Cour fédérale |
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Federal Court |
Référence : 2012 CF 186
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 8 février 2012
En présence de monsieur le juge Zinn
ENTRE :
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] La demanderesse conteste la décision par laquelle un agent chargé de l’examen des risques avant le renvoi a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire qu’elle a présentée depuis le Canada.
[2] La demanderesse est une citoyenne du Nigéria. Le 19 février 2006, elle est arrivée à Toronto et a demandé l’asile au motif qu’elle craignait d’être persécutée par le père des jumeaux dont il l’avait forcée à se faire avorter. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile en concluant que la demanderesse avait inventé toute cette histoire en racontant que le présumé père de ses enfants l’avait forcée à se faire avorter. La demande d’autorisation de contrôle judiciaire de cette décision a été refusée le 23 janvier 2007.
[3] Le 8 mars 2007, la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et a demandé d’être dispensée de l’obligation de devoir présenter sa demande de résidence permanente depuis l’étranger. Le 27 août 2010, la demanderesse a été avisée de son droit de présenter une demande d’examen des risques avant le renvoi (ERAR), ce qu’elle a fait le 3 septembre 2010. La demande d’ERAR a été refusée et la demande d’autorisation de contrôle judiciaire de cette décision a aussi été refusée.
[4] Dans une lettre datée du 3 mars 2011, l’agent a rejeté la demande présentée par la demanderesse sur le fondement de raisons d’ordre humanitaire. Dans la présente demande de contrôle judiciaire de la décision de l’agent, la demanderesse soutient que cette décision comporte plusieurs problèmes. Après avoir examiné les arguments des deux parties ainsi que les éléments de preuve portés à ma connaissance, je suis arrivé à la conclusion que la conclusion tirée par l’agent au sujet de l’intérêt supérieur des enfants en cause était déraisonnable. Par conséquent, la demande doit être accueillie.
[5] La demanderesse a donné naissance à des jumeaux après son arrivée au Canada. Elle est la mère de deux enfants canadiens, un garçon et une fille. Elle soutient qu’ils seraient exposés au risque de mutilation génitale féminine (MGF) et de scarification s’ils doivent aller au Nigéria avec leur mère pour demander la résidence canadienne depuis l’étranger.
[6] Suivant la preuve documentaire, le risque de subir une MGF au Nigéria dépend de la région, de l’origine ethnique et de l’âge. Appliquant ces facteurs, l’agent a conclu, s’agissant du risque auquel la fille de la demanderesse née au Canada serait exposée que : [traduction] « la demanderesse n’a pas démontré que ses enfants seraient personnellement exposés à un présumé risque de scarification et de mutilation génitale féminine ». J’estime au contraire que les éléments de preuve que l’agent a acceptés démontraient à l’évidence que la fille de la demanderesse était personnellement exposée au risque de subir une MGF compte tenu des éléments de preuve faisant ressortir ces facteurs. Il est possible que le risque auquel elle est exposée ne soit pas aussi grand que celui auquel sont confrontées les autres filles au Nigeria, mais il ne s’agit là ni d’une exigence ni de la norme applicable pour évaluer le risque auquel la fille de la demanderesse serait exposée.
[7] Voici un résumé des éléments de preuve se rapportant à chacun des trois facteurs qui ont été examinés.
Région
[8] L’agent a déclaré que la demanderesse venait [traduction] « de l’Édo, un État du sud‑ouest, et que, suivant la preuve, ce sont les Yoroubas et les Ibos qui sont les plus touchés dans cette région ».
[9] Suivant la Réponse à la demande d’information (la RDI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié numéro NGA103520.EF citée par l’agent, les régions où les cas de mutilation génitale féminine sont les plus fréquents sont le sud‑est le sud‑ouest du Nigéria. Or, la demanderesse provient d’une région du Nigéria où les cas de MGF sont les plus répandus : 53,4 p. 100 des filles font l’objet de cette pratique. De plus, comme l’agent l’a fait observer, lorsqu’on examine l’ensemble de la situation qui existe au Nigeria, la RDI précise que « 30 p. 100 des femmes interrogées ont subi des mutilations génitales féminines au Nigéria ».
