Dossier : IMM‑5627‑11
Référence : 2012 CF 278
Ottawa (Ontario), le 29 février 2012
En présence de monsieur le juge Boivin
ENTRE :
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a, le 25 juillet 2011, refusé la demande du demandeur visant à ce que lui soit reconnue la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi.
[2] Le demandeur souhaite que la Cour annule la décision et renvoie l’affaire à un tribunal différemment constitué pour qu’il rende une nouvelle décision.
Contexte factuel
[3] M. Mousa Javadi (le demandeur), âgé de trente‑trois (33) ans, est citoyen de l’Iran.
[4] En juin 2009, le demandeur a pris part à des manifestations dans la foulée des élections présidentielles en Iran. Il a participé aux manifestations organisées dans la ville de Rasht, près de la ville où il habitait.
[5] Le demandeur soutient que le 16 ou le 17 juin 2009, alors qu’il participait à une manifestation, il a été arrêté puis emprisonné. Il affirme aussi avoir été torturé et battu à diverses reprises pendant une période de plusieurs mois.
[6] Le demandeur déclare qu’à un certain moment au cours de sa détention, il a été présenté à un tribunal et que le droit à un avocat lui a été refusé. Il a été accusé de collaboration avec des agents américains et israéliens et d’activités anti‑islamiques. Le demandeur déclare avoir été condamné à une peine de sept (7) ans d’emprisonnement à la prison Lakon, dans la ville de Rasht.
[7] Au printemps 2010, après le décès de son frère, le demandeur a, selon sa version, obtenu la permission de quitter la prison pendant quatre (4) jours pour assister aux funérailles de son frère. Le père du demandeur a obtenu la libération de ce dernier après avoir donné en gage son usine de riz pour garantir que son fils retournerait à la prison.
[8] Au cours du congé temporaire accordé au demandeur, son père a pris des dispositions afin que le demandeur s’enfuie de l’Iran. Le demandeur a traversé la frontière avec la Turquie à pied, puis s’est rendu au Canada muni d’un faux passeport chypriote. Il est arrivé au Canada le 13 mai 2010 et y a fait une demande d’asile.
[9] En juillet 2011, le demandeur a fait une demande d’ajournement dix (10) jours avant l’audience, après avoir reçu une lettre de son psychologue, M. David Woodbury, qui lui recommandait de subir une évaluation neurologique. Cependant, la demande d’ajournement a été refusée par le commissaire coordonnateur de la Commission le 12 juillet 2011.
[10] La Commission a entendu la demande du demandeur le 15 juillet 2011.
La décision faisant l’objet du contrôle
[11] Dans sa décision, la Commission a aussi refusé la demande d’ajournement du demandeur et a décidé d’instruire sa demande.
[12] La Commission a conclu que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi. La Commission a maintenu que la question déterminante était la crédibilité du demandeur. La Commission, pour l’essentiel, a souligné un certain nombre de contradictions et d’invraisemblances quant à la demande du demandeur :
a) Doutes au sujet de son arrestation :
a. Selon la preuve documentaire, la Commission a jugé que la peine de prison de sept (7) ans infligée au demandeur était inhabituellement sévère étant donné que de nombreux journalistes et universitaires bien connus qui avaient aussi participé aux manifestations avaient été condamnés à des peines beaucoup moindres et que de nombreux citoyens ordinaires, comme le demandeur, avaient été libérés peu de temps après leur arrestation. La Commission a aussi conclu que le demandeur n’avait pas le profil d’un militant ou d’une personne qui aurait pu constituer pour le régime une menace suffisamment grave pour justifier une peine aussi dure;
b) Aucun document n’attestant son arrestation, sa libération et l’existence de la procédure d’appel de sa peine :
b. La Commission a interrogé le demandeur sur les motifs pour lesquels il a été autorisé à quitter la prison pendant quatre (4) jours alors qu’il purgeait une peine de sept (7) ans de prison et sur la présence d’un gardien à ses côtés. Le demandeur a expliqué qu’il a été autorisé à quitter la prison sans être accompagné d’un gardien et que l’usine de son père a été donnée en gage pour garantir son retour à la prison. Il a soumis comme preuve une lettre de son père. Selon la lettre, après la fuite du demandeur, le père de ce dernier a été détenu et son usine a été confisquée. La Commission a souligné que le demandeur n’avait fourni aucun document démontrant l’existence de l’entente conclue entre son père et les autorités. Aucun document ne démontrait non plus que l’usine de riz avait réellement été confisquée. Étant donné la taille de l’usine (20 à 30 employés) et le fait que le demandeur a été autorisé à quitter la prison, la Commission a conclu qu’il serait raisonnable de s’attendre à ce qu’un arrangement aussi important ait été consigné dans un document;
c. Tout en reconnaissant que l’existence d’une preuve corroborante n’est pas une condition juridique préalable exigée dans les audiences relatives à la reconnaissance du statut de réfugié, la Commission a soutenu qu’il n’était pas déraisonnable de s’attendre à ce que le demandeur obtienne certains éléments de preuve corroborant le fait que les autorités lui avaient permis de quitter la prison. La Commission a souligné le fait que l’article 7 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002‑228 (les Règles), précise qu’il incombe au demandeur de fournir une preuve corroborante;
d. La Commission a aussi mis en exergue le fait qu’aucun document officiel ne confirmait l’existence de ce procès allégué au cours duquel il aurait été condamné à sept (7) ans d’emprisonnement. La Commission a ajouté que le demandeur n’avait pas non plus fourni de documents concernant son appel. Par conséquent, la Commission a tiré une inférence négative quant à la crédibilité du demandeur par suite du défaut de ce dernier de fournir lesdits documents;
e. La Commission a estimé improbable que le demandeur ait été autorisé à quitter la prison. Compte tenu du fait que les autorités iraniennes refusent aux proches la permission d’inhumer les personnes décédées en prison, la Commission a estimé que les autorités n’avaient pas jugé souhaitable de laisser le demandeur quitter la prison après que ce dernier (selon ses allégations) y eut été torturé. Commentant un document selon lequel un blogueur bien connu avait été autorisé à quitter la prison où il était détenu, la Commission a affirmé que la situation du demandeur était différente car lui n’était pas connu dans le monde;
f. La Commission a reconnu que le demandeur souffre du trouble de stress post‑traumatique. Cependant, étant donné la conclusion qu’elle a tirée quant à la crédibilité du demandeur, la Commission a accordé une faible valeur probante au rapport psychologique de M. David Woodbury à l’appui des allégations du demandeur;
c) Aucun document relatif au décès de son frère :
g. Le demandeur a soumis en preuve un dépliant faisant état des funérailles de son frère le 3 avril 2011. Cependant, selon la Commission, ce document mentionnait uniquement une cérémonie commémorant l’anniversaire du décès de son frère et ne précisait pas qu’il s’agissait du premier anniversaire du décès, comme le soutenait le demandeur. La Commission a conclu que le dépliant n’était pas un document officiel et lui a par conséquent accordé une faible valeur probante;
h. La Commission a aussi souligné l’absence de certificat de décès dans le dossier du demandeur. La Commission n’était pas satisfaite de l’explication du demandeur à ce sujet. La Commission a conclu que le système des registres d’état civil en Iran semblait assez moderne et que des ministères y tiennent à jour des statistiques sur l’état civil des citoyens du pays. Par conséquent, la Commission a tiré une inférence négative du défaut du demandeur de présenter le certificat officiel de décès de son frère ou son shenasnameh portant un timbre indiquant que la personne qui y est mentionnée est décédée;
i. La Commission a aussi souligné que, selon le Formulaire de renseignements personnels (FRP), c’est la sœur du demandeur qui est décédée et que son frère est encore en vie. La Commission a noté que le FRP du demandeur avait été modifié de façon à ce qu’il y soit précisé que c’est bien son frère qui était décédé. Même s’il peut s’agir d’une simple erreur, la Commission a néanmoins tiré une inférence négative du défaut du demandeur de fournir des documents officiels relativement à la date de décès de son frère;
d) Doutes au sujet des activités politiques du demandeur :
· La Commission a conclu que le demandeur n’a pas établi de façon crédible sa participation à des activités politiques. La Commission a pris note du fait qu’aucune activité politique antérieure à la période qui a suivi l’élection de 2009 n’était mentionnée dans son FRP ou son formulaire IMM5611. Cependant, l’absence de ces données ne concorde pas avec le témoignage du demandeur selon lequel, avant les élections de 2009, il avait participé à des discussions, avait soutenu Mousavi et avait travaillé à la campagne de ce dernier en collant des affiches et en organisant à son domicile une rencontre réunissant de 40 à 50 personnes;
· La Commission a aussi fait ressortir certaines contradictions au sujet du compte rendu de la réunion au domicile du demandeur. En effet, ce dernier a souligné que cette rencontre avait été organisée dans le cadre du Mouvement vert au cours des mois précédant l’élection. Cependant, selon la Commission, le Mouvement vert désigne une série d’actions entreprises après les élections présidentielles iraniennes de 2009, dans le cadre desquelles les manifestants exigeaient la démission du président Ahmadinejad. La Commission a souligné que le mouvement avait été officiellement créé après les élections du 12 juin 2009. De plus, la Commission a affirmé que, selon la preuve documentaire, le Conseil des gardiens de la révolution n’a autorisé Mousavi à se présenter à la présidence que le 20 mai 2009;
[13] En ce qui concerne l’allégation du demandeur selon laquelle il serait persécuté en Iran s’il y retournait en tant que demandeur débouté, la Commission a invoqué un document établi en 2005 par l’Agence des services frontaliers du Canada (décision de la Commission, paragraphe 20), selon lequel, à quelque moment que ce soit au cours du processus de renvoi, les autorités iraniennes ou d’autres autorités d’accueil ne sont pas informées qu’une personne a revendiqué le statut de réfugié au Canada. La Commission a ajouté qu’elle accordait plus de valeur à cet élément de preuve qu’aux autres documents au dossier, car il provient d’une source canadienne. La Commission a donc conclu que le demandeur ne serait pas exposé à des risques en tant que demandeur débouté s’il devait retourner en Iran.
Les questions en litige
[14] Les questions en l’espèce sont les suivantes :
1) La Commission a‑t‑elle tiré des conclusions déraisonnables en ce qui a trait à la crédibilité?
2) La Commission a‑t‑elle manqué à son obligation de respecter les principes de la justice naturelle en omettant d’ajourner l’audience?
Les dispositions législatives
[15] Les dispositions suivantes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés s’appliquent en l’espèce :
Personne à protéger
97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée : a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture; b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant : (i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,
(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas, (iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles, (iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.
(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection. |
Person in need of protection
97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally (a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or (b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if
(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country, (ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country, (iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and
(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.
(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.
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[16] De plus, les dispositions suivantes des Règles de la Section de la protection des réfugiés s’appliquent en l’espèce :
La norme de contrôle
[17] En ce qui concerne la première question soumise par le demandeur, il est de jurisprudence constante que la norme de la décision raisonnable s’applique aux conclusions de la Commission en matière de crédibilité. Pour cette raison, la Cour doit faire preuve d’une certaine déférence à l’égard de la décision de la Commission (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]; Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), (1993) 160 NR 315, 42 ACWS (3d) 886).
[18] En ce qui concerne la deuxième question, à savoir si la Commission a enfreint les principes de justice naturelle en omettant d’ajourner l’audience, la jurisprudence a établi que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339; Dunsmuir, supra).
Analyse
1) La Commission a‑t‑elle tiré des conclusions déraisonnables en ce qui a trait à la crédibilité?
[19] Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable que la Commission tire une conclusion négative quant à sa crédibilité. Plus précisément, le demandeur affirme que la Commission a commis une erreur en ne prenant pas correctement en compte la situation qui règne en Iran dans l’évaluation des explications du demandeur sur l’absence de preuve corroborante. Le demandeur ajoute que la Commission a formulé des hypothèses inexactes sur la situation en Iran. De plus, il allègue qu’une conclusion d’invraisemblance ne doit être tirée que lorsque tous les éléments pertinents sont parfaitement clairs, alors qu’en l’espèce la preuve démontre le contraire. Enfin, le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en accordant une faible valeur probante au rapport psychologique établi par M. Woodbury.
[20] Le défendeur s’inscrit en faux et soutient que la conclusion de la Commission sur la crédibilité du demandeur était raisonnable vu le grand nombre d’omissions et de contradictions figurant dans la demande et l’absence évidente de preuve corroborante. Le défendeur soutient aussi que le rapport psychiatrique établi par M. Woodbury ne peut être invoqué pour justifier toutes les lacunes du témoignage du demandeur.
[21] Ayant pris en compte les arguments des parties, la Cour rappelle que la Commission est la mieux placée pour évaluer le témoignage et la preuve au dossier. La Commission peut tirer des conclusions négatives lorsque le demandeur n’a pas réussi à produire une preuve corroborant son témoignage dans les cas où sa crédibilité est mise en doute. Selon une jurisprudence constante, la Commission est, jusqu’à preuve du contraire, présumée avoir examiné et pris en compte l’ensemble de la preuve qui lui a été présentée (Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), [1993] ACF no 598, paragraphe 1, et Velinova c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 268, [2008] ACF no 340. En l’espèce, comme dans bien d’autres décisions, la preuve documentaire contient des extraits favorables et d’autres qui ne le sont pas (Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [1998] ACF no 300). La Cour ne peut substituer son jugement à celui de la Commission ni réévaluer les explications fournies par le demandeur afin de tirer une autre conclusion (Zhang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 787, [2009] ACF no 911; Kumar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 643, [2009] ACF no 811). La Cour n’intervient que dans des circonstances particulières, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
[22] En l’espèce, la Commission a constaté l’existence de plusieurs contradictions et invraisemblances dans la demande du demandeur et a statué que la crédibilité de ce dernier avait été compromise. Après avoir examiné la décision de la Commission, la Cour conclut qu’il n’y a pas d’erreurs susceptibles de révision. Vu la norme applicable, soit celle de la décision raisonnable, la Cour doit se ranger du côté des conclusions négatives de la Commission quant à la crédibilité du demandeur.
2) La Commission a‑t‑elle manqué à son obligation de respecter les principes de justice naturelle en omettant d’ajourner l’audience?
[23] Le demandeur soutient que la Commission a manqué à son obligation de respecter les principes de justice naturelle en refusant d’accorder un ajournement de l’audience. Le demandeur allègue qu’en refusant la demande d’ajournement, la Commission n’a pas tenu compte des facteurs énumérés au paragraphe 48(4) des Règles (Ramadani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 211, [2005] ACF no 251; Modeste c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1027, [2006] ACF no 1290; Golbom c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 640, [2010] ACF no 855; R.M.Q.M. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1150, [2011] ACF no 1429). Le demandeur soutient de plus que la Commission a commis une erreur en accordant une faible valeur probante au rapport psychologique établi par M. Woodbury, soit en rejetant l’évaluation de ce dernier et en faisant plutôt siennes les recommandations du médecin généraliste du demandeur. Le demandeur soutient que l’évaluation neurologique aurait pu corroborer sa version et permettre à la Commission de mieux évaluer sa demande.
[24] Selon le défendeur, il n’y a eu aucune violation de l’équité procédurale aux termes du paragraphe 48(4) des Règles; en effet, le droit d’une partie à un ajournement n’est pas absolu, mais relève du pouvoir discrétionnaire de la Commission (Prassad c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 1 RCS 560, [1989] ACS no 25). De plus, le défendeur rappelle qu’il est aussi établi que la Commission doit fonctionner avec célérité, comme le prévoit le paragraphe 162(2) de la Loi. Le défendeur soutient que la Commission a pris en compte les facteurs pertinents pour refuser la demande du demandeur aux paragraphes 18 et 19 de ses motifs. Pour cette raison, le défendeur affirme que la Commission avait raison de refuser la demande d’ajournement et qu’il n’y a eu aucune violation de la règle audi alteram partem ou des règles d’équité procédurale (Kandasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 1492, 194 FTR 319; Ching c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 132, [2005] ACF no 181; Sherlock Albertson Hardware c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 338, [2009] ACF no 421).
[25] La Cour rappelle que la Commission a le pouvoir discrétionnaire d’accueillir une demande d’ajournement. En vertu de la décision de la Cour fédérale dans Vairamuthu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), [1993] ACF no 772, 42 ACWS (3d) 108, la Cour ne peut critiquer la décision du tribunal en cas de refus d’une demande d’ajournement que si une violation des principes de justice naturelle ou d’équité a résulté de cette décision. Lorsque le tribunal refuse un ajournement, la Cour analyse les circonstances particulières à chaque espèce afin d’établir s’il y a eu violation des principes de justice naturelle (Julien c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2010 CF 351, paragraphe 28, [2010] ACF no 403).
[26] La Cour rappelle aussi que les facteurs énumérés au paragraphe 48(4) des Règles ne sont ni exhaustifs ni conjonctifs. De plus, chaque affaire doit être évaluée selon les circonstances qui lui sont propres (Escate c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 1052 paragraphe 13, [2010] ACF no 1347 [Escate]). Enfin, dans Gittens c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 373, [2008] ACF no 473, la Cour a précisé que le paragraphe 48(4) des Règles ne doit pas être interprété comme une directive donnée de reprendre systématiquement chacun des éléments énumérés, qu’ils soient pertinents ou non.
[27] En l’espèce, la Cour fait remarquer que la possibilité de refuser l’ajournement a d’abord été envisagée par le commissaire coordonnateur de la Commission qui a justifié comme suit le refus le 12 juillet 2011 (dossier du tribunal, pp. 80‑81) :
Après avoir pris en considération l’article 48 des Règles de la SPR et la Directive #6, le Tribunal rejette la présente demande pour les motifs suivants :
1) Les demandeurs sont au Canada depuis mai 2010.
2) La CISR ne fait droit aux demandes de changement de la date ou de l’heure a une procédure que dans des cas exceptionnels ou si les circonstances le justifient.
3) La CISR doit fonctionner avec célérité.
4) Rien dans la preuve soumise ne démontre que les demandeurs ne sont pas en mesure de comprendre la nature des procédures.
5) Le Tribunal estime qu’un examen médical n’apportera rien de plus à ce qui est déjà mentionné dans la lettre du psychologue et qui sera pris en considération par le Commissaire assigné. Le Commissaire qui entendra ce dossier pourra qualifier les demandeurs comme étant des personnes vulnérables s’il le juge à propos.
[28] Lors de l’audience de la Commission qui s’est déroulée le 15 juillet 2011, le demandeur a demandé de nouveau un ajournement. Voici les commentaires de la Commission aux paragraphes 18 et 19 de sa décision :
[Traduction] [18] […] Le conseil a demandé un report de l’audience afin d’obtenir un rapport d’évaluation neurologique du demandeur, même si la demande d’ajournement avait déjà été refusée avant l’audience par le commissaire coordonnateur. Cependant, à l’audience, le conseil a formulé de nouveau sa demande d’un rapport d’évaluation neurologique. Au cours de l’audience, le demandeur a déclaré qu’il était traité par un médecin s’exprimant en farsi, auquel il a décrit les tortures qu’il avait subies en Iran. Le demandeur a déclaré qu’il avait été orienté vers un spécialiste des maladies mentales, mais il a été incapable de préciser si ce dernier était neurologue ou psychiatre. Il a ensuite ajouté que ce spécialiste lui avait donné des médicaments et il a sorti de son sac les médicaments qu’il prenait au moment de l’audience. Il y avait de la vitamine A, un antidépresseur (Cipralex) et des médicaments contre la douleur. Selon le tribunal, le demandeur a éprouvé ces symptômes pendant toute la durée de son séjour au Canada; si le rapport d’évaluation neurologique avait été justifié, son médecin en aurait demandé un étant donné que son dossier médical (pièce P‑7) révèle que d’autres consultations avaient été demandées, y compris la consultation d’un urologue et d’un ophtalmologiste.
[19] Selon le rapport du psychologue, sur le plan fonctionnel, le demandeur obtient une note de 35 (sur 100), soit un déficit majeur. À l’audience, le tribunal a constaté que le demandeur était en mesure de se rappeler certains événements et de décrire de façon détaillée ce qui lui serait arrivé. Selon le tribunal, le demandeur s’exprimait de façon cohérente et ne donnait pas l’impression d’avoir de la difficulté à se concentrer. Le tribunal a noté simplement l’existence d’un certain détachement dans le comportement du demandeur. Bien qu’il puisse souffrir de certains symptômes du trouble de stress post‑traumatique, vu la conclusion quant à sa crédibilité, le tribunal accorde une faible valeur probante au rapport d’évaluation psychologique de M. Woodbury que le demandeur a soumis à l’appui de ses allégations.
[29] Selon la Cour, le commissaire coordonnateur de la Commission a clairement tenu compte de l’article 48 des Règles lorsqu’il a pris sa décision. De plus, même si la Commission n’a pas énuméré dans sa décision les facteurs énumérés au paragraphe 48(4) des Règles, ses remarques sur la demande du demandeur montrent clairement que la liste des critères énumérés au paragraphe 48(4) a été prise en compte. La Commission a tenu compte de la période dont le demandeur a pu disposer pour se préparer (48(4)c)) et de la question de savoir si l’accueil de la demande ralentirait l’affaire de manière déraisonnable ou causerait vraisemblablement une injustice (48(4)j)).
[30] La Cour constate aussi que la Commission a allégué que le demandeur avait consulté à Gatineau son médecin généraliste, le Dr Ahmad, tous les deux (2) à trois (3) mois depuis son arrivée (dossier du tribunal, p. 307) et que son médecin n’a pas demandé d’examens neurologiques. De plus, il est à noter que la Commission n’a pas rejeté dès le départ la demande du demandeur. À cet effet, voici un extrait du dossier du tribunal (p. 309) : [traduction] « D’accord. Donc, c’est le Dr Ahmad qui a signé toutes les demandes de consultation. Je suggère que nous procédions; nous verrons au fur et à mesure du déroulement de l’audience et, à la fin, si j’estime qu’une évaluation neurologique est nécessaire, nous pourrions peut‑être y voir à ce moment‑là. »
[31] Enfin, la page 340 du dossier du tribunal reproduit cette déclaration de la Commission à la fin de l’audience : [traduction] « Je ne pense pas qu’un rapport d’évaluation neurologique soit nécessaire. En effet, je pense que le demandeur souffre de ces symptômes depuis quelques années, soit les deux dernières années, et j’estime que cette évaluation neurologique aurait pu être effectuée bien avant. Il a vu un spécialiste, le Dr Richardson, qui, selon lui, était psychiatre ou neurologue. »
[32] En l’espèce, et selon la preuve au dossier, le demandeur n’a pas convaincu la Cour qu’il a subi une injustice du fait qu’il n’a pas été soumis à une évaluation neurologique. Le demandeur n’a pas réussi à démontrer que le refus de la Commission d’accorder un ajournement a eu un effet négatif pour lui ou l’a empêché de présenter sa demande d’asile d’une façon adéquate. Le demandeur n’a pas réussi à convaincre la Cour que les documents qu’il voulait déposer auraient été déterminants et qu’ils auraient amené la Commission à juger son récit crédible (Escate, précité, paragraphe 18).
[33] En conclusion, la Cour conclut que l’obligation d’équité n’a pas été violée et que les conclusions de la Commission en matière de crédibilité étaient raisonnables. Pour ces motifs, la Cour conclut que la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
[34] Aucune question ne sera certifiée, les parties n’en ayant proposé aucune.
JUGEMENT
1. La demande est rejetée.
2. Il n’y a aucune question à faire certifier.
Juge
Traduction certifiée conforme
Christiane Bélanger, LL.L., réviseure
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM‑5627‑11
INTITULÉ : Mousa Javadi c MCI
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 15 février 2012
MOTIFS DU JUGEMENT : Le juge Boivin
DATE DES MOTIFS : Le 29 février 2012
COMPARUTIONS :
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POUR LE DEMANDEUR
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Leticia Mariz |
POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Bureau d’avocats d’Arash Banakar
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POUR LE DEMANDEUR |
Myles J. Kirvan Sous‑procureur général du Canada |
POUR LE DÉFENDEUR
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