[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 4 juillet 2012
En présence de monsieur le juge Rennie
ENTRE :
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire d’une décision, en date du 12 octobre 2011, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu qu’elle n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.
Les faits
[2] La demanderesse, Xiaohong Yang, est Chinoise. Elle affirme avoir été initiée au catholicisme par un ami après avoir été hospitalisée à la suite d’une blessure à la tête. Elle a commencé à fréquenter régulièrement une maison‑église catholique clandestine.
[3] Elle affirme que, le 17 mai 2009, son église a été la cible d’une rafle menée par le Bureau de la sécurité publique (le BSP). Étant arrivée tard ce soir‑là, elle a échappé à une arrestation et s’est réfugiée chez sa tante. Alors qu’elle se cachait à cet endroit, elle a appris que le BSP était venu voir si elle s’y trouvait et que trois autres membres de son église avaient été arrêtés. Elle a quitté la Chine avec l’aide d’un intermédiaire et elle est arrivée au Canada le 14 septembre 2009. Elle a présenté sa demande d’asile le 6 octobre 2009. Elle a appris par la suite que les trois personnes qui avaient été arrêtées avaient été condamnées à un emprisonnement de trois ans en Chine.
[4] La Commission a mis en doute la crédibilité de la demanderesse et a conclu qu’elle n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. Selon elle, la demanderesse n’était pas une authentique chrétienne et, même si elle l’était, elle ne serait pas exposée à un risque de persécution à son retour au Fujian, sa province d’origine.
Crédibilité
[5] Se fondant sur des divergences dans la preuve orale et écrite de la demanderesse, ou sur des contradictions entre son témoignage et la preuve documentaire, la Commission a tiré plusieurs conclusions défavorables sur la crédibilité de la demanderesse, à savoir :
a. La demanderesse avait donné, dans son témoignage écrit et son témoignage oral, des dates différentes pour le jour où le BSP était venu s’enquérir d’elle chez sa tante, et elle avait aussi produit un témoignage contradictoire sur ce point à plusieurs reprises au cours de l’audience.
b. La demanderesse avait omis dans son exposé circonstancié plusieurs dates concernant l’époque à laquelle le BSP était à sa recherche.
c. La convocation présentée par la demanderesse à titre de preuve ne concordait pas avec les descriptions et exemples de ce genre de document d’après la preuve documentaire : elle n’indiquait pas l’âge de la demanderesse, son sexe ou son adresse; elle ne comportait pas de carte d’accusé de réception; et c’était une convocation pour interrogatoire plutôt qu’un mandat d’arrêt, convocation qui en l’occurrence n’aurait pas été délivrée si le témoignage de la demanderesse était véridique.
d. La preuve documentaire donnait à penser que l’arrestation des trois fidèles catholiques, et leur condamnation à un emprisonnement de trois ans, auraient été signalées par les organisations concernées, et, puisqu’aucune nouvelle du genre n’avait été diffusée, cela voulait dire que rien de tout cela ne s’était produit. La demanderesse avait un visa des États‑Unis daté du 3 juin 2009, mais elle n’avait quitté la Chine qu’après avoir obtenu un visa pour le Canada quelques mois plus tard. La Commission a estimé que le report de son départ de Chine la rendait peu crédible et elle a récusé son explication selon laquelle elle avait laissé l’intermédiaire s’occuper de tout.
[6] La Commission a donc conclu que la demanderesse n’était pas crédible, qu’elle n’avait pas professé la foi chrétienne en Chine et que le BSP n’avait fait aucune descente dans la maison‑église. Elle a aussi conclu que la demande d’asile n’avait pas été faite de bonne foi et que, si la demanderesse fréquentait une église au Canada, c’était uniquement pour rendre crédible sa fausse demande d’asile. Selon la Commission, la demanderesse n’était pas une véritable adepte de l’Église catholique romaine et ne serait pas perçue comme telle en Chine.
[7] Subsidiairement, la Commission a estimé que, même si la demanderesse était une authentique chrétienne, elle n’avait pas établi l’existence d’une possibilité sérieuse qu’elle soit exposée à la persécution si elle devait retourner au Fujian. Elle a passé en revue la preuve documentaire relative au traitement des catholiques en Chine, en particulier au Fujian. Certains documents donnaient à penser que cette province est plus tolérante que d’autres, mais d’autres documents indiquaient le contraire.
[8] La demande d’asile a donc été refusée.
Norme de contrôle et questions litigieuses
[9] La présente demande soulève les questions suivantes :
a. La manière dont la Commission a analysé la crédibilité de la demanderesse était‑elle raisonnable?
b. La Commission a‑t‑elle commis une erreur en appliquant une exigence relative à la bonne foi?
c. La Commission a‑t‑elle eu raison de conclure que les chrétiens au Fujian ne sont pas menacés?
Analyse
La manière dont la Commission a analysé la crédibilité de la demanderesse était‑elle raisonnable?
[10] La Commission a estimé que la demanderesse n’était pas un témoin crédible et elle n’a donc pas cru qu’elle était chrétienne, que ce soit en Chine ou au Canada, ni que le BSP avait fait une descente dans la maison‑église qu’elle fréquentait. Ces conclusions, si elles sont jugées raisonnables, étaient décisives pour la demande d’asile, et les autres erreurs commises n’étaient pas de nature à vicier la décision. Selon moi, la Commission pouvait raisonnablement tirer lesdites conclusions, et la demande de contrôle judiciaire doit donc être rejetée.
[11] La demanderesse fait valoir que la Commission s’est attardée sur des détails non essentiels pour la demande d’asile et qu’elle a donc commis une erreur en procédant à un examen microscopique de la preuve : Attakora c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 99 NR 168 (CAF). Cependant, les conclusions de la Commission concernaient son témoignage selon lequel le BSP s’était mis à sa recherche à la suite de la rafle, ainsi que son affirmation selon laquelle trois de ses condisciples avaient été arrêtés et condamnés à un emprisonnement de trois ans. Ces faits étaient à la fois cruciaux pour sa demande d’asile et importants pour l’analyse juridique. Selon la Commission, le témoignage de la demanderesse à propos des faits en question n’était pas uniforme ou bien ne cadrait pas avec la preuve documentaire. La Commission pouvait très bien arriver à ces conclusions.
[12] La demanderesse soutient aussi que la Commission a récusé à tort la convocation du BSP parce que, selon la preuve soumise, la pratique du BSP variait d’une région à une autre et aussi parce que les exemples de convocation sur lesquels s’était fondée la Commission étaient périmés. La Commission a tenu compte de l’argument de la demanderesse sur les variantes régionales de la convocation, mais elle a néanmoins conclu que les omissions décelées dans la convocation permettaient de croire que, selon la prépondérance des probabilités, il ne s’agissait pas d’un document authentique.
[13] La demanderesse affirme aussi que la Commission a écarté l’explication qu’elle lui avait donnée pour justifier son peu d’empressement à quitter la Chine. Elle avait dit à la Commission que c’est son intermédiaire qui avait son passeport et qui s’était occupé de toutes les démarches. Or, la Commission a tenu compte cette de explication dans sa décision, mais elle a estimé qu’elle ne permettait pas de comprendre pourquoi elle n’avait pas quitté la Chine alors qu’elle disposait d’un visa valide pour se rendre aux États‑Unis. Par son argument, la demanderesse voudrait en somme que la Cour exerce le rôle de la Commission et arrive à une conclusion autre, ce que la Cour n’est pas habilitée à faire.
La Commission a‑t‑elle commis une erreur en appliquant une exigence relative à la bonne foi?
[14] Je reconnais avec la demanderesse que la Commission a écrit à tort qu’il existe, en droit canadien des réfugiés, une exigence en matière de « bonne foi ». Les sources sur lesquelles s’est appuyée la Commission au soutien d’une telle exigence (une décision de l’Autorité d’appel en matière de statut de réfugié de la Nouvelle‑Zélande, et un ouvrage de James Hathaway) remontent à plus de 15 ans et ne sont pas propres au droit canadien.
[15] Comme l’indique la décision Ghasemian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1266, la bonne foi n’est pas un critère pour l’examen des demandes d’asile sur place. Au contraire, même si un demandeur d’asile se convertit pour une raison intéressée, il a toujours droit à la protection s’il peut établir une crainte fondée de persécution pour l’un des motifs prévus par la Convention. La Cour s’exprimait ainsi dans la décision Ghasemian :
[29] Selon Mme Ghasemian, la Commission a également commis une erreur lorsqu’elle a examiné les motifs qui l’avaient poussée à se convertir et qu’elle n’a pas appliqué le bon critère en rejetant sa revendication au motif qu’elle n’avait pas été faite de bonne foi, c’est‑à‑dire qu’elle ne s’était pas convertie pour des raisons purement religieuses. Elle se fonde sur l’arrêt rendu par la Cour d’appel d’Angleterre dans l’affaire Danian c. Secretary of State for the Home Department, [1999] E.W.J. No. 5459 (en ligne QL).
[30] Dans cet arrêt, la Cour d’appel d’Angleterre a jugé que, malgré le fait que la revendication présentée par M. Danian en qualité de « réfugié sur place » reposait sur des opinions politiques clairement exprimées qui auraient été formulées dans le seul but d’étayer sa revendication, le tribunal était quand même tenu de décider si M. Danian s’exposerait à la persécution s’il retournait dans son pays d’origine.
[31] Bien que notre Cour ne soit pas liée par l’arrêt Danian, précité, je trouve son raisonnement fort convaincant et je conviens que les revendicateurs opportunistes sont toujours protégés par la Convention s’ils réussissent à établir qu’ils craignent véritablement et avec raison d’être persécutés pour un des motifs prévus par la Convention.
[32] Je constate toutefois que dans l’arrêt Danian, précité, la Cour a également déclaré que le fait qu’un revendicateur a manipulé sa situation pour pouvoir revendiquer le statut de réfugié peut quand même constituer un facteur pertinent lorsqu’il s’agit d’évaluer sa crédibilité.
[33] De toute évidence, ces considérations sont susceptibles d’avoir des incidences non négligeables sur la capacité du revendicateur ou de la revendicatrice d’établir l’existence d’une crainte subjective de persécution si la seule preuve qui existe à cet égard est son témoignage.
[16] Ainsi, selon ce précédent, la question de savoir si la conversion d’un demandeur d’asile était une conversion de bonne foi est pertinente quant à la crédibilité du demandeur d’asile, mais le décideur doit quand même se demander si le demandeur d’asile a une crainte fondée de persécution pour l’un des motifs prévus par la Convention.
[17] Un raisonnement similaire a aussi été appliqué dans la décision Ejtehadian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 158 :
[10] La CISR a exposé son interprétation quant à la façon dont elle doit examiner une demande d’asile présentée sur place. À la page 4 de ses motifs, la CISR a écrit :
Comme il s’agit d’une demande d’asile sur place, le tribunal doit examiner les motifs du demandeur relativement à sa décision de se convertir. Il ne fait aucun doute que le demandeur d’asile est devenu membre de l’Église mormone depuis son arrivée au Canada. Sa conversion était‑elle authentique, comme le prétend le demandeur d’asile, ou s’agissait‑il tout simplement d’un moyen pour demeurer au Canada et demander l’asile?
[11] La formulation du critère par la CISR en ce qui a trait à une demande d’asile sur place est incorrecte. Dans le cadre d’une demande d’asile sur place, la preuve crédible des activités d’un demandeur au Canada susceptibles d’attester le risque d’un préjudice dès son retour doit être expressément prise en considération par la CISR, même si la motivation derrière ces activités n’est pas sincère : Mbokoso c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1806 (QL). La décision défavorable de la CISR est fondée sur la conclusion que la conversion du demandeur n’est pas authentique et est « seulement une solution pour demeurer au Canada et demander l’asile ». La CISR a reconnu que le demandeur s’est converti et qu’il a même été ordonné prêtre de la confession mormone. La CISR a aussi accepté la preuve documentaire voulant que les apostats sont persécutés en Iran. En évaluant les risques auxquels le demandeur pourrait faire face à son retour, dans le cadre d’une demande d’asile sur place, il est nécessaire de tenir compte de la preuve crédible de ses activités au Canada, indépendamment des motifs derrière sa conversion. Même si les motifs de conversion du demandeur ne sont pas authentiques, tel que l’a conclu la CISR en l’espèce, l’imputation possible d’apostasie à l’égard du demandeur par les autorités iraniennes peut néanmoins être suffisante pour qu’il réponde aux exigences de la définition de la Convention. Voir : Ghasemian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1266, aux paragraphes 21 à 23, et Ngongo c. Canada (M.C.I.), [1999] A.C.F. no 1627 (C.F.) (QL).
[18] Dans ces deux affaires, les demandeurs d’asile étaient originaires d’Iran, où l’apostasie est un crime, et le simple fait qu’ils se soient convertis, quelles qu’aient pu être leurs motivations, entraînait un risque de persécution. Dans la présente affaire, la demanderesse n’est exposée à un risque que si elle professe véritablement la religion chrétienne, ce qui était la question sur laquelle la Commission s’est penchée dans son analyse.
[19] Je reconnais donc avec la demanderesse que la Commission a commis une erreur en évoquant une exigence en matière de « bonne foi » pour les demandes d’asile sur place, et sa décision serait déraisonnable si elle avait été rendue sur ce fondement. Cependant, les motifs de la Commission peuvent globalement s’interpréter comme une conclusion selon laquelle, compte tenu des nombreux doutes sur sa crédibilité, la demanderesse n’est pas une authentique chrétienne. Autrement dit, la Commission n’a pas refusé la demande d’asile parce que la demanderesse s’était convertie dans un dessein illégitime; elle l’a refusée parce que la demanderesse ne s’était jamais véritablement convertie, mais fréquentait plutôt une église au Canada pour étoffer sa demande d’asile. À mon avis donc, l’erreur de la Commission n’a pas eu pour effet d’invalider sa conclusion, et cet aspect de sa décision est raisonnable.
La Commission a‑t‑elle eu raison de conclure que les chrétiens au Fujian ne sont pas menacés?
[20] Puisque la Commission était fondée à conclure que la demanderesse ne professait pas véritablement la religion chrétienne, les prétendues erreurs dans sa conclusion sur le risque auquel sont exposés les chrétiens au Fujian ne pouvaient pas vicier sa décision. Il n’est donc pas nécessaire de considérer ces arguments, et la demande doit être rejetée.
JUGEMENT
LA COUR STATUE QUE la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question à certifier n’a été proposée, et l’affaire n’en soulève aucune.
Traduction certifiée conforme
Édith Malo, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM‑8012‑11
INTITULÉ : XIAOHONG YANG c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
DATE DE L’AUDIENCE : Le 7 juin 2012
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE RENNIE
DATE DES MOTIFS : Le 4 juillet 2012
COMPARUTIONS :
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POUR LA DEMANDERESSE
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Khatidja Moloo
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
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POUR LA DEMANDERESSE
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Myles J. Kirvan, Sous‑procureur général du Canada Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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