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Date : 20120221

Dossier : IMM‑2414‑11

Référence : 2012 CF 232

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 février 2012

En présence de M. le juge Mosley

 

 

ENTRE :

 

WISSAM MOHAMAD JAWAD

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, Wissam Mohamad Jawad, sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a refusé de lui reconnaître la qualité de réfugié au sens de la Convention pour cause de grande criminalité et par laquelle elle a conclu, à titre subsidiaire, qu’il n’avait pas qualité de personne à protéger, étant donné qu’il disposait de possibilités de refuge intérieur au Liban.

 

[2]               J’estime que la Commission a commis une erreur en refusant de reconnaître la qualité de réfugié au demandeur, mais qu’elle a tiré une conclusion raisonnable en ce qui concernait l’existence de possibilités de refuge intérieur. Pour cette raison, la demande est rejetée.

 

CONTEXE

 

[3]               M. Jawad est un citoyen du Liban. Il est né et a grandi dans un quartier de Beyrouth contrôlé par le Hezbollah, un mouvement politique musulman chiite et un parti politique. Son père était chiite, mais sa mère égyptienne appartenait à la branche sunnite de l’Islam. Le demandeur et ses frères et sœur ont suivi la tradition de leur mère. Le demandeur affirme qu’ils se faisaient harceler par leurs voisins pour cette raison. Leur mère continue à vivre dans le même quartier avec la sœur du demandeur. Son frère demeure toujours à Beyrouth.

 

[4]               Le demandeur affirme qu’il a eu maille à partir avec le Hezbollah à la suite du décès de son père, en 1989. Il affirme qu’une menace de mort a été proférée contre lui pour avoir vandalisé des affiches du chef du Hezbollah. En 1995, il s’est rendu aux États‑Unis d’Amérique comme visiteur et a obtenu un permis de travail. Il s’est marié en 1996 et a obtenu le statut de résident permanent en 1997. Il a divorcé de sa première femme en 2000 et s’est remarié en 2002.

 

[5]               En 2004, le demandeur a été accusé en Floride de trafic de cocaïne à la suite d’une perquisition effectuée dans sa voiture sur la foi d’un tuyau fourni par un indicateur. On a découvert que le demandeur avait en sa possession une quantité de cocaïne variant entre 70 et 83 grammes selon les rapports des agents qui ont procédé à son arrestation. Devant le tribunal, le ministère public a modifié l’accusation et le demandeur a plaidé coupable à des accusations de possession de 70 grammes de cocaïne. Suivant la procédure appelée « adjudication withheld », il n’y a pas eu de déclaration formelle de culpabilité, mais le demandeur s’est vu infliger une période de probation assortie d’une recommandation de cure de désintoxication. Le demandeur a également eu à débourser 50 $ US. On ne sait pas avec certitude s’il s’agissait du paiement d’une amende ou de frais.

 

[6]               En avril 2006, M. Jawad a été arrêté par les autorités de l’immigration des États‑Unis et a été détenu pendant quelques mois avant d’être renvoyé des États‑Unis en raison de l’infraction de possession de stupéfiants. Son expulsion a été reportée en raison de la situation qui existait alors au Liban. Il a été mis en liberté en attendant que la situation évolue au Liban et il a été informé qu’il pouvait quitter de son plein gré les États‑Unis. Le demandeur a choisi de quitter volontairement les États‑Unis malgré le fait qu’il faisait toujours l’objet d’une ordonnance de probation de la Floride qui l’obligeait à se présenter régulièrement aux autorités.

 

[7]               En août 2006, le demandeur est arrivé au Canada en compagnie de sa femme et de son premier enfant. Il n’a pas révélé à l’agent d’immigration qui l’a reçu au point d’entrée le statut qu’il avait aux États‑Unis, mais il a par la suite consulté un avocat de Montréal au sujet des options qui s’offraient à lui. Le couple a donné naissance à un second enfant au Canada. La femme du demandeur a cherché sans succès à obtenir la résidence au Canada pour elle‑même et pour ses enfants en présentant sa demande depuis les États‑Unis. Après avoir essuyé un refus, elle est demeurée aux États‑Unis avec ses enfants. M. Jawad est demeuré au Canada sans statut.

 

[8]               À la suite de son défaut de se présenter aux autorités comme il devait le faire, M. Jawad a fait l’objet d’un mandat d’arrestation pour violation de l’ordonnance de probation qui avait été prononcée en Floride. En avril 2009, il a été mis en état d’arrestation après avoir été appréhendé pour avoir brûlé un feu rouge à Surrey (C.‑B.) et il a été livré aux mains de l’Agence des services frontaliers du Canada. C’est alors qu’il a présenté sa demande d’asile.

 

[9]               Le demandeur affirme que, s’il doit retourner à quelque endroit que ce soit au Liban, il sera persécuté par le Hezbollah en raison de ses activités passées au Liban et de certaines déclarations publiques récentes. En 2010, il a publié des commentaires défavorables sur le réseau social Facebook dans lequel il critiquait le Hezbollah et son chef, Nesrallah.

 

[10]           À la suite de l’arrestation du demandeur en 2009, le ministre a d’abord cherché à le faire déclarer interdit de territoire en vertu de l’alinéa 36(2)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, au motif qu’il avait été déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans. Cette demande a été retirée. Il n’y avait donc plus de déclaration d’interdiction de territoire qui empêchait de déférer la demande d’asile à la Section de la protection des réfugiés.

 

DÉCISION À L’EXAMEN

 

[11]           La Commission a fait observer que, pour refuser de reconnaître la qualité de réfugié au demandeur par application de l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, 189 RTNU 137 (« la Convention »), il fallait qu’il existe des raisons sérieuses de penser qu’il avait commis un crime grave de droit commun avant d’être admis au Canada. La Commission a accordé le bénéfice du doute au demandeur en ce qui concerne la quantité de cocaïne en cause et elle a retenu le chiffre de 70 grammes.

 

[12]           Se fondant sur le témoignage du demandeur, la Commission a conclu que 70 grammes de cocaïne valaient environ 1 200 $ et que cette quantité était suffisante pour assurer environ six mois de consommation personnelle. La Commission a jugé invraisemblable que le demandeur ait, comme il le prétendait, acheté une quantité de cocaïne équivalant à six mois de consommation personnelle, compte tenu de sa situation financière à l’époque. La Commission a estimé que le demandeur possédait de la cocaïne en vue d’en faire le trafic malgré le fait que le tribunal de la Floride l’ait reconnu coupable de l’infraction moindre de simple possession. La Commission a justifié sa conclusion par le fait que l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention parle de crime « commis » et non de crime dont l’auteur a été « déclaré coupable ».

 

[13]           La Commission a estimé que le crime équivalent au Canada était celui de trafic de substance désignée au sens du paragraphe 5(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (la LRCDAS). Le paragraphe 5(3) de la LRCDAS prévoit que la peine maximale pour une infraction au paragraphe 5(1) est l’emprisonnement à perpétuité.

 

[14]           La Commission a également examiné le critère de la gravité du crime énoncé dans l’arrêt Jayasekara c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 404, au paragraphe 44. La Commission a conclu que le fait que l’accusation ait été modifiée était un facteur qui militait en faveur du demandeur, mais que le fait qu’il n’ait pas fini de purger sa peine aux États‑Unis ainsi que le type de crime dont il avait d’abord été accusé constituaient des facteurs permettant de penser qu’il s’agissait d’un crime grave. La Commission a par conséquent conclu que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié par application de l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention.

 

[15]           La Commission s’est demandé si le défaut du demandeur de demander l’asile aux États‑Unis et le temps qu’il avait laissé s’écouler avant de demander l’asile au Canada minaient sa crédibilité. La Commission a estimé que le témoignage du demandeur n’était pas crédible sur la question de savoir si sa crainte de persécution ou de mauvais traitements à son retour au Liban était fondée.

