Ottawa (Ontario), le 27 avril 2012
En présence de monsieur le juge Scott
ENTRE :
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ET DE L'IMMIGRATION
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
I. Introduction
[1] La Cour est saisie d’une demande de révision judiciaire présentée aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], qui vise la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [CISR], rendue le 2 septembre 2011, voulant que Mme Brigida Del Angel Cedillo (la demanderesse), ne soit pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR.
[2] Pour les raisons qui suivent, cette demande de révision judiciaire est rejetée.
II. Faits
[3] La demanderesse est citoyenne du Mexique.
[4] Le 23 juin 1999, la demanderesse travaille pour la Municipalité de Tampico dans l’état de Tamaulipas comme auxiliaire administrative. Elle vérifie les documents produits pour l’obtention de passeports.
[5] Toutefois, son excès de zèle au travail déplait énormément à certains membres des Coyotes (passeurs).
[6] Le 17 décembre 2007, la demanderesse allègue avoir signalé à ses supérieurs que certains passeurs faisaient délivrer des passeports à l’aide de faux documents. Ces derniers lui auraient mentionné de ne plus se préoccuper de cette situation, car ils allaient s’en charger.
[7] La demanderesse se fait muter à un autre département, toujours au service de la municipalité, où elle est accueillie froidement par ses nouveaux collègues en raison de ses dénonciations.
[8] Le 7 janvier 2008, la demanderesse signale les activités illicites des Coyotes au délégué du ministre des Affaires étrangères.
[9] Un mois plus tard, soit le 8 février 2008, la demanderesse se fait maltraiter par deux individus. Elle commence également à recevoir des menaces de mort par téléphone.
[10] Le 3 mars 2008, elle quitte alors son emploi et se réfugie chez un ami à San Luis Potosi.
[11] Le 23 mars 2008, la demanderesse est enlevée par cinq hommes et séquestrée dans une maison aux abords de San Luis Potosi. Deux des cinq hommes chargés de la surveiller s’en prennent à elle pour l’agresser sexuellement. Ils détachent la demanderesse et l’obligent à se dénuder. Toutefois, les deux hommes s’endorment en raison d’une consommation excessive d’alcool et de drogue. La demanderesse prend alors la fuite et atteint une autoroute où elle reçoit l’aide d’une famille.
[12] Elle retourne se réfugier chez son ami à San Luis Potosi avant de quitter le Mexique pour se rendre au Canada, le 9 juin 2008. Elle dépose une demande d’asile
[13] Elle allègue que son frère aurait été assassiné en février 2011 en lien avec les évènements qui sous-tendent sa demande.
[14] La CISR détermine que la demanderesse n’est pas crédible puisqu’elle fait défaut de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle serait exposée à un risque de torture ou à une menace à sa vie ou au risque de traitements et peines cruels et inusités advenant son retour au Mexique. La CISR conclut que la demanderesse n’est pas une réfugiée au sens de la Convention, ni une personne à protéger aux termes de la LIPR.
III. Législation
[15] Les articles 96 et 97 de la LIPR précisent que:
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Définition de « réfugié » |
Convention refugee
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96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :
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96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion, |
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a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays; |
(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or
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b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.
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(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.
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Personne à protéger
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Person in need of protection
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97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :
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97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally
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a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture; |
(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or
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b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :
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(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if |
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(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, |
(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,
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(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,
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(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,
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(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,
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(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and |
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(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.
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(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care. |
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(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection. |
(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.
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IV. Question en litige et norme de contrôle
A. Question en litige
[16] Cette demande de révision judiciaire ne soulève qu’une seule question :
· Est-ce que la CISR erre en concluant que la demanderesse n’est pas crédible ?
B. Norme de contrôle
[17] Une conclusion relative à la crédibilité est une question de fait, qui s’apprécie selon la norme de la décision raisonnable (voir Lawal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2010 CF 558, [2010] ACF no 673 au para 11).
[18] Il est clairement établi aussi que les questions de fait et d'appréciation des éléments de preuve relèvent du champ d'expertise de la Commission et sont révisées selon la norme de la décision raisonnable (voir Theophile c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2011 CF 961, [2011 ACF no 1177 aux paras 16 et 17; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 aux paras 51 et 53 [Dunsmuir]). Il incombe à la cour de révision de décider si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (voir Dunsmuir, précitée, au para 47).
V. Position des parties
A. Position de la demanderesse
[19] La demanderesse soutient que la conclusion de la CISR portant sur sa crédibilité est mal fondée. Elle allègue aussi que la CISR ignore certains éléments de preuve présentés à l’appui de sa demande.
[20] Elle reproche également à la CISR de faire abstraction d’une partie de son récit (voir Djama c Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF No 531).
[21] Selon la demanderesse, la CISR erre en concluant, sans aucun motif valable, qu’elle manque de crédibilité.
B. Position du défendeur
[22] Le défendeur allègue que la CISR tient compte de tous les éléments de preuve pertinents au soutien de la demande d’asile de la demanderesse.
[23] La CISR reconnaît qu’une partie du récit de la demanderesse est crédible. Toutefois, la Commission conclut que les éléments centraux de la demande d’asile sont« rocambolesques » et « invraisemblables ». Le défendeur souligne qu’il est bien établi que « [l]a Commission est le juge des faits et elle est autorisée à tirer des conclusions raisonnables quant à la crédibilité du récit du revendicateur en se fondant sur le manque de vraisemblance, le bon sens et la raison » en s’appuyant sur la décision de Khaira c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 62 au para 14. Elle prétend également qu’il n’est pas suffisant de mentionner que la CISR aurait pu tirer une conclusion différente (Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 183 au para 19).
[24] Le défendeur rappelle de plus le principe voulant que la Cour n’a pas à réexaminer tous les éléments de preuve et les conclusions de la Commission à moins d’erreur flagrante (Castaneda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 393 au para 14).
VI. Analyse
· Est-ce que la CISR erre en concluant que la demanderesse n’est pas crédible ?
[25] La CISR tire les conclusions suivantes à l’appui de sa décision:
[31] Le tribunal considère que cette partie est rocambolesque et invraisemblable. Comment une jeune femme qui est recherchée et retrouvée par une bande de criminels qui confient à cinq hommes le soin de l’enlever et de la séquestrer dans une maison éloignée ; qui est gardée par deux hommes qui tentent de l’agresser sexuellement, arrive à se sauver parce que ses geôliers se sont endormis tous les deux » (voir la décision de la CISR au para 31).
[37] La demandeure n’a pas démontré que monsieur Enrique Angel del Cedillo est son frère, elle n’a pas démontré non plus que l’assassinat de ce monsieur a un quelconque lien avec son histoire (voir la décision de la CISR au para 37).
[26] La CISR trouve invraisemblable que la demanderesse se soit échappée d’une telle situation.
PAR LA COMMISSAIRE PRÉSIDENTE (à la demandeure)
- Une autre chose – une autre chose qui me parait invraisemblable, vous avez deux bandits – (inaudible) vous dites qu’il y en a trois qui sont partis – vous restez avec deux. Ils boivent, ils se droguent, ok ?
- Vous(inaudible) ici : « L’un deux a commencé à me caresser. » Et ils vous laisse aller comme ça.
- C’est des hommes ou c’est pas des hommes ?
PAR LA DEMANDEURE (à la commissaire présidente)
- Oui, c’était deux hommes.
PAR LA COMMISSAIRE PRÉSIDENTE (à la demandeure)
- Alors vous trouvez pas ça invraisemblable, vous ?
PAR LA DEMANDEURE (à la commissaire présidente)
- Non, c’est ce qui s’est passé.
PAR LA COMMISSAIRE PRÉSIDENTE (à la demandeure)
- Oui, mais vous ne trouvez pas ça bizarre que deux bandits vous séquestrent, commencent à vous caresser et puis, vous laissent comme ça ?
- J’aurais compris que un soit tombé endormi que (inaudible) peut-être (inaudible).
PAR LA DEMANDEURE (à la commissaire présidente)
- Les deux, ils se sont endormis, ils ont commencé à prendre de la drogue. Ils ne m’ont pas agressé (inaudible).
PAR LA COMMISSAIRE PRÉSIDENTE (à la demandeure)
- Ils vous ont pas agressés après avoir commencé à vous caresser ? Qu’est-ce qu’y fait que ils commencent à vous à vous caresser, ils arrêtent brusquement ?
PAR LA DEMANDEURE (à la commissaire présidente)
- C’est ce qu’ils ont fait. Commencer à me toucher, puis…
PAR LA COMMISSAIRE PRÉSIDENTE (à la demandeure)
- Et brusquement, comme ça, les deux arrêtent de vous…
PAR LA DEMANDEURE (à la commissaire présidente)
- C’était ça. Madame.
[27] La Cour tient à souligner que la CISR peut tirer des conclusions raisonnables fondées sur des invraisemblances, le bon sens et la raison, et peut aussi rejeter des éléments de preuve s'ils ne concordent pas avec les probabilités applicables à l'affaire dans son ensemble (Aguebor c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] ACF no 732 [Aguebor]). C’est ce qu'elle fait en l'espèce.
[28] La CISR, après une évaluation des circonstances de l’affaire, conclut raisonnablement que le récit de la demanderesse est en partie invraisemblable. La Cour ne voit pas d’erreur dans les conclusions de la Commission par rapport aux évènements entourant l’enlèvement de la demanderesse. Cette conclusion fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (voir Dunsmuir, précitée, au para 47).
[29] La CISR conclut aussi que la mort de M. Enrique Del Angel Cedillo n’est pas reliée à la demande d’asile de la demanderesse. La Commission souligne que la demanderesse ne dépose aucun élément de preuve pour établir que M. Enrique Del Angel Cedillo est son frère.
[30] La CISR considère les articles de journaux exposant la mort de M. Cedillo. Toutefois, ces articles ne démontrent pas que M. Cedillo est bien le frère de la demanderesse, et plus important, que les faits entourant sa mort sont reliés de quelque façon au récit de la demanderesse. La jurisprudence de cette Cour est claire, le revendicateur de statut de réfugié doit apporter tous les éléments de preuve nécessaires pour établir la véracité des faits qui sous-tendent sa demande.
[31] Il est également de jurisprudence constante que l'évaluation des éléments de preuve et des témoignages, et la valeur probante qu’on leur attribue relèvent de la CISR (voir la décision Aguebor, précitée; et Romhaine c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2011 CF 534, [2011] ACF no 693 au para 31). En l’instance, la conclusion de la CISR portant sur l’évaluation des éléments de preuve de la demanderesse est raisonnable. Il n’y pas de motifs qui donnent ouverture à une intervention de cette Cour.
VII. Conclusion
[32] Les conclusions de la CISR voulant que le récit entourant l’enlèvement de la demanderesse soit invraisemblable et que les éléments de preuve n’établissent pas que feu M. Cedillo est son frère et que son décès soit relié à la revendication de la demanderesse sont raisonnables. La demanderesse n’est donc pas une réfugiée au sens de la Convention, ni un personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR.
JUGEMENT
LA COUR REJETTE la demande de révision judiciaire et CONSTATE qu’il n’y a pas de question d’intérêt général à certifier.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-6627-11
INTITULÉ : BRIGIDA DEL ANGEL CEDILLO
c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal, Québec
DATE DE L’AUDIENCE : 28 mars 2012
DATE DES MOTIFS : 27 avril 2012
COMPARUTIONS :
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Pavol Janura |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
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Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada Montréal (Québec) |
POUR LE DÉFENDEUR |