[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Vancouver (Colombie‑Britannique), le 15 février 2012
En présence de monsieur le juge Blanchard
ENTRE :
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] La demanderesse, Mme Kulwant Kaur Sandhu, une citoyenne de l’Inde, présente une demande de contrôle judiciaire de la décision en date du 8 mars 2011 par laquelle un conseiller en immigration au Haut‑Commissariat du Canada à New Delhi (le bureau des visas), Bruce Grundison (l’agent des visas), a rejeté sa demande de résidence permanente. La demanderesse sollicite une ordonnance annulant cette décision et approuvant sa demande de résidence permanente. À titre subsidiaire, elle demande que l’affaire soit renvoyée pour être examinée de nouveau par un autre agent des visas. Sa demande est présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].
I. Les faits
[2] La demanderesse est veuve et mère de trois enfants. Un de ses fils, Avtar Sandhu, vit au Canada comme résident permanent. Le 31 juillet 2006, Avtar Sandhu a présenté une demande en vue de parrainer la demande d’immigration au Canada de sa sœur, Jaspreet Kaur, et de sa mère, la demanderesse.
[3] Le 13 novembre 2008, la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente dans la catégorie du regroupement familial en indiquant Jaspreet Kaur comme enfant à charge. Une copie certifiée du passeport de Jaspreet Kaur précisait que la demanderesse était sa mère.
[4] Le 28 juin 2010, le registre de l’immigration du bureau des visas a reçu une lettre d’un tiers alléguant que Jaspreet Kaur n’était pas la véritable fille de la demanderesse, mais plutôt sa nièce et qu’elle vivait avec sa famille pour pouvoir se constituer une « fausse identité » en vue de faciliter son immigration. À la lumière de cette lettre, le premier secrétaire à l’immigration du bureau des visas a écrit à la demanderesse une lettre datée du 20 octobre 2010 dans laquelle il déclarait qu’il n’était [traduction] « pas convaincu qu’il existe des éléments de preuve suffisants pour démontrer qu’il existe un lien de filiation entre vous et Jaspreet Kaur Sandhu » et l’informant que le bureau des visas accepterait des résultats de test d’ADN pour prouver leur lien de filiation. Voici des extraits de cette lettre :
[traduction]
[…]
Après avoir examiné les renseignements fournis à l’appui de votre demande, je ne suis pas convaincu qu’il existe un lien de filiation entre vous et Jaspreet Kaur Sandhu.
Étant donné que les éléments de preuve documentaire que vous avez fournis ne nous permettent pas d’établir l’existence d’un lien de filiation entre vous et l’enfant en question et comme vous n’avez pas été en mesure d’obtenir d’autres éléments de preuve documentaire, nous accepterons les résultats d’une analyse d’ADN à la place des éléments de preuve documentaire en question.
[…]
Si nous ne recevons pas d’ici 90 jours un avis d’un laboratoire nous informant que vous avez l’intention de vous soumettre à un test d’ADN, nous présumerons que vous n’êtes plus intéressée à fournir de résultats de test d’ADN et nous vous communiquerons alors notre décision sur la foi des renseignements portés à notre connaissance.
[5] Le 22 novembre 2010, l’agent des visas a reçu une lettre dans laquelle la demanderesse admettait que Jaspreet Kaur Sandhu n’était pas sa fille naturelle, mais bien sa fille adoptive dont elle avait la garde depuis 1989. Elle poursuivait en expliquant qu’elle et son défunt mari avaient assumé la garde de Jaspreet Kaur en 1989 à la demande de sa belle‑sœur et qu’ils avaient « promis » de ne jamais révéler ce fait à leur fille.
[6] Le 24 février 2011, l’agent des visas a reçu une lettre dans laquelle la demanderesse l’informait que Jaspreet Kaur s’était mariée le 15 janvier 2011 et qu’elle souhaitait que son nom soit retiré de la demande. Une copie certifiée du certificat de mariage était jointe à cette lettre.
[7] Le 8 mars 2011, l’agent des visas a conclu que la demanderesse était interdite de territoire au Canada pour fausses déclarations au sens de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR et a rejeté sa demande de résidence permanente.
[8] Le 9 mai 2011, l’agent des visas a reçu une copie certifiée conforme de la traduction d’un acte d’adoption désignant la demanderesse et son défunt mari comme parents adoptifs de Jaspreet Kaur. Ce document était daté du 18 novembre 1989.
[9] Le 13 mai 2011, la demanderesse a introduit la présente demande de contrôle judiciaire de la décision du 8 mars 2011.
II. Décision contestée
[10] Je reproduis les passages pertinents de la lettre de refus de l’agent des visas qui a été transmise à la demanderesse :
[traduction]
Dans notre lettre du 20 octobre 2010, nous vous avons demandé de vous soumettre à un test d’ADN, vous et votre fille putative Jaspreet Kaur Sandhu. En réponse à notre demande, vous nous avez adressé une lettre dans laquelle vous déclariez qu’en fait, Jaspreet Kaur n’était pas votre fille biologique et que vous aviez « par inadvertance » négligé de révéler ce fait dans votre formulaire de demande parce que vous prétendiez qu’elle ignorait la vérité et que vous vouliez ménager sa susceptibilité. Votre explication ne m’a pas convaincu. Vous avez déclaré que vous aviez adopté Jaspreet, qui est la seconde fille de votre belle‑sœur, en 1989. Toutefois, vous n’avez pas été en mesure de fournir une preuve que l’adoption avait eu lieu à ce moment‑là.
Je suis d’avis que vous avez fait de fausses déclarations en soumettant votre demande. Vous avez dissimulé le fait que la personne à charge qui vous accompagnait, Jaspreet Kaur, n’est pas votre enfant biologique. Cette omission était délibérée et elle n’a été découverte que lorsque vous et la personne à charge qui vous accompagne, Jaspreet Kaur, avez été invitées à vous soumettre à un test d’ADN. Depuis, vous n’avez pas démontré qu’une adoption avait eu lieu malgré le fait que vous ayez affirmé que Jaspreet Kaur avait été adoptée. Ces fausses déclarations ou la dissimulation de ces faits importants auraient pu entraîner des erreurs dans l’application de la Loi si des visas de résidents permanents vous avaient été délivrés à vous et à Jaspreet Kaur.
Par conséquent, vous êtes interdite de territoire au Canada pour une période de deux ans à compter de la date de la présente lettre.
[11] La demanderesse soulève les deux questions suivantes :
a. L’agent des visas a‑t‑il commis une erreur en concluant que la demanderesse était interdite de territoire par application de l’alinéa 40(1)a) pour avoir fait de fausses déclarations en affirmant que Jaspreet Kaur était sa fille biologique?
b. Une fois informé que Jaspreet Kaur avait été adoptée, l’agent des visas a‑t‑il manqué à son obligation d’équité procédurale en ne réclamant pas de preuve d’adoption avant de rendre sa décision finale?
III. Norme de contrôle
[12] La première question requiert une analyse axée sur les faits et elle est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 51, [2008] 1 RCS 190).
[13] La seconde question est une question d’équité procédurale. Ces questions sont assujetties à la norme de contrôle de la décision correcte (Dunsmuir, au paragraphe 129).
IV. Analyse
L’agent des visas a‑t‑il commis une erreur en concluant que la demanderesse était interdite de territoire par application de l’alinéa 40(1)a) pour avoir fait de fausses déclarations en affirmant que Jaspreet Kaur était sa fille biologique?
[14] La demanderesse affirme qu’elle n’a pas fait de fausses déclarations au sujet de ses liens avec Jaspreet Kaur. Elle affirme en outre qu’une personne ne peut être interdite de territoire pour fausses déclarations que si celles‑ci portent sur une question pertinente qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. La demanderesse affirme que, comme Jaspreet Kaur a été légalement adoptée, la fausse déclaration qu’elle avait faite ne pouvait entraîner une erreur dans l’application de la LIPR.
[15] Le défendeur affirme que la demanderesse n’a pas fourni de renseignements pertinents démontrant qu’une adoption légale avait eu lieu dans les 90 jours de l’avis l’invitant à se soumettre à un test d’ADN. Le défendeur affirme que la demanderesse a admis qu’elle avait présenté de façon erronée un fait dans sa demande et que ce fait aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. Suivant le défendeur, en prétendant que Jaspreet Kaur était sa fille biologique, la demanderesse [traduction] « tentait de se soustraire au contrôle de la validité de l’adoption ».
[16] L’agent des visas a conclu que la demanderesse avait dissimulé le fait que la personne à charge qui l’accompagnait, Jaspreet Kaur, n’était pas sa fille biologique, et il a par conséquent conclu qu’elle avait fait de fausses déclarations dans sa demande. Cette conclusion ne repose pas sur la preuve. Dans sa demande de résidence permanente, la demanderesse n’affirme pas que sa fille est sa fille biologique. Elle indique simplement que Jaspreet Kaur est sa fille. En réponse à la lettre du 20 octobre 2010 de l’agent des visas, la demanderesse a reconnu en toute franchise que Jaspreet Kaur était sa fille adoptive et a expliqué les circonstances entourant son adoption. Aucun élément de preuve n’a été produit pour démontrer que la demanderesse devait, dans sa demande, préciser si sa fille était sa fille biologique ou sa fille adoptive. L’agent des visas ne disposait d’aucun élément de preuve lui permettant de conclure que la demanderesse avait dissimulé des faits au sujet de ses liens avec Jaspreet Kaur. Le fait que la demanderesse n’ait pas produit de documents d’adoption à l’époque ne permet pas de conclure qu’elle dissimulait des faits ou faisait de fausses déclarations au sujet de ses liens avec Jaspreet Kaur. De plus, les registres de l’établissement scolaire ainsi que les titres de voyage produits par la demanderesse, et notamment le passeport de Jaspreet Kaur, indiquaient tous que la demanderesse était sa mère au moment des faits. Rien ne permettait de penser que la demanderesse ait à quelques moments que ce soit affirmé qu’elle était la mère biologique de Jaspreet Kaur. Dans ces conditions, l’agent devait se convaincre que de fausses déclarations avaient été faites. Il lui aurait suffi de simplement vérifier la légalité de l’adoption. Je suis d’accord avec l’avocat du ministre pour dire qu’il aurait été de loin préférable que la demanderesse produise des documents d’adoption avant que la décision ne soit rendue. Dans cette éventualité, il est peu probable que la présente demande aurait été déposée. Toutefois, une telle erreur ne saurait porter un coup fatal à la demande de résidence permanente alors qu’aucun élément de preuve ne permettait de conclure à de fausses déclarations.
V. Conclusion
[17] À défaut d’éléments de preuve permettant de conclure à de fausses déclarations au sens de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, la Cour estime que l’agent a commis une erreur justifiant notre intervention en décidant que la demanderesse était interdite de territoire au Canada pour fausses déclarations. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. L’affaire sera renvoyée pour être examinée de nouveau par un autre agent des visas.
[18] Vu cette conclusion, il n’est pas nécessaire d’examiner la seconde question qui a été soulevée.
[19] Aucune question grave de portée générale n’a été proposée et aucune ne sera certifiée en vertu de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [LC 2001, c 27].
JUGEMENT
LA COUR :
1. ACCUEILLE la demande de contrôle judiciaire;
2. RENVOIE l’affaire pour qu’elle soit examinée par un autre agent des visas;
3. DÉCLARE qu’aucune question grave de portée générale n’est certifiée.
Traduction certifiée conforme
Édith Malo, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM‑3198‑11
INTITULÉ : KULWANT KAUR SANDHU c MCI
LIEU DE L’AUDIENCE : Vancouver (Colombie‑Britanique)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 9 février 2012
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE BLANCHARD
DATE DES MOTIFS : Le 15 février 2012
COMPARUTIONS :
Barinder S. Sanghera |
POUR LA DEMANDERESSE
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Edward Burnet
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Sanghera Law Group Surrey (Colombie‑Britannique)
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Myles J. Kirvan Sous‑procureur général du Canada Vancouver (Colombie‑Britannique)
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POUR LE DÉFENDEUR
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