 

[16]           La Commission a estimé que le demandeur disposait d’une possibilité de refuge intérieur au Liban, dans les villes de Halba, Tripoli et Albirah. La Commission a fait état du climat de violence qui régnait au Liban et de l’omniprésence du Hezbollah. Néanmoins, la Commission a conclu que, comme le demandeur n’était pas une personne connue, qu’il n’était pas actif sur le plan politique et qu’il était instruit, il pouvait raisonnablement aller s’installer dans l’une des villes en question.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[17]           Voici les questions soulevées en ce qui concerne la décision de la Commission :

a.       La conclusion d’exclusion de la Commission était‑elle raisonnable?

b.      La décision de la Commission quant au bien‑fondé de la demande d’asile était‑elle raisonnable?

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

 

[18]           L’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, est ainsi libellé :

98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

 

98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

 

 

[19]           L’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, 189 RTNU 137, que l’on trouve à l’annexe 1 de la LIPR, dispose :

Article 1

 

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

 

[…]

 

b) qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;

 

Article 1

 

F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

 

[...]

 

(b) he has committed a serious non‑political crime outside the country of refuge prior to his admission to that country as a refugee;

 

 

ANALYSE

 

Norme de contrôle

 

[20]           La norme de contrôle applicable aux questions de fait et de droit en jeu en l’espèce a déjà été arrêtée de façon satisfaisante par la jurisprudence, de sorte qu’il n’est pas nécessaire d’analyser plus en profondeur les facteurs énumérés dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9.

 

[21]           La norme de contrôle applicable en ce qui concerne l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention est celle de la décision raisonnable (Jayasekara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 238, conf. par 2008 CAF 404; et Flores c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 147, au paragraphe 27).

 

[22]           Les décisions portant sur l’existence d’une possibilité de refuge intérieur sont également assujetties à la norme de contrôle de la raisonnabilité (Soto c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 360, au paragraphe 19; et Guerilus c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 394, au paragraphe 10).

 

[23]           Lorsqu’une décision est contrôlée selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse porte sur l’existence d’une justification et sur la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi que sur l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, ci-dessus, au paragraphe 47; et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59).

 

La conclusion d’exclusion de la Commission était‑elle raisonnable?

 

[24]           Le demandeur soutient qu’il n’y avait aucun élément de preuve pour appuyer une conclusion fondée sur l’alinéa b) de la section F de l’article premier. Le seul élément de preuve allant en ce sens est la quantité de cocaïne que l’on a trouvée en sa possession. Il n’y a aucune présomption de droit suivant laquelle la quantité suffit, à elle seule, pour démontrer qu’il y a eu trafic (R c McCallum, 2006 SKQB 287, au paragraphe 28). Des accusations criminelles sur lesquelles il n’a pas été statuées, ne sont, jusqu’à la preuve du contraire, que de simples allégations (Thuraisingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 607, au paragraphe 35; et Bakchiev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 16489 (CF), 196 FTR 306, au paragraphe 12). Le demandeur affirme en outre que le fait que les accusations initiales aient été réduites devrait être considéré comme une preuve prima facie qu’il n’a pas commis ce crime (Arevalo Pineda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 454, au paragraphe 31).

 

[25]           Selon le défendeur, il était raisonnable de la part de la Commission de conclure, compte tenu de la situation financière du demandeur, qu’il n’était pas vraisemblable qu’il ait acheté une quantité de cocaïne d’une valeur approximative de 1 200 $ (estimation du demandeur) pour sa consommation personnelle. Il était également loisible à la Commission de tenir compte de l’accusation initiale de trafic. Compte tenu du fait que la peine maximale qui peut être infligée au Canada pour le trafic de substances désignées est l’emprisonnement à perpétuité, il était raisonnable de la part de la Commission de conclure que le demandeur avait commis un crime grave. Suivant l’arrêt Chan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 CF 390 (CAF), un crime grave est assimilable à un crime qui peut entraîner l’imposition d’une peine d’emprisonnement de dix ans ou plus.

 

[26]           Les audiences en matière d’exclusion qui se déroulent en vertu de l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention ne sont pas de la nature d’un procès en matière criminelle (Lai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 125, au paragraphe 23; et Xie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 250, autorisation de pourvoi refusée, [2004] SCCA no 418, au paragraphe 23).

