[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 3 février 2012
En présence de monsieur le juge Martineau
ENTRE :
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] La demanderesse est une citoyenne de l’Ukraine âgée de 21 ans, d’origine ethnique rom. Elle conteste la légalité d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) qui a rejeté sa demande d’asile. La demanderesse n’a pas réussi à convaincre la Cour que les conclusions défavorables qu’avait tirées la Commission quant à la crédibilité et sa conclusion selon laquelle il n’y avait pas de risque personnel en cas de retour en Ukraine étaient déraisonnables.
[2] La demanderesse allègue avoir été victime de persécution en tant que Rom en Ukraine. Elle prétend également craindre à la fois les Ukrainiens et les Roms à cause de son mariage à un non‑Rom. Elle allègue qu’elle a été injuriée par des camarades de classe et des professeurs, même au collège et à l’université où elle a obtenu un diplôme. Ce harcèlement comprenait de la violence verbale et de la violence physique mineure. La demanderesse affirme qu’en avril 2008, alors qu’elle résidait avec ses parents, des voisins ivres se sont introduits par effraction dans leur appartement en accusant sa mère de les avoir volés la veille lorsqu’elle était allée leur rendre visite pour leur dire la bonne aventure. Les voisins ont demandé que sa famille quitte la région, et ils les ont attaqués avec un couteau. À la suite de l’agression, le père de la demanderesse a dû être hospitalisé pendant un mois et il a perdu l’usage de son bras gauche. La mère de la demanderesse s’est plainte à la police, mais celle-ci n’a pas ouvert d’enquête au sujet de l’incident.
[3] La demanderesse a rencontré son époux, qui est de descendance mi-ukrainienne et mi-tatare, et ils se sont mariés en août 2008. Après qu’ils eurent emménagé dans l’appartement de la famille, celle-ci a commencé à recevoir des menaces aussi bien de la part de Roms que de la part d’Ukrainiens. La demanderesse allègue que, le 18 octobre 2009, trois voisins ukrainiens se sont introduits par effraction dans leur appartement, armés de couteaux, de tiges de métal et de chaînes, et ont dit à la famille de quitter la région. Son époux a été coupé au bras et la demanderesse a été poussée hors de la fenêtre de leur appartement situé au rez-de-chaussée. Tous deux ont reçu des soins médicaux. Au moment de l’attaque, la demanderesse était enceinte et elle a fait une fausse couche. La police a été alertée, mais elle n’a arrêté personne et a laissé entendre que la famille ferait mieux de quitter la région. Le mois suivant, les fenêtres de l’appartement ont été fracassées au milieu de la nuit et un graffiti a été peint sur la porte menaçant la famille de mort si elle ne déménageait pas.
[4] En mars 2010, la demanderesse et son époux ont emménagé dans un dortoir à Kiev, en Ukraine, mais les autres résidents ont rapidement découvert qu’elle était rom et les ont forcés à partir. La demanderesse et son époux ont obtenu de faux passeports israéliens et sont arrivés au Canada le 30 mars 2010. Ils ont demandé l’asile en avril 2010. La demanderesse est actuellement séparée de son époux, et elle n’a pas communiqué avec lui depuis qu’il a décidé de retourner en Ukraine à la fin de septembre ou au début d’octobre 2010.
[5] La Commission a conclu que le récit de la demanderesse n’était pas crédible, principalement parce qu’aucun élément de preuve documentaire corroborant n’avait été produit et parce que la demanderesse n’avait pas mentionné les incidents les plus graves ni dans le document établi au point d’entrée ni dans l’exposé circonstancié original de son Formulaire de renseignements personnels (le FRP). La Commission a noté que l’exposé circonstancié du FRP présenté le 13 mai 2010 ne faisait aucune mention des événements qui étaient survenus en avril 2008 ni de ceux du 18 octobre 2009, ces événements ayant seulement été mentionnés dans l’exposé circonstancié modifié présenté en septembre 2010. La Commission a également conclu que, bien que des éléments de preuve documentaire indiquent qu’il y a de la discrimination contre les Roms dans le système d’éducation, la demanderesse avait pu terminer ses études primaires, secondaires, collégiales et universitaires, et que ses expériences n’équivalaient pas cumulativement à de la persécution. En outre, la Commission a conclu que la crainte que disait éprouver la demanderesse d’être persécutée par d’autres Roms n’était pas raisonnable, puisqu’elle n’entretenait plus de rapports avec son époux et qu’aucun élément de preuve n’avait été produit pour démontrer que des Roms peuvent s’en prendre à ceux qui épousent des non-Roms.
Les conclusions de la Commission concernant la crédibilité sont-elles déraisonnables?
[6] Les conclusions de la Commission quant à la crédibilité reposent sur l’absence de preuve documentaire et sur le défaut de la demanderesse de mentionner les incidents allégués dans l’exposé circonstancié original de son FRP. La Cour estime qu’il était raisonnable que la Commission s’appuie sur ces motifs dans les circonstances.
[7] La demande de la demanderesse au point d’entrée et l’exposé circonstancié original de son FRP ne mentionnent pas les incidents culminants d’avril 2008 ou d’octobre 2009. Cependant, la demanderesse fait valoir qu’il est de son droit d’apporter des modifications à ses documents originaux et que ce fait ne devrait pas être invoqué contre elle dans des procédures ultérieures. La demanderesse soutient que c’est en raison de sa détresse à l’époque qu’elle a omis d’inclure des parties importantes de son récit dans son FRP original.
