[traduction française certifiée, non révisée]
Ottawa (Ontario), le 26 janvier 2012
En présence de monsieur le juge Lemieux
ENTRE :
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Le chef Victor York et le conseiller Harold Joe ont été élus à leurs postes respectifs pour des mandats de trois ans par les membres de la Bande indienne de Lower Nicola (la Première Nation) lors d’une élection générale tenue le 2 octobre 2010, conformément aux Règles sur les élections selon la coutume. Ils ont été destitués de leurs fonctions respectives par une résolution du Conseil de bande, lors d’une réunion tenue le 1er novembre 2011. Le chef et le conseiller Harold Joe disent que cette réunion a été tenue illégalement. Le 30 novembre 2011, ils ont déposé à la Cour une demande de contrôle judiciaire contestant leur destitution.
[2] Dans l’intervalle, ils souhaitent obtenir de la Cour une injonction interlocutoire, par la voie d’une requête datée du 22 décembre 2011, qui obligerait la Première Nation à tenir une élection partielle en vue de combler le siège du chef de la Première Nation et celui du conseiller Harold Joe en attendant que la Cour rende une décision sur le bien-fondé de leur cause. L’élection partielle était prévue pour le samedi 28 janvier 2012.
II. Le contexte
[3] La Première Nation de Lower Nicola (la Première Nation) est une bande de petite taille, qui compte environ 1 100 membres (800 électeurs) centrés à Merritt (C.-B.) et aux alentours, mais dont un nombre important vit en dehors de la réserve. Cela fait maintenant dix ans environ que cette Première Nation est profondément divisée. Dans le passé – et aujourd’hui encore –, elle a été marquée par plusieurs actions en justice qui, de l’avis de la Cour, n’ont rien fait pour réparer la situation et qui continueront de l’exacerber, malgré les demandes de divers juges de la Cour afin que la Première Nation règle elle-même les différends qui subsistent, par la médiation.
[4] Cette demande a été réitérée plusieurs fois, mais sans succès, à l’audition de la présente requête interlocutoire, qui a eu lieu le 9 janvier 2012, à Vancouver, et à laquelle étaient présents plusieurs membres de la Première Nation faisant partie de ses dirigeants, et, une fois encore, à l’audience tenue par vidéoconférence le 23 janvier 2012.
[5] Voici un résumé des principales instances judiciaires que la Cour a instruites et qui témoigne de la paralysie actuelle.
1. Basil c Bande indienne de la Basse Nicola
Cette demande de contrôle judiciaire s’est soldée par une décision de la juge Danièle Tremblay-Lamer, publiée sous la référence 2009 CF 741. Cette décision passe en fait en revue plusieurs décisions prises par le chef et le conseil de l’époque, toutes liées à une décision d’un Comité d’enquête des aînés (le CEA) établi par le chef Moses après l’élection générale de 2007. Le CEA avait pour mission de faire enquête sur les fonds qu’avaient reçus les personnes qui avaient occupé une charge au cours du mandat d’octobre 2004 à 2007. Le CEA a fait rapport de ses conclusions en février 2009. Il a conclu que chacun des conseillers sur lesquels il avait fait enquête (il y en avait trois) avait manqué à ses obligations fiduciaires. Deux de ces conseillers étaient Mary June Coutlee et Stuart Jackson. Le CEA a destitué les trois conseillers (et d’autres) et les a déclarés inéligibles comme candidats à toute élection future; il a également prescrit la tenue d’une élection partielle. Comme nous le verrons, il reste encore à régler cette question, comme il se doit.
[6] Il est intéressant de noter que, le 10 mars 2009, les demandeurs dans cette affaire, dont faisaient partie les conseillers Coutlee et Jackson, ont présenté à la Cour une demande d’injonction provisoire en vue d’être réintégrés dans leurs fonctions de conseiller jusqu’à ce que la Cour puisse rendre une décision définitive. Toutes les parties ont consenti à la requête; les conseillers destitués ont été autorisés à agir comme conseillers sous réserve de certaines conditions.
[7] En fin de compte, la juge Tremblay-Lamer a annulé les mesures de destitution prises par le CEA pour cause d’absence de compétence au regard des Règles sur les élections selon la coutume. Elle a toutefois conclu que le CEA était compétent pour faire enquête sur les prétendues fautes des conseillers, qu’il avait le droit de tirer les conclusions qui avaient été les siennes et qu’il pouvait ensuite faire rapport de ses conclusions au Conseil. Elle a proposé que la Première Nation tienne un référendum en vue de régler la question de l’éligibilité des trois conseillers. Cela n’est jamais arrivé.
2. Chief Moses et al c « The Council Table » – Dossier T -209-10
[8] Il s’agissait du contrôle judiciaire d’une résolution du Conseil de bande (la RCB) datée du 23 février 2010 (adoptée lors d’une réunion du Conseil de bande à laquelle prenaient part certains des défendeurs dans l’affaire qui m’est soumise) qui avait suspendu le chef Moses lors d’une vérification des finances de la Bande. Ce dernier contestait cette décision devant la Cour.
[9] Sur consentement, la RCB a été déclarée invalide et donc annulée.
[10] Le juge Douglas Campbell, dans son ordonnance du 4 juin 2010, a prononcé une injonction permanente qui : 1) interdisait aux défendeurs dans cette affaire de donner suite aux RCB du 24 janvier et du 23 février 2010, 2) interdisait à toutes les parties de suspendre ou de démettre de leurs fonctions le chef Moses ou tout conseiller pendant le reste de leur mandat respectif sans autorisation de la Cour, 3) interdisait de prendre des décisions en secret pendant le reste du mandat du Conseil. L’ordonnance a également infirmé la RCB datée du 19 janvier 2010 qui destituait Aaron Sam et Yvonne Basil (deux des défendeurs à l’époque).
[11] Il convient de noter dans cette affaire qu’au nombre des défendeurs figuraient Aaron Sam et Yvonne Basil, de même que les conseillères Joanne Lafferty, Molly Toodlican et Lucinda Seward. Connie Joe était parmi les demandeurs.
3. Basil c Lower Nicola First Nation, 2009 CF 1039 [Dossier : T -1531-09
[12] Dans cette affaire, le juge Robert Barnes, de la Cour fédérale, était saisi d’une demande d’injonction provisoire visant à empêcher la tenue d’une élection partielle destinée à combler des postes du Conseil de bande qui s’étaient libérés à la suite de la démission réputée de plusieurs conseillers, et ce, après l’adoption d’une résolution du Conseil de bande datée du 13 août 2009 et signée par le chef Moses et deux conseillers, qui déclarait censément inéligibles plusieurs anciens membres du Conseil de bande comme candidats à l’élection partielle qui aurait lieu le 24 octobre 2009. Cette décision avait par la suite été entérinée par le directeur des élections.
[13] Le juge Barnes a rejeté la demande interdisant la tenue de l’élection partielle, et il a écrit ceci :
[traduction]
L’unique preuve de préjudice irréparable et de prépondérance des inconvénients dont je dispose est que certains des demandeurs perdront la possibilité de se porter candidats à l’élection et que les autres perdront le droit de voter pour eux. Cette preuve doit être soupesée dans le contexte d’une élection de l’ensemble de la bande qui aura lieu en 2010 et d’un droit d’interjeter appel contre la décision contestée à un conseil des aînés. Dans la décision Première Nation de Sweetgrass c Gollan, 2006 CF 778 (CanLII), 294 FTR 119, j’ai fait observer que la Cour devrait se garder de s’ingérer outre mesure dans les affaires politiques d’une bande des Premières Nations. Les demandeurs en l’espèce n’ont pas épuisé leurs droits internes de contester la décision en cause en s’adressant au Conseil des [ainés]. Sans doute la procédure d’appel n’est-elle pas sans inconvénient puisqu’elle est postérieure à l’élection, mais c’est néanmoins une procédure à laquelle on ne devrait pas passer outre d’une manière indirecte en tentant d’obtenir de la Cour une injonction provisoire. Si l’appel est accueilli, l’élection partielle pourra avoir lieu à nouveau. Il me semble que les circonstances de l’espèce sont nettement moins impérieuses que celles dont a traité le juge Edmond Blanchard dans la décision Gopher c Première nation de Saulteaux, 2005 CF 481 (CanLII), 138 ACWS (3d) 989, une décision dans laquelle une injonction provisoire a également été refusée.
[Non souligné dans l’original.]
4. Lower Nicola Indian Band c Joe et al [Dossier T -2128-11] 2011 CF 147, décision datée du 8 février 2011
[14] Il s’agit d’une décision du juge Simon Noël, datée du 8 février 2011, relativement à une demande d’ordonnance provisoire qui lui était soumise en attendant l’audition et le jugement d’une demande de contrôle judiciaire concernant la décision datée du 1er décembre 2010 par laquelle le Conseil des aînés de la Bande indienne s’était prononcé sur les appels relatifs à l’élection du 2 octobre 2010 de la Première Nation dans laquelle le chef Victor York, le conseiller Harold Joe et les défendeurs avaient été élus.
[15] Le Conseil des aînés avait décidé que les postes auxquels avaient été élus Mary June Coutlee, Stuart Jackson et Robert Sterling (les conseillers élus) étaient vacants parce qu’ils étaient inéligibles comme candidats, et il avait désigné rétroactivement comme conseillers Charlene Joe, Marcy Garcia et David Clayton, qui avaient été défaits (les conseillers désignés).
[16] L’ordonnance provisoire que souhaitait obtenir la Première Nation avait pour but de suspendre la décision du Conseil des aînés en attendant que soit tranchée la demande de contrôle judiciaire sous-jacente, qui alléguait que cette décision était contraire aux Règles sur les élections selon la coutume de la Première Nation. Pour préserver le statu quo de l’élection du 2 octobre 2010, la Première Nation sollicitait également une ordonnance interdisant aux conseillers désignés de se faire passer pour des conseillers et d’agir en tant que tels et [traduction] « déclarant » de ce fait que les autres défendeurs, Mary June Coutlee, Stuart Jackson et Robert Sterling, fils (les conseillers élus), continueraient de siéger comme conseillers en attendant que la Cour statue sur la demande. Le juge Noël a rendu une ordonnance provisoire, mais pas celle que la Première Nation demandait.
[17] Le juge Noël a fait remarquer que le Conseil de bande de la Première Nation, formé du chef et de sept (7) conseillers, était aux prises avec une [traduction] « lutte de pouvoir » et que les sièges de trois (3) conseillers étaient en jeu. Il a fait remarquer que quatre (4) des sept (7) sièges du Conseil et le poste de chef n’étaient pas mis en question. Il a de plus signalé que la demande de contrôle judiciaire sous-jacente était [traduction] « le fruit de l’incertitude politique qui plongeait dans un état de quasi-paralysie les structures de gouvernance de la Première Nation ». Il a fait remarquer que [traduction] « ce qui est en jeu dans le présent litige est l’équilibre du pouvoir à exercer aux réunions du Conseil ». Il a qualifié la décision Basil de [traduction] « source d’information de base sur cette lutte ».
[18] Le juge Noël a déclaré que la demande de contrôle judiciaire sous-jacente était une attaque lancée contre la décision du Conseil des aînés parce que, était-il allégué, la composition du Conseil des aînés suscitait une crainte raisonnable de partialité, en ce sens que certains de ses membres qui s’étaient prononcés sur les appels entretenaient des liens familiaux avec certains des conseillers élus ou des conseillers désignés, ou avaient siégé au CEA lui-même.
[19] Examinant le critère cumulatif à trois volets que devaient établir ceux qui sollicitaient l’injonction, le juge Noël a écrit ce qui suit au sujet du premier facteur, l’existence d’une question sérieuse à trancher :
[traduction]
Il est indubitable que le présent litige soulève de sérieuses questions à trancher. La gouvernance de la Bande indienne de la Lower Nicola et la transparence sont en jeu. Divisés comme le sont les défendeurs et aussi le Conseil de bande, la préservation du statu quo ne sert pas comme il faut l’intérêt de la Bande dans son ensemble. En fait, le statu quo, ainsi qu’il est indiqué dans les observations des parties sur les faits, est un climat de tension et d’incertitude quant à savoir qui occupe sa charge de manière valide.
La demande sous-jacente soulève de sérieuses questions au sujet, notamment, de l’étendue des pouvoirs du Conseil des aînés ainsi que de la validité des résultats de l’élection du 2 octobre 2010. Cet aspect du critère est donc manifestement rempli.
[Non souligné dans l’original.]
[20] Pour ce qui est du deuxième facteur, celui du préjudice irréparable, le juge Noël a écrit :
[traduction]
La situation entraîne manifestement un préjudice : comme l’indique le paragraphe 45 de l’affidavit de Joanne Lafferty, plusieurs questions importantes liées à la gouvernance et aux négociations doivent être contrôlées et tranchées par le Conseil de la bande, dont les négociations et les activités de nature commerciale qui sont essentielles aux intérêts de la Bande.
[…]
Un préjudice irréparable n’est pas qualifié d’« irréparable » à cause de la portée ou de l’importance du préjudice causé. Il faut plutôt montrer que, sans l’injonction demandée, il ne pourrait pas plus tard être remédié au préjudice par des dommages-intérêts (White c E.B.F. Manufacturing Ltd., 2001 CFPI 1133 (CF), au paragraphe 13). Dans la décision Gabriel, précitée, la juge Tremblay-Lamer a fait état des répercussions particulières de la perte d’une charge élective et décrit en quoi cela diffère du contexte d’un emploi normal. Ce passage a été cité en y souscrivant par le juge Kelen, dans la décision Prince, précitée, dans le contexte du renvoi de conseillers, une situation qui n’est pas différente de celle dont il est question ici. Le juge Kelen a fait remarquer de manière très claire, au paragraphe 32, que :
La destitution de cette charge signifie que les demandeurs ne pourront pas défendre les politiques pour lesquelles ils ont été élus, que ce soit lors des réunions du conseil ou dans la collectivité en général. Cette situation causerait un préjudice irréparable non seulement aux demandeurs eux‑mêmes, mais également aux individus qui les ont élus pour les représenter […]
Cependant, en l’espèce, la Cour fait une distinction avec la portée des remarques incidentes du juge Kelen car, sans les nuances appropriées, la présente demande d’ordonnance provisoire pourrait fausser la demande sous-jacente. Dans le cas présent, il ne faut pas considérer que le préjudice irréparable touche personnellement une personne désignée ou le Conseil en particulier. Il touche plutôt la totalité des parties, mais, par-dessus tout, ce sont les membres de la Bande qui subissent un préjudice irréparable à cause d’un tel conflit et d’une telle incertitude au sein de leurs structures du pouvoir.
[Non souligné dans l’original.]
[21] Quant au troisième facteur – la prépondérance des inconvénients – le juge Noël a exprimé l’avis que l’ordonnance qu’il rendrait ne devait pas favoriser l’intérêt d’une partie ou d’une autre. Il a souligné une fois de plus qu’une [traduction] « situation politique intenable [s’était] abattue sur le Conseil », qu’il était nécessaire de trouver une solution équitable et que, dans l’affaire dont il était saisi, le but était de remédier au préjudice qui pourrait survenir si la validité d’un membre quelconque du Conseil avait une incidence sur les décisions importantes que devait prendre cette institution.
[22] Le juge Noël a souligné qu’une injonction provisoire obligeait la Cour à exercer sa compétence en équité et que, dans les circonstances particulières dont il était saisi, il fallait que la réparation que la Cour mettrait au point soit équitable pour tous les intéressés. Il a souligné une fois de plus les questions importantes que le chef et le Conseil auraient à régler dans un avenir rapproché et a déclaré que ces questions allaient au-delà de l’intérêt des membres du Conseil. Au paragraphe 36 de ses motifs, il a réitéré que c’était la Première Nation qui subissait [traduction] « un préjudice irréparable, causé par la perte de certitude en l’autorité et en la légitimité des décisions du Conseil se rapportant, d’une part à l’interne, à ses membres et à son personnel et, d’autre part à l’externe, à ses rapports avec les gouvernements et les entreprises » [non souligné dans l’original]. C’était à cette incertitude et à cette paralysie des structures gouvernementales de la Première Nation qu’il tentait de remédier.
[23] Le juge Noël a également signalé que les deux factions – les conseillers élus et les conseillers désignés – tiraient leur pouvoir de sources légitimes (les premiers de l’élection, même si leur éligibilité était contestée, et les seconds de leur désignation par le Conseil des aînés). [traduction] « Ils [les conseillers élus] sont présumés être légitimes jusqu’à ce que la présente affaire soit réglée par voie de contrôle judiciaire » [non souligné dans l’original].
[24] Avant d’exposer sa solution équitable, il a écrit, au paragraphe 32 :
[traduction]
Même s’il demeure évident que la Cour se doit de redoubler de prudence en intervenant indûment dans les affaires politiques des Premières Nations (Première Nation de Sweetgrass c Gollan, 2006 CF 778 (CanLii), 2006 CF 778), les mesures de réparation demandées à titre provisoire obligent clairement à intervenir de manière directe dans une situation politique difficile. En tenant compte de l’intérêt supérieur des membres de la Bande jusqu’à ce q qu’elle tranche la demande, la Cour ordonne que la prise des mesures suivantes à titre provisoire. La présente ordonnance atténue suffisamment le volet « prépondérance des inconvénients » du critère à trois volets.
[Non souligné dans l’original.]
[25] Cette solution a consisté à créer une structure décisionnelle à deux paliers : certaines décisions seraient prises par le Conseil, tel qu’élu le 2 octobre 2010, mais avec un droit de participation restreint des trois conseillers désignés par le Conseil des aînés. Ces décisions auraient trait aux affaires administratives courantes, à la fourniture des services essentiels, aux comptes créditeurs ordinaires, à la gestion du personnel administratif, aux mesures à prendre d’urgence pour sauvegarder les droits des membres, à la souscription d’assurances et à d’autres questions du genre.
[26] Pour ce qui était des questions importantes qui concernaient les intérêts à long terme de la Première Nation, lesquels étaient énoncés au paragraphe 35 des motifs du juge, un [traduction] « conseil spécial » a été créé, au sein duquel les décisions seraient prises lors de réunions dont la composition des membres serait dûment constituée et auxquelles prendrait part le chef et le Conseil, ce dernier étant formé à la fois de conseillers élus et de conseillers désignés.
[27] Le juge Noël a déclaré ceci au sujet de la charge du chef Victor :
[traduction]
Il est évident que le chef York devra assumer pleinement les responsabilités de leadership qui lui ont été confiées par les membres de la Bande, qui s’attendent indubitablement, et à tout le moins, à une solution efficace et proactive aux problèmes actuels. La Politique et les lignes directrices du chef et du Conseil – Bande indienne de Lower Nicola reconnaissent clairement que le chef est investi de fonctions de leadership pour, par exemple, convoquer le Conseil, agir comme porte-parole, agir à titre de superviseur à l’égard des activités d’autres membres du Conseil, ainsi que prendre les décisions nécessaires en vue d’assurer une saine gestion.
Il est impératif de respecter les fonctions et le rôle du chef York. Ce dernier devra naviguer au milieu d’une situation politique difficile. Cependant, sa charge n’est pas contestée ou en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire. Cela étant, son autorité et ses fonctions ne sont pas contestées, contrairement aux fonctions hypothétiques des trois « conseillers » élus et des trois « conseillers » désignés. La légitimité du chef York est évidente, mais elle doit être exercée en tenant dûment compte des intérêts des membres de la Bande, lesquels vont au-delà du règlement de la présente affaire. Certes, la présente ordonnance et ses conséquences ne satisferont personne. Cependant, elle transcende les souhaits des parties de manière à répondre entièrement aux besoins des membres de la Bande en matière de saine administration et de transparence, pendant qu’il est statué sur la demande.
[Non souligné dans l’original.]
5. Bande indienne de Lower Nicola c Joe (Dossiers T -2127-10 et T -2128-10) 2011 CF 1220
[28] C’est le 23 septembre 2011 que le juge John O’Keefe, de la Cour, s’est prononcé sur le bien-fondé de deux demandes de contrôle judiciaire sous-jacentes, qui avaient été réunies en une seule. Le dossier T -2128-10 était la demande de contrôle judiciaire qui sous-tendait l’ordonnance provisoire rendue par le juge Noël.
[29] La décision qu’avait à rendre le juge O’Keefe consistait à savoir si la décision du Conseil des aînés à l’égard de la contestation de l’élection de certains des conseillers élus le 2 octobre 2010 avait été prise d’une manière conforme au droit. Le juge O’Keefe a décidé que cette décision était illégale car certains des membres du Conseil qui avaient pris part à la décision suscitaient une crainte raisonnable de partialité, en ce sens qu’ils ne pouvaient pas trancher de manière équitable les appels en raison de liens familiaux ou d’une participation antérieure au CEA de 2009.
[30] En définitive, le juge O’Keefe a annulé la décision du 1er décembre 2010 du Conseil des aînés qui, comme il a été signalé, avait conclu que trois conseillers élus n’étaient pas éligibles comme candidats à une élection. Il a renvoyé à un nouveau conseil des aînés la question de trancher les allégations formulées dans la pétition relative à l’élection qu’il a appelée « [l’]appel Joe ». Autrement dit, il reste encore à un nouveau conseil des aînés à trancher la question de l’éligibilité des trois conseillers élus, un conseil choisi d’une manière conforme aux Règles électorales du Conseil de la Première Nation, c’est-à-dire par tirage. Dans l’intervalle, les conseillers contestés ont continué d’exercer leurs fonctions de conseillers.
[31] Le 25 octobre 2011, le juge O’Keefe a fourni de longs motifs pour son jugement du 23 septembre 2011, et ils sont publiés sous la référence 2011 CF 1220. Sa décision n’a pas été portée en appel à la Cour d’appel fédérale. Selon les informations dont dispose la Cour, le conseil des aînés que le juge O’Keefe a ordonné de former n’est pas encore constitué.
III. Autres demandes à la Cour fédérale
[32] Comme si cette litanie d’instances judiciaires n’était pas suffisante, la liste est incomplète. D’autres instances ont été engagées. Je signale le dossier T -1731-11, déposé le 25 octobre 2011 par le chef Victor, relativement à une réunion datée du 28 septembre 2011 du Conseil de la Première Nation et à l’occasion de laquelle il a été suspendu pour une période de 30 jours.
IV. Le critère relatif à l’octroi d’une injonction interlocutoire a-t-il été rempli?
[33] L’avocat des défendeurs concède, en raison de son seuil peu élevé, le facteur de l’existence d’une ou plusieurs questions sérieuses à trancher liées à l’interprétation appropriée des Règles sur les élections selon la coutume de la Bande et, en particulier, à la capacité du Conseil de destituer le chef et à la validité des réunions convoquées par les défendeurs et auxquelles ont participé les trois conseillers contestés.
[34] Pour ce qui est du préjudice irréparable, l’avocat des défendeurs a fait valoir qu’aucune preuve ne m'a été soumise selon laquelle le chef Victor York ou le conseiller Harold Joe subiraient un préjudice irréparable si l’élection partielle avait lieu. L’avocat a soutenu, en particulier, que ces deux personnes auraient pu être désignées et que, de toute façon, le présent contrôle judiciaire, qui conteste leur destitution, se poursuivra et que, s’ils obtiennent gain de cause, ils pourront réintégrer leurs postes.
[35] Je ne suis pas d’avis, pour les motifs qui suivent, que l’on puisse circonscrire de manière étroite la notion du « préjudice irréparable » comme l’avocat des défendeurs cherche à le faire :
a. le fond du litige avec lequel est aux prises cette Première Nation est en fait une continuation des problèmes entourant la validité de l’élection des conseillers dont l’éligibilité est encore contestée. Dans sa décision du 8 février 2011, le juge Noël s’est exprimé en termes éloquents sur la nature du conflit au sein de la Première Nation, ainsi que sur le préjudice irréparable que chaque membre de cette dernière subira en raison de ce conflit et de l’incertitude qui règne dans la structure du pouvoir, notamment la tension et l’incertitude que suscite le fait de savoir qui détient son poste de manière valide. Cette ambiguïté et ce préjudice seront exacerbés davantage si l’on tient l’élection partielle pour combler leurs sièges et si le chef Victor York et le conseiller Harold Joe obtiennent gain de cause à la suite de leur demande de contrôle judiciaire;
b. l’analyse qu’a faite le juge Noël dans la décision Lower Nicola Indian Band c Joe peut être directement transposée à la situation dont il est question en l’espèce. Voir aussi la décision Duncan c Conseil de bande de la Première Nation Behdzi Ahda 2002 CFPI 581 (Duncan), la décision Francis c Mohawks of Akwesasne Band of Indians [1993] ACF no 369 (Francis), ainsi que la décision Martselos c Salt River First Nation #195, [2007] ACF no 832 (Martselos), notamment au paragraphe 15, qui porte sur le concept du préjudice irréparable que subit un chef lorsqu’il est destitué.
[36] À mon avis, la prépondérance des inconvénients milite en faveur des demandeurs. Comme il a été déclaré dans la décision Duncan, en se fondant sur la décision Francis, la Cour se doit de tenir compte de l’intérêt du public, lequel doit être évalué en considérant le besoin et l’intérêt supérieur de la Première Nation (voir la décision Martselos du juge Blanchard, aux alinéas m à p).
[37] Dans la décision Gopher c Première nation de Saulteaux, 2005 CF 481, le juge Edmond Blanchard a invoqué la décision Francis à l’appui de la thèse selon laquelle s’il ressort de la preuve qu’il serait « infiniment plus désastreu[x] » de tenir une élection et de la déclarer ensuite invalide que de la reporter, il convient d’enjoindre de maintenir le statu quo. Tel est le cas en l’espèce.
[38] Je termine en disant qu’en décidant de suspendre la tenue de l’élection partielle, je suis bien conscient de l’accusation portée contre le chef Victor York, à savoir que, depuis plus d’un an maintenant, il n’a convoqué aucune réunion du Conseil et n’a pas participé à de telles réunions. Autrement dit, il a été un chef absent. La preuve à cet égard est contradictoire. Le chef Victor York n’a pas été contre-interrogé quant à son affidavit. Le tableau qu’il brosse est quelque peu différent. De plus, j’ai refusé au chef Victor York la possibilité de répliquer à l’affidavit de Joanne Lafferty, qui a été contre-interrogée. Il devrait avoir pleinement l’occasion de raconter sa version des faits lorsqu’il sera statué sur le bien-fondé des demandes de contrôle judiciaire.
[39] En définitive, ce qui trouble la Cour c’est l’incapacité ou l’absence de volonté des parties de faire des compromis, comme elles l’ont fait dans le passé. L’affaire dans laquelle le chef Moses était en cause en est un exemple. Un autre est le consentement donné dans l’affaire Basil à une injonction provisoire demandée par certains des défendeurs, qui ont été réintégrés comme conseillers en attendant la décision sur le fond. Ce L’affaire qui m’est soumise montre que la lutte de pouvoir s’aggrave, faute de volonté pour trouver des mesures d’accommodement, ce qui serait dans l’intérêt supérieur de la Première Nation dans son ensemble. L’injonction provisoire qu’ordonne maintenant la Cour est loin d’être un résultat idéal, mais, dans les circonstances, c’est le meilleur parti que l’on puisse tirer d’une mauvaise situation.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
1. L’élection partielle destinée à combler le poste de chef de la Première Nation qu’occupe le chef Victor York et le poste de conseiller qu’occupe Harold Joe est suspendue en attendant qu’il soit statué sur la demande de contrôle judiciaire sous-jacente.
2. La destitution du chef Victor York et du conseiller Harold Joe est suspendue elle aussi.
3. L’audition de la demande de contrôle judiciaire sous-jacente aura lieu à Vancouver (Colombie-Britannique) à la toute première date possible que fixera l’administrateur judiciaire (vraisemblablement à la mi-mai 2012).
4. La Cour tiendra une conférence téléphonique avec les parties le vendredi 3 février 2012 en vue de discuter du respect des articles 306, 307 et 308 des Règles des Cours fédérales (DORS/98-106).
5. La présente instance se poursuivra sous la forme d’une instance à gestion spéciale, présidée par un juge ou un protonotaire de la Cour choisi par le juge en chef.
6. Dans l’intervalle, les questions qui se rapportent, par exemple, à l’administration courante de la Première Nation, comme il est indiqué au paragraphe 25 des présents motifs, seront réglées par le chef et le Conseil, issus de l'élection du 2 octobre 2010 et conformément à la Politique et aux Lignes directrices du chef et du Conseil – Bande indienne de Lower Nicola. Pour les autres décisions, le chef et le Conseil agiront par consensus.
7. Le chef York a droit aux dépens liés à sa demande d’injonction interlocutoire.
Traduction certifiée conforme
L. Endale
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T -1964-11
INTITULÉ : LE CHEF VICTOR YORK ET AUTRES c « LE CONSEIL » ET AUTRES
LIEUX DES AUDIENCES : Vancouver (Colombie-Britannique) et Ottawa (Ontario)
DATES DES AUDIENCES : Le 9 janvier 2012 et le 23 janvier 2012 (vidéoconférence)
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : Le juge Lemieux
DATE DE L’ORDONNANCE : Le 26 janvier 2012
COMPARUTIONS :
Teressa Nahanee |
POUR LES DEMANDEURS
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David C. Rolf
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Teressa Nahanee
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Parlee McLaws LLP |
POUR LES DÉFENDEURS
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