[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 8 juin 2012
En présence de monsieur le juge Mosley
ENTRE :
|
|
|
|
|
|
et
|
|
|
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
|
|
|
|
|
|
|
|
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Le demandeur Nadir Saleem sollicite le contrôle judiciaire, conformément à l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (ci-après la LIPR), de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (ci-après la Commission) a conclu qu’il n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger.
[2] Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande est accueillie.
LES FAITS À L’ORIGINE DU LITIGE
[3] Le demandeur est un citoyen du Pakistan originaire de la ville de Sialkot, située dans la province du Punjab. Il a rencontré une jeune femme par l’entremise de sa soeur et a commencé à la fréquenter, puis lui a proposé le mariage, contrairement aux souhaits des parents de la jeune fille. Le couple s’est enfui vers la ville de Mardan et s’est réfugié chez la famille d’un ami. Le demandeur et la jeune fille se sont mariés en octobre 2007. Des accusations d’enlèvement et de viol ont été déposées contre le demandeur, par suite de la plainte déposée par les parents de l’épouse de celui-ci. Le demandeur s’est enfui au Canada et a demandé la protection. En août 2008, son épouse a donné naissance à un fils. L’épouse et le fils continuent à vivre à Mardan, chez la famille de l’ami.
LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE
[4] La Commission a conclu que la demande du demandeur était généralement crédible et appuyée par la preuve, laquelle comprenait le Premier rapport d’information, un mandat d’arrestation, un certificat de mariage, des courriels de l’épouse, le certificat de naissance du fils, une carte d’identité nationale et un passeport.
[5] La Commission a conclu que le demandeur avait accès à une possibilité de refuge intérieur (ci-après PRI) dans les villes de Multan et de Mardan, qui sont toutes deux situées à plus de 400 km de Sialkot et comptent un grand nombre d’habitants. De l’avis de la Commission, les beaux-parents du demandeur ne pourraient pas trouver celui-ci et son épouse dans l’une de ces villes et ne semblaient pas, en tout état de cause, le rechercher activement en dehors de Sialkot. La Commission était également d’avis qu’il serait facile pour le demandeur de se réinstaller ailleurs, parce qu’il était titulaire d’un baccalauréat obtenu au Pakistan et qu’il avait suivi la majorité des cours relatifs à son MBA aux États-Unis.
LA QUESTION EN LITIGE
[6] La seule question en litige est de savoir si la conclusion de la Commission au sujet de la PRI était raisonnable.
ANALYSE
La norme de contrôle
[7] La conclusion concernant l’existence d’une PRI porte sur une question mixte de fait et de droit qui commande l’application de la norme de la décision raisonnable : Soto c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 360, au paragraphe 19, et Guerilus c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 394, au paragraphe 10. Le caractère raisonnable tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59.
La conclusion concernant la PRI était-elle raisonnable?
[8] Le critère à appliquer pour savoir s’il est déraisonnable pour le demandeur de se réinstaller dans une PRI suggérée est strict. Le demandeur devait démontrer selon la prépondérance des probabilités qu’il serait exposé à un risque sérieux de persécution dans les PRI suggérées. Si la Commission n’est pas convaincue que ce risque existe, le demandeur devra démontrer qu’il serait déraisonnable pour lui de se réinstaller dans la PRI suggérée : Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 2118 (C.A.F.).
[9] Le demandeur soutient, notamment, que la Commission a commis une erreur en concluant que ses beaux-parents et la police ne le recherchaient pas activement, lui-même et son épouse, à l’extérieur de Sialkot. Il fait valoir que la Commission n’a pas tenu compte du fait qu’il est visé par un mandat et qu’il était déraisonnable de la part de la Commission de dire qu’il peut simplement faire face aux accusations au Pakistan, parce qu’il a une chance raisonnable de les voir rejetées. De l’avis du demandeur, la conclusion de la Commission va à l’encontre de la preuve selon laquelle la police et les tribunaux inférieurs sont corrompus ainsi que de la preuve faisant état de la violence à l’endroit des couples qui se marient contre les désirs de leurs parents.
[10] Il était loisible à la Commission de conclure, comme elle l’a fait, que les beaux-parents et la police auraient pu trouver l’endroit où l’épouse habitait au moyen de la carte d’identité nationale de celle-ci, sur laquelle figure l’adresse résidentielle, puisqu’il appert du dossier que cette carte a été utilisée pour la délivrance du certificat de naissance du fils. Cependant, la conclusion selon laquelle la police et les beaux-parents auraient pu retracer l’épouse par l’entremise de l’ami qui a offert de les héberger à Mardan reposait sur une simple supposition, parce que la preuve ne permet pas de dire que l’ami était connu de la famille de l’épouse ou de la police. De plus, l’épouse n’était pas visée par le mandat d’arrestation et la Commission n’aurait pas dû invoquer le fait qu’elle avait été capable de vivre à Mardan, bien que de façon discrète, pendant quatre ans pour dire que le demandeur n’aurait pas été arrêté s’il était retourné dans cette ville.
[11] Comme la Commission l’a souligné, les crimes d’honneur commis à l’encontre des couples qui se marient contre le désir de leurs parents sont nombreux au Pakistan. Il appert également de la preuve que la police se permet d’agir comme gardien de la moralité publique afin de préserver la tradition et la culture. Dans les circonstances, il était déraisonnable de proposer au demandeur de vivre en se cachant dans la PRI suggérée : Abdeen c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 779.
[12] La Commission s’est fondée sur un rapport de recherche pour conclure que les premiers rapports d’information sans fondement sont souvent rejetés par les tribunaux du Pakistan. Cependant, la Commission n’a pas tenu compte de l’effet des mandats d’arrestation. Elle a présumé, sans preuve, que le fait que les premiers rapports d’information ne pouvaient être consultés au moyen d’un système informatique donnait à penser qu’il n’y avait aucun système informatique donnant accès aux mandats.
[13] Dans la preuve, les premiers rapports d’information sont décrits comme suit : [traduction] « rapports écrits préparés par la police en réponse au signalement d’un événement ou d’un incident criminel porté à son attention. Il s’agit de documents où sont consignés les premiers renseignements que les plaignants fournissent à la police ». Pour leur part, les mandats constituent des ordres formels d’arrestation des suspects; ces documents sont délivrés par des magistrats et, selon l’article 83 du Code de procédure criminelle du Pakistan, ils peuvent être exécutés en dehors du territoire de compétence des magistrats et de la police. Aucun élément de preuve ne montre qu’il est impossible d’avoir accès aux mandats par des méthodes électroniques ou par d’autres moyens ailleurs au Pakistan.
[14] La Commission a reconnu que bon nombre de tribunaux inférieurs du Pakistan sont corrompus. Cette conclusion était appuyée par la documentation objective sur le pays. En conséquence, il était contradictoire de la part de la Commission de mentionner que le demandeur pourrait retourner au Pakistan pour faire face à ses accusateurs en présumant qu’il aurait de bonnes chances de se défendre avec succès contre les accusations. S’il avait été arrêté, le demandeur aurait était jugé à Sialkot où ses beaux-parents, selon la preuve que la Commission a acceptée, semblent avoir beaucoup d’influence. La preuve fait également état d’un arriéré important dans le traitement des causes dans le système judiciaire, ce qui pourrait donner lieu à des conséquences graves, comme la détention avant le procès pour une période indéterminée : Chowdhury c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 290, au paragraphe 16.
[15] Compte tenu des préoccupations susmentionnées, je ne suis pas convaincu que la décision de la Commission puisse se justifier au regard des faits et du droit ou qu’elle appartient aux issues possibles acceptables.
[16] Aucune question grave de portée générale n’a été proposée et aucune ne sera certifiée.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande est accueillie et que l’affaire est renvoyée à la Section de la protection des réfugiés pour nouvel examen. Aucune question n’est certifiée.
Traduction certifiée conforme
Christiane Bélanger, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-4996-11
INTITULÉ : NADIR SALEEM
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Calgary (Alberta)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 10 avril 2012
MOTIFS DU JUGEMENT
DATE DES MOTIFS : Le 8 juin 2012
COMPARUTIONS :
|
POUR LE DEMANDEUR
|
Camille Audain |
POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Sherritt Greene Law
|
POUR LE DEMANDEUR |
Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada Calgary (Alberta) |
POUR LE DÉFENDEUR
|