Ottawa (Ontario), le 18 juin 2012
En présence de monsieur le juge Boivin
ENTRE :
|
HEDIA CHERIF EP BEN ZAIED
|
|
|
||
et
|
|
|
ET DE L'IMMIGRATION
|
|
|
|
||
|
|
|
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [Loi], à l’encontre d’une décision rendue le 16 septembre 2011 selon laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut du réfugié (le Tribunal) a conclu que les demandeurs n’avaient pas la qualité de réfugiés ou de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.
I. Le contexte
A. Le contexte factuel
[2] Monsieur Ali Ben Zaied (le demandeur principal), âgé de soixante-sept (67) ans, et son épouse, Madame Hedia Cherif Ep Ben Zaied (la demanderesse), âgée de soixante-cinq (65) ans, sont des citoyens de la Tunisie. Les demandeurs demandent l’asile au Canada en vertu des articles 96 et 97(1) de la Loi.
[3] Les demandeurs allèguent que leurs problèmes ont commencé en juin 2008. Le demandeur principal soutient qu’il a été approché et intercepté par deux inconnus lorsqu’il sortait de la mosquée de son quartier. Le demandeur principal affirme que les individus l’ont ordonné de ne plus fréquenter la mosquée en raison du fait qu’il était chiite et ne pouvait participer aux rites. Toutefois, le demandeur principal est retourné à la mosquée. Il a appris que d’autres chiites avaient été victimes des mêmes menaces verbales.
[4] Par la suite, le demandeur principal allègue qu’il a reçu des appels menaçants et a été avisé de cesser de participer aux rites de la mosquée. Une semaine après ces appels, le demandeur principal soutient que trois hommes l’ont intercepté et qu’il a reçu un coup de pied et un coup de poing au visage. Les individus l’auraient averti d’arrêter ses activités.
[5] Le demandeur principal explique qu’il a tenté de déposer une plainte à la police sans succès. Aussi, le demandeur principal maintient que la demanderesse a commencé à être angoissée à la lumière de ces menaces et, par conséquent, sa santé a commencé à se détériorer. Après des discussions avec leurs quatre enfants, tous résidents du Canada, les demandeurs ont décidé de quitter la Tunisie. Les demandeurs sont venus au Canada le 20 septembre 2008 et ont obtenu un visa pour une période de six mois. Une prolongation de six mois leur a, par la suite, été accordée. Après un an de séjour au Canada, une demande de permis de travail pour le demandeur principal a été refusé.
[6] Les demandeurs allèguent qu’ils se sont déclarés réfugiés sur place le 10 mars 2010 en raison de la situation précaire en Tunisie.
[7] L’audience devant le Tribunal s’est tenue le 18 juillet 2011.
B. La décision contestée
[8] Le Tribunal a rejeté la demande d’asile des demandeurs puisqu’il a conclu que les demandeurs étaient des immigrants plutôt que des réfugiés.
[9] Essentiellement, le Tribunal a déterminé que les demandeurs sont venus au Canada pour des raisons économiques et médicales et pour rester auprès de leurs enfants. Le Tribunal a jugé que le témoignage du demandeur principal était confus et imprécis au sujet de sa crainte des individus sunnites en Tunisie. En outre, le Tribunal a tiré une inférence négative du fait que les demandeurs n’avaient pas demandé l’asile dès leur arrivée et le fait qu’ils étaient illégaux lorsqu’ils se sont déclarés réfugiés sur place en 2010. De plus, le Tribunal a noté que les demandeurs sont déjà venus au Canada à deux reprises pour visiter leurs enfants : ils sont restés au Canada pendant six mois en septembre 2004 et ils sont restés au Canada pour un autre mois en avril 2007. En conséquence, le Tribunal a conclu que le demandeur n’avait pas démontré sa crainte de persécution des mains d’individus sunnites en Tunisie.
II. La question en litige
[10] La Cour est d’avis que la seule question en litige est la suivante : le Tribunal a-t-il erré en concluant que les demandeurs n’avaient pas démontré l’existence d’une crainte subjective ?
III. Les dispositions législatives applicables
[11] Les dispositions législatives applicables de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés se lisent comme suit :
Notions d’asile, de réfugié et de personne à protéger
Définition de « réfugié »
96. A qualité de réfugié au sens de la Convention – le réfugié – la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques : a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays; b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner. |
Refugee Protection, Convention Refugees and Persons in Need of Protection
Convention refugee
96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,
(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or (b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country. |
97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée : a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture; b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant : (i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, (ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas, (iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes – sauf celles infligées au mépris des normes internationales – et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles, (iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.
(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection. |
Person in need of protection
97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally (a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or (b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if
(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country, (ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country, (iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and (iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.
(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.
|
IV. La norme de contrôle applicable
[12] En vertu de la jurisprudence, la norme de contrôle applicable servant à déterminer si un demandeur a établi une crainte subjective de persécution est celle de la décision raisonnable (Garzon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2011 CF 299 au para 24, [2011] ACF no 381; Qin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2012 CF 9 au para 34, [2012] ACF no 14).
V. L’analyse
[13] En l’espèce, la Cour estime que la décision du Tribunal est raisonnable pour les raisons suivantes.
[14] En ce qui a trait à la question de la crainte subjective, la Cour rappelle qu’en vertu de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] ACS no 9 [Dunsmuir], il incombe aux demandeurs de démontrer que la décision du Tribunal ne fait pas partie des issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Aussi, la Cour note que les demandeurs d’asile doivent établir qu’ils possèdent à la fois une crainte subjective de persécution dans leur pays d’origine et un fondement objectif à cette crainte.
[15] À la lumière de la preuve au dossier, la Cour note qu’il était raisonnable pour le Tribunal de tirer des inférences négatives du fait notamment que (i) les demandeurs n’avaient pas fourni des explications claires aux questions du Tribunal quant à leurs persécuteurs (Dossier du Tribunal, pp 158 et 174); (ii) que les demandeurs avaient déposé une demande d’asile à la suite d’un séjour de deux (2) ans au Canada – et à la suite de deux (2) prolongations de visas – (J.E.P.G. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2011 CF 744, [2011] ACF no 938) et; (iii) le fait que leurs réponses indiquent qu’ils désirent demeurer au Canada pour des raisons économiques et familiales (Dossier du Tribunal, p. 188). Plus particulièrement sur ce dernier point, la Cour est en accord avec le défendeur que les questions posées par le Tribunal aux demandeurs s’inséraient « parfaitement dans les obligations du Tribunal de vérifier l’existence d’une crainte subjective » (Farfan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2011 CF 123, [2011] ACF no 153 [Farfan]; Espinosa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1324, [2003] ACF no 1680 [Espinosa])
[16] En fait, lorsque lu dans son ensemble, la Cour est d’avis que le témoignage des demandeurs concernant ce qui pourraient leur arriver advenant un retour en Tunisie demeure spéculatif (Dossier du Tribunal, pp. 182-183), et la preuve au dossier ne démontre pas en quoi la situation personnelle des demandeurs diffère de celle des autres Chiites en Tunisie.
[17] De plus, la Cour ne peut retenir l’argument des demandeurs selon lequel leurs réponses contenues aux pages 188 et 189 du dossier du Tribunal laissent planer une certaine ambiguïté. Une lecture attentive ne convainc pas cette Cour et, de plus, si par hypothèse cela était le cas, le procureur des demandeurs se devait de le soulever lors de l’audience devant le Tribunal, ce qui ne fût pas fait. Comme le souligne le défendeur et, compte tenu de la preuve au dossier, le Tribunal pouvait tenir compte du comportement des demandeurs pour évaluer leur crainte subjective d'être persécutés (voir Espinosa, ci-dessus aux paras 16-17; Heer c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1988] ACF no 330). La Cour rappelle aussi qu’il est de jurisprudence constante qu’une absence de crainte subjective est fatale à une demande d’asile (voir Farfan, ci-dessus, au para 16).
[18] Cela étant dit, en ce qui à trait à la question de réfugié sur place, la Cour doit également rejeter l’argument des demandeurs selon lequel le Tribunal n’a pas considéré la question de réfugié sur place. La Cour observe plutôt que le Tribunal a traité de la question de l’état d’insécurité en Tunisie aux paragraphes 13 et 14 de sa décision. Il était aussi raisonnable pour le Tribunal de conclure qu’il n’y avait pas de lien entre cette situation et la demande d’asile des demandeurs et qu’ils étaient affectés au même degré que toute la population tunisienne. En effet, les demandeurs ont admis qu’ils ne sont pas spécifiquement visés par les événements découlant de la révolution et qu’ils subiraient le même sort que le reste de la population tunisienne (Dossier du Tribunal, p. 182).
[19] Compte tenu de tout ce qui précède, bien que la Cour sympathise avec la situation des demandeurs, la Cour est d’avis que la décision du Tribunal de rejeter la demande d'asile des demandeurs fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit tel qu’énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Dunsmuir, ci-dessus.
[20] Aucune question n’a été soulevée par les parties aux fins de certification et ce dossier n’en comporte aucune.
JUGEMENT
1. La demande est rejetée;
2. Il n’y a aucune question à certifier.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-7171-11
INTITULÉ : ALI BEN ZAIED ET AL
c. MCI
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 19 avril 2012
DATE DES MOTIFS : Le 18 juin 2012
COMPARUTIONS :
Me Michel Le Brun
|
POUR LA PARTIE DEMANDERESSE |
Me Emilie Tremblay
|
POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
L’étude légale de Me Le Brun Montréal (Québec)
|
POUR LA PARTIE DEMANDERESSE |
Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada
|
POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE |