Cour fédérale
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Federal Court |
Référence : 2012 CF 109
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 27 janvier 2012
En présence de monsieur le juge Zinn
ENTRE :
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Le demandeur se nomme Devon Clifton Scott. J’ordonnerai la modification de l’intitulé de la cause en fonction de son nom exact. M. Scott est citoyen de la Jamaïque. Il est arrivé au Canada le 28 juin 2008 et a demandé l’asile un an plus tard. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a refusé la demande d’asile le 22 mars 2011.
[2] Il est bien possible que la demande d’asile soit sans fondement, mais je devrai ordonner que l’affaire soit renvoyée à la Commission pour un nouvel examen parce que cette dernière a enfreint les principes de justice naturelle et d’équité.
[3] Le 22 novembre 2010 et le 9 décembre 2010, le service de mise au rôle de la Commission a téléphoné et laissé des messages vocaux à Desmond Cherrington, membre en règle de la Société canadienne de consultants en immigration et consultant retenu par le demandeur pour le représenter dans le cadre de la demande d’asile. Le consultant du demandeur n’a donné suite à aucun des messages.
[4] Le 17 janvier 2011, la Commission a donc envoyé au consultant du demandeur un avis de comparution à une audience fixée au 4 mars 2011. Le jour suivant, soit le 18 janvier 2011, la Commission a envoyé au demandeur une lettre accompagnée d’un formulaire de confirmation de la disponibilité. Voici un extrait de la lettre d’accompagnement :
[traduction]
Si la SPR ne reçoit pas le formulaire de réponse dûment rempli d’ici 20 jours, elle entreprendra les procédures de désistement en rapport avec votre demande d’asile conformément à l’article 168 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. L’audience fixée à la date susmentionnée [4 mars 2011] deviendra donc une audience de justification ou une audience sur le désistement. Vous aurez la possibilité d’expliquer pourquoi le désistement de votre demande d’asile ne devrait pas être prononcé à l’audience [Souligné dans l’original.].
[5] Le 7 février 2011, la Commission a reçu une lettre du consultant demandant de reporter l’audience au motif qu’il sera à l’extérieur du pays à la date d’audience prévue. La prochaine date de disponibilité la plus rapprochée était le 27 mai 2011.
[6] La Commission a refusé la demande de changement de la date d’audience et a fourni des raisons détaillées. Elle a donné la directive suivante au consultant : [traduction] « S’il vous est impossible de vous présenter à la date prévue ou de trouver un conseil pour vous remplacer, veuillez en informer le demandeur dans les plus brefs délais afin qu’il puisse prendre d’autres dispositions pour se faire représenter, s’il le désire. »
[7] À l’audience du 4 mars 2011, le demandeur n’était pas représenté. Il a déposé une lettre de son consultant, datée du 27 février 2011, qui répète la demande de remise refusée précédemment. En voici le texte :
[traduction]
À qui de droit,
Je me nomme Desmond Cherrington et je suis [le conseil] de M. Devon Scott, dossier no TA9-15294. La présente vise à vous informer que l’audience de M. Scott est prévue pour le 4 mars 2011. L’audience de M. Devon Scott a été mise au rôle sans que je sois consulté. Je dois reconnaître que j’ai été souvent absent du Canada au cours de la dernière année, car je m’occupais de la mise en place d’un bureau à l’extérieur du Canada. Après mon retour au Canada le 3 février 2011, lorsque j’ai communiqué avec la SPR au sujet de cette date d’audience, on m’a informé que la SPR [avait] tenté à quelques reprises de fixer une date d’audience pour M. Scott. La SPR a ainsi procédé et pris ce rendez‑vous sans mon consentement.
Ayant pris connaissance de cette date, j’ai entrepris de préparer mon client pour l’audience en demandant les rapports de police de la Jamaïque ainsi que les dossiers médicaux. Je n’[ai] pas encore obtenu ces documents. Je communique régulièrement avec le poste de police de Falmouth, en Jamaïque, où les incidents ont été consignés et on [m’a] avisé de l’obtention et du traitement des documents. Je tiens également à préciser que M. Devon Scott, le client, a téléphoné presque chaque jour au poste de police en Jamaïque. Il s’efforce par tous les moyens possibles de faire accélérer le processus d’expédition des rapports de police pour son audience.
En outre, il m’est impossible de me présenter à l’audience prévue parce que j’ai déjà des engagements à l’extérieur du pays dont je ne puis me désister. Depuis que j’ai été informé de la date d’audience, j’ai tenté d’obtenir que la CISR ajourne la procédure, sans succès puisqu’elle a rejeté ma requête. Sur réception de la décision de la CISR, j’ai tenté de prendre d’autres dispositions, en vain.
Comme la preuve que M. Scott présentera à l’audience repose principalement sur les renseignements contenus dans son FRP et sur le fait que nous n’avons pas obtenu un délai suffisant pour recevoir les documents, et compte tenu du fardeau de la preuve et du droit à une audience équitable de M. Scott en vertu de la justice naturelle, je demande une remise.
Je vous saurais gré d’ajourner l’audience jusqu’à mon retour à Toronto, et je serai disponible à compter du 7 mai 2011. Je suis certain que j’aurai alors reçu les rapports de police et le dossier médical du client. Je suis sincèrement désolé pour tout inconvénient qui pourrait en découler. Je tiens aussi à souligner que la date d’audience a été fixée sans qu’on ait vérifié ma disponibilité.
Je vous prie d’agréer l’expression de mes salutations distinguées.
Desmond Cherrington
[8] Dans un affidavit produit en l’espèce, le demandeur atteste que c’est seulement à l’audience du 4 mars 2001 qu’il a appris que la première demande de remise avait été refusée. Avant son départ pour la Jamaïque, le consultant a remis la lettre datée du 27 février 2011 au demandeur en lui disant de la remettre à la Commission.
[9] À l’audience, M. Scott a demandé à la Commission d’ajourner la procédure au motif qu’il souhaitait être représenté. La Commission a refusé et a procédé à l’instruction de la demande d’asile sur le fond.
[10] À la lumière du dossier présenté en l’espèce, la Cour estime que la conduite du consultant dénote un manque de professionnalisme scandaleux. Je tiens à préciser que M. Scott est représenté par un conseil différent (et compétent) dans la présente instance. La Commission a tenté au moins deux fois de joindre le consultant du demandeur par téléphone et lui a laissé des messages dans le but de fixer une date d’audience. N’ayant reçu aucune réponse, la Commission a fixé l’audience au 4 mars 2011 et en a informé les parties par lettre le 17 janvier 2011. Le 7 février 2011, la Commission a reçu une demande de remise du conseil du demandeur. La Commission a rejeté la requête et a fourni plusieurs raisons à l’appui. Dans cette même décision, la Commission a avisé le consultant que s’il lui était impossible de se présenter à la date prévue ou de trouver un conseil pour le remplacer, il devait en informer le demandeur afin que celui‑ci ait la possibilité de trouver un autre conseil.
[11] Le demandeur n’a pas été avisé par son conseil. En fait, c’est quatre jours avant l’audience que le demandeur a appris que son consultant serait à l’extérieur du pays le jour de l’audience et qu’il ne pourrait pas le représenter. Tel qu’il est mentionné plus haut, le demandeur s’est vu remettre une lettre à présenter à la Commission le jour de l’audience pour demander une remise. La même demande ayant été refusée antérieurement, un consultant expérimenté aurait compris qu’il était très improbable que la Commission accueille favorablement la demande de remise.
[12] Le fait que le consultant du demandeur était absent du Canada, occupé à aménager un bureau en Jamaïque, n’excuse pas sa conduite; les entreprises commerciales n’ont pas priorité sur les obligations professionnelles. S’il n’est pas en mesure de bien représenter ses clients, il devrait simplement s’abstenir de le faire.
[13] Le défendeur soutient que le demandeur doit assumer les conséquences de l’inconduite de son conseil pour deux raisons principales : (1) le demandeur est lié par les décisions de son représentant légal en l’absence d’une preuve de plainte officielle; (2) le demandeur est lui aussi responsable.
[14] L’observation du défendeur ne tient pas compte de la lettre du 18 janvier 2011 dans laquelle la Commission déclare que si le demandeur n’envoie pas le formulaire de confirmation de la disponibilité, la procédure du 4 mars 2001 deviendra une audience de justification ou une audience sur le désistement. Ni le demandeur ni le consultant n’ont envoyé ce formulaire à la Commission. Selon les processus de la Commission, l’audience sur le fond n’aurait pas dû avoir lieu; il aurait fallu tenir une audience de justification. Elle n’a pas eu lieu. Même si le demandeur n’avait pas obtenu gain de cause à une audience de justification et que la Commission avait prononcé le désistement de la demande d’asile, l’équité procédurale commande que le tribunal respecte le processus établi et offre cette possibilité au demandeur.
[15] Pour cette raison, la présente demande doit être accueillie et la demande d’asile doit être renvoyée à un autre commissaire pour nouvelle décision.
[16] Aucune partie n’a proposé de question à certifier.
JUGEMENT
LA COUR STATUE COMME SUIT :
1. L’intitulé de la cause est modifié afin d’indiquer que le demandeur se nomme DEVON CLIFTON SCOTT plutôt que SCOTT CLIFTON DEVON;
2. La demande est accueillie, la décision de la Commission est annulée et la demande d’asile est renvoyée à un autre commissaire pour nouvelle décision;
3. Il n’y a aucune question à certifier.
Juge
Claude Leclerc, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-3053-11
INTITULÉ : DEVON CLIFTON SCOTT c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 30 NOVEMBRE 2011
DATE DES MOTIFS : LE 27 JANVIER 2012
COMPARUTIONS :
Ali Amini
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POUR LE DEMANDEUR |
Prathima Prashad
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
ALI AMINI Avocat Toronto (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR |
MYLES J. KIRVAN Sous‑procureur général du Canada Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR |