Cour fédérale |
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Federal Court |
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 7 mars 2012
En présence de monsieur le juge Simon Noël
ENTRE :
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Jun Tao Bi [le demandeur], qui est résident permanent, sollicite le contrôle judiciaire d'une décision datée du 27 juin 2011 de la Section d'appel de l'immigration [la SAI ou le tribunal]. La SAI a rejeté l'appel du demandeur à l’égard d’une décision portant qu’il ne s'était pas conformé à l'obligation de résidence que prévoit l'article 28 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].
I. Le contexte
[2] Le demandeur est un citoyen de la Chine qui a acquis le statut de résident permanent du Canada le 3 septembre 2005, de pair avec ses parents et sa sœur. Il est retourné dans son pays environ un mois plus tard.
[3] De retour en Chine, le demandeur est resté sans travail entre le mois d'octobre 2005 et le 21 février 2007, date à laquelle il a conclu un contrat avec une entreprise canadienne pour travailler comme directeur général adjoint dans ce pays jusqu'au 20 janvier 2010.
[4] Dans une demande de document de voyage datée du 3 avril 2010, le demandeur a dit avoir passé 130 jours au Canada au cours des quatre dernières années et demie. Le bureau des visas a refusé la demande à cause d'un manque de preuves à l'appui et, par ailleurs, il a conclu que le demandeur ne s'était pas non plus conformé à son obligation de résidence. Ce dernier a interjeté appel de cette décision auprès de la SAI, et une audience a été tenue à Vancouver le 18 avril 2011.
II. La décision contestée
[5] La SAI a fait remarquer que l'article 28 de la LIPR prévoit un certain nombre de façons de répondre aux exigences liées à l'obligation de résidence mais que, dans le cas du demandeur, le facteur déterminant consistait à savoir s’il avait passé le temps requis à travailler, hors du Canada, à temps plein pour une entreprise canadienne, ainsi que le prescrit le paragraphe 61(3) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le RIPR) :
Travail hors du Canada
(3) Pour l’application des sous-alinéas 28(2)a)(iii) et (iv) de la Loi respectivement, les expressions « travaille, hors du Canada, à temps plein pour une entreprise canadienne ou pour l’administration publique fédérale ou provinciale » et « travaille à temps plein pour une entreprise canadienne ou pour l’administration publique fédérale ou provinciale », à l’égard d’un résident permanent, signifient qu’il est l’employé ou le fournisseur de services à contrat d’une entreprise canadienne ou de l’administration publique, fédérale ou provinciale, et est affecté à temps plein, au titre de son emploi ou du contrat de fourniture :
a) soit à un poste à l’extérieur du Canada;
b) soit à une entreprise affiliée se trouvant à l’extérieur du Canada;
c) soit à un client de l’entreprise canadienne ou de l’administration publique se trouvant à l’extérieur du Canada. |
Employment outside Canada
(3) For the purposes of subparagraphs 28(2)(a)(iii) and (iv) of the Act, the expression “employed on a full-time basis by a Canadian business or in the public service of Canada or of a province” means, in relation to a permanent resident, that the permanent resident is an employee of, or under contract to provide services to, a Canadian business or the public service of Canada or of a province, and is assigned on a full-time basis as a term of the employment or contract to
(a) a position outside Canada;
(b) an affiliated enterprise outside Canada; or
(c) a client of the Canadian business or the public service outside Canada. |
[6] La SAI s’est ensuite reportée à une décision récente de la présente Cour : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c Jiang, 2011 CF 349, aux paragraphes 42 et 52, [2011] ACF 560 [Jiang], où la même disposition a été prise en considération :
[42] […] De façon plus importante pour le cas sous étude, le paragraphe 61(3) fait référence notamment au sous-alinéa 28(2)a)(iii) et définit plus précisément ce que signifie la notion de travail hors du Canada à l’égard d’un résident permanent. À la lecture du paragraphe 61(3) du Règlement qui explicite la notion de travail hors du Canada, la Cour note que le résident permanent doit être employé mais le législateur a ajouté la notion d’affectation, absente du sous-alinéa 28(2)a)(iii) de la Loi.
