéler l’existence ou l’ampleur de mauvais traitements pouvait être une manifestation du syndrome de la femme battue (voir Lavallee, précité, au paragraphe 54).

 

[63]           La demanderesse a témoigné qu’elle était retournée en Corée du Sud en 2008 sur les conseils de sa mère. À l’appui de son témoignage, elle a déposé, après l’audience, un élément de preuve documentaire indiquant que les principes d’autorité et de discipline parentales strictes sont inscrits dans la culture sud-coréenne et créent un rapport hiérarchique entre parents et enfants. Selon la demanderesse, la Commission a erré en ne prenant pas cette preuve en compte dans l’examen du fait qu’elle avait caché à sa mère la gravité des mauvais traitements infligés par M. Kim et qu’elle avait suivi sans objection le conseil de sa mère de revenir en Corée du Sud.

 

[64]           La demanderesse critique à juste titre la conclusion de la Commission concernant le fait qu’elle se soit de nouveau réclamée de la protection de la Corée du Sud. Bien que la Commission ait déclaré au début de ses motifs qu’elle avait pris les directives concernant la persécution fondée sur le sexe en compte, la conclusion défavorable tirée au sujet retour de la demanderesse en Corée du Sud indique le contraire.

 

[65]           D’autres aspects de la décision de la Commission font toutefois en sorte que cette erreur ne permet pas de conclure au caractère déraisonnable de cette conclusion.

 

[66]           Premièrement, il faut parler de la preuve présentée par la demanderesse après l’audience. Selon la demanderesse, cette preuve démontre l’existence de rapports familiaux hiérarchiques en Corée du Sud, lesquels expliqueraient que la mère ait ignoré la gravité des mauvais traitements subis par sa fille et que la fille ait obéi à la demande de la mère qu’elle revienne à la maison.

 

[67]           La preuve déposée après l’audience se composait de deux documents. Le premier décrit la relation entre parents et enfants en Corée. Le paragraphe introductif de l’analyse expose la thèse principale du rapport :

[traduction] La présente étude pose que l’éducation des enfants dans la société coréenne procède de postulats qui diffèrent sensiblement de ceux que l’on observe dans les sociétés occidentales. Bien que les rapports entre adultes et enfants soient généralement marqués par une inégalité de pouvoirs, cette inégalité a, en Corée, une nature et une portée prononcées. [Je souligne.]

 

 

[68]           En l’espèce, la demanderesse est une adulte. La pertinence de cet article, qui traite de l’éducation des enfants et non de la relation entre les parents et leurs enfants adultes, est de ce fait amoindrie. Le deuxième élément de preuve, un chapitre de l’ouvrage de Malcolm Gladwell intitulé Outliers, porte davantage sur les rapports entre personnes de rangs sociaux différents en Corée du Sud. J’estime donc que cette preuve n’étaye pas l’argumentation de la demanderesse dans la mesure voulue.

 

[69]           De toute manière, la conclusion de la Commission au sujet de la crainte subjective ne reposait pas uniquement sur le fait que la demanderesse s’était réclamée de nouveau de la protection de la Corée du Sud. La Commission a également tenu compte du comportement de la demanderesse au Canada, en particulier le fait qu’il y avait eu expiration de son visa de visiteur à deux reprises. Au Canada, la demanderesse était très loin de M. Kim. Aucun élément de preuve n’indique qu’il ait communiqué avec elle ou qu’elle ait connu d’autres relations abusives ici. Elle a également témoigné qu’elle avait peu de contact avec sa mère, ce qui l’éloignait encore plus de la violence qu’elle avait connue. On peut donc soutenir que les normes et pressions culturelles de la Corée ne jouaient pas un rôle contextuel aussi important à l’égard du retard mis à se renseigner et à demander asile au Canada, ce qu’étaye l’évaluation psychologique, portant qu’en dépit de séquelles psychologiques préjudiciables, [traduction] « [s]on angoisse a beaucoup diminué parce qu’elle se sent en sécurité au Canada ».

 

[70]           Je ne considère donc pas que la Commission ait tenté de poser un regard strictement objectif sur la conduite que devrait adopter une personne aux prises avec la violence (voir MFD c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 589, [2011] ACF no 771, au paragraphe 13). J’estime plutôt qu’elle a rendu une décision raisonnable compte tenu de la preuve.

 

[71]           La violence ayant été subie en Corée du Sud, non au Canada, les conclusions que la Commission a tirées en raison de l’inaction de la demanderesse au Canada n’étaient pas irréalistes. Le fait que la demanderesse se soit enfuie au Canada à deux reprises est le plus significatif. Si elle avait demandé asile à sa première visite, le scénario se serait apparenté davantage à la situation dans Yoon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1017, [2010] ACF n1518 (au paragraphe 8). En l’espèce, toutefois, elle a fui une première fois son conjoint violent en 2007. Elle a séjourné au Canada en vertu d’un visa de visiteur d’une durée de six mois, et sa demande de renouvellement de visa a été refusée après l’expiration de celui‑ci. Elle avait donc une expérience personnelle de la précarité des visas de visiteur canadiens. Par conséquent, la conclusion négative tirée par la Commission de l’omission de demander asile avant l’expiration d’un visa analogue lors d’une deuxième visite était raisonnable.

 

[72]           En résumé, je suis d’avis que la conclusion de la Commission relative à l’absence de crainte subjective faisait partie des issues possibles acceptables compte tenu de la preuve. Je ne ferais donc pas droit à la demande sur ce point.

 

[73]           Troisième question

            La Commission a‑t‑elle mal analysé la question de la protection offerte par l’État?

            La Commission, se fondant sur l’absence de preuve corroborant les plaintes que la demanderesse disait avoir formulées à la police, a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, celle‑ci n’avait pas fait appel à la police pour se prévaloir de la protection de l’État en Corée du Sud. La Commission a plus particulièrement signalé les faits suivants :

            aucun rapport de police n’a été déposé à l’appui de la demande d’asile;

            le FRP indiquait expressément que les demandeurs devaient fournir des rapports de police;

            l’affidavit de la mère ne corrobore pas le témoignage de la demanderesse que sa mère a tenté en vain d’obtenir les rapports de police;

            le rapport psychologique concernant la demanderesse indique que celle‑ci n’a pas communiqué avec qui que ce soit en Corée du Sud depuis le mois de juin 2008;

            la demanderesse a témoigné qu’elle n’a jamais tenté de communiquer personnellement avec la police pour obtenir les rapports.

 

[74]           Invoquant Vodics c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 783, [2005] ACF n1000, la demanderesse soutient que la Commission a exigé à tort une preuve documentaire appuyant son témoignage non contredit qu’elle s’était plainte à la police. Dans Vodics le juge Douglas Campbell avait signalé que la Commission avait le droit de s’assurer de la véracité de l’origine ethnique d’un demandeur mais qu’elle devait « en aviser celui‑ci et lui permettre de produire une preuve sur la question » (au paragraphe 35).

 

[75]           Contrairement à ce qui s’est passé dans Vodics, la question des rapports de police a été abordée à l’audience, et la Commission a fondé sa conclusion sur les témoignages entendus. Je ne considère donc pas que la demanderesse n’était pas au courant de la question des rapports de police manquants au même sens que le demandeur dans Vodics. La Commission a plutôt estimé raisonnablement que la demanderesse n’avait pas personnellement tenté d’obtenir les rapports de police même si le FRP exigeait explicitement leur production et que, selon ses dires, sa mère l’avait informée qu’elle ne pouvait pas se les procurer à sa place.

 

[76]           La Commission a également soupesé la preuve documentaire. Il n’est plus à dire qu’un tribunal administratif est présumé avoir examiné et soupesé tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés (voir Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), [1993] ACF no 598, au paragraphe 1). En l’espèce, la Commission a reconnu que la violence à l’endroit des femmes est un problème sérieux en Corée du Sud. Selon elle, toutefois, la preuve indiquait avec force, de façon prépondérante, que l’État déployait des efforts sérieux et adéquats pour lutter contre la violence familiale. Pour parvenir à cette conclusion, elle s’est principalement appuyée sur le document KOR101072.EF en date du 3 avril 2006 de la Commission et l’immigration et du statut de réfugié, lequel affirme que la violence familiale demeure un problème important de la société coréenne mais constate que les textes de loi et la jurisprudence évoluent vers une meilleure protection des victimes.

 

[77]           La demanderesse reproche à la Commission d’avoir cité le nombre de poursuites pour violence familiale sans citer le nombre total de cas enregistrés, une méthode que le juge François Lemieux a qualifiée de grave erreur dans Park, précité, (au paragraphe 38). Toutefois, le document KOR103305.EF énumère des facteurs expliquant la suspension de poursuites, dont les services de counselling, les difficultés à faire enquête et à obtenir des éléments de preuve et la rétractation après réconciliation. Les tribunaux administratifs étant présumés examiner la totalité de la preuve, je ne puis conclure que la Commission a erré en ne signalant que le nombre de poursuites sans indiquer le nombre de cas enregistrés, puisque la preuve documentaire fournissait des explications sur l’écart entre ces chiffres.

