[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 8 juin 2012
En présence de monsieur le juge Near
ENTRE :
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PEDRO NASCIMENTO DIAS STEFANNY SAMARA NASCIMENTO DIAS
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ET DE L’IMMIGRATION
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Les demandeurs (Sandra Maria Alves Dias et ses enfants, Pedro Nascimento Dias et Stefanny Samara Nascimento Dias) sollicitent le contrôle judiciaire de la décision défavorable rendue à leur égard par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) le 23 septembre 2011. La Commission a alors statué qu’ils n’avaient ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.
[2] Leur demande est rejetée pour les motifs qui suivent.
I. Les faits
[3] Les demandeurs sont des citoyens du Brésil. Ils ont fui leur pays d’origine pour les États‑Unis le 15 février 2005. Ils sont restés dans ce pays sans statut jusqu’ils entrent au Canada et demandent l’asile le 8 janvier 2010.
[4] Sandra (ou la demanderesse principale) soutenait que son mari Paulo avait commencé à faire une consommation abusive de drogues et d’alcool et l’agressait physiquement de manière régulière. Après qu’elle est allée vivre avec sa mère dans un immeuble d’habitation en copropriété protégé, Paulo aurait tenté d’entrer dans l’immeuble, sans toutefois réussir parce qu’elle avait déjà parlé de lui aux gardiens. Cet incident a poussé la demanderesse principale à partir pour les États‑Unis.
II. La décision faisant l’objet du contrôle
[5] La Commission a conclu que le fait que la demanderesse principale n’avait pas demandé l’asile aux États‑Unis pendant les cinq ans qu’elle avait passés dans ce pays sans statut révélait l’absence d’une crainte subjective. Les questions déterminantes concernaient cependant la possibilité de refuge intérieur (la PRI) et la possibilité d’obtenir la protection de l’État.
[6] Malgré le témoignage de la demanderesse principale selon lequel il serait difficile de se réinstaller au Brésil avec ses enfants et selon lequel Paulo serait motivé à la retrouver car il « mène la même vie » de consommateur de drogues, la Commission a conclu que les demandeurs avaient une PRI à Rio de Janeiro. Elle a indiqué :
Compte tenu du temps écoulé, du fait que Paulo n’a pas causé de préjudice aux demandeurs d’asile après qu’ils l’eurent quitté, du fait qu’il a autorisé les demandeurs d’asile mineurs à quitter le Brésil avec Sandra et de sa situation personnelle, il est peu vraisemblable que l’agent de persécution poursuivrait les demandeurs d’asile s’ils retournaient au Brésil. Je suis d’avis qu’il est encore moins probable qu’il les poursuivrait à Rio de Janeiro.
[7] La Commission a conclu également que les demandeurs n’avaient pas produit une preuve claire et convaincante démontrant que, selon la prépondérance des probabilités, il n’existe pas de protection de l’État adéquate au Brésil, un pays démocratique. La demanderesse principale n’avait pas tenté d’obtenir la protection de l’État en signalant les agressions. Elle prétendait que Paulo l’avait menacée et elle pensait qu’il se vengerait si elle demandait une ordonnance de non‑communication. La Commission n’était pas persuadée cependant que la police n’aurait pas fait enquête sur ses allégations si la demanderesse principale s’était adressée à elle. Elle a conclu que « les réponses de Sandra en ce qui concerne l’efficacité de la protection de l’État n’étaient pas convaincantes, parce qu’elles étaient non confirmées en grande partie et qu’elles ne cadraient pas avec la preuve documentaire ».
[8] Il a été reconnu que le Brésil a eu certaines difficultés dans le passé à lutter contre la criminalité et la corruption existant au sein des forces de sécurité, mais que, dans l’ensemble, l’État s’était attaqué à ces problèmes. La preuve démontrait que « le Brésil a connu un grand nombre de succès importants dans sa lutte contre le crime et la corruption et qu’un grand nombre de ses initiatives ont été efficaces ». En ce qui concerne la violence conjugale en particulier, la Commission a indiqué que « [l]a réussite de la mise en œuvre initiale des nouvelles lois est appuyée par le nombre de Brésiliens qui les connaissent et qui approuvent leur efficacité ainsi que par l’accroissement du nombre de clients servis par le centre des services pour les femmes ».