[…]
[52] […] Le mot « affecté » au paragraphe 61(3) du Règlement signifie qu’un individu, qui occupe un poste à l’extérieur du Canada de façon temporaire et garde un lien de rattachement avec une entreprise canadienne ou avec l’administration publique fédérale ou provinciale, est donc susceptible de revenir au Canada. […]
[7] Revenant aux faits dont elle était saisie, la SAI a fait remarquer que le demandeur avait produit une lettre d'embauche non datée et que, malgré son témoignage à propos de la nature du travail qu'il faisait pour son employeur, les éléments de preuve concernant la description de ce travail comportaient quelques divergences. La SAI n'a trouvé aucune preuve que le demandeur avait été au service de son employeur au Canada avant de travailler en Chine et elle a signalé que, à la suite d’une question sur le travail au Canada, le demandeur avait [traduction] « déclaré qu'il présenterait ses renseignements au Canada » (Dossier de première instance [DPI], page 4, Motifs de la SAI, paragraphe 7).
[8] La SAI a conclu que le demandeur ne paraissait pas avoir été affecté à un poste à l'extérieur du Canada à titre temporaire, pas plus qu'il n'y avait une preuve d'une attente quelconque qu'il reviendrait travailler pour l'entreprise au Canada. Elle a ajouté que le demandeur avait dit ne pas être au courant de la présence d'autres employés de l'entreprise en Chine et qu'il n'avait jamais rencontré d’employés de l'entreprise au Canada. Au vu des éléments de preuve soumis, la SAI a rejeté l'appel, concluant que le demandeur ne s'était pas acquitté du fardeau d'établir que sa situation d'emploi correspondait aux exigences prescrites au paragraphe 61(3) de la LIPR.
III. Les positions des parties
[9] Le demandeur soutient que la SAI a commis une erreur en concluant qu'il n'y avait pas assez d'éléments dignes de foi démontrant que sa situation d'emploi répondait aux exigences du paragraphe 61(3) du RIPR. Il affirme en outre que la SAI a commis une erreur en n'ajournant pas l'audience après qu’il est devenu évident que son avocate était incompétente (les faits entourant cette allégation sont exposés dans la section correspondante de l'analyse qui suit).
[10] Le défendeur est d'avis que la SAI a examiné et appliqué convenablement les exigences en matière de résidence que prescrit le paragraphe 61(3). Il soutient également que la SAI n'a commis aucun manquement à l'équité procédurale car le demandeur n'a pas établi que l'incompétence de son avocate, si tel était le cas, avait causé une erreur de justice.
IV. Les questions en litige
[11] La Cour examinera les deux questions suivantes :
1. La SAI a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le travail fait par le demandeur hors du Canada ne satisfaisait pas aux exigences du paragraphe 61(3) de la LIPR?
2. La SAI a‑t‑elle manqué à son obligation d'équité procédurale en n'ajournant pas l'audience?
V. La norme de contrôle applicable
[12] L'interprétation et l'application que fait la SAI du paragraphe 61(3) de la LIPR incitent à faire preuve de déférence et à appliquer la norme de la raisonnabilité (Smith c Alliance Pipeline Ltd, 2011 CSC 7, aux paragraphes 37 à 39, [2011] 1 RCS 160 et Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 54, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]). En conséquence, la Cour déterminera si le processus décisionnel a été justifié, transparent et intelligible et veillera à ce que la décision rendue appartienne aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47). En revanche, les questions d'équité procédurale sont soumises à la norme de la décision correcte et il n'y aura pas lieu de faire preuve de déférence si la SAI a commis une erreur en n'ajournant pas l'audience (Memari c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 1196, au paragraphe 30, [2010] ACF 1493 [Memari]).
VI. Analyse
A. La SAI a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le travail fait par le demandeur hors du Canada ne satisfaisait pas aux exigences du paragraphe 61(3) de la LIPR?
[14] Selon le demandeur, la SAI a importé déraisonnablement ses propres critères plutôt que de suivre les principes établis et la jurisprudence. Comme il a été mentionné plus tôt, pour interpréter le paragraphe 61(3) la SAI s'est fondée presque entièrement, sinon totalement, sur la décision Jiang, précitée, de la Cour, au paragraphe 52 :
[52] […] Le mot affectation dans le contexte du statut de résident permanent interprété à la lumière de la Loi et du Règlement implique nécessairement un facteur de rattachement avec l’employeur situé au Canada. Le mot « affecté » au paragraphe 61(3) du Règlement signifie qu’un individu, qui occupe un poste à l’extérieur du Canada de façon temporaire et garde un lien de rattachement avec une entreprise canadienne [...] est donc susceptible de revenir au Canada. […]
[Non souligné dans l'original.]
Le demandeur souligne l'emploi que fait la Cour du mot « susceptible » ci‑dessus, car la SAI semble avoir retenu contre lui le fait de ne pas avoir démontré l’existence d’une attente quelconque qu'il reviendrait travailler pour son employeur au Canada (DPI, pages 4 et 5, Motifs de la SAI, paragraphe 7). Le demandeur soutient que, dans Jiang, la Cour n'exige pas que l'employé revienne au Canada, juste qu'il soit « susceptible » de le faire.
[15] Je ne souscris pas à l'interprétation que fait le demandeur de la décision Jiang sur ce point. La Cour a exprimé clairement son point de vue (Jiang, précitée, aux paragraphes 49 et 52 à 54) :
[49] […] le dossier ne contient aucune preuve documentaire confirmant un engagement ferme dans le temps de la part de l’employeur qui permettrait de conclure que [l’employée] réintègrerait un poste [auprès de l’employeur] à la suite d’une période temporaire passée en Chine […].
[…]
[52] […] Le mot « affecté » au paragraphe 61(3) du Règlement signifie qu’un individu, qui occupe un poste à l’extérieur du Canada de façon temporaire et garde un lien de rattachement avec une entreprise canadienne ou avec l’administration publique fédérale ou provinciale, est donc susceptible de revenir au Canada. […]
[53] La précision ajoutée par le législateur au paragraphe 61(3) du Règlement crée un équilibre entre l’obligation imposée au résident permanent de cumuler le nombre de jours requis en vertu de la Loi tout en reconnaissant les occasions qui peuvent s’offrir aux résidents permanents d’aller travailler à l’étranger.
[54] Par conséquent, la Cour est d’avis que, compte tenu de la preuve au dossier, la conclusion du Tribunal à l’effet que tout résident permanent qui occupe à temps plein un poste à l’extérieur du Canada pour une entreprise canadienne éligible peut cumuler des jours permettant de s’acquitter de l’obligation de résidence énoncée à l’article 28 de la Loi, est déraisonnable.
À l’évidence, la Cour s'est opposée à ce qu'un employé cumule des jours en vue de satisfaire à l'obligation de résidence en étant simplement embauché à temps plein à l'extérieur du Canada par une entreprise canadienne. Elle a plutôt exprimé l'avis que le résident permanent doit obtenir une affectation temporaire, garder un lien de rattachement avec son employeur et, après l’affectation, continuer de travailler pour ce dernier au Canada.
[16] Le demandeur soutient également que la SAI lui a reproché de ne pas avoir travaillé d’abord pour son employeur au Canada avant de le faire à l'étranger (DPI, pages 4 et 5, Motifs de la SAI, paragraphe 7). Je conviens ici que la décision Jiang ne prescrit pas que le résident permanent doit avoir d’abord travaillé au Canada. L'accent est plutôt mis sur la nature temporaire de l'affectation, qui exige que l'employé garde un lien de rattachement avec l'entreprise canadienne et continue ensuite de travailler pour cette dernière au Canada.
[17] Quant à la question d'un lien de rattachement suffisant entre le demandeur et son employeur (le « facteur de rattachement »), les seules conclusions de la SAI semblent être que le demandeur n’était au courant de la présence d’aucun employé de l'entreprise en Chine et qu'il n'avait jamais rencontré d’employés de l'entreprise au Canada. Le demandeur soutient que la conclusion tirée sur ce dernier point est fondée sur une interprétation inexacte. Il prétend que la SAI lui a demandé à l'audience s'il avait jamais rencontré son employeur ou les employés de ce dernier au Canada, mais que, en fait, l'interprète a mal traduit la question et a demandé s'il avait jamais travaillé avec l'employeur ou ses employés durant son séjour au Canada, ce à quoi il avait répondu que non.
[18] Dans Jiang, la Cour a conclu qu'il n'existait aucun « facteur de rattachement ». L'employeur a déclaré et il est ressorti du dossier qu'il n'avait pas l'intention de promouvoir son employé à un poste au Canada et qu'il faudrait que l'employé y présente de nouveau une demande d’emploi en vue d’obtenir un poste quelconque. Le demandeur soutient que la Cour devrait arriver à une conclusion différente de celle qui a été tirée dans Jiang car, dans le cas présent, il a été embauché à Vancouver et que, même si son contrat d'embauche indiquait qu'il allait devoir passer un temps considérable en Chine, rien dans le contrat ne l'empêchait de travailler au Canada dans la mesure où il s'acquittait de ses fonctions. Il soutient que, contrairement aux faits présentés dans Jiang, il lui aurait été possible de revenir travailler au Canada pour son employeur sans avoir à faire une nouvelle demande. Il a déclaré aussi à l'audience qu'il attendait de revenir au Canada pour renégocier son contrat et qu'il espérait qu'une autre personne allait exercer les fonctions qui l'obligeaient à vivre en Chine.
[19] Le défendeur fait remarquer avec raison que même si le contrat d'embauche du demandeur n'exigeait peut-être pas que ce dernier travaille exclusivement en Chine, il y a bel et bien travaillé à temps plein et il a déclaré n'avoir jamais travaillé pour son employeur au Canada. Par ailleurs, même si son contrat s'appliquait à une durée temporaire, il n'était pas prévu qu'il travaillerait au Canada une fois que le contrat viendrait à expiration, ce qui est arrivé en janvier 2010, après trois années de travail. Je reconnais que le demandeur semble avoir continué de travailler pour son employeur après l'expiration du contrat et qu'il a exprimé le souhait de continuer de travailler au Canada, mais je conclus qu’il ne s'est néanmoins pas conformé aux exigences établies dans la décision Jiang, précitée.
[20] Le demandeur a conclu un contrat d'embauche avec une entreprise canadienne pour une période de trois ans. Durant ce temps, il a travaillé à temps plein en Chine, et n'est revenu au Canada que pour de courtes périodes [traduction] « pour se présenter au travail et rester au pays » (DPI, page 29, Transcription des débats, ligne 7). Qu’il l’ait voulu ou non, le demandeur a été embauché à temps plein pour travailler à l'extérieur du Canada. Il souhaite maintenant prendre en compte les jours qu'il a passés à travailler en Chine en vue de se conformer à son obligation de résidence. Il s’agit précisément de la situation que la Cour a trouvée déraisonnable dans Jiang.
[21] Dans Jiang, la Cour a exprimé l'avis que pour pouvoir prendre en compte le temps passé à l'extérieur du Canada en vue de satisfaire à l'obligation de résidence, il faut que le résident permanent soit affecté de façon temporaire, qu'il garde un lien de rattachement avec son employeur et que, après l’affectation, il revienne travailler pour ce dernier au Canada. Même s'il y a eu, à l'audience, une erreur d'interprétation qui a causé une méprise à propos du rattachement continu du demandeur avec son employeur, il est indubitable que le demandeur n'a pas été affecté de façon temporaire à un travail à l'étranger. Son travail à l'étranger a plutôt débuté au moment où il a été embauché et s'est poursuivi jusqu'à l'expiration de son contrat, près de trois années plus tard. De plus, il n'y a tout simplement aucune preuve que l’employeur avait convenu de garder le demandeur à son service au Canada après cette période. Ce dernier a juste dit à l'audience qu'il voulait maintenant parler à l'employeur pour lui dire qu'il voulait travailler au Canada et savoir s'il était possible d'envoyer à sa place un autre employé à l'étranger (DPI, page 28, Transcription des débats, lignes 10 à 15). Je suis donc d'avis que la conclusion de la SAI selon laquelle le demandeur ne s'est pas acquitté du fardeau d'établir qu'il avait satisfait aux exigences prévues au paragraphe 61(3) du RIPR est raisonnable.
[22] Bien que le demandeur ait mis en doute, dans ses observations écrites seulement, le caractère suffisant des motifs, la Cour suprême du Canada, dans un arrêt récent : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 22, [2011] ACS 62, indique clairement que lorsqu'il y a, comme c’est le cas en l'espèce, des motifs exposés, toute contestation du raisonnement formulé ou du résultat de la décision de l'agent doit se faire dans le cadre de l'analyse de la raisonnabilité. Comme il a été mentionné plus tôt, j'ai conclu que la décision de la SAI est raisonnable et que ses motifs sont étayés par le dossier.
B. La SAI a‑t‑elle manqué à son obligation d'équité procédurale en n'ajournant pas l'audience?
[23] D’après le demandeur, la SAI aurait dû ajourner l'audience quand il est devenu évident que son avocate était incompétente. Le fait de ne pas l'avoir ajournée était, allègue-t-il, un manquement à la justice naturelle.
[24] Comme il se trouve toujours en Chine, le demandeur n'a pas pu assister à l'audience, mais il y a plutôt pris part au téléphone. Il a fallu faire appel pour lui à un interprète afin de faire la traduction entre le cantonnais et l'anglais. Deux personnes ont été présentes à l'audience pour représenter le demandeur : Mme Leung s'y trouvait à titre de représentante d'une organisation bénévole, tandis que M. Lam était un ami du père du demandeur, l’ayant rencontré par l'entremise de la Guangzhou Huadu Benevolent Association.
[25] Il a tout d'abord été question de savoir si les bons formulaires de représentation avaient été présentés. Il a été conclu que Mme Leung avait bel et bien présenté les formulaires exigés, mais pas M. Lam. Mme Leung a demandé que l’on ajourne l'audience car M. Lam et elle n'avaient compris que tout récemment que l'audience allait avoir lieu et ils ne s'y étaient pas préparés. Mme Leung a tenté d'expliquer la confusion, disant à un certain moment (DPI, pages 15 et 16, Transcription des débats, lignes 38 à 40 et 1 à 5) :
[traduction]
Nous voulons seulement vous dire ce qui s'est passé parce que c'est la première fois que nous nous présentons devant vous et que nous ignorons totalement comment procéder. Et le fait est que nous avons reçu une lettre cette fin de semaine‑ci – ce n'est que cette fin de semaine que M. Bi l'a appris parce que nous – les (inaudible) nous les avons avisés d'un changement d'adresse. Ils l'ont envoyée à une maison vide parce qu'il est coincé en Chine et la lettre dit que le document n'a pas été lu; dimanche, c’était donc la panique. Nous avons aussitôt écrit ici – envoyé un fax la nuit dernière à huit heures, et l'accusé de réception indique qu'il a été reçu ce matin, disant que nous ne savons pas – nous ne comprenons pas ce qui se passe.
À ce moment, la présidente de l'audience de la SAI [la commissaire] a interrompu Mme Leung, disant qu'elle allait procéder à l'audience. Elle a ajouté que Mme Leung ne devrait pas accepter d'aider des gens si elle ne savait pas réellement ce qui se passait. Elle a également indiqué qu'elle était disposée à guider le demandeur dans le processus habituel et, ensuite, s'il le fallait, Mme Leung ou M. Lam pourraient poser d'autres questions avant que l'avocate du ministre pose les siennes. Elle a ajouté qu'étant donné que du temps avait été réservé pour cette journée‑là, il était inutile de gaspiller l'argent des contribuables, et elle a ensuite procédé à l'audience. Rien de ce qui précède n'a été traduit au demandeur.
[26] Une autre discussion a suivi pour décider si M. Lam aiderait Mme Leung pendant l'audience ou, alors, s'il allait témoigner et si on lui demanderait donc de quitter la salle. Il a finalement été décidé que M. Lam resterait. Voici d’autres commentaires de la commissaire qui sont pertinents à l'égard de la question de l'équité procédurale et de la compétence de l'avocate du demandeur : [traduction] « [l]a question de savoir si [le demandeur] va bénéficier ou non d'une audience équitable ne posera pas de problème. Je vais le guider dans tout le processus » (DPI, page 18, Transcription des débats, lignes 31 et 32) et [traduction] « [o]ui, très bien, je l'accepte. Mais, monsieur, comme je l’ai dit, vous ne devriez pas accepter de jouer le rôle de représentant si vous ne suivez pas les règles et si vous ne connaissez pas les règles; vous devriez apprendre les règles avant de représenter quelqu'un » (DPI, page 21, Transcription des débats, lignes 16 à 18). Je signale également que Mme Leung n'a posé que quelques questions, dont aucune sur l'emploi du demandeur auprès d'une entreprise canadienne ou sur les conditions du contrat. En fait, Mme Leung n'était manifestement pas dans son élément, comme l'illustre l'échange suivant (DPI, page 41, Transcription des débats, lignes 13 à 21) :
[traduction]
La commissaire : Très bien. Y a‑t‑il d'autres questions en réplique que vous voudriez poser?
Mme Leung : La dernière question au sujet du fait qu'il n'a pas dit à [...] canadien – mais j'ai – la pièce 6 ici –
La commissaire : Madame, avez-vous une question à poser? Les observations viennent après.
Mme Leung : Oh, je ferai mieux de lui demander. Oh mon Dieu! Je ne sais pas – je m'excuse.
Les observations finales de Mme Leung montrent elles aussi sans l'ombre d'un doute qu'elle ne connaissait pas la procédure, son rôle, ni même les questions en litige (DPI, pages 42 à 44, Transcription des débats).
[27] M. Lam n'était pas mieux placé, paraissant nerveux (selon Mme Leung) et ayant de la difficulté à s'exprimer en anglais. Quand la commissaire lui a demandé s'ils avaient une réplique, Mme Leung a demandé si M. Lam pouvait parler en chinois et faire traduire ses propos en anglais. La commissaire a répondu qu'étant donné son rôle de représentant, M. Lam devait s'exprimer en anglais (DPI, page 45, Transcription des débats, lignes 23 à 27). Voici un autre échange qui illustre bien la situation (DPI, pages 46 et 47, Transcription des débats, à partir de la ligne 14) :
[traduction]
La commissaire : Si les documents ne sont pas véridiques, ce serait illégal.
Mme Leung : Oui.
M. Lam : Alors, bien sûr, monsieur – je m'excuse, je n'ai pas pu faire de commentaires sur – je veux juste que l'honorable commissaire considère simplement tous les faits qui lui ont été fournis et – je suis désolé madame, j'ai oublié les mots et je –
Mme Leung : Calmez-vous. Prenez le temps de vous calmer, et vous direz ce que vous voulez dire. Prenez le temps de vous calmer. Je sais que vous voulez dire quelque chose.
M. Lam : Ouais, reconsidérez la situation et donnez une chance à M. Bi de produire tout les documents. C'est sûr que les documents ne sont peut-être pas parfaits à 100 p. 100 pour ce qui est de répondre à l'exigence du ministère et j'ai – demandez s’il vous plaît à l'honorable madame de prendre en considération et d'examiner les documents que nous produisons.
La commissaire : Je vous remercie.
M. Lam : Merci.
La commissaire : Je vais surseoir au prononcé de ma décision, et je la communiquerai donc aux parties dans quelques semaines. Je ne ferai qu'un seul commentaire. À l'avenir, si l'un ou l'autre de vous avez l'intention d'aider des gens, soit auprès de la Section d'appel de l'immigration soit ailleurs, demandez à cette organisation quelles sont les règles; suivez ces règles bien avant la date d'audience et, en fait, allez assister à une audience, parce qu'elles sont habituellement publiques, pour savoir ce qu'il faut faire ou ce que vous pouvez faire ou non pour pouvoir mieux aider la personne que vous essayez d'aider, car vous ne bénéficierez peut-être pas d'autant de latitude que ce serait le cas dans ce genre de circonstances. Il n’est généralement pas utile qu'une personne offre son aide si elle n'est pas sûre de ce qu'elle fait.
[28] Pour convaincre la Cour que la SAI a commis une erreur en n'ajournant pas l'audience, le demandeur se doit d’établir que les actes ou les omissions de son avocat relèvent de l'incompétence et ont occasionné une erreur de justice (R c GDB, 2000 CSC 22, paragraphe 26, [2000] 1 RCS 520 [GDB]). Dans la décision Memari, précitée, la Cour a appliqué le critère énoncé dans l'arrêt GDB, confirmant que le droit à l'assistance effective d'un avocat a été reconnu dans le contexte des réfugiés et que le paragraphe 167(1) de la LIPR reconnaît aux personnes faisant l'objet de poursuites devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié le droit d'être représentées par un avocat. La Cour a également formulé la mise en garde suivante (Memari, précitée, paragraphe 36) :
[36] Cependant, dans les poursuites intentées en vertu de la LIPR, l’incompétence de l’avocat ne constituera un manquement aux principes de justice naturelle que dans des [traduction] « circonstances extraordinaires » (Huynh c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1993), 65 F.T.R. 11, à la page 15 (C.F. 1ère inst.). En ce qui concerne le volet « examen du travail », « l'incompétence ou la négligence du représentant [doit ressortir] de la preuve de façon suffisamment claire et précise » (Shirwa, ci‑dessus, à la page 60). Quant au volet « appréciation du préjudice », la Cour doit être convaincue qu’une erreur judiciaire en a résulté. Compte tenu de la nature extraordinaire de ce motif de contestation, le « travail » doit être exceptionnel et « l’erreur judiciaire » doit prendre la forme d’un manquement à l’équité procédurale – la fiabilité de l’issue du procès ayant été compromise – ou toute autre forme évidente. [Non souligné dans l'original.]
[29] Il ne fait aucun doute que Mme Leung et M. Lam n'étaient pas qualifiés pour agir en tant qu'avocats du demandeur. Ni l'un ni l'autre ne semblaient avoir suivi une formation en droit, ni même avoir une connaissance élémentaire de la procédure. Ce fait a aussi sauté rapidement aux yeux de la commissaire, qui a déclaré que, même si elle allait procéder à l'audience, elle était disposée à guider le demandeur dans tout le processus habituel. Elle a déclaré à un certain point : [traduction] « [l]a question de savoir si [le demandeur] va bénéficier ou non d'une audience équitable ne posera pas de problème. Je vais le guider dans tout le processus » (DPI, page 18, Transcription des débats, lignes 31 et 32).
[30] Le demandeur signale que la SAI a fondé sa décision en partie sur de présumées divergences et omissions contenues dans son témoignage. Il soutient que même si cela constitue habituellement un motif acceptable pour conclure qu'il ne s'est pas acquitté du fardeau de prouver ses prétentions, la commissaire a décidé en l’espèce de procéder à l'interrogatoire principal. Il lui était donc possible de poser au demandeur les questions qui auraient pu dissiper ses doutes et, en s’abstenant de le faire et en fondant sa décision sur le fait que ce dernier n'avait pas traité convenablement des questions en litige, elle a manqué à son obligation d'équité procédurale. À cela s'ajoutait le fait qu'elle n'avait pas ajourné l'audience quand on lui avait demandé au départ de le faire.
[31] Le défendeur est d'avis que le demandeur n'a pas démontré que l'incompétence de son avocate avait entraîné une erreur de justice et n'a pas établi qu'il y avait une probabilité raisonnable que, n'eût été cette incompétence, la SAI serait arrivée à une conclusion différente ou que le processus d'audience avait été inéquitable.
[32] Dans la décision Medawatte c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2005 CF 1374, au paragraphe 10, [2005] ACF 1672, mon collègue, le juge Harrington, a fait remarquer ce qui suit : « [i]l existe une jurisprudence abondante en la matière selon laquelle une partie doit subir les conséquences des actes de son avocat. Je suis du même avis. Si la cause a été mal préparée, si la jurisprudence pertinente n'a pas été portée à l'attention de la Cour dans une affaire au civil ou si les témoins ont été mal choisis, c'est la partie concernée qui doit en subir les conséquences ». Je suis d'avis qu'en l'espèce les faits sont analogues aux exemples que le juge Harrington a donnés. Le demandeur a simplement retenu les services de représentants non formés et non qualifiés dont on n'aurait pas pu attendre davantage, et il doit malheureusement en subir les conséquences. Le demandeur a toutefois bénéficié des services d'un avocat à un certain moment. Une demande de prorogation de délai a été présentée à cause du retrait de son avocat et du temps nécessaire pour en trouver un autre (DPI, page 218).
[33] Dans l'arrêt R c Dunbar, 2003 BCCA 667, au paragraphe 26, [2003] BCJ 2767, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a analysé comme suit le volet « appréciation du préjudice » :
[traduction]
[26] Le volet « appréciation du préjudice » oblige l'appelant à démontrer qu’à cause de l'incompétence d'un avocat, une erreur de justice a été commise. Le juge d'appel Doherty a analysé le sens de l'expression « erreur de justice » dans ce contexte dans Joanisse, précité, au paragraphe 64. Une erreur de justice, a-t-il expliqué, peut être attribuable au fait que l'appelant établit une probabilité raisonnable que, sans les erreurs de l'avocat, l'issue de l'instance aurait été différente. Une probabilité raisonnable est une probabilité qui « suffit à enlever confiance dans l'issue de l'action » et qui « réside quelque part entre une simple possibilité et une vraisemblance » : Joanisse, précité, au paragraphe 62; R. c. Strauss (1995), 61 B.C.A.C. 241, 100 C.C.C. (3d) 303, à la page 319. En revanche, une issue fiable peut quand même constituer une erreur de justice si le processus par lequel ce verdict a été rendu était inéquitable : Joanisse, précité, au paragraphe 62; D.B. c. British Columbia (Director of Child, Family & Community Services), précitée, aux paragraphes 63 et 64.
À mon avis, le demandeur n'a pas démontré qu'il y avait une probabilité raisonnable que, n'eût été son avocate, l'issue de l'instance aurait été différente. Lorsqu’il a répondu aux questions qu’on lui posait, le demandeur n'a tout simplement pas donné des réponses claires et satisfaisantes qui auraient établi qu'il satisfaisait aux exigences prévues au paragraphe 61(3) du RIPR. La conclusion de la SAI n'est pas attribuable au fait que l'on a posé des questions insuffisantes à l'audience, comme l'allègue le demandeur; elle est plutôt le reflet des réponses du demandeur et des éléments de preuve qu'il a produits. Je conclus donc qu'il n'y a pas eu de manquement à l'équité procédurale en l'espèce et que la décision de la SAI était raisonnable.
[34] Les avocats n'ont pas présenté de questions à certifier.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée, et aucune question ne sera certifiée.
« Simon Noël »
Traduction certifiée conforme
Claude Leclerc, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-5067-11
INTITULÉ : JUN TAO BI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 1er mars 2012
DATE DES MOTIFS : Le 7 mars 2012
COMPARUTIONS :
Steven L. Meurrens Larlee Rosenberg
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POUR LE DEMANDEUR
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Helen Park
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Larlee Rosenberg Avocats Vancouver (Colombie-Britannique)
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Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada Vancouver (Colombie-Britannique)
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POUR LE DÉFENDEUR
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