[8] À l’audience devant le tribunal, la demanderesse et son avocate ont expliqué que l’exposé circonstancié modifié du FRP ne contredisait pas l’exposé circonstancié original du FRP, mais ne faisait que l’étoffer. L’avocate de la demanderesse a expliqué qu’elles s’étaient rencontrées en juin 2010 pour discuter de la modification du FRP, et elle a mentionné que le délai additionnel à produire la modification était attribuable à l’absence d’urgence. Cette explication a été examinée puis rejetée par la Commission, qui a noté que la même avocate était engagée comme avocate inscrite au dossier au moment où le FRP original avait été présenté. La Commission a également souligné que le représentant de l’avocate avait traduit les documents, que la demanderesse avait affirmé que les renseignements étaient complets, véridiques et exacts, et qu’il n’y avait aucune mention d’un exposé circonstancié plus détaillé à venir. Cette conclusion n’est pas déraisonnable de l’avis de la Cour.
[9] En outre, la demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a exigé une preuve corroborante et lorsqu’elle a rejeté les explications de la demanderesse. Cependant, comme la Cour l’a affirmé dans la décision Castrañeda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 393, au paragraphe 18 : « […] le tribunal peut tirer une conclusion défavorable du fait qu’un demandeur n’a pas produit une preuve corroborante pour étayer son témoignage et sur l’absence d’efforts pour obtenir une telle corroboration documentaire ». Le fait que la demanderesse ait été âgée de 18 ans seulement lorsqu’elle a quitté l’Ukraine ne permet pas à la Cour d’apprécier la preuve à nouveau. De fait, la Commission a examiné les motifs que la demanderesse avait invoqués pour expliquer le fait qu’il n’y avait aucune documentation étayant sa prétention selon laquelle son père avait été blessé lors de l’attaque d’avril 2008 et qu’il touchait, de ce fait, une pension. La Commission a ensuite conclu, raisonnablement, qu’il existait bel et bien un document de l’hôpital et que, bien que le père ait eu besoin de l’original pour toucher une pension, la demanderesse aurait pu fournir une copie du rapport. La Cour estime que cette conclusion est raisonnable.
[10] Il convient de rappeler que, comme l’a mentionné la Cour suprême du Canada « [l]e caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, 2008 CSC 9 au paragraphe 47). Je suis d’avis que les conclusions de fait précitées appartenaient tout à fait aux issues possibles acceptables auxquelles la Commission pouvait raisonnablement en arriver.
La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse n’avait pas de crainte objective de persécution?
[11] En plus de la conclusion défavorable quant à la crédibilité, la Commission a également conclu que la crainte de la demanderesse ne trouvait pas de fondement objectif dans les problèmes qu’elle avait eus dans des établissements d’enseignement ni dans la façon dont d’autres Roms et des Ukrainiens l’avaient traitée. La Commission a noté expressément au paragraphe 9 de la décision que « [b]ien qu’il puisse y avoir de la discrimination envers les Roms qui fréquentent les établissements d’enseignement, compte tenu des éléments de preuve présentés, le tribunal estime que la demandeure d’asile n’a pas été persécutée par ses camarades de classe ni par ses enseignants pendant qu’elle fréquentait des établissements d’enseignement. » La Commission a ensuite conclu qu’en raison des problèmes de crédibilité, la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle serait exposée à un risque personnel de persécution, et les éléments de preuve n’étayaient pas une telle conclusion.
[12] La demanderesse soutient notamment que la Commission a commis une erreur de fait lorsqu’elle a conclu que le traitement qu’elle avait subi durant ses études n’équivalait pas à de la persécution et lorsque la Commission a conclu que la demanderesse n’était pas exposée à des risques en tant que Rom en Ukraine. La demanderesse soutient que le harcèlement peut être physique, verbal ou non verbal, et que la loi n’exige pas que la persécution soit de nature physique. La demanderesse a présenté plusieurs rapports pour démontrer que les Roms sont ciblés à cause de leur ethnicité, surtout dans les établissements d’enseignement. Cependant, la Commission ne disposait pas de ces rapports, et la demanderesse n’a pas démontré que la Commission avait fait abstraction d’éléments de preuve pertinents qui avaient été mis à sa disposition.
[13] Encore une fois, la demanderesse conteste tout simplement la pondération de la preuve par la Commission, et elle ne démontre pas que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle. La Cour est convaincue, en l’espèce, que la Commission a examiné la preuve documentaire disponible ainsi que la preuve présentée par la demanderesse et qu’elle a raisonnablement conclu que les expériences vécues par la demanderesse n’équivalaient pas à une crainte objective de persécution. Encore une fois, la conclusion finale de la Commission selon laquelle la demanderesse n’avait pas réussi à démontrer qu’elle serait exposée à un risque personnel si elle retournait en Ukraine appartenait tout à fait aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).
[14] Pour tous ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Les avocates n’ont proposé aucune question de portée générale à la Cour.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.
Traduction certifiée conforme
Christian Laroche, LL.B.
Juriste-traducteur et traducteur-conseil
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-4929-11
INTITULÉ : OLGA KHABIBULINA
c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 30 janvier 2012
MOTIFS DU JUGEMENT ET
DATE DES MOTIFS : Le 3 février 2012
COMPARUTIONS :
Me Marie-Hélène Giroux
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Me Edith Savard
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Monterosso Giroux, s.e.n.c. Montréal (Québec)
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POUR LA DEMANDERESSE |
Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada Montréal (Quebec) |
POUR LE DÉFENDEUR |