[9] Enfin, la Commission a examiné la question de savoir s’il serait objectivement déraisonnable ou trop exigeant pour les demandeurs de déménager à Rio de Janeiro. Elle était d’avis que cela ne le serait pas. Comme ils avaient été capables de s’adapter à la vie dans un nouveau pays, il leur serait beaucoup plus facile de se réadapter à la vie dans un endroit différent dans leur pays d’origine. La Commission a fait état du rapport psychologique signalant le trouble de stress post‑traumatique dont était atteinte la demanderesse principale et d’autres symptômes relevés chez elle, ainsi que du trouble d’adaptation chronique assorti d’anxiété de Steffany. Les demandeurs auraient cependant accès aux traitements requis par ces problèmes s’ils retournaient au Brésil.
III. Les questions en litige
[10] La question générale sur laquelle la Cour doit se prononcer est le caractère raisonnable de la décision de la Commission.
IV. La norme de contrôle
[11] C’est la norme de contrôle de la raisonnabilité qui s’applique généralement lorsque le droit et les faits ne peuvent être aisément dissociés (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 51). Plus précisément, cette norme s’applique aux conclusions relatives à la protection de l’État (Mendez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 584, [2008] ACF no 771, aux paragraphes 11 à 13) et à la PRI (Rodriguez Diaz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1243, [2008] ACF no 1543, au paragraphe 24).
[11]
[12] La Cour est préoccupée par la question de savoir si la décision est justifiée et si le processus décisionnel est transparent et intelligible – en d’autres termes, si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, ci‑dessus, au paragraphe 47).
V. Analyse
[13] La demanderesse principale conteste la conclusion tirée par la Commission relativement au fait qu’elle n’a pas demandé l’asile aux États‑Unis. La Commission a déclaré au paragraphe 12 de ses motifs :
Sandra n’a recouru à aucun moyen de protection aux États-Unis pendant les quelque cinq ans qu’elle y a habité. J’estime qu’il s’agit là d’une attitude déraisonnable de la part d’une personne qui craint d’être persécutée dans son pays d’origine. Sandra ne s’est même pas informée auprès d’un consultant en immigration ou d’un avocat de la protection offerte, et ce, bien que le fait de s’informer n’était pas susceptible de constituer un risque pour elle. Cette attitude ne concorde pas avec celle d’une personne qui craint de retourner dans son pays d’origine. Compte tenu de son attitude, je tire une conclusion défavorable en ce qui concerne la crainte subjective de Sandra. Je suis convaincue que si Sandra craignait véritablement de retourner au Brésil, elle aurait tenté de régulariser son statut aux É.‑U. Je conclus donc que l’omission de sa part de demander l’asile aux É.‑U. indique une absence de crainte subjective.
[14] La demanderesse principale affirme qu’elle a indiqué dans son témoignage qu’elle avait compris que seulement un pour cent des demandes d’asile présentées aux États‑Unis étaient accueillies et qu’elle avait trop peur d’être expulsée vers le Brésil. Elle laisse entendre que, comme la Commission n’a exprimé aucun doute concernant la crédibilité de son témoignage sur la violence conjugale dont elle avait été victime, elle n’a pas tenu compte de tous les éléments de preuve démontrant pourquoi elle n’avait pas demandé l’asile aux États‑Unis.
[15] Je ne peux pas souscrire pas à la thèse de la demanderesse principale selon laquelle le raisonnement de la Commission était déraisonnable dans les circonstances. Il ressort clairement des extraits cités ci‑dessus et d’autres passages de la décision que la crainte d’être expulsée des États‑Unis vers le Brésil qu’elle disait avoir a été examinée de manière minutieuse par la Commission. Celle‑ci a néanmoins conclu que l’attitude de la demanderesse principale, qui ne s’était pas informée au sujet de la possibilité de demander l’asile au cours des cinq années pendant lesquelles elle n’avait pas de statut, ne concordait pas avec celle d’une personne craignant véritablement de retourner dans son pays d’origine, ce qui remettait en question sa crainte subjective. En outre, même si elle s’est penchée sur la question de la crainte subjective, la Commission considérait que les conclusions relatives à la protection de l’État et à la PRI étaient déterminantes.
