Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court


 

 

Date : 20120320


Dossier : T-1399-11

Référence : 2012 CF 333

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 mars 2012

En présence de monsieur le juge Phelan

 

 

ENTRE :

 

BASMA AHMED AL TAYEB

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               La demanderesse demande le contrôle judiciaire d’une décision d’un juge de la citoyenneté (juge) par laquelle celui-ci lui a refusé la citoyenneté au motif qu’elle n’avait pas satisfait aux exigences en matière de résidence prévues dans la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C‑29. Dans la présente affaire, la demande a été rejetée parce qu’il manquait à la demanderesse 750 jours pour arriver aux 1 095 jours de résidence requis.

 

II.         LE CONTEXTE

[2]               La demanderesse, Mme Al Tayeb, est une citoyenne de l’Arabie saoudite. Elle a obtenu le statut de résidente permanente du Canada le 1er juillet 1997 et a présenté sa plus récente demande de citoyenneté le 20 février 2008. Par conséquent, la période pertinente aux fins de déterminer si elle satisfait aux exigences en matière de résidence se situe entre le 20 février 2004 et le 20 février 2008 (la période pertinente).

 

[3]               La demanderesse a fréquenté l’Université de Toronto de septembre 2003 à février 2004, après quoi elle est retournée en Arabie saoudite pour y poursuivre ses études. Elle a expliqué de diverses manières la raison pour laquelle elle a changé d’école, à savoir que cela lui a permis de changer son programme d’études ou que le programme d’études canadien était trop difficile.

 

[4]               En plus d’avoir étudié de septembre 2003 jusqu’à aujourd’hui, la demanderesse a travaillé pour l’entreprise familiale de vente de produits canadiens et de prestation de services de formation sur l’utilisation d’appareils de physiothérapie exportés du Canada vers l’Arabie saoudite. L’entreprise est la propriété des parents de la demanderesse, qui en sont aussi les administrateurs et les dirigeants (sauf la demanderesse, qui est vice‑présidente).

 

[5]               La demanderesse paie des impôts au Canada et elle est titulaire d’une carte du régime d’assurance‑maladie de l’Ontario (RAMO), d’une carte d’assurance sociale, de cartes de crédit canadiennes et de comptes bancaires canadiens, en plus d’être propriétaire de biens avec ses parents, et elle vit dans un condominium dont ses parents sont les propriétaires. De plus, la demanderesse a un enfant qui est né au Canada et un frère qui est citoyen canadien.

 

[6]               Dans sa demande de citoyenneté, la demanderesse a admis qu’elle était loin d’avoir accumulé le nombre de jours de résidence requis au Canada. Elle a admis avoir été présente pendant 383 jours, chiffre que le juge a rajusté par la suite.

 

[7]               Le juge a tranché la demande sur le fondement du critère énoncé dans l’affaire Pourghasemi (Re) (CF1re inst.) (1993), 62 FTR  122. Essentiellement, il s’agit de la manière « quantitative » de déterminer la « résidence », à savoir qu’un demandeur doit être présent au Canada pendant 1 095 jours. Il est clair que la demanderesse était loin d’avoir accumulé le nombre de jours de présence requis au Canada au cours de la période pertinente.

 

III.       ANALYSE

[8]               La Cour a suscité énormément de confusion lorsqu’elle a établi au moins deux manières d’examiner la « résidence permanente » pour les besoins de la citoyenneté – la méthode quantitative (décrite précédemment) et la méthode qualitative (dont il existe deux volets).

 

[9]               Je n’ai pas l’intention d’ajouter au débat, puisque la présente affaire peut être réglée sur un fondement différent. Je ferai remarquer cependant que le principe qui consiste à réviser les questions de droit tranchées par un tribunal administratif ou une cour de justice selon la norme de la raisonnabilité peut mener au type de problème même que l’on retrouve aujourd’hui dans les dossiers de citoyenneté. Il existe au moins deux interprétations raisonnables du droit, et le demandeur doit s’en remettre au hasard de l’opinion juridique qu’adoptera un juge de la citoyenneté. Il se pourrait qu’un jour, un juge soit incapable de trancher un appel en raison de ce conflit ou ne veule pas le faire, et que pour cette raison la Cour d’appel décide de résoudre ce casse‑tête. Tel n’est pas le cas en l’espèce.

