Montréal (Québec), le 3 avril 2012
En présence de monsieur le juge Martineau
ENTRE :
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ET DE L'IMMIGRATION
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Le demandeur conteste la légalité d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [SPR] rejetant sa demande d’asile présentée en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR], faute d’avoir établi son identité à la satisfaction de la SPR.
[2] L’établissement à la satisfaction de la SPR de l’identité du revendicateur est crucial dans toute demande d’asile. D’ailleurs, le défaut d’un demandeur d’asile d’établir son identité permet à la SPR de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité de son récit : DU c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 61 au para 1; Yang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 681 au para 6. En l’espèce, on ne peut reprocher à la SPR de ne pas avoir accordé un ajournement à l’audition, ou d’avoir écarté les preuves d’identité soumises pas le demandeur. Aussi, la Cour est d’avis que cette demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.
FAITS
[3] Le demandeur est citoyen de la République démocratique du Congo. Lors d’un incident survenu le 29 septembre 2010 à Kinshasa, Armand Tungulu, un défenseur des droits de l’homme congolais a été arrêté, battu et amené de force par la police après avoir jeté des pierres sur le cortège présidentiel. Armand Tungulu est mort en détention suite à son arrestation. Le demandeur allègue que certaines personnes ayant assisté à la scène ont mystérieusement disparu alors que la police avait été accusée d’avoir causé la mort de Tungulu. Or, il était lui-même témoin de cet incident violent.
[4] Le demandeur allègue que le 15 octobre 2010 des hommes en civil se sont présentés à son domicile en son absence. Les jours suivants, ils s’y sont représentés à trois reprises et ont informé l’épouse du demandeur qu’ils étaient à la recherche de personnes qui pourraient témoigner relativement à ce qui était arrivé à Armand Tungulu. Le demandeur allègue qu’il a été menacé de mort à défaut de coopérer avec la police. Suite à cet évènement, il a quitté Kinshasa pour un village dans le Bas-Congo, où il est demeuré jusqu’à son départ pour le Canada.
[5] Le 5 décembre 2010, le demandeur est arrivé au Canada avec un passeport authentique portant le nom de Fabrice Milambwe Kabwe et un visa de visiteur valide jusqu’au 24 décembre 2010. Dès son arrivée, il a été détenu pour fins d’identification à l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau de Montréal. En effet, la conférence de Vancouver à laquelle le demandeur devait assister avait eu lieu deux mois avant son arrivée au Canada, soit en septembre 2010. Le demandeur a présenté un autre ordre de mission d’assister à une conférence à Calgary qui avait été tenue du 4 au 12 décembre 2010. De plus, les fouilles de bagages du demandeur ont révélé qu’il détenait également un passeport français au nom de Charles Reynes, qui s’est révélé altéré par substitution de photo (notes informatisées et observations des fiches de visiteurs et de la fiche de revendication du statut de réfugié consignées par l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC], datées du 19 mai 2011, émises par le Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [Ministre]).
[6] Le 7 décembre 2010, le demandeur a informé les autorités d’immigration qu’il ne leur avait pas révélé sa vraie identité et qu’il avait frauduleusement obtenu son passeport et son visa de visiteur pour fuir son pays. Le demandeur a alors présenté un permis de conduire et une attestation de perte de pièces d’identité au nom de Fabrice Mantingou-Testie et a fait une demande de statut de réfugié au Canada. Le même jour, l’ASFC a établi un rapport d’interdiction de territoire à l’égard du demandeur et l’a arrêté pour fins d’identification.
[7] Le 8 décembre 2010, le demandeur s’est présenté devant la Section d’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [SI] pour une révision de sa détention. La SI a alors maintenu la détention puisque les divers documents d’identité du demandeur devaient, à la demande du Ministre, être soumis pour expertise.
[8] La détention du demandeur a également été maintenue lors de révisions subséquentes, les 8 et 15 décembre 2010 et le 4 janvier 2011, le demandeur ayant alors soumis un jugement supplétif obtenu auprès du Parquet de grande instance de Kinshasa et un acte de naissance qu’il avait pu obtenir avec l’aide de sa famille au Congo. Cependant, diverses irrégularités ayant été décelées dans ces autres documents d’identité par un analyste en contrefaçon de l’ASFC, le Ministre n’était toujours pas satisfait de l’identité du demandeur.
[9] Le 13 janvier 2011, lors d’un contrôle anticipé, le demandeur a été mis en liberté, la SI ayant constaté que le Ministre était maintenant satisfait de l’identité du demandeur et n’avait pas de préoccupations particulières qui nécessiteraient de recommander une détention ferme.
DÉCISION CONTESTÉE
[10] La demande d’asile du demandeur a été entendue le 17 juin 2011 devant la SPR. Selon la décision du 30 juin 2011, le seul motif du refus de la demande est le défaut du demandeur d’établir son identité à la satisfaction du tribunal, et ce, notamment à cause des irrégularités déjà mises en lumière lors des révisions de détention devant la SI.
[11] Soulignant qu’elle n’était pas liée par la décision de la SI de libérer le demandeur et qu’elle devait être elle-même satisfaite de son identité pour l’évaluer le mérite de sa demande d’asile (Niyongabo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 363 au para 24), la SPR a évalué le caractère probant des documents présentés par le demandeur pour établir son identité. Dans ses motifs, la SPR explique pourquoi à son avis le demandeur n’a pas rencontré son fardeau de preuve.
[12] Premièrement, le permis de conduire fourni par le demandeur était un document apocryphe. Le rapport émis par l’analyste de la contrefaçon indiquait que cette pièce était de piètre qualité d’impression et que les armoiries qui y étaient reproduites contenaient des erreurs de frappe: le mot « travail » y était indiqué avec deux « t » au recto, et sans « l » au verso du permis. De plus, l’impression de fond dont l’inscription était « République Démocratique du Congo » était mal alignée. Le demandeur a mentionné au tribunal qu’il avait obtenu ce document au Bureau des transports et qu’il ne savait pas pourquoi de telles erreurs pouvaient apparaître sur un document officiel. La SPR a mentionné qu’elle n’accordait aucune valeur probante à ce permis de conduire d’autant plus que le demandeur n’avait soumis aucune contre-expertise pour en démontrer l’authenticité.
[13] Deuxièmement, l’attestation de perte de pièces d’identité émise par le demandeur indiquait une adresse dans la commune de Saio alors que selon son propre témoignage, le demandeur habitait la commune de Ngiri Ngiri à l’époque où il a obtenu ladite attestation. Le demandeur a expliqué qu’il s’agissait d’une erreur dactylographique. La SPR s’est remise à l’expertise de l’analyste de la contrefaçon qui avait conclu que ce document ne contenait aucune caractéristique sécuritaire permettant de l’authentifier.
[14] Troisièmement, l’acte de naissance obtenu par la famille du demandeur en décembre 2010 alors qu’il était en détention, indiquait le nom de Matingou Munder Ondred comme nom du père du demandeur, et le 20 octobre 1948 comme sa date de naissance. Or, le demandeur avait plutôt témoigné que son père s’appelait Matingou Alphonse Matisse et qu’il était né le 8 septembre 1948. Le demandeur avait expliqué que suite au décès de son père, il avait vécu avec la famille de sa mère; ce qui faisait en sorte qu’il connaissait peu la famille de son père. Il a expliqué aussi qu’il avait parfois du mal à se rappeler des dates précises mais jamais l’année. La SPR a jugé ces explications non satisfaisantes en l’espèce.
[15] De plus, la SPR a refusé d’octroyer un délai supplémentaire à la demande orale de l’avocate du demandeur afin que celui-ci puisse faire des démarches auprès de l’ambassade de son pays pour faire une demande de passeport et déposer en preuve celui-ci lorsqu’il l’aurait obtenu. Dans ses motifs, la SPR mentionne que l’article 106 de la LIPR comporte une exigence pour la SPR de prendre en compte le fait que « n’étant pas muni de papiers d’identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer ». De même, la SPR a rappelé que la règle 7 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 [Règles de la SPR] prévoit que « le demandeur d’asile transmet à la Section des documents acceptables pour établir son identité et les autres éléments de sa demande. S’il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour s’en procurer ».
[16] La SPR a conclu que le demandeur ayant été représenté par une avocate expérimentée et ayant été détenu longuement en raison de l’absence de documents pouvant dûment établir son identité, il aurait dû faire des efforts raisonnables pour se procurer de tels documents pour les fins de son audience devant la SPR; d’autant plus qu'il avait eu plusieurs mois pour effectuer de telles démarches depuis sa libération en janvier 2011.
[17] Enfin, la SPR a conclu que bien que le demandeur puisse être un citoyen de la République démocratique du Congo étant donné qu’il avait des connaissances par rapport à certaines spécificités du pays, il n’avait pas réussi à se décharger de son fardeau de prouver son identité et sa demande d’asile a donc été rejetée.
NORME DE CONTRÔLE
[18] Les parties conviennent que l’appréciation des preuves d’identité a trait aux faits, ce qui commande la norme de la raisonnabilité (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 aux paras 45-46 [Khosa]; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 53 [Dunsmuir]). Quant au fait que la SPR a refusé d’accorder un délai pour permettre au demandeur de faire des démarches pour obtenir un passeport, il s’agit d’une question de justice naturelle qui doit être contrôlée selon la norme de la décision correcte (Khosa, précité, aux paras 43-44; Dunsmuir, précité, au para 60).
[19] Au passage, dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur a présenté à la Cour une requête en date du 20 octobre 2011 afin de signifier et déposer une preuve nouvelle (i.e. son passeport congolais qu’il avait obtenu depuis de l’ambassade du Congo). Le protonotaire Morneau a rejeté la demande le 10 novembre 2011 au motif qu’il s’agissait d’une preuve nouvelle qui n’était pas disponible à la SPR lors de sa prise de décision et ne pouvait donc pas être invoquée au stade de contrôle judiciaire. D’ailleurs, étant donné que cette preuve ne visait pas à démontrer qu’il y avait eu un manquement à l’équité procédurale, elle ne remplissait pas l’exigence établie par la jurisprudence de cette Cour sur le caractère exceptionnel de la recevabilité des preuves nouvelles dans l’évaluation d’une demande de contrôle judiciaire.
LA SPR A-T-ELLE ERRÉ EN TIRANT DES CONCLUSIONS DE FAIT DE FAÇON ARBITRAIRE, SANS TENIR COMPTE DE LA PREUVE ET SANS CONSIDÉRER TOUS LES FACTEURS PERTINENTS À SA PRISE DE DÉCISION?
[20] La décision sous étude sera considérée comme raisonnable si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit et si le processus décisionnel est transparent et intelligible (Dunsmuir, précité, au para 47).
[21] Le demandeur soumet que la SPR, bien que non liée par la décision de la SI, a tout de même fait défaut de tenir compte de la preuve dans son ensemble, puisqu’elle a omis de considérer que, au regard de l’ensemble des décisions de la SI portant sur la révision de la détention provisoire du demandeur, le Ministre s’est déclaré satisfait de l’identité du demandeur avant que ce dernier puisse être libéré.
[22] Le demandeur soutient que la SPR ne pouvait se contenter de mentionner qu’elle n’était pas liée par le fait que le Ministre était apparemment satisfait de l’identité du demandeur. Le demandeur soumet que la SPR devait également tenir compte des motifs de la libération du demandeur, à savoir que l’agente de la SI avait pu consulter sur internet le profil du demandeur sur des réseaux sociaux, tels que Facebook et LinkedIn, d’autant plus que la divulgation de la preuve de la SPR contenait les procès-verbaux de l’audience devant la SI. La Cour constate cependant que les procès-verbaux en question ne font aucune référence aux profils virtuels du demandeur sur internet. C’est plutôt la procureure du demandeur qui a témoigné de ce fait devant la SPR (dossier du tribunal, transcriptions d’audience, page 49).
[23] Le demandeur se fonde sur le jugement rendu par la Cour d’appel fédérale dans Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 au para 17 [Cepeda-Gutierrez] pour soutenir que la SPR a commis une erreur susceptible de révision en ne mentionnant pas dans les motifs de sa décision que le Ministre s’est préalablement dit satisfait de l’identité du demandeur.
Toutefois, plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l’obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l’organisme a examiné l’ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n’a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l’organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu’elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d’inférer que l’organisme n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.
[24] D’une part, le défendeur rétorque que la dernière révision de détention faite par la SI, pas plus que le reste du dossier du tribunal, ne révèlent les motifs pour lesquels le Ministre s’est déclaré satisfait de l’identité du demandeur pour les fins de la mise en liberté. Le défendeur soutient donc que l’affirmation par le demandeur, dans son affidavit, que cet avis résultait de la consultation des profils Facebook et LinkedIn constitue un nouvel élément de preuve qui n’était soumis à la SPR et que la SPR n’était pas tenue de mentionner dans ses motifs.
[25] D’autre part, le défendeur soutient que l’établissement de l’identité aux fins de mettre un terme à la détention d’un demandeur d’asile doit être distinguée de l’évaluation de l’identité aux fins de la demande d’asile au mérite. Le défendeur soumet que lors de la révision d’une détention, le Ministre ne fait qu’émettre un avis et ne rend pas de décision formelle qui aurait pour effet de lier la SPR. De plus, la SI ne se prononce pas sur l’identité du détenu lorsqu’elle maintient la détention ou ordonne la mise en liberté en application de l’article 54 et du paragraphe 57(1) de la LIPR. Un critère déterminant c’est la preuve des efforts déployés par le Ministre pour établir l’identité de l’étranger (paragraphe 58(1) de la LIPR).
[26] Le défendeur soumet enfin que si, par avis d’intervention en date du 24 mai 2011, le Ministre a déposé devant la SPR une copie des notes consignées par les agents au Système de soutien des opérations des bureaux locaux et une copie de l’expertise de l’analyste de la contrefaçon sur les documents d’identité du demandeur, c’est bien parce qu’il n’était pas encore totalement satisfait de l’identité du demandeur pour les fins de sa demande d’asile. Le demandeur devait donc s’attendre à ce que la question de l’identité soit à nouveau débattue devant la SPR.
[27] La Cour est d’accord avec le défendeur. L’obligation de motivation qui incombe à la SPR dépend incontestablement de la pertinence de l’élément de preuve que le décideur a omis de mentionner dans sa décision. En l’espèce, la position du Ministre lors de la mise en liberté du demandeur, après plusieurs semaines de détention, ne lie pas la SPR qui est tenue s’assurer de l’identité de tout demandeur d’asile avant de procéder à l’évaluation de sa demande d’asile. De plus, c’est à la SPR qu’incombe la tâche d’apprécier le caractère probant de toute preuve d’identité soumise par un demandeur d’asile.
[28] Même en présumant pour un moment que les profils d’une personne sur Facebook et LinkedIn puissent avoir une certaine pertinence pour établir son identité – ce qui reste en soi discutable – le demandeur ne peut reprocher à la SPR de ne pas en faire mention dans sa décision compte tenu des nombreuses irrégularités que présentaient ses autres preuves d’identité. Par ailleurs, l’on ne peut ignorer le fait que ni la base sur laquelle le Ministre s’est dit satisfait de l’identité du demandeur ni les motifs de la SI pour en être satisfaite n’ont été soumis en preuve devant la SPR. Le demandeur affirme aujourd’hui que ses profils sur internet étaient des éléments spontanés, donc des preuves crédibles sur lesquelles la SI pouvait se baser pour être satisfaite de l’identité du demandeur. Or, si le demandeur est, comme il le prétend, d’accord que la SPR n’était pas liée par la décision de la SI ni par l’opinion du Ministre, il aurait dû soumettre en preuve ses profils Facebook et LinkedIn pour donner à la SPR l’occasion de se prononcer sur leur valeur probante; il doit aujourd’hui assumer les conséquences de son inaction.
[29] Pour conclure sur ce point, en utilisant la formule du juge Evans dans Cepeda-Gutierrez, la SPR n’a passé sous silence aucun élément de preuve qui contredirait radicalement sa conclusion et sa décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
UN MANQUEMENT AUX PRINCIPES DE JUSTICE NATURELLE A-T-IL RÉSULTÉ DU REFUS DE LA SPR D’OCTROYER UN DÉLAI SUPPLÉMENTAIRE POUR PERMETTRE LE DÉPÔT DE DOCUMENTS D’IDENTITÉ APRÈS L’AUDIENCE?
[30] Le demandeur prétend que la SPR n’a pas correctement exercé son pouvoir discrétionnaire en refusant, lors de l’audience, de lui accorder un délai supplémentaire puisqu’elle n’a pas tenu compte de la valeur probante de la preuve que le demandeur souhaitait ajouter à son dossier, soit un passeport à venir et qu’il n’avait pas encore en mains.
[31] Le demandeur invoque la règle 30 des Règles de la SPR :
30. La partie qui ne transmet pas un document selon la règle 29 ne peut utiliser celui-ci à l’audience, sauf autorisation de la Section. Pour décider si elle autorise l’utilisation du document à l’audience, la Section prend en considération tout élément pertinent. Elle examine notamment :
a) la pertinence et la valeur probante du document;
b) toute preuve nouvelle qu’il apporte;
c) si la partie aurait pu, en faisant des efforts raisonnables, le transmettre selon la règle 29. |
30. A party who does not provide a document as required by rule 29 may not use the document at the hearing unless allowed by the Division. In deciding whether to allow its use, the Division must consider any relevant factors, including
(a) the document’s relevance and probative value;
(b) any new evidence it brings to the hearing; and
(c) whether the party, with reasonable effort, could have provided the document as required by rule 29. |
[32] La Cour n’est pas convaincue, après avoir fait un examen attentif du dossier du tribunal et des représentations des parties, que la SPR a commis une erreur révisable en rejetant la demande d’ajournement ou de délai supplémentaire présentée par le demandeur. Il est bien établi que, de manière générale, la SPR a, comme tout autre tribunal administratif, un pouvoir discrétionnaire pour accueillir ou rejeter une demande d’ajournement pour fins de soumettre toute nouvelle preuve sous réserve de respecter les principes d’équité procédurale qui s’imposent à elle. Il convient de noter d’ailleurs que l’emploi du mot « notamment » dans la règle 30 démontre que les éléments pertinents dont la SPR peut tenir compte ne se limitent pas à ceux énumérés par ladite règle et peuvent varier en fonction des circonstances de chaque cas.
[33] Ainsi, dans Mercado c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 289 aux paras 38-41, la Cour a décidé que la SPR pouvait raisonnablement tenir compte du fait qu’un demandeur ayant fait défaut d’obtenir les documents nécessaires préalablement à l’audience était représenté par un procureur expérimenté; du temps dont le demandeur disposait pour compléter son dossier et des efforts raisonnables dont on pouvait objectivement s’attendre de sa part; de l’explication donnée pour son défaut de produire les documents requis; et de la possibilité que le nouvel élément de preuve puisse pallier aux défauts déjà constatés dans la preuve et affectant la crédibilité du demandeur.
[34] En l’espèce, à la lecture des transcriptions de l’audience, je constate que la SPR a tenu compte de la tardiveté de la demande; du temps dont disposait le demandeur pour obtenir d’autres pièces d’identité et de l’absence de toute démarche déjà effectuée pour ce faire; du fait que le demandeur avait été représenté par la même avocate depuis le début des procédures et lors de sa détention pour fins d’identification; de même que les règles relatives au dépôt des documents d’identité avant l’audience devant la SPR. La Cour est d’avis que ces facteurs ont été raisonnablement évalués et que le rejet de la requête verbale du demandeur présentée lors de l’audience était bien fondé et fait et en droit. Tel que mentionné plus haut, les motifs écrits de la décision contestée font aussi état de la longue détention du demandeur et de l’absence d’efforts raisonnables pour obtenir des pièces d’identité valables malgré le fait que plusieurs mois s’étaient écoulés depuis que le demandeur avait été libéré, ainsi que le fait qu’il était représenté pendant toute cette période par une avocate d’expérience.
[35] Au risque de me répéter, je considère que ces facteurs étaient pertinents et déterminants. Encore une fois, les facteurs énoncés à la règle 30 ne sont pas exhaustifs et la SPR n’avait pas non plus l’obligation de faire état de tous ces facteurs dans ses motifs écrits. Le fait qu’elle n’a pas expressément tenu compte de la valeur probante d’un passeport pour l’obtention duquel le demandeur avait tout juste décidé de faire les démarches nécessaires ne change pas cette conclusion. Je tiens également à préciser que la jurisprudence citée par le demandeur se distingue clairement du cas présent. Dans toutes ces décisions, on avait fait défaut d’évaluer des facteurs pertinents, dont ceux énumérés à la règle 30 des Règles de la SPR et on s’était contenté de rejeter la demande d’asile exclusivement sur la base de sa tardiveté ou sur la base d’éléments peu pertinents tels que le caractère volumineux des documents à introduire : Khan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1351 au para 7; Ahmmed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1433 au para 9; SEB c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 791 au para 25; Ayalogu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 380 au para 4).
[36] La Cour n’est pas non plus convaincue que l’avocate du demandeur a été prise par surprise à l’audience du fait que la SPR avait des réserves par rapport à l’identité de son client. La preuve déposée aux fins de l’audience, tant par l’agent de la protection des réfugiés et le Ministre que par le demandeur lui-même, aussi bien que le fait que dès son arrivée sur le territoire canadien le demandeur avait été détenu pendant plusieurs semaines pour fins d’identification, permettent d’en douter. De plus, l’avis de convocation qui avait été envoyé au demandeur le 27 avril 2011 fait directement référence à la règle 7 des Règles de la SPR : les documents établissant l’identité d’un demandeur d’asile doivent être présentés au début de l’audience devant la SPR, ce dernier étant d’ailleurs tenu de donner la raison et indiquer quelles mesures il a prises pour se les procurer s’il n’a pas les documents d’identité requis en sa possession.
[37] Le demandeur prétend également que la SPR a fait défaut de considérer les facteurs pertinents relatifs à l’octroi d’un délai supplémentaire suite à l’audience, tel que prescrits à la règle 37(3) des Règles de la SPR :
[38] En effet, dès le lendemain de l’audience, le demandeur a de nouveau fait une demande écrite à la SPR visant à obtenir un délai supplémentaire, en confirmant qu’il avait entrepris les démarches nécessaires en vue de l’obtention d’un passeport. Le demandeur allègue que pour obtenir son passeport, il a dû d’abord obtenir un certificat de nationalité, lequel lui a été émis le 20 juin 2011, et que par la suite il a dû reporter son rendez-vous à l’ambassade jusqu’au 5 juillet 2011, car il ne disposait pas des fonds nécessaires pour se rendre à Ottawa et payer les frais de traitement de sa demande.
[39] Le 29 juin 2011, l’avocate du demandeur a reçu un appel de la SPR l’avisant que sa demande de délai supplémentaire pour le dépôt d’un passeport avait été rejetée. Il convient de rappeler que les motifs écrits de la SPR sont datés du 30 juin 2011.
[40] La SPR n’a d’ailleurs jamais reçu une copie du passeport du demandeur. Le 18 juillet 2011, la SPR a remis au demandeur les documents qui avaient été déposés au greffe suite à l’émission des motifs écrits de sa décision, y compris les originaux de la note de réception et du reçu de l’ambassade de la République démocratique du Congo à Ottawa relativement aux démarches entreprises en vue d’obtenir un passeport.
[41] Sur demande de l’avocate du demandeur, la SPR a fourni des motifs écrits de son refus le 2 septembre 2011. Cette lettre mentionnait que la demande avait été rejetée considérant qu’en faisant des efforts raisonnables, le demandeur aurait été en mesure de transmettre son passeport avant la date de l’audience (la règle 37(3)c) des Règles de la SPR); que le demandeur avait été détenu pour établir son identité; et que l’établissement de l’identité d’un demandeur d’asile est une question déterminant à toute demande d’asile.
[42] Enfin, le demandeur est persuadé que la SPR n’avait pas la moindre « ouverture d’esprit » par rapport à sa demande de prorogation de délai et qu’elle n’a pas sérieusement considéré la demande. De son côté, le défendeur répond que la SPR pouvait raisonnablement rejeter la requête du demandeur puisqu’en l’absence d’une copie du passeport, la requête ne remplissait pas une des exigences fondamentales de la règle 37(2) des Règles de la SPR. Le demandeur réplique que cela devrait servir sa cause si, dans ses motifs écrits émis le 2 septembre 2011, la SPR s’est basée sur une règle qui n’était pas applicable en l’espèce.
[43] Je suis d’accord avec le défendeur qu’en l’absence d’une requête dûment présentée selon la règle 44 des règles de la SPR (i.e. incluant une copie du document à introduire en preuve), et compte tenu des circonstances particulières de l’espèce, la SPR n’était pas tenue, en droit, d’examiner la demande. Elle a tout de même considéré la demande et y a répondu par écrit. Il n’y a pas lieu de conclure qu’il y a eu un manquement aux principes de justice naturelle. La jurisprudence considère que ce n’est que lorsque le demandeur a observé toutes les exigences de la règle 37 que la SPR doit expressément examiner la requête dans ses motifs : Nagulesan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1382 aux paras 16-17; Howlader c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 817 aux paras 3-4. J’en conclus que le fait que la règle 37 ait été mentionnée dans les motifs de la SPR rejetant une demande de prorogation de délai non-conforme aux Règles de la SPR ne rend pas pour autant la décision pour autant révisable.
[44] Pour toutes ces raisons, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question d’importance générale n’a été proposée par les parties aux fins de certification et aucune ne sera certifiée.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-5205-11
INTITULÉ : FABRICE MATINGOU-TESTIE c MCI
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : le 21 mars 2012
ET JUGEMENT : LE JUGE MARTINEAU
DATE DES MOTIFS : le 3 avril 2012
COMPARUTIONS :
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Ian Demers |
POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
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Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada Montréal (Québec) |
POUR LE DÉFENDEUR |