[16] Le raisonnement de la Commission est conforme à la jurisprudence. Les demandeurs auraient dû demander l’asile à la première occasion possible (voir Jeune c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 835, [2009] ACF no 965, au paragraphe 15). Dans des décisions plus récentes, la Cour souligne que, lorsqu’une personne n’est pas en mesure de justifier sa lenteur à présenter une demande d’asile, celle‑ci « peut être déclarée irrecevable, même si les allégations de son auteur sont jugées par ailleurs crédibles » (Velez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 923, au paragraphe 28). Bien que la demanderesse principale ait expliqué qu’elle avait peur, la Commission n’a pas jugé ce témoignage suffisant pour dissiper ses doutes concernant sa crainte subjective.
[17] Les demandeurs contestent en outre l’analyse que la Commission a faite de la protection de l’État, dans le cadre de laquelle elle a reproché à la demanderesse principale de ne pas s’être adressée à la police malgré le fait qu’elle croyait que cela aggraverait la situation. Au soutien de cette prétention, la demanderesse principale signale les préoccupations ressortant de la preuve documentaire en ce qui concerne l’absence d’une protection de l’État adéquate pour les victimes de violence conjugale.
[18] La demanderesse principale n’est cependant pas dégagée de son obligation de tenter d’obtenir la protection de l’État. Or, elle n’a fait aucun effort pour obtenir cette protection. Dans Bolanos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 388, [2011] ACF no 497, le juge James Russell a fait remarquer au paragraphe 60 :
[60] […] La demanderesse ne peut, à mon avis, prétendre que la protection de l’État est insuffisante au Mexique parce qu’en tant que femme vulnérable, elle hésite à la réclamer. Elle peut fort bien avoir des craintes subjectives à cet égard, mais si l’État peut, objectivement, offrir une protection adéquate aux femmes qui se trouvent dans sa situation, la demanderesse n’a pas dans ce cas réfuté la présomption fondamentale qu’elle peut se prévaloir de la protection de l’État.
[19] Ce raisonnement s’applique en l’espèce. Peu importe que la demanderesse principale ait cru qu’elle aggraverait simplement la situation en cherchant à obtenir une protection au Brésil, il reste qu’elle n’a pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État. Les conclusions de la Commission sur le sujet étaient appropriées compte tenu de la preuve. La Commission a fait remarquer que les demandeurs « n’ont pas pris toutes les mesures raisonnables en l’espèce pour obtenir la protection de l’État au Brésil avant de demander la protection internationale au Canada. Sandra n’a déployé aucun effort pour solliciter la protection de l’État au Brésil. Elle n’a jamais signalé les agressions physiques commises par Paulo ni ses menaces à la police ».
[20] Les demandeurs avancent des arguments intéressants concernant la façon dont la Commission a traité la preuve documentaire relative à la protection de l’État offerte aux victimes de violence conjugale au Brésil. Ils font valoir que la Commission a omis de tenir compte de certains renseignements défavorables et contradictoires sur cette question et donnent des exemples précis pertinents.
[21] Malgré les questions soulevées par le défaut de mentionner expressément certains documents défavorables sur la question de la violence familiale, la conclusion générale selon laquelle le Brésil est en mesure de fournir une protection de l’État adéquate à la demanderesse principale, si elle l’avait demandé, reste raisonnable dans les circonstances.
[22] De même, je considère que la conclusion de la Commission concernant la PRI est une issue acceptable au regard des faits et du droit. La Commission a examiné explicitement le rapport psychologique des demandeurs et a reconnu les troubles qui y étaient décrits. Elle a conclu qu’« advenant leur retour au Brésil, [les demandeurs] pourraient y recevoir des traitements ». Ainsi, il ne serait pas objectivement déraisonnable ou trop exigeant d’attendre des demandeurs qu’ils déménagent à Rio de Janeiro, où ils ont une PRI. Même si les demandeurs escomptaient une appréciation plus favorable, l’approche de la Commission était raisonnable, compte tenu de l’ensemble de la preuve pertinente.
VI. Conclusion
[23] En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Traduction certifiée conforme
Christiane Bélanger, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-7071-11
INTITULÉ : SANDRA MARIA ALVES DIAS ET AL c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
DATE DE L’AUDIENCE : Le 3 mai 2012
MOTIFS DU JUGEMENT
DATE DES MOTIFS : Le 8 juin 2012
COMPARUTIONS :
J. Byron M. Thomas
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POUR LES DEMANDEURS |
Khatidja Moloo-Alam
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
J. Byron M. Thomas Avocat Toronto (Ontario)
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POUR LES DEMANDEURS |
Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada
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POUR LE DÉFENDEUR |