 

[10]           Il est possible de trancher la présente affaire plus simplement en tenant compte du fait que le juge n’a pas effectué l’analyse requise sans égard à celle des deux méthodes relatives à la résidence qui est adoptée en bout de ligne.

 

[11]           Dans l’affaire Goudimenko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 447, la juge Layden‑Stevenson (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) a énoncé une analyse en deux étapes aux fins de déterminer s’il a été satisfait aux exigences en matière de résidence prévues par la Loi sur la citoyenneté :

13     Le problème que pose le raisonnement de l'appelant est qu'il ne tient pas compte de la question préliminaire, soit l'établissement de sa résidence au Canada. Si le critère préliminaire n'est pas respecté, les absences du Canada ne sont pas pertinentes. Canada (Secrétaire d'État) c. Yu (1995), 31 Imm. L.R. (2d) 248 (C.F.1re inst.); Affaires intéressant Papadorgiorgakis, précitée, Affaire intéressant Koo, précitée; Affaire intéressant Choi, [1997] F.C.J. No 740 (1re inst.). Autrement dit, à l'égard des exigences de résidence de l'alinéa 5(1)c) de la Loi, l'enquête se déroule en deux étapes. À la première étape, il faut décider au préalable si la résidence au Canada a été établie et à quel moment. Si la résidence n'a pas été établie, l'enquête s'arrête là. Si ce critère est respecté, la deuxième étape de l'enquête consiste à décider si le demandeur en cause a été résident pendant le nombre total de jours de résidence requis. C'est à l'égard de la deuxième étape de l'enquête, et particulièrement à l'égard de la question de savoir si les périodes d'absence peuvent être considérées comme des périodes de résidence, qu'il y a divergence d'opinion au sein de la Cour fédérale.

 

[12]           Dans les affaires Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Xiong, 2004 CF 1129, et Wong c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 731, la Cour a parlé de la première étape de l’enquête qui est effectuée lorsque le dossier d’appel soulève la question.

 

[13]           Dans l’affaire Hao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 46, le juge Mosley a réitéré cette méthode :

24     La décision concernant la résidence prise par les juges de la citoyenneté suppose une analyse en deux étapes. Il faut d’abord se demander si la résidence au Canada a été établie; si ce n’est pas le cas, l’analyse s’arrête là. Si ce critère est respecté, la deuxième étape consiste à décider si la résidence du demandeur en question satisfait ou non au nombre total de jours requis par la loi. Les juges de la citoyenneté ont encore la faculté de choisir entre les deux courants jurisprudentiels énoncés respectivement dans Pourghasemi et Papadogiorgakis/Koo pour prendre cette décision, pourvu qu’ils appliquent raisonnablement l’interprétation de la loi qu’ils privilégient aux faits de la demande dont ils sont saisis.

 

[14]           Les faits de la présente affaire soulèvent la question de la résidence antérieure. Le juge ne s’est jamais demandé si la résidence avait été établie avant la période pertinente. Contrairement à l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Guettouche, 2011 CF 574, où le juge Zinn a peut‑être été disposé à inférer que la question du nombre de jours de résidence exigé avait été tranchée parce que le juge avait pris en considération le critère (qualitatif) énoncé dans l’affaire Koo, on ne peut pas tirer une telle inférence du fait de l’adoption du critère (quantitatif) énoncé dans l’affaire Pourghasemi.

 

IV.       CONCLUSION

[15]           Par conséquent, l’appel est accueilli, et l’affaire est renvoyée à un autre juge de la citoyenneté pour réexamen.

 

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que l’appel est accueilli, et que l’affaire est renvoyée à un autre juge de la citoyenneté pour réexamen.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1399-11

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            BASMA AHMED AL TAYEB

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 27 février 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Phelan

 

EN DATE DU :                                  Le 20 mars 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Sherif R. Ashamalla

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Rafeena Rashid

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

SHERIF R. ASHAMALLA

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.