 

[78]           La demanderesse critique également l’évaluation du rapport Emery faite par la Commission, affirmant qu’elle ne l’a pas véritablement analysé et qu’elle n’a pas expliqué pourquoi il n’emportait pas sa conviction. Ce rapport est pertinent parce qu’il traite d’une affirmation formulée dans le document KOR101072.EF, le principal élément de preuve documentaire fondant la décision de la Commission. Toutefois, l’affirmation examinée par le rapport Emery, à savoir que la Corée fait oeuvre pionnière en matière de politique relative à la violence conjugale, n’a pas servi de fondement à la décision de la Commission.

 

[79]           La Commission n’a pas accordé beaucoup de poids au rapport Emery, parce qu’il reposait sur quatre entrevues, dont deux étaient traduites et avaient été réalisées par des personnes ayant peu de formation. J’estime toutefois que cette opinion négative de la Commission au sujet du rapport n’est pas justifiée. Le rapport n’était pas fondé sur quatre entrevues seulement mais sur quatre entrevues réalisées avant et après l’adoption des dispositions législatives en matière de violence familiale en Corée du Sud. En outre, les personnes rencontrées faisant partie du conseil d’administration de Korea Woman’s Hotline, elles étaient bien placées pour fournir des renseignements sur les femmes battues, du fait de leur travail auprès d’elles. Les entrevues ont été réalisées par des personnes qui parlaient couramment coréen, et plusieurs mécanismes de contrôle ont été établis pour assurer une traduction fidèle. La séance de formation de deux heures critiquée par la Commission visait à assurer l’exhaustivité et la politesse du processus d’entrevue (au paragraphe 68).

 

[80]           Relativement à l’affirmation que le comportement de la police à l’endroit des victimes de violence familiale s’est amélioré depuis 2004, l’auteur du rapport indique expressément : [traduction] « [j]e conclus que la preuve n’établit pas l’existence d’améliorations remarquables et indique plutôt que la réponse policière à la violence familiale continue de laisser beaucoup à désirer » (au paragraphe 4). Je relève également que la méthodologie policière décrite par M. Emery, savoir que la police [traduction] « fait enquête sur l’incident signalé, écoute la version de l’agresseur et retourne au poste sans faire d’arrestation » (au paragraphe 8), correspond précisément aux trois interventions policières décrites par la demanderesse dans son cas.

 

[81]           La principale conclusion de la Commission à l’égard du rapport Emery était néanmoins que les lacunes de la protection fournie par l’État étaient particulièrement importantes à l’égard des mères, des femmes de professionnels et des femmes divorcées et que la demanderesse n’appartenait à aucune de ces trois catégories. Puisque la Commission avait déjà reconnu l’existence d’un problème de violence familiale en Corée du Sud et qu’elle avait mentionné d’autres éléments de preuve indiquant qu’il y avait une protection adéquate de la part de l’État, je ne crois pas qu’elle ait commis d’erreur en pondérant le rapport Emery comme elle l’a fait.

 

[82]           Enfin, la demanderesse reproche aussi à la Commission de ne pas avoir mentionné les affidavits de trois autres femmes sud-coréennes ayant fui au Canada pour échapper à la violence familiale. Cependant, l’expérience relatée par ces femmes se distingue de celle de la demanderesse. Elles ont toutes trois recouru à la police avant 2002 et, déçues de la réponse, n’y ont plus jamais fait appel. La demanderesse, à l’opposé, s’est adressée beaucoup plus récemment à la police (en 2004, 2006 et 2008). Selon le rapport Emery, la protection de l’État ne s’est pas beaucoup améliorée depuis 2004, mais d’autres éléments de preuve documentaire présentés à la Commission indiquent que depuis 2004/2005 la situation a changé au plan judiciaire. Entre autres, un homme a été déclaré coupable d’agression sexuelle sur la personne de son épouse en 2004 et le viol conjugal a officiellement été reconnu comme infraction en 2005. Le rapport Emery ne traitait pas de ces éléments de preuve. Étant donné que la Commission est présumée avoir examiné toute la preuve qui lui a été soumise, je ne puis conclure qu’elle a commis une erreur en ne mentionnant pas expressément ces affidavits relatant des expériences antérieures à celles de la demanderesse.

 

[83]           En résumé, je suis d’avis que l’appréciation faite par la Commission était raisonnable compte tenu de la preuve soumise. Sa conclusion relative à la suffisance de la protection de l’État faisait partie des issues possibles acceptables au regard des faits et du droit. Il y a donc lieu de rejeter la demande de contrôle judiciaire.

 

[84]           Aucune partie n’a soumis de question grave de portée générale pour certification.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.


ANNEXE

 

Dispositions législatives pertinentes

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés,  LC 2001, c 27

 

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4724-11

 

INTITULÉ :                                      SOOK JIN YANG

 

                                                            - et -

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :             Le 9 février 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 25 juillet 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alyssa Manning

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Bridget O'Leary

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Refugee Law Office

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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