[10] Par conséquent, la région d’où provient la demanderesse indique que sa fille est exposée à un risque élevé de subir une MGF.
Origine ethnique
[11] Comme nous l’avons déjà signalé, l’agent a déclaré qu’[traduction] « il ressort de la preuve que dans l’État d’Édo, ce sont les Yoroubas les Ibos qui sont les plus touchés » alors que la demanderesse appartient aux Évans ». Bien que vraie, cette affirmation méconnaît les éléments de preuve démontrant que ceux qui, comme les Ésans, entrent dans la catégorie « Autres » dans la RDI sont victimes de MGF dans une proportion de 14 p. 100. Bien que cette proportion soit inférieure à celle des Yoroubas (58,4 p. 100) et des Igbos (51,4 p. 100), il s’agit d’un taux de prévalence des MFG que l’agent a, à mon avis, minimisé de façon déraisonnable au motif qu’il était moins élevé que celui des filles provenant d’autres tribus.
Âge
[12] L’agent a déclaré que, comme la fille de la demanderesse aura bientôt atteint l’âge de quatre ans, les risques qu’elle subisse une MFG sont moins élevés, étant donné que dans la plupart des cas, cette intervention a lieu entre quelques semaines et quatre ans. Toutefois, la preuve n’indique pas qu’aucune fille ne subit une MFG après l’âge de quatre ans. En fait, les éléments de preuve sur lesquels l’agent s’est fondé indiquent qu’un enfant est exposé à un risque plus grand de MFG après l’âge de cinq ans qu’entre l’âge d’un an et de quatre ans. Voici, à cet égard, ce que mentionne la RDI : « en ce qui concerne l’âge auquel les MGF sont pratiquées, le MDHS indique qu’elles avaient été pratiquées sur des enfants de moins de un an dans 82,54 p. 100 des cas; sur des enfants de un à quatre ans dans 1,6 p. 100 des cas et sur des enfants de plus de cinq ans dans 12,5 p. 100 des cas ».
Autres éléments de preuve
[13] À mon avis, l’agent a également minimisé l’importance de l’affidavit dans lequel la demanderesse affirmait que les enfants de sexe féminin faisaient l’objet de pressions familiales pour subir l’« intervention traditionnelle », parce qu’il estimait que ce témoignage était intéressé. Cette conclusion aurait pu être raisonnable, n’eût été le fait que la demanderesse a elle‑même dû subir une MGF en raison des pressions exercées par sa famille. Ce fait appuie fortement l’allégation formulée par la demanderesse au sujet des pressions familiales. L’agent aurait dû accorder une grande importance à ce facteur, mais il ne l’a pas fait.
Conclusion
[14] Pour ces motifs, je conclus que la décision et les conclusions de l’agent ne sont pas justifiées, transparentes ou intelligibles et qu’elles n’appartiennent pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » comme l’exige l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47. Par conséquent, la décision doit être annulée.
[15] Aucune des deux parties n’a proposé de question à certifier.
JUGEMENT
LA COUR ACCUEILLE la demande et RENVOIE l’affaire à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision. Aucune question n’est certifiée.
Juge
Traduction certifiée conforme
Édith Malo, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM‑3151‑11
INTITULÉ : ESTHER OBOH c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 29 novembre 2011
MOTIFS DU JUGEMENT
DATE DES MOTIFS : Le 8 février 2012
COMPARUTIONS :
Kingsley I. Jesuorobo
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POUR LA DEMANDERESSE |
Kareena R. Wilding
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
KINGSLEY I. JESUOROBO Avocat North York (Ontario)
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POUR LA DEMANDERESSE |
MYLES J. KIRVAN Sous‑procureur général du Canada Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR |