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Date : 20120319


Dossier : IMM-5751-11

Référence : 2012 CF 325

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 mars 2012

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

LISSETH NOEMI HERNANDEZ CORNEJO

PABLO HERNANDEZ GARCIA

(ÉGALEMENT CONNU SOUS LE NOM DE HERNANDEZ GARCIA, PABLO)

MARIA JULIA CORNEJO DE HERNANDEZ

EDUARDO MORALES AYALA

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision du 5 août 2011, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) a conclu qu’aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention (Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, [1969] R.T. Can. no 6) ni une personne à protéger.

 

[2]               À l’audience, la Cour a fait savoir aux parties qu’elle accueillait leurs demandes, les motifs du jugement devant être exposés ultérieurement. La décision rendue par la Commission dans cette affaire est indéfendable au vu des principes de droit régissant le contrôle judiciaire. Les arguments avancés à l’appui de la décision se situaient à la frontière qui sépare les arguments qui peuvent effectivement être invoqués, et ceux qu’on ne saurait faire valoir. Les demandeurs ont avancé quatre motifs de contrôle, dont chacun justifie l’annulation de la décision.

 

Les faits

 

[3]               La demanderesse principale, Lisseth Noemi Hernandez Cornejo (la demanderesse), est citoyenne du Salvador. Étaient jointes à sa demande les demandes de son mari, Eduardo Morales Ayala (le demandeur), et de ses parents, Pablo Hernandez Garcia et Maria Julia Cornejo De Hernandez.

 

[4]               La demanderesse invoque, à l’appui de sa demande, la crainte que lui inspire son ancien petit ami, Hugo Chavez (Chavez), qui est agent de police. La demanderesse a commencé à fréquenter Chavez alors qu’elle était à l’école secondaire, mais elle décida de mettre fin à leur relation en raison de son comportement abusif et de sa personnalité dominatrice. C’est après cela que la demanderesse entama une relation avec Eduardo. Un jour, la demanderesse et Eduardo rencontrèrent Chavez alors qu’il était en service. Pendant que plusieurs de ses collègues policiers entouraient Eduardo, Chavez emmena Lisseth, lui demandant si elle avait oublié le temps qu’ils avaient passé ensemble. Chavez agressa Eduardo, lui ordonnant de renoncer à Lisseth, tout en disant à celle-ci de revenir vers lui (c.-à-d., Chavez).

 

[5]               Chavez continua à harceler le couple. Il se présentait inopinément à leurs lieux de travail, tant et si bien que la demanderesse et le demandeur perdirent tous les deux leur emploi. Un jour, le demandeur a été rué de coups et détenu au poste de police. La demanderesse affirme qu’ils avaient peur de porter plainte, car les policiers sont corrompus et se protègent entre eux.

 

[6]               Puis, Chavez commença à harceler les parents de la demanderesse, proférant des menaces pour les contraindre à lui dire où elle se trouvait. La demanderesse et ses parents sont arrivés au Canada vers la fin de 2009, et le 22 février 2010, ont déposé une demande d’asile. Le demandeur arriva plus tard, déposant une demande d’asile le 6 janvier 2011.

 


Analyse


[7]               Comme nous l’avons vu, la décision de la Commission contient au moins quatre erreurs appelant l’intervention de la Cour, ce qui en fait une décision déraisonnable aux termes de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190.

 

[8]               D’abord, c’est à tort que la Commission a statué sur les demandes d’asile au vu d’une analyse de la protection de l’État qui n’était pas, de manière générale, pertinente. Une bonne part des motifs de la décision en cause concerne le problème de la violence perpétrée au Salvador par des bandes de malfaiteurs, et les mesures prises par l’État pour lutter contre ce fléau. Selon le défendeur, Chavez peut raisonnablement être considéré comme membre d’un gang (en l’occurrence le gang d’Hugo Chavez et de sa bande de collègues policiers), étant donné qu’il a, de concert avec ses collègues policiers, harcelé les demandeurs. Un tel argument ne mérite pas d’être retenu. Une demande d’asile à l’appui de laquelle on fait état de menaces et de harcèlement de la part d’un ancien petit ami à la fois jaloux et abusif, et qui, de plus, est agent de police, n’a, ni en fait ni en droit, absolument rien à voir avec une demande à l’appui de laquelle on invoque les violences commises par des gangs.

 

[9]               L’examen des motifs de la Commission fait clairement ressortir que tout ce qui a pu être dit au sujet des actes de violence commis par des gangs, n’a rien à voir avec les demandes d’asile présentées par les demandeurs. La plupart des motifs exposés sont repris textuellement d’une autre décision concernant le Salvador. Cette manière de se prononcer sur une demande d’asile par des phrases passe-partout ébranle les raisons qui ont amené à exiger que les décisions soient motivées.

 

[10]           En second lieu, en ce qui concerne le point de savoir dans quelle mesure les demandeurs auraient pu se prévaloir de la protection de l’État, la Commission n’a pas tenu compte de la situation dans laquelle ceux-ci se trouvaient. Comme le juge Russel Zinn l’a rappelé dans le jugement Torres c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 234 au pararagraphe 37, la protection de l’État ne peut pas être déterminée isolément et la Commission doit prendre en considération la nature de la persécution et le profil de l’auteur des persécutions.

 

[11]           En l’espèce, la demanderesse a été harcelée et menacée par Chavez qui voulait la forcer à revenir à lui, et Eduardo a lui-même fait l’objet de manœuvres d’intimidation pour le décourager de poursuivre sa relation avec la demanderesse. Chavez, l’auteur principal des persécutions, était l’ancien petit ami de la demanderesse, et, qui plus est, agent de police. L’examen auquel la Commission s’est livrée quant aux éléments de preuve relatifs à la protection de l’État n’évoque même pas la question de savoir si l’État était en mesure de protéger des personnes se trouvant dans une telle situation. Au lieu de cela, la Commission insiste essentiellement sur la campagne « Mano Dura » menée par les autorités salvadoriennes pour combattre les liens entre le trafic de drogues et les autres formes de criminalité.

 

[12]           Selon le défendeur, la Commission n’avait pas à se pencher sur la question de la protection que l’État était susceptible d’assurer aux personnes victimes d’actes de violence en raison de leur sexe, car rien n’indiquait que si la police n’a pas protégé la demanderesse, c’est parce qu’elle est femme, d’autant plus que deux des victimes des persécutions en cause sont des hommes. Pour des raisons tenant autant au bon sens qu’au raisonnement juridique, un tel argument ne saurait être invoqué par le procureur général.

 

[13]           Le fait qu’un homme traque son ancienne petite amie avec acharnement demeure une persécution que la femme subit en raison de son sexe même si l’homme en question a également, pour tenter de regagner l’affection de la femme, harcelé les hommes de son entourage. Ajoutons que le simple fait que la police n’ait pas dit à la demanderesse qu’elle ne donnerait pas suite à sa plainte, puisqu’elle émanait d’une femme, est loin d’être déterminant, car le dossier de la Commission contenait des éléments de preuve indiquant que la police n’avait effectivement donné aucune suite à ses plaintes, ainsi que des preuves documentaires attestant que, de manière générale, la police ne fait rien pour faire cesser les persécutions que les femmes subissent en raison de leur sexe.

 

[14]           La troisième erreur provient de la manière dont la Commission a apprécié les efforts faits par les demandeurs pour se prévaloir de la protection de l’État. Selon la Commission, le fait qu’ils aient tardé à se plaindre à la police sape la force des arguments qu’ils avancent en invoquant une crainte subjective. Mais, encore une fois, l’analyse à laquelle la Commission s’est livrée sur ce point n’a tenu aucun compte du fait qu’en l’occurrence, l’auteur des persécutions est un agent de police. La Commission semble admettre, par exemple, qu’à une occasion le demandeur a été arrêté, rué de coups par Chavez et ses collègues policiers, et détenu sans motif officiel, mais elle juge déraisonnable le fait que les demandeurs aient laissé passer autant de temps entre les quatre plaintes qu’ils ont déposées auprès de la police.

 

[15]           Comme le font valoir les demandeurs, la Commission ne pouvait invoquer ces retards ou le fait qu’ils n’aient pas cherché à se prévaloir de la protection de l’État que si cette protection avait pu raisonnablement être assurée : Canada (procureur général) c Ward, [1993] ACS no 74, au pararagraphe 49. Les demandeurs ont expliqué que s’ils avaient tardé, c’est parce qu’ils savaient que les policiers se protègent entre eux, qu’il n’arriverait donc rien à Chavez, et qu’ils avaient peur de la police, (ce qui est compréhensible, étant donné que les auteurs des persécutions étaient en l’occurrence eux-mêmes des policiers). Dans la mesure où la Commission n’a pas tenu compte de ces circonstances, les conclusions auxquelles elle est parvenue sur la question de la crainte subjective sont déraisonnables.

 

[16]           Enfin, la Commission s’est livrée à des conjectures pour expliquer pourquoi la police n’avait donné aucune suite aux plaintes des demandeurs. Selon la Commission, il est possible que la police n’ait pas pris au sérieux la plainte de la demanderesse parce que c’était la première plainte visant Chavez. Dans un même ordre d’idée, la Commission a supposé que la police avait peut-être de bonnes raisons de ne pas prendre au sérieux la plainte accusant Chavez et d’autres policiers d’avoir détenu le demandeur, et de l’avoir rué de coups. Les propos formulés à cet égard par la Commission sont de simples conjectures, qui n’ont « aucune valeur en droit puisqu’il s’agit d’une simple supposition » : Jones v Great Western Railway Co. (1930), 47 TLR 39 à la page 45 (HL), cité dans Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Satiacum, [1989], ACF no 505 (CAF). Contrairement à l’argument que fait valoir le défendeur, la Commission s’est manifestement fondée sur cette supposition pour écarter les preuves indiquant que, même après le dépôt de plaintes, la police n’a rien fait pour assurer la protection des demandeurs.

 

[17]           Pour l’ensemble de ces motifs, la demande est accueillie, la décision de la Commission est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision.

 

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. L’affaire est renvoyée devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour nouvel examen par un tribunal différemment constitué. Aucune question à certifier n’a été proposée et la Cour estime qu’aucune ne se pose.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B..


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5751-11

 

INTITULÉ :                                      LISSETH NOEMI HERNANDEZ CORNEJO et autres c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 29 février 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT
  ET JUGEMENT :
                          LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 19 mars 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mordechai Wasserman

POUR LES DEMANDEURS

 

Stephen Jarvis

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mordechai Wasserman
Avocat

Toronto

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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