 

[27]           Le critère des raisons sérieuses de penser que le demandeur d’asile a commis un crime grave de droit commun au sens de l’alinéa b) de la section F de l’article premier s’apparente à la norme de preuve des motifs raisonnables de croire. Cette norme exige davantage que de simples soupçons, mais est moins stricte que celle de la prépondérance des probabilités en matière civile (Ramirez c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 CF 306 (CAF), aux paragraphes 4 à 6). Pour satisfaire à ce critère, il faut soumettre des renseignements concluants et dignes de foi (Mugeresa c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 2005 CSC 40, au paragraphe 114).

 

[28]           À l’audience relative à la demande d’asile, l’avocat du demandeur a déposé des extraits de lois de la Floride concernant les peines prévues en cas de possession simple de cocaïne dans cet État. L’infraction est qualifiée d’acte délictueux grave de troisième degré passible d’une peine maximale de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 5 000 $. L’infraction équivalente au Canada est, sous le régime de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, celle de possession simple d’une substance prévue à l’annexe 1, qui est, sur acte d’accusation, passible d’une peine maximale de sept ans d’emprisonnement et, sur déclaration sommaire de culpabilité, d’une peine maximale de six mois d’emprisonnement et d’une amende maximale de 1 000 $.

 

[29]           Non vérifié, le renseignement que l’indicateur a divulgué à la police ne constituait pas en soi un renseignement convaincant et digne de foi permettant de conclure que le demandeur avait en sa possession de la cocaïne en vue d’en faire le trafic. Il a tout au plus suscité des doutes qui justifiaient une enquête plus approfondie, ce qui s’est soldé, au moment de l’arrestation par la perquisition du véhicule du demandeur. Lors de son arrestation, le demandeur a nié avoir l’intention de faire le trafic de la cocaïne qu’il avait en sa possession.

 

[30]           Il était loisible à la Commission d’examiner la quantité se trouvant en la possession du demandeur et de juger invraisemblable l’explication fournie par ce dernier pour justifier la présence d’une quantité aussi importante sur lui. Toutefois, la Commission a commis une erreur en concluant que l’infraction équivalente au Canada était celle de trafic prévue au paragraphe 5(1) de la LRCDAS. L’infraction équivalente au Canada est celle de possession en vue d’en faire le trafic qui est prévue au paragraphe 5(2) de la même loi. Cette erreur ne tirait pas en soi à conséquence étant donné que la peine maximale pour l’infraction de possession d’une substance prévue à l’annexe 1 de la LRCDAS était la même que celle dont se rend passible l’auteur de l’infraction de trafic de cette substance, en l’occurrence, l’emprisonnement à perpétuité.

 

[31]           Je constate que la Commission a également commis une erreur en concluant que l’accusé avait plaidé coupable. En réalité, il a inscrit un plaidoyer de nolo contendere (« no contest »), qui n’a pas d’équivalent direct au Canada, mais qui revient pour l’accusé à admettre, suivant la preuve révélée, que l’accusation peut être démontrée. Ce plaidoyer n’est pas assorti d’un aveu de culpabilité. Là encore, cette erreur ne tirait pas à conséquence. Toutefois, la Commission n’a pas tenu compte comme elle le devait de la décision rendue par la juridiction étrangère au sujet de l’infraction lorsqu’elle s’est demandé si l’infraction qui avait été commise était grave.

 

[32]           Malgré l’importance de la quantité de drogue saisie, le ministère public et le tribunal de la Floride ont accepté un plaidoyer de « no contest » en réponse à une accusation de possession simple et le demandeur s’est vu infliger une peine avec sursis à être purgée une fois remplies les trois conditions suivantes : cinq ans de probation, cure de désintoxication et paiement de l’amende minimale. Le demandeur a expliqué que cette mesure avait été prise parce qu’il ne faisait pas en réalité le trafic de stupéfiants et qu’il était prêt à contester la perquisition sans mandat de son automobile. Il s’agissait évidemment d’un témoignage intéressé, mais il n’existe au dossier aucune preuve à part les affirmations non vérifiées de l’indicateur.

 

[33]           Bien que je ne sois pas d’accord avec le demandeur pour dire que la réduction de l’accusation constitue une preuve prima facie qu’il ne s’adonnait pas au trafic, le fait que la police ait déposé des accusations ne constitue pas une preuve que le crime reproché a été commis, comme la Commission semble l’avoir supposé. En pareille matière, les rapports d’arrestation de police peuvent servir d’éléments de preuve crédibles et convaincants. Il n’y avait toutefois dans les rapports en question aucun élément de preuve permettant de conclure au trafic, si l’on fait exception de la déclaration non vérifiée de l’indicateur, et l’on ne trouvait aucun des indices habituels de trafic tels que des condamnations antérieures ou la répartition des stupéfiants en quantités propices à la vente.

 

[34]           La Commission a fait observer à juste titre que suivant le critère énoncé dans l’arrêt Jayasekara, ci-dessus, il fallait, pour déterminer la gravité de l’infraction commise à l’étranger, tenir compte des éléments constitutifs du crime, du mode de poursuite, de la peine prévue, des faits et des facteurs atténuants et aggravants à la base de la condamnation. En se référant à ces facteurs, la Commission a reconnu que la réduction de l’accusation initiale et le fait que « la peine pour ce crime était relativement légère » militaient en faveur de la conclusion qu’il ne s’agissait pas d’un crime grave.

 

[35]           La Commission affirme ensuite que «  les circonstances relatives à la perpétration de l’infraction et le chef d’accusation initial attestent qu’il s’agit d’un crime grave ». La Commission ne précise pas en quoi consistent les circonstances auxquelles elle fait allusion. Elle n’explique pas non plus pourquoi les chefs d’accusation initiaux devraient se voir accorder une plus grande importance que la décision finale. La « peine relativement légère » contraste vivement avec la peine obligatoire minimale de trois ans d’emprisonnement et avec la forte amende prévue par la loi de la Floride pour trafic de cocaïne. Je reconnais que, dans l’arrêt Jayasekara, au paragraphe 54, la Cour d’appel fédérale a fait observer qu’une ordonnance de probation ne constitue pas une peine légère, surtout dans le cas d’une probation de cinq ans, étant donné les restrictions à la liberté et la possibilité de subir d’autres conséquences en cas de violation de l’ordonnance. Dans le cas qui nous occupe toutefois, le fait que le demandeur se soit vu infliger par le tribunal une période de probation sans déclaration formelle de culpabilité semble avoir constitué une décision clémente, s’agissant de la possession d’une quantité importante de cocaïne.

 

[36]           J’estime que la conclusion d’exclusion de la Commission ne répond pas au critère de justification, de transparence et d’intelligibilité qui en ferait une décision raisonnable au sens de la norme énoncée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt  Dunsmuir, ci-dessus, au paragraphe 47.

 

[37]           La Commission a poursuivi en analysant le bien‑fondé de la demande d’asile pour le cas où sa conclusion d’exclusion serait – comme je le crois – erronée. Notre Cour doit faire de même.

 

La décision de la Commission quant au bien‑fondé de la demande d’asile était‑elle raisonnable?

 

[38]           Le demandeur soutient que la Commission n’a pas expliqué pourquoi elle n’acceptait pas les motifs qu’il a invoqués pour expliquer son retard à demander l’asile au Canada et pourquoi il ne l’avait pas demandé aux États‑Unis. Le demandeur ajoute, par ailleurs, que la Commission a commis une erreur en concluant que les propos qu’il avait publiés sur le réseau social Facebook pour critiquer le Hezbollah en 2010 n’étaient pas publics et que les militants du Hezbollah n’y avaient pas accès.

 

[39]           Le demandeur affirme que, dans son analyse de la possibilité de refuge intérieur, la Commission n’a pas tenu compte du fait que le Liban est un petit pays, des lettres que ses amis et des membres de sa famille se trouvant au Liban lui ont écrites, et de ses préoccupations au sujet de la présence du Hezbollah à l’aéroport de Beyrouth, le point d’arrivée advenant son expulsion du Canada, confirmée par la preuve documentaire. Le demandeur affirme que, dans l’ensemble, la Commission a minimisé le phénomène de la violence sectaire au Liban mettant en cause les musulmans sunnites et chiites, de même que le rôle que joue le Hezbollah, qui contrôle de grandes parties du pays et l’essentiel de l’appareil de l’État.

 

[40]           Il était loisible à la Commission de tenir compte du fait que le demandeur n’avait pas demandé l’asile aux États‑Unis et qu’il avait tardé à présenter sa demande d’asile au Canada (Djouadou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 1568, au paragraphe 8). Contrairement à ce que prétend le demandeur, la Commission a effectivement tenu compte des explications qu’il a fournies pour expliquer pourquoi il n’avait pas demandé l’asile aux États‑Unis. La Commission a également tenu compte du délai qu’il a laissé s’écouler avant de demander l’asile au Canada en estimant qu’il s’agissait d’un choix éclairé fait par le demandeur après avoir été informé par un avocat des choix qui s’offraient à lui. La Commission a estimé que ces omissions soulèvent des doutes quant à la véracité des allégations de crainte du demandeur.

 

[41]           La Commission a examiné les lettres écrites par des membres de sa famille et par ses amis indiquant que le demandeur était toujours recherché par le Hezbollah. La Commission a également tenu compte de la preuve documentaire portant sur la situation au pays que le demandeur lui avait soumise. Il était loisible à la Commission d’accorder peu de poids à ces éléments de preuve et de procéder à sa propre évaluation de la situation au Liban en se fondant sur l’ensemble de la preuve.

 

[42]           La Commission a bel et bien commis une erreur en concluant que les commentaires publiés sur Facebook n’étaient pas accessibles au public. Cette erreur ne tirait pas à conséquence compte tenu de la conclusion générale de la Commission suivant laquelle le Hezbollah ne s’intéresserait pas au demandeur quinze ans après son départ de Beyrouth du simple fait qu’il avait publié des critiques en ligne. La Commission a reconnu que « le Hezbollah présente généralement une menace pour les personnes qui n’appuient pas ses objectifs » et qu’il cible certaines personnes. La Commission a toutefois conclu que le demandeur n’avait pas été actif sur le plan politique et qu’il ne représentait aucune menace pour cette organisation.

 

[43]           La question déterminante aux yeux de la Commission était la possibilité de refuge intérieur dont disposait le demandeur dans diverses villes du nord du Liban. La Commission s’est demandé s’il existait une possibilité sérieuse que le demandeur subisse des persécutions ou de mauvais traitements ailleurs au pays suivant la prépondérance des probabilités et s’il était déraisonnable, dans les circonstances, que le demandeur habite dans ces régions (Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CAF)). La Commission a conclu que les démêlés que le demandeur avait eus par le passé avec le Hezbollah se limitaient au quartier dans lequel il avait grandi. Bien que la Commission n’ait pas abordé directement la question de l’identification à l’aéroport, elle a traité des craintes formulées par le demandeur quant au risque qu’on le reconnaisse s’il retournait dans le sud rendre visite à sa famille, répondant ainsi à la principale préoccupation exprimée par le demandeur à l’audience.

 

[44]           La Commission n’était pas convaincue que le demandeur pourrait faire l’objet de persécutions ou de mauvais traitements aux endroits proposés comme possibilités de refuge intérieur, ni que le fait d’aller s’installer dans les villes en question serait déraisonnable. Il m’est impossible de conclure que la Commission a commis une erreur en tirant ces conclusions.

 

[45]           Pour conclure, bien que j’eusse pu en arriver à une conclusion différente vu l’ensemble de la preuve, j’estime que la décision de la Commission suivant laquelle le demandeur n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[46]           Aucune question grave de portée générale n’a été proposée par les parties et aucune ne sera donc certifiée.


JUGEMENT

LA COUR REJETTE la demande. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑2414‑11

 

INTITULÉ :                                                  WISSAM MOHAMAD JAWAD

 

                                                                        c.

 

                                                                        MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 2 février 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE MOSLEY

 

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 21 février 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Warren Puddicombe

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Kim Sutcliffe

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

WARREN PUDDICOMBE

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

MYLES J. KIRVAN

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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