Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 

 Date: 20120224

Dossier : IMM-2819-11

Référence :  2012 CF 258

Ottawa (Ontario), le 24 février 2012

En présence de monsieur le juge Scott 

 

ENTRE :

 

CRISTIAN DANILO PULIDO RUIZ

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de révision judiciaire présentée aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27 [LIPR] qui conteste la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [CISR], rendue le 28 mars 2011, voulant que Cristian Danilo Pulido Ruiz (C. Ruiz) n’ait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR.

 

[2]               Pour les raisons qui suivent, cette demande de révision judiciaire de la décision de la CISR est accueillie.

 

II.        Les faits

 

[3]               C. Ruiz est un citoyen de la Colombie âgé de 20 ans.

 

[4]               Le 7 septembre 2006, alors qu’il revient de l’école, deux jeunes hommes l’invitent à participer à des activités organisées à caractère sportif et culturel.

 

[5]               À la mi-septembre, C. Ruiz participe à ces activités. Toutefois, elles prennent vite un tournant politique, ce qui ne lui plaît pas. Il constate aussi que les animateurs des activités sont des recruteurs pour les Forces armées révolutionnaires de la Colombie [FARC].

 

[6]               C. Ruiz décide alors de ne plus y participer. Son absence est remarquée et, une semaine plus tard, les recruteurs des FARC l’interceptent afin d’obtenir les motifs de son absence. C. Ruiz répond qu’il assistera de nouveau aux rencontres, de peur de subir des représailles. Toutefois, C. Ruiz s’absente toujours. 

 

[7]               Le 5 octobre 2006, deux hommes interceptent C. Ruiz et le poussent contre un mur en l’injuriant. Ils le questionnent davantage sur les raisons de ses absences et lui ordonnent de se présenter à la prochaine réunion, sans quoi ils le forceront à y assister. Ils lui défendent aussi d’en parler à qui que ce soit.

 

[8]               Le 23 octobre 2006, les mêmes hommes interceptent C. Ruiz à nouveau et le trainent de force en lui mentionnant que s’il n’adhère pas aux FARC, ils s’en prendront aux membres de sa famille. Il rentre chez-lui très apeuré.

 

[9]               Quelques jours passent et la mère de C. Ruiz s’aperçoit que son fils est troublé. Elle consulte alors le  Dr. Guevara, médecin spécialiste, afin qu’il se penche sur l’état de santé de son fils. Ce dernier conclut que C. Ruiz souffre d’angoisse (voir la pièce B à la page 27 du dossier du demandeur). C’est suite à la deuxième rencontre avec le Dr. Guevara que C. Ruiz décide de confier à sa mère les évènements passés entourant les tentatives de recrutement forcé par les FARC.  

 

[10]           Suite à la réception de  menaces téléphoniques des FARC, les parents de C. Ruiz prennent la décision d’envoyer leur fils à New York, chez des amis, pour quelques mois. Le 21 novembre 2006, C. Ruiz quitte la Colombie en direction de New York. Il obtient un visa de visiteur valide pour une période de 6 mois.

 

[11]           Lors de son séjour aux États-Unis, la famille de C. Ruiz reçoit encore des menaces téléphoniques. Par conséquent, les parents de C. Ruiz décident qu’il doit rester aux États-Unis mais on le déménage chez sa tante et son oncle qui résident à Jacksonville, en Floride.

 

[12]           En septembre 2008, C. Ruiz quitte la résidence de sa tante à la demande de son oncle. Il retourne alors à New York, plus précisément à Queens, où il obtient des conseils d’un curé et de deux conseillers en matière d’immigration. C. Ruiz décide alors d’appeler l’organisme « Viva la casa ».

 

[13]           Le 21 novembre 2008, C. Ruiz se rend aux bureaux de l’organisme afin d’y obtenir des renseignements sur les demandes d’asile au Canada.

 

[14]           Le 23 avril 2009, C. Ruiz se présente à Fort Érié, au Canada et y dépose sa demande d’asile.

 

III.       La législation

 

[15]           Les articles 96 et 97 de la LIPR se lisent comme suit:

 

Définition de « réfugié »

Convention refugee

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Personne à protéger

 

Person in need of protection

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

IV.       La question en litige et la norme de contrôle judicaire

 

A.                 La question en litige

 

[16]           La Cour doit répondre à la question suivante :

 

·                    La CISR a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de l’ensemble des éléments de preuve présentés devant elle, ce qui aurait faussé son appréciation de la crédibilité de C. Ruiz?

 

B.                La norme de contrôle judiciaire

 

[17]           Les parties s’opposent sur la norme de contrôle applicable.

 

[18]           C. Ruiz soutient que la norme de contrôle applicable en l’instance est celle de la décision correcte. Il allègue que la CISR lui a imposé un fardeau de preuve disproportionné en concluant qu’il manque de crédibilité, au motif, entre autres, qu’il n’a pas déposé de demande d’asile durant son séjour aux États-Unis. Il prétend aussi que la CISR erre en ne tenant pas compte des lignes directrices applicables aux demandeurs d’asile qui sont mineurs.

 

[19]           Le  défendeur soutient que la norme de contrôle est celle de la raisonnabilité puisque l’appréciation de la crédibilité d’un demandeur relève de la CISR (voir les décisions Bunema c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 774 au para 1 ; Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 62 au para 28 [Singh]; Pinon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 413 au para 10 [Pinon]).

 

[20]           La Cour reconnaît la justesse de la position du défendeur, car il est de jurisprudence constante que l’appréciation de la crédibilité d’un demandeur appartient à la Commission. La Cour doit faire preuve de retenue à l’égard d’une décision de la CISR fondée sur la crédibilité d’un demandeur (voir les décisions Pinon au para 10 et Cepeda-Gutierrez c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 FTR 35 (CF 1ère inst.), 83 ACWS (3d) 264 au para 14 [Cepeda-Gutierrez]).

 

[21]           La décision de la CISR doit donc faire partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (voir l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47).

 

V.        Position des parties

 

A.        Position de C. Ruiz

 

[22]           C. Ruiz soutient que les conclusions de la CISR portant sur sa crédibilité ne sont pas reliées directement à sa demande d’asile. Sa demande d’asile se fonde sur le recrutement forcé des FARC et non sur son comportement. C. Ruiz affirme qu’il ne s’est pas contredit dans son témoignage devant la CISR.

 

[23]           C. Ruiz souligne que la CISR écrit, dans ses motifs, qu’il « n’adopte pas de comportement compatible avec celui d’une personne qui allègue un risque de persécution si elle devait retourner dans son pays » (voir le paragraphe 11 de la décision de la CISR), puisqu’il n’a fait aucune demande d’asile lors de son séjour aux États-Unis.

 

[24]           À cet égard, C. Ruiz rappelle que la CISR rejette ses explications voulant que ses parents désiraient de prime à bord le faire séjourner aux États-Unis  que pour une période de deux mois. Toutefois, il a dû prolonger son séjour aux États-Unis à cause de la menace constante des FARC en Colombie.

 

[25]           Il soutient par ailleurs que son jeune âge durant son séjour aux Etats-Unis expliquerait son défaut d’y déposer une demande d’asile.

 

[26]           C. Ruiz allègue qu’aucun élément de preuve n’est produit devant la CISR pour établir qu’il était en contact avec des gens qui auraient subi les mêmes problèmes que lui en Colombie. Selon lui, la conclusion de la CISR voulant qu’il ait omis de déposer une demande d’asile aux États-Unis, malgré sa connaissance de personnes familières avec les procédures pour ce faire, est donc déraisonnable.

 

[27]           De plus, C. Ruiz rappelle avoir demandé à sa tante et à son oncle de l’aider à régulariser son statut aux États-Unis. Ces derniers n’auraient pas donné suite à ses demandes.

 

[28]           C. Ruiz affirme qu’il ne possédait pas la maturité voulue pour initier des procédures d’immigration à l’époque. Il cite par analogie l’arrêt R. c D.B., [2008] 2 RCS 3, 2008 CSC 25 au para 41 [DB], de la Cour Suprême du Canada qui précise qu’ « en raison de leur [jeune] âge les adolescents sont plus vulnérables, moins matures et moins aptes à exercer un jugement moral ». De plus, C. Ruiz soutient que le préambule de la Convention relative aux droits de l’enfant protège les droits des enfants en précisant qu’ils ont besoin d’une protection spéciale en raison de leur manque de maturité physique et intellectuelle (voir l’arrêt DB précité).

 

[29]           C. Ruiz  tire également un argument du fait que le Code criminel canadien, LRC (1985), c C-46, prévoit en son paragraphe 150.1(1) qu’on ne peut opposer qu’un adolescent de moins de seize ans aurait valablement consenti à des relations sexuelles avec un adulte, mais qu’on lui oppose son défaut de déposer une demande d’asile aux États-Unis à la première occasion alors qu’il n’avait même pas seize ans.

 

[30]           C. Ruiz reconnaît, dans son mémoire, qu’il devait expliquer son défaut d’avoir déposé une demande d’asile aux États-Unis (voir l’affaire Bobic c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1488 au para 6). Il soutient que la CISR ignore les explications fournies à l’audience.

 

[31]           En ce qui trait à la régularisation de son statut de réfugié aux États-Unis, C. Ruiz soutient qu’il n’y a aucune contradiction concernant l’envoi de son passeport en Colombie.

 

[32]           C. Ruiz rappelle son témoignage voulant qu’il ait demandé à sa mère de l’aide pour régulariser son statut de réfugié aux États-Unis puisque son visa de visiteur devait expirer. Il résume ensuite les faits expliquant l’apposition d’un tampon d’entrée dans son passeport et rappelle l’affidavit de sa mère déposé au dossier (voir l’attestation produite par la mère de C. Ruiz aux pages 30 et 31 du dossier du demandeur).

 

[33]           À cet égard, la CISR écrit que la démarche de la mère de C. Ruiz « n’a aucun rapport avec l’objectif initial de l’envoi du passeport en Colombie » (voir le paragraphe 16 de la décision de la CISR). La CISR écrit également, au paragraphe 20 de sa décision, que « dans ce contexte, le tribunal s’en tient à la preuve déposée (son passeport avec une étampe confirmant son entrée en Colombie) et conclut que le demandeur est retourné dans son pays en 2007 ». C. Ruiz soutient que la CISR ignore des éléments de preuve importants qui expliquent le tampon d’entrée qui apparaît à son passeport et commet une erreur à ce sujet.

 

[34]           C. Ruiz souligne également que les éléments de preuve présents au dossier établissent clairement qu’il existe en Colombie un contrôle des passeports à la sortie comme à l’entrée du pays. C. Ruiz   rappelle qu’il a aussi produit des certificats d’études qui  prouvent sa présence aux États-Unis en 2007 et en 2008.

 

[35]           Il est donc clair, selon C. Ruiz, que la CISR erre puisqu’elle ne tient pas compte de certains éléments de preuve essentiels. La Cour doit donc réviser la décision de la CISR (voir la décision Cepeda-Gutierrez précitée). De plus, C. Ruiz rappelle la jurisprudence de la Cour voulant que les incohérences retenues par la CISR doivent être importantes et déterminantes pour la revendication du demandeur d’asile (voir la décision Sheikh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 ACF no 568 au para 24).

 

B.        Position du défendeur

 

[36]           Le défendeur soutient qu’il est bien établi que lorsqu’un revendicateur se trouve de passage dans un pays signataire de la Convention relative au statut des réfugiés, il doit, à moins d’explications raisonnables, y revendiquer le statut de réfugié à la première occasion (Ilie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 88 FTR 220 ; Singh précitée, au para 24 ; voir aussi Huerta c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 271 [Huerta] ; Sainnéus c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 249 au para 12 ; Leul c Canada (Secrétaire de l’État), [1994] ACF no 833).

 

[37]           Le défendeur souligne que C. Ruiz est arrivé aux États-Unis en novembre 2006 et y est demeuré jusqu’en avril 2009, sans y déposer une demande d’asile. Ainsi, la CISR aurait raisonnablement conclu que le défaut de C. Ruiz de déposer une demande auprès des autorités américaines constitue un comportement incompatible avec celui d’une personne craignant la persécution aux mains des FARC.

 

[38]           Selon le défendeur, la CISR pouvait, en appliquant les directives no 3 du Président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié concernant les enfants qui revendiquent le statut de réfugié, rejeter les explications de C. Ruiz selon lesquelles il ignorait la démarche pour présenter une demande d’asile aux États-Unis. Ces directives précisent que l’on doit tenir compte de l’âge et du développement de l’enfant au moment des évènements sur lesquels portent les renseignements demandés.

 

[39]           En l’espèce, les éléments preuve au dossier démontrent que :

 

(1)        À l’âge de 14 ans, C. Ruiz a quitté seul la Colombie pour se rendre chez des amis de son père à New York;

(2)        C. Ruiz est demeuré près de trois mois à New York avant de se rendre chez sa tante en Floride;

(3)        En septembre 2008, alors qu’il est âgé de 16 ans, C. Ruiz quitte la Floride pour retourner à New York où il aurait survécu en travaillant dans différents emplois jusqu’à sa venue au Canada en avril 2009; et

(4)        C. Ruiz aurait effectué lui-même des recherches internet concernant les procédures d’asile au Canada.

 

[40]           Le défendeur rappelle aussi que C. Ruiz a demandé à sa mère, en 2007, de régulariser son statut aux États-Unis, démontrant par le fait même une certaine compréhension du fonctionnement des procédures d’immigration aux États-Unis.

 

[41]           Il souligne que C. Ruiz a vécu avec des personnes, dont une tante, qui auraient connu des difficultés en Colombie.

 

[42]           Par conséquent, selon le défendeur, C. Ruiz possède un certain niveau de maturité et la CISR peut tirer des inférences négatives de son omission de déposer une demande d’asile auprès des autorités américaines.

 

[43]           D’autre part, le défendeur souligne que la CISR conclut que C. Ruiz est retourné en Colombie en 2007, en raison d’un tampon d’admission au pays qui apparaît dans son passeport. C. Ruiz soutient avoir envoyé son passeport afin de régulariser son statut. Les éléments de preuve au dossier particulièrement la lettre d’appui de ses parents ne fait aucune mention de certains faits essentiels qui pourraient corroborer la version de C. Ruiz.

 

[44]            Ainsi, aux dires du défendeur, le défaut de C. Ruiz de  présenter une explication logique et plausible permet à la CISR de conclure que ses parents n’avaient pas réellement fait les démarches alléguées et de n’accorder aucune valeur probante aux documents déposés devant elle.

 

[45]           Le défendeur souligne que la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Sheikh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] ACF no 604, établit que la conclusion générale du manque de crédibilité d’un demandeur peut fort bien s’étendre à tous les éléments de preuve pertinents de son témoignage (voir aussi Touré c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 964 au para 5 ; Long c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 494 au para 24).

 

[46]           Par ailleurs, selon le défendeur la jurisprudence de cette Cour précise que des documents délivrés par un gouvernement étranger, tel un passeport, sont présumés valides. La déclaration des parents de C. Ruiz ne peut remettre en cause les entrées apparaissant dans le  passeport de C. Ruiz (voir la décision Rasheed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 587 au para 20).

 

[47]           Enfin, le défendeur soutient que la CISR n’a pas à faire l’analyse de la question de la protection de l’État et d’une possibilité de refuge interne dans la mesure où elle décide de la non-crédibilité du demandeur.

 

 

 

VI.       Analyse

 

·                    La CISR a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de l’ensemble des éléments de preuve présentés devant elle, ce qui aurait faussé son appréciation de la crédibilité de C. Ruiz?

 

[48]           La décision de la CISR se fonde essentiellement sur l’appréciation de la crédibilité de C. Ruiz, une question qui relève de l’expertise de la Commission (voir la décision Neupane c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1237 au para 21).

 

[49]           Siégeant en  révision judiciaire, la Cour doit, lorsqu’elle évalue le caractère raisonnable de la décision, respecter certains principes bien établis en jurisprudence (Sun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1255, [2008] ACF no 1570 [Sun]). Ainsi, « une conclusion d’absence de crédibilité peut être [bien] fondée sur des invraisemblances, des contradictions, sur l’irrationalité et [le bon sens] » (voir la décision Sun au para 5).

 

[50]           D’autre part, «la Cour n'a pas à intervenir dans les conclusions de fait tirées par la CISR, à moins qu'elle ne soit convaincue que ces conclusions soient fondées sur des considérations non pertinentes ou qu'elles ne tiennent pas compte des éléments de preuve dont la [CISR] était saisie » (voir l’affaire Kengkarasa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 714, [2007] ACF no 970 au para 7 ; voir aussi l’affaire Miranda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1993] ACF no 437). La jurisprudence établit que l’appréciation des éléments de preuve et des témoignages, ainsi que l’évaluation de leur valeur probante, appartient à la CISR (voir la décision Romhaine c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 534, [2011] ACF no 693 au para 21).

 

[51]           En l’instance, la CISR tire deux conclusions qui l’amènent à rejeter la demande : C. Ruiz n’a pas déposé de demande d’asile lors de son séjour aux États-Unis alors qu’il devait le faire et les explications de C. Ruiz, concernant l’envoi de son passeport en Colombie en 2007, ne sont pas crédibles.

 

(1)        Le défaut de C. Ruiz de déposer une demande d’asile aux États-Unis.

 

[52]           La CISR écrit, aux paragraphes 9 et 10 de sa décision :

[9]        [la CISR] n’accepte pas les explications du demandeur qui justifieraient son inertie relativement au défaut de demander la protection des autorités américaines. Dans l’un ou l’autre de ces endroits, le demandeur vivait directement avec des gens qui avaient quitté leur pays, et sous une forme ou l’autre, ils avaient directement ou indirectement été en contact avec des problématiques similaires à celle du demandeur et, selon le témoignage de ce dernier, ils connaissaient d’autres gens qui étaient illégaux aux États-Unis. Le demandeur a témoigné, d’ailleurs, avoir discuté avec sa tante de Floride des problèmes qu’il avait vécus en Colombie, avant de quitter. De plus, le demandeur, qui dit avoir fait des recherches sur le processus d’asile au Canada, ne fait rien de similaire alors qu’il se trouve aux États-Unis.

 

[10]      Le demandeur témoigne aussi qu’il était trop jeune pour faire ces démarches. Pourtant, son jeune âge ne l’a pas empêché de quitter la résidence de sa tante en Floride et de retourner à New York, alors qu’il n’avait que seize ans, et de faire ses recherches pour entrer au Canada.

 

[53]           C. Ruiz soutient avoir expliqué les raisons pour lesquelles il n’avait pas déposé une demande d’asile dès son arrivée aux États-Unis. Il rappelle premièrement que son séjour aux États-Unis devait d’abord être temporaire. Toutefois, les menaces des FARC l’ont forcé à en prolonger la durée.

 

[54]           C. Ruiz affirme ensuite que son jeune âge l’empêchait de présenter une demande d’asile et que même son oncle et sa tante ne lui sont pas venus en aide malgré ses demandes.

 

[55]           Quant au défendeur, il soutient que C. Ruiz devait, à la première occasion, déposer une demande d’asile auprès des autorités américaines. Son omission démontre qu’il n’avait pas de crainte subjective de persécution en Colombie.

 

[56]           À ce sujet, « il existe un principe bien établi selon lequel toute personne ayant une crainte réelle d'être persécutée devrait demander l'asile au Canada dès son arrivée au pays si telle est son intention » (voir la décision Singh précitée, au para 24). La Cour fédérale d’appel précise aussi, au paragraphe 4 de l’arrêt Huerta précité, « [que] le retard à formuler une demande de statut de réfugié n'est pas un facteur déterminant en soi. Il demeure cependant un élément pertinent dont le tribunal peut tenir compte pour apprécier les dires ainsi que les faits et gestes d'un revendicateur ».

 

[57]           La jurisprudence de la Cour enseigne également que le tribunal doit tenir compte des explications données par le défendeur du retard du dépôt d’une demande d’asile (voir la décision Correira c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 ACF no 1310 au para 28; voir aussi Hue c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1988] ACF no 283 au para 4).

 

[58]           La Cour tient compte, tel qu’il appert du procès-verbal de l’audience (voir les pages 498 à 500 du dossier du tribunal), que C. Ruiz détenait un visa de visiteur valide aux États-Unis pour une période de 6 mois, soit de novembre 2006 à mai 2007.

 

[59]           À l’expiration de son visa, C. Ruiz sollicite l’aide de sa mère et de ses proches aux États-Unis afin de régulariser sa situation. Il soutient ne posséder alors ni les connaissances ni les outils pour déposer une demande d’asile aux États-Unis, d’autant plus qu’il n’avait que 15 ou 16 ans à l’époque.

 

[60]           Dans la décision Kim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 149 [Kim], la Cour analyse les effets de la Convention relative aux droits de l’enfant sur la LIPR. Elle précise, au paragraphe 61 de sa décision, que :

[…] la CDE ne modifie pas la norme au regard de laquelle un enfant peut être considéré comme un réfugié au sens de la Convention"; cependant, la Cour estime que la CDE et les Directives introduisent des nuances dans l'examen de la question de savoir si un enfant a qualité de réfugié au sens de l'article 96. Ces nuances reposent sur le fait que les enfants possèdent des droits distincts, qu'ils ont besoin de protection spéciale et qu'ils peuvent être persécutés par des comportements qui ne constitueraient pas de la persécution à l'endroit d'un adulte.

 

[61]           Il va de soi qu’un enfant ne possède pas les mêmes capacités qu’un adulte. Bien que la CISR semble tenir compte de l’âge de C. Ruiz dans sa décision, elle conclut qu’il devait se comporter comme un adulte et déposer une demande d’asile à la première occasion. Pourtant C. Ruiz est à peine âgé de quinze ans. Il nous apparaît peu probable qu’un adolescent connaisse les complexités et subtilités de l’appareil administratif en matière d’asile et qu’il puisse jauger les eaux hasardeuses du processus d’immigration aux États-Unis sans l’aide d’un adulte. Imposer un tel fardeau à un adolescent nous apparaît déraisonnable.

 

(2)        Les arguments de C. Ruiz concernant l’envoi de son passeport en Colombie en 2007 ne sont pas crédibles.

 

[62]           La CISR considère que les explications concernant l’envoi du passeport en Colombie n’ont « aucun sens et dépasse tout entendement et arguments logiques » (voir le paragraphe 15 de la décision de la CISR). La CISR conclut dans sa décision que C. Ruiz est retourné en Colombie en juillet 2007.

 

[63]           La Cour rejette cette conclusion de la CISR parce qu’elle ignore des éléments de preuve importants qui se retrouvent  au dossier. Les certificats d’attestation d’études scolaires déposés  comme éléments de preuve par C. Ruiz démontrent qu’il est demeuré aux États-Unis. La conclusion de la CISR voulant que C. Ruiz ait quitté les États-Unis au cours de 2007 pour y retourner et reprendre ses études en 2008 n’est pas raisonnable et ne peut se justifier. En effet, le dossier contient également un élément de preuve qui établit que la Colombie effectue des contrôles tant à l’entrée qu’à la sortie du pays. Vu cet élément qui va au cœur même du litige, la Commission devait expliquer pourquoi elle se fonde sur l’existence du tampon en 2007 pour soutenir que C. Ruiz n’est pas crédible mais passe sous silence l’absence de tampon en 2008 qui expliquerait un retour pour compléter les études. La conclusion de la Commission n’est pas raisonnable. Certes le fardeau de prouver les éléments essentiels d’une demande repose sur le demandeur. À partir du moment où il présente des explications et des éléments de preuve plausibles, il appartient à la CISR, si elle rejette ces éléments, de présenter une justification à sa décision qui fasse partie des issues possibles  eu égard des faits et du droit comme nous l’enseigne la Cour Suprême. Dans le dossier de C. Ruiz, les explications de la CISR sont déraisonnables car elles ignorent certains éléments de preuve et en passent d’autres qui pourraient contredire son raisonnement sous silence. Par conséquent, la CISR ne peut raisonnablement conclure que C. Ruiz n’a pas de crainte subjective de persécution advenant son retour en Colombie.

 

VII.     Conclusion

 

[64]           Les conclusions de la CISR sont déraisonnables dans leur ensemble. « [La Cour] ne peut conclure avec certitude que la Commission en serait venue à la même décision si elle n'avait pas commis dans ses conclusions les erreurs que le demandeur lui a reprochées » (voir la décision Qalawi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 662 au para 18).

 

[65]           La demande de révision judiciaire est donc accueillie.

 

VIII.    Question à certifier

 

[66]           Le procureur de C. Ruiz demande à la Cour de certifier la question suivante :

·                    Peut-on exiger d’un enfant mineur qu’il adopte un comportement qui correspond à celui d’un adulte lorsqu’il est question d’entamer des procédures d’immigration dans un pays étranger, alors qu’aucun membre de sa famille immédiate ne s’y trouve ?

 

 

[67]           S’appuyant sur la décision de Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.) v Liyanagamage, [1994] FCJ No 1637, le demandeur soutient que la question qu’il présente en est une d’intérêt général qui satisfait les critères qui y sont énoncés.

 

[68]           Le défendeur s’oppose à la certification de la question au motif que les directives no 3 du Président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié concernant les enfants qui revendiquent le statut de réfugié sont claires.

 

[69]           Enfin l’affaire Kim citée par le procureur du demandeur ainsi que les affaires Bema c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 845 et Gebremichael c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 547 au para 48, répondent à la question proposée.

 

[70]           La Cour souscrit donc à la position du défendeur et rejette la demande de certification.

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

LA COUR ACCUEILLE la demande de révision judiciaire et renvoie le dossier à un tribunal différemment constitué pour un nouvel examen; et conclut qu’il n’y a aucune question d’intérêt général à certifier.

 

 

« André F.J. Scott »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2819-11

 

INTITULÉ :                                       CRISTIAN DANILO PULIDO RUIZ

                                                            c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               9 janvier 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                      24 février 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Noel Saint-Pierre

Me Olivier Perron

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Lyne Prince

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Saint-Pierre, Perron, Leroux Avocats Inc.

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.