Date : 20120720
Dossier : T-2078-11
Référence : 2012 CF 921
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 20 juillet 2012
En présence de monsieur le juge Harrington
ENTRE :
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GORDON PARGELEN
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demandeur
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et
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PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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défendeur
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MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Après avoir purgé la dernière des nombreuses peines imposées pour agression sexuelle comprenant des incidents de violence physique et d’enlèvement, M. Pargelen a été placé sous la surveillance à long terme de la Commission nationale des libérations conditionnelles, le tout conformément à l’article 752 et les suivants du Code criminel. La période de surveillance s’échelonne de 2009 à 2015 inclusivement.
[2] Selon les progrès qu’il a réalisés ou l’absence de progrès, diverses conditions spéciales ont été imposées, supprimées ou remplacées de temps à autre.
[3] Le présent contrôle judiciaire a trait aux trois conditions spéciales imposées le 22 novembre 2011. Les voici :
[traduction]
[…] Ne pas avoir, utiliser ou posséder un ordinateur, ainsi qu’il est défini à l’article 342.1 du Code criminel, ou quelque autre dispositif technologique vous permettant d’avoir un accès non surveillé à Internet, sauf à des fins professionnelles.
[…] Ne pas posséder ou utiliser un dispositif de télécommunication sans fil, sauf à des fins professionnelles.
[…] Fournir de l’information financière documentée concernant les dépenses et les transactions financières, et ce, à la satisfaction de votre surveillant de liberté conditionnelle selon un échéancier qui sera déterminé par ce dernier.
[4] D’autres conditions spéciales ont été imposées qui ne font pas l’objet d’une contestation.
[5] Peu de temps avant l’instruction devant la Cour, la Commission a retiré deux des trois conditions spéciales en litige, à savoir celles ayant trait aux ordinateurs et aux dispositifs de télécommunication sans fil. D’autres conditions spéciales ont été imposées, notamment celle l’obligeant à résider pendant six mois dans un centre correctionnel communautaire ou un établissement approuvé. En conséquence, le procureur général, au nom de la Commission, estime que le présent contrôle judiciaire devrait être limité à la condition spéciale relative à l’information financière, parce que les deux autres conditions sont maintenant théoriques. L’avocate de M. Pargelen soutient qu’une importante question de droit est soulevée et que la Cour, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, devrait néanmoins examiner les trois conditions spéciales.
FAITS
[6] Les trois conditions spéciales en litige ont été imposées dans des motifs détaillés formulés par la Commission. Le rapport expose avec des détails pénibles les diverses déclarations de culpabilité dont le demandeur a fait l’objet en ce qui concerne principalement des actes d’agression physique et sexuelle commis à l’égard d’enfants. Il a été considéré comme un individu posant un risque très élevé de récidive sexuelle. La surveillance sous laquelle il est placé a été l’objet de diverses suspensions en raison de son comportement inapproprié. À l’issue de l’analyse, la Commission a expliqué pourquoi elle imposait les trois conditions spéciales en litige :
[traduction]
À l’audience, vous avez mentionné que vous vous conformez à l’obligation de communication de vos chèques de paie. Toutefois, votre agent de libération conditionnelle a mentionné que cette bonne conduite est récente et que vous avez refusé pendant longtemps de collaborer à cet égard avec l’équipe de gestion des cas (EGC). La Commission estime qu’il est important de surveiller vos transactions financières, c’est-à-dire vos dépenses. En outre, votre superviseur doit être informé de vos acquisitions étant donné que vous avez été trouvé en possession d’appareils de communication sans en avoir l’autorisation. Par conséquent, vous devrez fournir de l’information financière documentée concernant les dépenses et les transactions financières et ce, à la satisfaction de votre surveillant de liberté conditionnelle, selon un échéancier qui sera établi par votre agent de libération conditionnelle.
Vous avez commis des infractions sexuelles sur des enfants. Il est important de surveiller l’utilisation de tout dispositif technologique vous permettant d’avoir accès à Internet. Par conséquent, il vous sera interdit d’avoir, d’utiliser ou de posséder un ordinateur, ainsi qu’il est défini à l’article 342.1 du Code criminel, ou quelque autre dispositif technologique vous permettant d’avoir un accès non surveillé à Internet, sauf à des fins professionnelles. Pour la même raison, vous ne devrez pas posséder ou utiliser un dispositif de télécommunication sans fil, sauf à des fins professionnelles. Ces mesures permettront de surveiller étroitement l’utilisation de ces dispositifs.
Ces conditions sont nécessaires et raisonnables pour protéger la société et pour vous aider dans votre réinsertion sociale.
[7] La Cour a reçu, à titre d’information uniquement, la décision la plus récente rendue par la Commission. En soi, celle-ci n’est pas assujettie au présent contrôle judiciaire. Toutefois, il importe de signaler que, en théorie du moins, l’accès de M. Pargelen aux ordinateurs et aux dispositifs Internet sans fil est restreint lorsqu’il séjourne en maison de transition. Il se peut très bien, évidemment, que ces conditions soient de nouveau imposées une fois terminé, dans environ cinq mois, son séjour de 180 jours dans une maison de transition.
QUESTIONS EN LITIGE
[8] La présente affaire soulève les trois questions suivantes :
a. La Cour doit-elle rendre une décision à l’égard des conditions spéciales qui sont actuellement retirées?
b. Quelle est la norme de contrôle applicable? M. Pargelen fait valoir que ce qui est en cause c’est une question d’interprétation législative, assujettie à la norme de la décision correcte, sans qu’aucune déférence ne s’impose à l’endroit de la Commission. Le procureur général fait valoir pour sa part que la norme de la décision raisonnable s’applique.
c. Dans quelle mesure les conditions spéciales doivent-elles être liées aux infractions ayant donné lieu aux déclarations de culpabilité?
ANALYSE
a. Caractère théorique
[9] Le dossier indique que les conditions spéciales imposées à M. Pargelen varient de temps à autre en fonction des progrès réalisés dans sa réinsertion sociale ou de l’absence de progrès. Il avait déjà été placé pendant 180 jours dans une maison de transition, placement qui avait pris fin, mais qui a été de nouveau imposé. Cette condition a un lien direct avec son accès aux ordinateurs et aux communications sans fil après les heures normales de travail. Dans les circonstances, il n’y a rien à gagner en évaluant la décision de la Commission, quelle que soit la norme de contrôle applicable. La demande est théorique en ce qui concerne ces points.
[10] Si le litige devait redevenir actuel, il devrait reposer, dans une certaine mesure, sur des faits différents. Dans les circonstances, je refuse d’exercer mon pouvoir discrétionnaire (Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342, 92 NR 110). Quoi qu’il en soit, la question qui sous-tend les trois conditions spéciales est la mesure dans laquelle les conditions doivent être liées aux déclarations de culpabilité du délinquant. Cette question apparaît encore plus clairement dans l’examen de la condition spéciale relative à l’information financière sur laquelle il faut se prononcer.
b. Norme de contrôle
[11] M. Pargelen s’appuie sur la décision Dixon c Canada (Procureur général), 2008 CF 889, [2009] 2 RCF 397, dans laquelle le juge Zinn a conclu que, en ce qui concerne les questions de droit ayant trait à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (la Loi), la norme de contrôle des décisions de la Commission nationale des libérations conditionnelles est celle de la décision correcte. À mon avis, on peut établir une distinction entre cette affaire et la situation en l’espèce dans la mesure où j’estime que la décision en cause ici est un mélange de fait et de droit appelant l’application de la norme de la décision raisonnable. En outre, il ressort du raisonnement du juge Zinn que ce dernier considérait que la décision faisant l’objet de la demande de contrôle judiciaire était absurde. Autrement dit, elle aurait été annulée même selon la norme de la décision raisonnable.
[12] La Cour suprême prône de plus en plus l’idée qu’il faut faire preuve de déférence envers les décideurs qui traitent de questions de droit relatives à leur loi constitutive (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654). Compte tenu de la manière dont j’ai caractérisé la décision, il n’est pas nécessaire ni utile de formuler une opinion quant à la norme de contrôle applicable aux décisions de la Commission sur de pures questions de droit relatives à la Loi, ainsi qu’aux règlements et aux lignes directrices d’une politique qui en découlent.
c. Lien entre l’infraction et les conditions spéciales imposées
[13] Ainsi qu’il est mentionné à l’article 100.1 de la Loi, la protection de la société est le critère prépondérant appliqué par la Commission. Les principes qui guident la Commission à l’égard des libérations conditionnelles sont énoncés à l’article 101 de la Loi. La Commission doit tenir compte des évaluations fournies par les autorités correctionnelles. Ses décisions, compte tenu de la protection de la société, ne doivent pas aller « au-delà de ce qui est nécessaire et proportionnel aux objectifs de la mise en liberté sous condition ». L’article 134.1 de la Loi fait état des conditions relatives à une surveillance à long terme et les précisions à cet égard sont prévues au paragraphe 161(1) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, avec les adaptations nécessaires. L’article 161 du Règlement énonce un certain nombre de conditions générales qui incluent le fait de signaler tout changement d’emploi et tout changement dans la situation financière du délinquant.
[14] Outre ces conditions générales, la Commission peut, conformément au paragraphe 134.1(2) de la Loi, imposer les conditions spéciales « qu’elle juge raisonnables et nécessaires pour protéger la société et favoriser la réinsertion sociale du délinquant ».
[15] Au cœur des observations de M. Pargelen figurent les paragraphes 7 à 9 de la section 7.1 (Conditions de la mise en liberté) du Manuel des politiques de la Commission nationale des libérations conditionnelles, qui sont libellés comme suit :
7. Une condition spéciale peut être imposée seulement lorsqu’elle est jugée raisonnable et nécessaire pour protéger la société et favoriser la
réinsertion sociale du délinquant.
8. Les commissaires doivent être persuadés que, sans l’aide et le contrôle assurés par le respect de la condition spéciale, le délinquant présentera un risque inacceptable de récidive. Il doit y avoir un lien clair entre la condition imposée et la probabilité de récidive si la condition n’est pas respectée.
9. Une condition spéciale doit être directement liée au risque que présente le délinquant, à un besoin du délinquant tel qu’exposé dans la décision ou à un comportement que les commissaires jugent inapproprié ou inacceptable. Il doit s’agir d’une condition que le délinquant peut respecter et que l’agent de libération conditionnelle peut surveiller et faire appliquer.
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7. A special condition may be imposed only when the condition is considered reasonable and necessary in order to protect society and to facility the successful reintegration into society of the offender.
8. Board members will be satisfied that without the assistance and control afforded by compliance with the special condition, the offender presents an undue risk to reoffend. There must be a clear link between the condition and the probability of reoffending if the condition is violated.
9. A special condition must relate directly to risk, to a need identified in the decision documentation or to behaviour that the Board members consider inappropriate or unacceptable. The condition must be one that can be complied with and that can be monitored and enforced by the parole officer. Board members should ensure that special conditions do not contradict court orders. |
[16] L’avocate de M. Pargelen insiste sur le fait que la condition relative à l’information financière n’est pas directement liée au risque de récidive compte tenu des déclarations de culpabilité antérieures.
[17] Selon l’avocate, à la lumière de la récente décision de la Cour suprême dans Greater Vancouver Transportation Authority c Fédération canadienne des étudiantes et étudiants — Section Colombie-Britannique, 2009 CSC 31, [2009] 2 RCS 295, les directives ont force de loi. Cette affaire avait trait aux politiques de deux commissions de transport qui autorisaient la publicité commerciale, mais non la publicité politique sur les véhicules de transport en commun. La question était de savoir si la Charte canadienne des droits et libertés s’appliquait et si ces politiques imposaient une restriction raisonnable au sens de l’article premier de la Charte. Le paragraphe 65 qui a été cité est libellé comme suit :
Ainsi, lorsqu’une politique gouvernementale est autorisée par la loi, qu’elle établit une norme générale se voulant obligatoire et qu’elle est suffisamment accessible et précise, il s’agit d’une règle de nature législative qui constitue une « règle de droit ».
[18] Je ne crois pas que cette affaire présente un intérêt pour M. Pargelen. La Loi dans son ensemble, le Règlement et les politiques sont parfaitement conformes à la Charte. Si les politiques vont au-delà de la Loi et du Règlement, il pourrait alors être affirmé qu’elles sont arbitraires.
[19] Il est allégué que la condition spéciale relativement à l’information financière n’est pas directement liée au risque que présente M. Pargelen pour la société. Toutefois, le paragraphe 9 prévoit également que la condition doit être liée à un comportement jugé inapproprié ou inacceptable.
[20] En l’espèce, le dossier indique quatre facteurs ayant trait au risque de récidive de M. Pargelen. Il s’agit de :
a. sa déviance sexuelle;
b. sa relation avec d’autres personnes, en particulier avec les femmes;
c. la maîtrise de la colère;
d. son manque de coopération.
[21] Plus précisément, le dossier indique que, dans le passé, il avait utilisé l’argent à des fins inappropriées, telles que l’achat de matériel de communication sans fil, contrairement à l’une des conditions alors imposées. Il y a plusieurs autres exemples de son manque de coopération.
[22] À mon avis, la décision de la Commission selon laquelle le comportement de M. Pargelen était inapproprié ou inacceptable était raisonnable et la condition spéciale imposée y est directement liée.
[23] Le manuel n’a pas force de loi. Je partage le point de vue exprimé par M. le juge Lemieux dans Sychuk c Canada (Procureur général), 2009 CF 105, 340 FTR 160, confirmée par 2010 CAF 7, 399 NR 12, au paragraphe 11, où il a rappelé le principe selon lequel les manuels n’ont pas force de loi, mais en ajoutant que de telles directives donnent néanmoins des indications de ce qui est raisonnable dans un contexte discrétionnaire.
[24] Dans un certain sens, M. Pargelen fait valoir que le manuel restreint le pouvoir discrétionnaire conféré à la Commission conformément à l’article 134.1 de la Loi. Je ne peux souscrire à ce point de vue. Dans Normandin c Canada (Procureur général), 2005 CAF 345, [2006] 2 RCF 112, la Cour d’appel fédérale a examiné l’historique de la disposition. La question était de savoir si le pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 134.1 était, sur le plan de l’interprétation législative, restreint par des dispositions plus particulières de la Loi. Comme l’a affirmé le juge Létourneau au paragraphe 29 de cet arrêt :
Le paragraphe 134.1(2) de la Loi, invoqué par la Commission pour imposer une assignation à résidence, renferme un pouvoir général d’assurer la protection de la société et de favoriser la réinsertion sociale d’un délinquant à contrôler en lui imposant les conditions de surveillance qu’elle juge raisonnables et nécessaires à cette fin. Ce pouvoir général, à mon avis, n’est pas écarté par les dispositions plus spécifiques des articles 99.1, 134.1, 135.1 et du paragraphe 133(4.1) de la Loi. Je reviendrai plus tard sur le rapport que ces dispositions entretiennent entre elles. Qu’il me suffise pour l’instant de dire que je suis d’accord avec les propos du juge Russell dans l’affaire McMurray c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), 2004 CF 462, repris en l’espèce par la juge Tremblay-Lamer.
[25] Si d’autres articles de la Loi n’ont pas pour effet de restreindre le pouvoir discrétionnaire de la Commission, son propre manuel ne peut certainement pas faire l’objet d’une telle interprétation.
DÉPENS
[26] M. Pargelen soutient que, puisqu’une importante question de droit était en cause, il ne devrait pas se voir condamner à des dépens en cas de rejet de sa demande. Bien que je ne souscrive pas à cette affirmation, il convient de noter qu’il a dû consacrer du temps et des efforts à deux questions qui sont devenues théoriques. Dans les circonstances, j’établis les dépens à une somme forfaitaire de 500 $, tout compris.
LANGUE
[27] La langue maternelle de M. Pargelen est l’anglais. Il a choisi cette langue pour communiquer avec la Commission et, par conséquent, les documents contenus au dossier à l’étude sont rédigés en anglais. Pour faciliter les choses aux avocates, la demande de contrôle judiciaire a été entendue en français. Toutefois, M. Pargelen a demandé que les motifs soient d’abord publiés en anglais, ce qui sera fait.
ORDONNANCE
POUR LES MOTIFS ÉNONCÉS,
LA COUR ORDONNE :
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
2. Le tout avec dépens en faveur du défendeur, lesquels sont fixés à 500 $.
« Sean Harrington »
Juge
Traduction certifiée conforme
Julie Boulanger
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-2078-11
INTITULÉ : PARGELEN c PGC
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 10 juillet 2012
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : Le juge Harrington
DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT : Le 20 juillet 2012
COMPARUTIONS :
Rita Magloé Francis
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POUR LE DEMANDEUR |
Véronique Forest |
POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Rita Magloé Francis Avocate Montréal (Québec)
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POUR LE DEMANDEUR |
Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada Montréal (Québec) |
POUR LE DÉFENDEUR |