[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 22 février 2012
En présence de monsieur le juge Near
ENTRE :
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ET DE L’IMMIGRATION
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MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) datée du 20 mai 2011. La Commission a statué que le demandeur, Selvaratnam Veerasingam, n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c. 27.
[2] Pour les motifs énoncés ci-après, la demande est rejetée.
I. Les faits
[3] Le demandeur est un citoyen tamoul du Sri Lanka. Il a présenté une demande d’asile au Canada parce qu’il craignait l’armée sri lankaise et les groupes militants tamouls. Il dit avoir été détenu à de nombreuses reprises entre 1980 et 2009.
[4] Plus précisément, il a soutenu que des soldats sri lankais l’ont détenu pendant un mois et demi en octobre 2008 jusqu’à ce qu’il soit libéré après le versement d’un pot-de-vin par un ami. Il a également allégué s’être fait dire de quitter le pays. Les soldats, quant à eux, ont déclaré qu’il s’était enfui.
[5] Le demandeur a quitté le Sri Lanka en avril 2009 et a traversé la Malaisie, l’Afrique et l’Europe (notamment la Suisse) avant d’arriver au Canada en mai de la même année. Il était âgé de 59 ans au moment de l’audience relative à sa demande d’asile.
II. La décision visée par le contrôle
[6] La Commission a conclu que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention, notamment en raison de l’absence de témoignage crédible et de preuves corroborant les incidents allégués.
[7] La décision mentionne ce qui suit relativement à la crédibilité du témoignage du demandeur :
Le Tribunal a trouvé très long et évasif le témoignage du demandeur d’asile pendant l’audience. Il a été très difficile de lui soutirer de l’information. À la question de savoir quand, comment et combien de fois exactement il avait été arrêté ou détenu au cours de la période de trente ans, le demandeur d’asile n’a jamais répondu clairement. Il n’a pas non plus indiqué de façon crédible qu’il craignait pour sa vie ni n’a donné les raisons de sa crainte présumée pendant toutes ces années. Malgré tout, il a décidé de quitter le Sri Lanka à l’âge de 59 ans.
Fréquemment, les réponses du demandeur d’asile n’étaient pas liées aux questions posées. Dès le début de l’audience, le tribunal s’est assuré que le demandeur d’asile comprenait très bien l’interprète, ce que le demandeur d’asile a confirmé. Au cours de l’audience, le tribunal s’est assuré de nouveau auprès du demandeur d’asile et de l’interprète qu’il n’y avait pas de problème de communication.
[8] La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas réussi à démontrer de façon crédible qu’un ou des membres d’un groupe militant le pourchassait ou qu’il avait subi des blessures. Des documents inattendus qui ont été présentés au beau milieu de l’audience ont été jugés sans grande valeur probante.
[9] On pouvait également reprocher au demandeur d’avoir tardé à quitter le Sri Lanka et à présenter une demande d’asile. Il était mentionné que malgré les prétentions selon lesquelles il « craignait pour sa vie depuis de nombreuses années et qu’il avait été détenu, le demandeur d’asile a indiqué que, après le paiement du pot-de-vin pour sa mise en liberté, en décembre 2008, il lui a simplement été dit de quitter le pays » et « [i]l n’a pas pu expliquer pourquoi ».
[10] Compte tenu de son manque de crédibilité et de l’évolution de la situation au Sri Lanka, la Commission n’a pas cru qu’il était persécuté. Elle a également conclu que personne ne le recherchait. Il n’avait pas établi qu’il était probable qu’il courrait un risque s’il retournait dans son pays d’origine.
III. Les questions en litige
[11] La question soulevée par le demandeur consiste à déterminer si la Commission a commis une erreur susceptible de révision dans l’évaluation de sa demande.
IV. La norme de contrôle
[12] Les conclusions quant aux faits et quant à la crédibilité de la Commission doivent être contrôlées selon la norme de la raisonnabilité (voir Aguirre c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 571, [2008] ACF no 732, au paragraphe 14), ce qui est conforme aux arrêts Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2009] 1 RCS 190, au paragraphe 53 et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 45.
[13] Dans le cadre de l’application de la norme de la raisonnabilité prescrite dans l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, la Cour doit s’intéresser « principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » ainsi qu’à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. »
[14] À l’opposé, les questions de droit sont assujetties à la norme de la décision correcte (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 50).
V. Analyse
[15] Le demandeur reconnaît que les conclusions de la Commission sont pour la plupart raisonnables. Cependant, il soutient qu’une erreur a découlé de l’absence de discussion du motif pour lequel il ne courrait pas de risque s’il retournait dans son pays parce que sa demande d’asile a été refusée. Il souligne les éléments de preuve qui ont été présentés et mentionnés au paragraphe 19 de la décision de la Commission relativement aux « articles produits par le conseil du demandeur d’asile au sujet du traitement réservé aux Tamouls du Sri Lanka, plus précisément aux demandeurs d’asile qui retournent dans leur pays. » D’après le demandeur, les demandeurs d’asile déboutés qui sont ciblés seraient membres d’un groupe social et la Commission aurait dû traiter de cette question.
[16] Le défendeur affirme que la Commission a traité de cette question si l’on interprète ses motifs dans leur contexte. Compte tenu de la mention des documents connexes produits par le conseil, on ne peut pas dire que la Commission a pas tenu compte de cette preuve. Dans ce même paragraphe, la Commission a également conclu que « [d]e même, le demandeur d’asile n’a pas pu convaincre le tribunal des raisons pour lesquelles, après sa mise en liberté, des gens avaient été à sa recherche, sont encore à sa recherche, ou le seraient toujours au Sri Lanka. » Cette déclaration peut être considérée comme une conclusion relative à la question et le demandeur conteste simplement la valeur probante de la preuve.
[17] Le demandeur renvoie la Cour à la décision Ghirmatsion c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 519, [2011] ACF no 650, au paragraphe 104, décision dans laquelle il a été reconnu qu’« en général, lorsque est tirée une conclusion défavorable quant à la crédibilité (si elle est raisonnable et prend en compte la preuve), le décideur n’a pas à examiner la demande d’asile plus avant [...] » mais que « [s]i toutefois le demandeur a mentionné des faits mettant en cause un autre motif de persécution, cet élément de la demande doit toujours être examiné, à moins que l’agent des visas n’ait aussi clairement conclu à son manque de crédibilité ».
[18] L’erreur est survenue dans la décision Ghirmatsion, précitée, parce que la Commission n’a jamais tenu compte du motif additionnel de persécution. Toutefois, je ne suis pas convaincu qu’une telle erreur s’est également produite dans la présente affaire.
[19] Comme l’a souligné le défendeur, la Commission a déclaré dans ses motifs qu’elle a examiné la preuve documentaire du demandeur concernant le traitement réservé aux Tamouls qui étaient des demandeurs d’asile retournés au Sri Lanka et elle a conclu, sur le fondement de cette preuve, qu’elle n’était pas convaincue « des raisons pour lesquelles […] des gens [seraient] […] à sa recherche ».
[20] Dans sa réplique, le demandeur semble décrire la question en litige comme une question d’évaluation du caractère suffisant des motifs invoqués quant au risque auquel lié à son retour à titre de demandeur d’asile débouté. Il invoque la décision Administration de l’aéroport international de Vancouver c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2010 CAF 158, [2010] ACF no 809 pour faire valoir que la Commission n’a pas expliqué le fondement de sa décision.
[21] Faisant mention de l’exposé récent de la Cour suprême sur l’exigence relative aux motifs dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] ACS no 62, au paragraphe 18, le défendeur souligne l’extrait cité selon lequel « [i]l ne faut pas examiner les motifs dans l’abstrait; il faut examiner le résultat dans le contexte de la preuve, des arguments des parties et du processus. » Compte tenu du fait que la question déterminante reposait sur la crédibilité et sur le défaut de prouver un risque de danger, il n’était pas déraisonnable d’examiner la preuve relative au risque auquel les demandeurs d’asile déboutés sont exposés et de statuer que le demandeur ne serait pas recherché par qui que ce soit pour quelque motif que ce soit au Sri Lanka.
[22] Je suis disposé à souscrire à la thèse du défendeur. Compte tenu de l’existence de réserves sérieuses quant à la crédibilité, la décision de la Commission est conforme aux principes de justification, de transparence et d’intelligibilité. Bien que la preuve sur cette question ait été traitée brièvement, elle a été examinée.
[23] La Commission a raisonnablement soupesé cette preuve et en est venue à une conclusion plus large selon laquelle le demandeur n’avait pas prouvé l’existence de risques auxquels il serait exposé s’il était renvoyé au Sri Lanka.
[24] À titre subsidiaire, le demandeur affirme que la Commission a commis une erreur en faisant référence au fardeau de la preuve aux termes de l’alinéa 97(1)b). Il conteste le libellé au paragraphe 26 de la décision selon lequel la Commission « ne croit pas qu’il est plus probable que le contraire que le demandeur d’asile serait personnellement ciblé pour quelque raison que ce soit s’il devait retourner au Sri Lanka » alors que le fardeau de la preuve consiste à établir l’existence d’un risque de mauvais traitements selon la prépondérance de la preuve.
[25] Avec égards, cette distinction n’est pas fondée. La Cour d’appel fédérale a précisé dans l’arrêt Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 1, [2005] ACF no 1, au paragraphe 29, que l’expression « prépondérance des probabilités » était équivalente à « plus probable que le contraire », mais que deux étapes distinctes s’appliquent au fardeau de la preuve et au critère juridique. Dans le cadre de l’évaluation du risque aux termes spécifiques de l’alinéa 97(1)b), la question, tel qu’il est exposé au paragraphe 38 de Li, consiste à déterminer s’il « ne serait pas qu'il soit plus probable que le contraire que la personne soit soumise, personnellement, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités si elle était renvoyée dans son pays de nationalité. »
[26] Je suis d’avis que le libellé mentionné par le demandeur et l’évaluation globale que fait la Commission du risque sont cohérents avec cette approche. Même le demandeur reconnaît que le critère approprié est mentionné ailleurs dans la décision.
[27] De fait, la Commission a établi clairement que l’une des questions déterminantes était le « risque de blessure s’il devait retourner au Sri Lanka aujourd’hui ». Il faudrait qu’il existe une preuve convaincante de ce risque « selon la prépondérance de la preuve » ou qu’il soit établi qu’elle était « plus probable que le contraire ». La Commission a recours à cette terminologie dans l’ensemble de sa décision.
[28] Le demandeur a tort de s’appuyer sur la décision Kedelashvili c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 465, [2010] ACF no 547, aux paragraphes 8 et 9. Dans cette affaire, la juge Judith Snider ne se préoccupait pas du fardeau de la preuve selon la « prépondérance de la preuve » comme telle, mais elle se préoccupait plutôt du fait que la Commission a seulement examiné si la demanderesse éviterait la torture ou les traitements cruels ou inusités. Elle a conclu que la Commission a commis une erreur en évitant de faire plutôt mention du « risque » de torture ou de traitements cruels et inusités conformément à son mandat prévu à l’article 97.
[29] Des préoccupations semblables ne sont pas soulevées en l’espèce. Tel qu’il a été établi, la Commission était consciente de son rôle dans le cadre de l’examen de la preuve de l’existence d’un « risque » pour le demandeur selon la prépondérance des probabilités. Je dois donc souscrire à la thèse du défendeur selon laquelle la mention du fardeau de la preuve qui incombait au demandeur en vertu de l’alinéa 97(1)b) dans l’ensemble de la décision et du critère selon lequel le risque est « plus probable que le contraire » ne constituait pas une erreur.
VI. Conclusion
[30] Le demandeur n’a pas démontré que la Commission a commis une erreur, qui justifierait l’intervention de la Cour, dans son évaluation de sa prétention selon laquelle il courait un risque à titre de demandeur d’asile débouté et du fardeau de la preuve prévu à l’alinéa 97(1)b). Par conséquent, je dois rejeter la demande de contrôle judiciaire.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.
Traduction certifiée conforme
Claude Leclerc, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-4203-11
INTITULÉ : VEERASINGAM c. MCI
DATE DE L’AUDIENCE : LE 26 JANVIER 2012
DATE DES MOTIFS : LE 22 FÉVRIER 2012
COMPARUTIONS :
Michael Crane
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Bradley Bechard
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Michael Crane Avocat et procureur Toronto (Ontario)
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Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada
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