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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20120719

Dossier : IMM-8190-11

Référence : 2012 CF 914

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 juillet 2012

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

PEDRO LAINEZ

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), à l’égard de la décision du 26 septembre 2011, par laquelle un agent d’examen des risques avant renvoi (ERAR) (l’agent) a rendu une décision défavorable sur la demande d’ERAR du demandeur. L’agent a estimé que le demandeur n’était pas exposé au risque d’être persécuté, d’être soumis à la torture ou à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il retournait au Honduras.

 

[2]               Le demandeur réclame l’annulation de la décision de l’agent et le renvoi de l’affaire à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci procède à une nouvelle audition et statue à nouveau sur l’affaire.

 

Contexte

 

[3]               Le demandeur, Pedro Lainez, est citoyen du Honduras où sa famille exploitait une entreprise d’élevage de bovins. En novembre 1998 ou autour de cette date, le gang Maras Salvatruchas (MS) a pris son grand-père pour cible et l’a extorqué en lui réclamant un impôt de guerre. Le grand-père du demandeur s’est d’abord plié à leur demande, mais le gang MS a fini par exiger des sommes plus importantes. Le grand-père a refusé et cherché en vain à obtenir la protection de la police. Le 8 octobre 2000, il a été assassiné pour n’avoir pas satisfait aux exigences du gang MS.

 

[4]               Le demandeur et sa sœur Elizabeth ont signalé le meurtre à la police, qui a placé des suspects en détention. Ayant reçu des menaces de mort, ils ont toutefois décidé de ne pas donner suite à l’affaire. Elizabeth a continué de faire les versements jusqu’à ce qu’elle n’en ait plus eu les moyens. Un juge, ex-beau-frère à qui elle a exposé sa situation, a recommandé à la famille de fuir. Elizabeth s’est donc enfuie aux États-Unis en 2001.

 

[5]               Le demandeur et ses frères sont ensuite allés à Tegucigalpa pour obtenir une protection. Elizabeth a commencé à les envoyer chercher un à un. Le 28 avril 2003, un homme, que le demandeur a reconnu comme un des individus qui collectaient l’impôt de guerre de son grand‑père, a tiré sur lui. Le demandeur n’a pas signalé cette agression à la police. Il a plutôt fui le Honduras deux jours plus tard et est arrivé aux États-Unis le mois suivant.

 

[6]               Le demandeur est parti pour le Canada le 11 septembre 2008. Il a déposé une demande d’asile à son arrivée et l’audition de cette demande a eu lieu le 13 janvier 2011. Dans une décision datée du 24 février suivant, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté sa demande d’asile, estimant que le demandeur avait été victime d’un crime sans rapport avec un motif prévu par la Convention, et que les risques qu’il redoutait étaient ceux auxquels devaient généralement faire face les autres citoyens du Honduras. L’autorisation de faire contrôler judiciairement cette décision a été refusée le 6 juin 2011.

 

[7]               Le demandeur a déposé une demande d’ERAR le 26 juillet 2011 et présenté des observations écrites le 12 août suivant. Il a inclus dans sa demande un rapport psychologique de Dr Halim B. Bishay des Phoenix Psychological-Vocational and Rehabilitation Services. Celui-ci a conclu, en s’appuyant sur son évaluation, que le demandeur souffrait de dépression et d’anxiété graves et qu’il subirait un nouveau traumatisme ainsi que des lésions psychologiques irréparables s’il retournait au Honduras.

 

[8]               Le demandeur a aussi inclus dans sa demande d’ERAR deux lettres, avec leur traduction anglaise. La première a été rédigée par l’oncle du demandeur, Rafael Molina Vasquez. Ce dernier explique qu’à l’instar du grand-père du demandeur, son fils Danilo a été assassiné par des criminels parce qu’il avait signalé l’extorsion dont il était victime à la police. M. Vasquez conseillait au demandeur de ne pas revenir au Honduras sous peine de se faire assassiner par des groupes criminels organisés.

 

[9]               La seconde lettre est de Santiago De Jesus Puentes, ex-juge du centre de traitement des affaires criminelles et pénales de la section judiciaire de Juticalpa, département d’Olancho. M. Puentes explique que le crime organisé est omniprésent au Honduras et qu’il n’y a pas de système de police efficace. Il connaissait la famille du demandeur, et précise que le grand-père a été assassiné lorsque celle-ci a refusé de payer l’impôt de guerre. M. Puentes ajoute qu’il était notoire que les membres du gang avaient recherché le demandeur dans sa ville natale et à Tegucigalpa, où il avait vécu avant de quitter le Honduras. D’après lui, ces criminels n’hésiteraient pas à tuer le demandeur à son retour. M. Puentes a aussi déclaré qu’il avait dû renoncer à ses fonctions de juge et prendre la fuite pour échapper à de semblables malfaiteurs. Depuis son retour au Honduras, les menaces avaient recommencé et il craignait pour sa vie.

 

La décision de l’agent

 

[10]           L’agent a rendu sa décision le 26 septembre 2011. Ses motifs figurent dans les notes complémentaires versées au dossier qui font partie de la décision.

 

[11]           Dans sa décision, l’agent a soupesé individuellement les documents contenus dans la demande d’ERAR du demandeur.

 

[12]           Premièrement, l’agent a noté que le demandeur indiquait dans les observations jointes à sa demande d’ERAR que le risque auquel il était exposé au Honduras n’était pas généralisé, mais plutôt personnel, et que son refus de payer le gang MS devait être compris comme l’expression d’une opinion politique. L’agent a cependant estimé que le demandeur ne fournissait aucune nouvelle information dans les observations jointes à sa demande d’ERAR, et que les événements qu’il y décrivait avaient tous déjà été examinés par la SPR. L’agent a donc jugé que ses observations ne contenaient aucune nouvelle information, et qu’elles n’étayaient pas les allégations de risque avancées par le demandeur. Il a conclu qu’elles avaient peu de valeur probante et leur a accordé peu de poids.

 

[13]           Deuxièmement, l’agent a examiné le certificat de décès de Danilo Alberto Molina Avilez, [traduction] « [l’]acte d’enlèvement de la dépouille», et la lettre de l’oncle du demandeur (le père de Danilo). L’agent a reconnu que M. Avilez avait été assassiné en février 2009, même si l’acte d’enlèvement de la dépouille indiquait que le corps avait été ramassé en février 2011. Il a également admis que M. Avilez était le cousin du demandeur et qu’il avait été violemment assassiné par des membres du crime organisé.

 

[14]           Cependant, l’agent n’a pas pu conclure que ce décès avait un rapport avec le demandeur. Il a noté à cet égard qu’aucune preuve n’établissait que M. Avilez travaillait avec le demandeur ou son grand-père, avait des liens avec l’entreprise du grand-père, avait été assassiné par les mêmes personnes ayant extorqué le demandeur et ses frères et sœurs et assassiné leur grand‑père, ou que ses assassins appartenaient au gang MS. L’agent a donc conclu que ces documents avaient peu de valeur probante et leur a également accordé peu de poids.

 

[15]           Troisièmement, l’agent a examiné le rapport psychologique. L’agent a relevé les conclusions du Dr Bishay selon lesquelles le demandeur souffrait d’anxiété et de dépression parce qu’il avait été persécuté au Honduras, et qu’il subirait un nouveau traumatisme s’il retournait dans ce pays. L’agent a reconnu que le demandeur présentait des symptômes d’anxiété et de dépression. Toutefois, en se basant sur l’avertissement contenu dans le rapport, il a fait remarquer que ces conclusions reposaient sur les déclarations que le demandeur avait faites au psychologue. L’agent a souligné que le Dr Bishay n’avait personnellement été témoin d’aucun des événements. Il a donc conclu qu’il s’agissait là d’une preuve par ouï-dire, à laquelle il a également attribué peu de poids.

 

[16]           Quatrièmement, l’agent a examiné la lettre de M. Puentes. Il a noté qu’il y avait peu d’éléments de preuve pour établir que ce dernier était effectivement juge. L’agent a néanmoins reconnu que l’auteur de cette lettre avait occupé un poste au sein du système judiciaire hondurien et qu’il avait, pour une raison ou une autre, été personnellement menacé par des groupes délinquants. Cependant, cela ne démontrait pas, à son avis, que le demandeur courait un risque personnel. L’agent a d’ailleurs fait remarquer que les informations manquaient pour expliquer comment l’auteur avait été mis au courant des risques auxquels s’exposait le demandeur. Il a estimé que la lettre ne contenait que des éléments de preuve par ouï-dire à l’égard de la situation personnelle du demandeur. L’agent a donc conclu que cette lettre avait peu de valeur probante et lui a accordé peu de poids.

 

[17]           L’agent a conclu, sur la base de cet examen, que le demandeur n’avait pas fourni assez de nouveaux éléments de preuve pour étayer les allégations voulant que son retour au Honduras l’expose à un risque personnel.

 

[18]           L’agent s’est ensuite penché sur la situation générale au Honduras pour déterminer si elle avait suffisamment changé depuis la décision de la SPR. Après avoir examiné certains documents publics, l’agent a reconnu que la criminalité organisée et la violence liée aux gangs continuaient à sévir au Honduras, faisant observer toutefois que cette situation générale concernait tous les résidants du pays.

 

[19]           L’agent a aussi noté qu’il existe une présomption selon laquelle l’État est en mesure de protéger ses citoyens. Le demandeur n’a fourni aucun élément de preuve objectif établissant qu’il n’avait pas réussi à obtenir la protection de l’État au Honduras. La preuve documentaire indique que ce pays a institué des agences du maintien de l’ordre et un système judiciaire opérant. Le gouvernement s’efforce aussi sérieusement de combattre la violence liée aux gangs. L’agent a donc conclu que le demandeur pourrait bénéficier de la protection de l’État s’il devait avoir des problèmes avec le gang MS à son retour.

 

[20]           L’agent a donc estimé que la situation générale au Honduras n’avait pas beaucoup changé depuis que la SPR avait statué sur le cas du demandeur. Dans ce contexte, il a conclu que le demandeur n’était pas une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi. L’agent a donc rendu une décision défavorable sur la demande d’ERAR du demandeur. Cette décision a été communiquée au demandeur le 27 octobre 2011.

 

[21]           Dans une ordonnance datée du 25 novembre 2011, M. le juge Donald Rennie de la Cour a ordonné que le renvoi du demandeur, prévu pour le 28 novembre suivant, soit suspendu en attendant l’issue finale du présent contrôle judiciaire de la décision relative à l’ERAR.

 

Questions en litige

 

[22]           Le demandeur soulève les questions suivantes :

1.         L’agent a-t-il tiré une conclusion de fait abusive, sans tenir compte des éléments dont il disposait, ou a-t-il commis une erreur de droit en concluant que les risques auxquels le demandeur s’exposait au Honduras étaient généralisés et qu’il pouvait se prévaloir de la protection de l’État?

2.         L’agent a-t-il tiré une conclusion de fait abusive, sans tenir compte des éléments dont il disposait, ou a-t-il commis une erreur de droit en accordant peu de poids au rapport du psychiatre soumis dans le cadre de la demande d’ERAR, au motif que les événements qui y étaient décrits avaient été rapportés par le demandeur?

 

[23]           Je reformulerai ainsi les questions en litige :

1.         Quelle est la norme de contrôle appropriée?

2.         L’agent a-t-il commis une erreur en accordant peu de poids au rapport psychologique?

3.         L’agent a-t-il fait une analyse erronée de la protection de l’État?

 

Observations écrites du demandeur

 

[24]           Le demandeur note que la décision de la SPR, acceptée par l’agent, laisse implicitement entendre qu’il ne peut bénéficier d’aucune protection de l’État. Le demandeur affirme que le risque d’être extorqué et assassiné par le gang MS en cas d’incapacité de payer, combiné à celui auquel il s’expose en tant que cible désignée des représailles de ce gang pour avoir déjà refusé de payer, est si courant au Honduras qu’il est généralisé. Il ajoute que lorsque le citoyen d’un pays se heurte au risque généralisé d’être assassiné dans chaque coin du pays, cela est logiquement incompatible avec la possibilité de se prévaloir de la protection de l’État. L’agent a donc dû se méprendre terriblement quant à la décision de la SPR, ou manquer de tenir bien compte des éléments de preuve présentés avec la demande d’ERAR, pour conclure que le demandeur n’avait pas réussi à réfuter la présomption de protection de l’État.

 

[25]           Le demandeur soutient que le danger de lésions psychologiques irréparables, en particulier le [traduction] « grave épisode dépressif » signalé dans le rapport psychologique, est une menace à sa vie. Il demande à la Cour d’admettre d’office que le suicide est la cause principale de décès chez les personnes souffrant de dépression majeure et qu’il compte pour 15 % à 20 % de tous les décès de patients atteints de graves troubles de l’humeur. Il soutient en outre que le décès causé par la maladie mentale doit être considéré sur le même plan que le risque de maladie physique. La protection ne devrait donc pas être refusée au motif que la maladie est de nature mentale et non physique.

 

[26]           Le demandeur note que l’agent a trouvé suspects les événements qu’il avait rapportés, quoique la SPR les ait considérés comme véridiques et que l’agent les ait adoptés par renvoi à la décision de la SPR. L’agent a également accordé peu de poids au rapport puisque le Dr Bishay n’avait eu connaissance des événements qu’à travers le demandeur, et qu’il n’avait donc pas une connaissance directe des risques le concernant et de ce qu’il avait enduré.

 

[27]           Le demandeur fait valoir que le processus et la décision d’ERAR supposent tous deux que l’agent accepte que la décision de la SPR était correcte au moment où elle a été rendue. La véracité des événements que le demandeur a décrits au psychiatre et à la SPR a été confirmée dans la décision de celle-ci. Il était donc absurde de la part de l’agent d’accorder ensuite peu de poids au rapport du Dr Bishay pour le seul motif qu’il s’appuyait sur la description que le demandeur lui avait faite de ces événements.

 

Observations écrites du défendeur

 

[28]           Le défendeur soutient que la critique du demandeur visant les conclusions de l’agent sur le risque généralisé et la protection de l’État touche deux conclusions distinctes. L’agent a d’abord évalué le risque auquel s’exposait le demandeur et conclu qu’il était généralisé; il a ensuite analysé la situation régnant dans le pays et conclu que le demandeur pouvait se prévaloir de la protection de l’État en cas de problèmes. Comme la Cour a confirmé plusieurs fois de semblables conclusions, le défendeur fait valoir que le demandeur n’a pas réussi à démontrer que l’agent avait commis une erreur en parvenant à ces conclusions.

 

[29]           Le défendeur prétend que le demandeur n’a pas fourni d’éléments de preuve clairs et convaincants pour réfuter la présomption concernant la protection de l’État. Le défendeur note que le demandeur n’a pas signalé à la police la tentative de meurtre dont il aurait été victime. Le défendeur soutient aussi que des éléments de preuve autorisaient l’agent à conclure que le demandeur pouvait bénéficier de la protection de l’État, notamment le fait que le Honduras a institué des agences de maintien de l’ordre et un système judiciaire opérant, et qu’il s’efforce sérieusement de combattre la violence liée aux gangs. En conséquence, aucune erreur susceptible de contrôle n’a été commise.

 

[30]           Le défendeur fait également valoir qu’il était raisonnable pour l’agent d’accorder peu de poids au rapport psychologique. Il souligne que l’évaluation psychologique reposait sur l’état psychologique du demandeur et ce qu’il avait déclaré lui-même à ce sujet. Elle ne visait pas à déterminer s’il avait été touché par certains événements au Honduras. Comme le rapport n’était fondé que sur une seule rencontre entre le psychologue et le demandeur, il était loisible à l’agent de lui accorder peu de poids. Ce faisant, ce dernier ne s’est pas prononcé sur la question de savoir si les événements eux-mêmes étaient suspects.

 

[31]           Le défendeur fait néanmoins valoir que même si elle conclut que l’agent a commis une erreur en attribuant peu de poids au rapport, la Cour doit se demander si l’erreur susceptible de contrôle affecte la décision finale du décideur. Si tel n’est pas le cas, celle-ci ne devrait pas être annulée.

 

[32]           En résumé, le défendeur soutient qu’au fond, le demandeur conteste le poids que l’agent a accordé à la preuve. Le demandeur demande à la Cour de réévaluer la preuve. Ce motif ne justifie pas l’intervention de la Cour. Par conséquent, la demande devrait être rejetée.

 

Analyse et décision

 

[33]           Question 1

            Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            Lorsque la jurisprudence a établi la norme de contrôle applicable à une question donnée, la cour de révision peut adopter cette norme (voir Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57).

 

[34]           Il est bien établi en droit que la norme de contrôle applicable aux décisions d’ERAR est la raisonnabilité (voir Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 799, [2010] ACF no 980, au paragraphe 11; et Aleziri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 38, [2009] ACF no 52, au paragraphe 11). Il en va de même des questions qui concernent la protection de l’État et la pondération, l’interprétation et l’évaluation de la preuve (voir Giovani Ipina Ipina c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 733, [2011] ACF no 924, au paragraphe 5; et Oluwafemi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1045, [2009] ACF no 1286, au paragraphe 38).

 

[35]           Lorsqu’elle contrôle la décision de l’agent suivant la norme de la raisonnabilité, la Cour ne doit intervenir que si ce dernier est parvenu à une conclusion qui n’est pas transparente, justifiable et intelligible et n’appartient pas aux issues acceptables compte tenu de la preuve dont il disposait (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] ACS no 12, au paragraphe 59). La cour de révision ne peut substituer à l’issue qui a été retenue celle qui serait à son avis préférable; il ne rentre pas non plus dans ses attributions de soupeser à nouveau les éléments de preuve (voir Khosa, précité, aux paragraphes 59 et 61).

 

[36]           Question 2

L’agent a-t-il commis une erreur en accordant peu de poids au rapport psychologique?

            Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur en accordant peu de poids au rapport psychologique au motif que le Dr Bishay n’avait pas une connaissance directe des événements liés aux risques. Il note que le risque de lésions psychologiques irréparables dont fait état le rapport constitue une menace à sa vie et que la maladie mentale mérite la même protection que la maladie physique. Inversement, le défendeur affirme que l’évaluation psychologique reposait sur l’état psychologique du demandeur et sur ce qu’il avait déclaré lui-même à ce propos. Elle ne visait pas à déterminer s’il avait été touché par certains événements au Honduras et l’agent n’a pas conclu que les incidents mentionnés dans le rapport étaient suspects.

 

[37]           Dans la décision, l’agent a pris note des conclusions du Dr Bishay selon lesquelles le demandeur souffrait d’anxiété et de dépression et qu’il subirait un nouveau traumatisme s’il retournait dans son pays. Cependant, il est finalement parvenu à la conclusion suivante :

[traduction] Je reconnais que le demandeur présente des symptômes d’anxiété et de dépression. Cependant, je note aussi que ce rapport repose sur les déclarations que le demandeur a faites au psychologue. En fait, le rapport précise : « Veuillez noter que les renseignements contenus dans ce rapport sont des avis professionnels reposant principalement sur ce que le patient a lui‑même rapporté à propos de son état et la panoplie de tests psychométriques disponibles. » Le Dr Bishay n’a personnellement été témoin d’aucun des événements décrits par le demandeur. Je conclus qu’il s’agit d’une preuve par ouï-dire ayant peu de valeur probante. J’accorde peu de poids à cette lettre. [Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[38]           Le Dr Bishay décrit les événements survenus au Honduras dans la section du rapport intitulée [traduction] « Antécédents pertinents ». Il est vrai que le Dr Bishay n’a pas été témoin de ces événements et que leur description était basée sur celle qu’en avait donnée le demandeur et sur le contenu de son Formulaire de renseignements personnels (FRP). Cependant, le rapport ne se contente pas de reprendre les déclarations du demandeur. Il fournit plutôt une évaluation médicale de son état en exposant sommairement les événements qu’il a décrits de manière à mettre ses antécédents en contexte. Le Dr Bishay a conclu, sur la foi de son évaluation et de ses observations, que :

[traduction] En plus de la violence émotive et psychologique dont il a été victime, il est clair que M. Lainez présente des symptômes correspondant à un diagnostic de traumatisme.

 

 

 

[39]           Le Dr Bishay a également expliqué les résultats de trois tests psychométriques auxquels le demandeur s’est soumis. Deux de ces tests, le questionnaire de dépression et le questionnaire d’anxiété de Beck, ont été présentés comme des outils fiables et répandus servant à déterminer la présence et l’intensité de la dépression et de l’anxiété, respectivement. Il s’agit donc de la [traduction] « panoplie de tests psychométriques » sur lesquels le Dr Bishay s’est appuyé en plus de ce que [traduction] « le patient a lui‑même rapporté à propos de son état », pour parvenir aux conclusions énoncées dans le rapport psychologique.

 

[40]           En règle générale, c’est à l’agent qu’il revient de décider du poids à accorder à la preuve médicale, ce qui ne soulève pas de question importante si ses observations sur le traitement décrit sont correctes (voir Padda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1081, [2003] ACF no 1353, au paragraphe 12). Cependant, dans la décision Begashaw c Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2009 FC 462, [2009] FCJ no 1058, qui traitait du sursis à un renvoi, M. le juge Michel Shore a également pris acte de la jurisprudence acceptée par la Cour selon laquelle [traduction] « une décideuse qui n’est pas experte commet une erreur lorsqu’elle rejette une preuve psychologique d’expert sans motif » (au paragraphe 46).

 

[41]           Comme nous l’avons déjà mentionné, l’agent a accordé peu de poids au rapport psychologique, car le Dr Bishay n’avait pas une connaissance directe des événements qui y étaient décrits. Cependant, il est clair que ce dernier n’a évoqué les événements rapportés par le demandeur qu’à des fins contextuelles. Les conclusions reposent à la fois sur des observations professionnelles et sur des tests d’évaluation fiables et répandus. Elles soulignent la gravité de l’état du demandeur, comme en attestent les derniers paragraphes du rapport psychologique :

[traduction] Compte tenu de l’ampleur du traumatisme subi par le patient et de la période durant laquelle il a dû supporter ces expériences atroces, je suis d’avis que s’il devait retourner au Honduras, il subirait un nouveau traumatisme et souffrirait de lésions psychologiques irréparables. Par ailleurs, son retour au Honduras mettrait indubitablement le patient dans une situation où les préjudices, d’autres abus et possiblement la mort sont très probables.

 

Il est impératif que nous ne sous-estimions pas la gravité de l’état psychologique actuel du patient. D’après nos évaluations psychométriques et nos observations, il est évident que M. Lainez a cruellement besoin d’une intervention psychologique. […] [Non souligné dans l’original]

 

 

 

[42]           Compte tenu de ces conclusions médicales, j’estime qu’il était déraisonnable que l’agent accorde peu de poids au rapport psychologique au seul motif que le Dr Bishay n’avait pas une connaissance directe des événements dont il faisait état. La jurisprudence établit clairement qu’un décideur qui n’est pas un expert, comme l’agent, commet une erreur lorsqu’il rejette la preuve psychologique d’un expert sans motif. L’argument du ouï-dire n’était pas un motif raisonnable pour rejeter le rapport psychologique ou les conclusions professionnelles du Dr Bishay qu’il contenait. Par conséquent, je ferai droit à la demande de contrôle judiciaire pour ce motif.

 

[43]           Compte tenu de ma conclusion sur ce point, je ne traiterai pas l’autre question en litige.

 

[44]           La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire.

 

[45]           Le demandeur m’a soumis une question grave de portée générale aux fins de certification :

[traduction] La conclusion voulant que les demandeurs soient exposés à un risque généralisé sous-entend-elle que la protection de l’État n’est pas disponible?

 

 

 

Je ne suis pas disposé à certifier cette question que la Cour a déjà tranchée dans des décisions précédentes.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger


ANNEXE

 

Dispositions législatives pertinentes

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

 

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

 

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

113. Consideration of an application for protection shall be as follows :

 

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

 

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8190-11

 

INTITULÉ :                                      PEDRO LAINEZ

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 4 JUILLET 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     LE 19 JUILLET 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

D. Russ Makepeace

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Meva Motwani

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Binavince Makepeace

Vaughan (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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