T-406-11
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 25 janvier 2012
En présence de monsieur le juge Near
ENTRE :
T-405-11
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et
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ET DE L’IMMIGRATION
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ET ENTRE : |
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T-406-11 |
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ADAM GEORGE JABOUR
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demandeur
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur |
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Les demandeurs, Ian William Jabour et Adam George Jabour, sont deux frères. Ils contestent le refus d’un agent de citoyenneté de leur délivrer des certificats de citoyenneté au motif qu’ils ne satisfont pas aux exigences de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C‑29 (la Loi).
[2] Leurs demandes de contrôle judiciaire (T-405-11 et T-406-11), présentées en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, ont été réunies par une ordonnance datée du 12 avril 2011.
[3] La présente demande est rejetée pour les motifs qui suivent.
I. Les faits
[4] La grand‑mère paternelle des demandeurs, Alice Brady (Alice Jabour après son mariage), est née à Vancouver (Colombie‑Britannique) le 25 juin 1921. Le Canada n’ayant pas de loi sur la citoyenneté à l’époque, Mme Jabour était réputée être sujet britannique.
[5] Elle est devenue citoyenne canadienne de naissance lors de l’entrée en vigueur de la Loi sur la citoyenneté canadienne, SC 1946, c 15 (la Loi de 1947). Elle a toutefois perdu cette citoyenneté en 1949 lorsqu’elle est devenue citoyenne naturalisée des États‑Unis.
[6] Son fils, Dale Timothy Jabour, est né aux États‑Unis le 8 juillet 1953. Les parents de celui‑ci n’étaient pas citoyens canadiens au moment de sa naissance.
[7] Les demandeurs sont les fils de Dale Timothy Jabour. Ils sont tous deux nés aux États‑Unis, Adam le 29 décembre 1984 et Ian le 22 octobre 1991.
[8] Le 30 juillet 2010, les demandeurs ont présenté une demande, avec leur père, afin d’obtenir des certificats de citoyenneté canadienne (ou « attestations de citoyenneté »). Seul le père a obtenu le sien.
[9] Lorsqu’il est entré en vigueur le 17 avril 2009, le projet de loi C‑37 (Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté, 2e session, 39e législature, 2008) a rétabli la citoyenneté de la grand‑mère des demandeurs, Alice Jabour, à compter de la date à laquelle elle l’avait perdue en 1949. En conséquence, leur père avait droit à un certificat de citoyenneté en vertu de l’alinéa 3(1)g), car il était né à l’étranger d’une personne ayant qualité de citoyen. De plus, il était réputé être citoyen canadien depuis la date de sa naissance en vertu de l’alinéa 3(7)e).
II. La décision faisant l’objet du contrôle
[10] Dans des lettres datées du 8 février 2011, l’agent d’immigration a refusé de délivrer des certificats aux demandeurs parce que l’alinéa 3(3)a) de la Loi limite la citoyenneté par filiation à la première génération née à l’étranger. Comme leur père est né également à l’extérieur du Canada et qu’un certificat lui a été délivré en vertu de l’alinéa 3(1)g), les demandeurs ne satisfaisaient pas aux exigences de l’alinéa 3(1)b).
III. Le régime législatif
[11] La législation canadienne sur la citoyenneté a subi plusieurs changements depuis l’adoption de la première loi en 1947. En 1977, les parents ont été autorisés à transmettre leur citoyenneté à leurs enfants nés à l’étranger peu importe leur situation de famille. Auparavant, les femmes mariées à des étrangers ne pouvaient pas le faire car la citoyenneté était transmise par le « parent responsable » – l’homme dans le cadre d’un mariage. À l’époque, la citoyenneté pouvait également être transmise aux membres des générations subséquentes nés à l’étranger si certaines exigences relatives à la conservation de la citoyenneté étaient remplies.
[12] Les changements les plus importants, qui ont été apportés en 2009 par le projet de loi C‑37 dont il a été question précédemment, visaient cependant à simplifier le régime et à réintégrer dans la citoyenneté les personnes que l’on a appelées les [traduction] « Canadiens dépossédés de leur citoyenneté ». La version modifiée de l’article 3 qui s’applique en l’espèce était contenue dans ce projet de loi.
[13] L’alinéa 3(1)b) confère la citoyenneté à la personne née à l’étranger d’un parent canadien :
3. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, a qualité de citoyen toute personne :
[…]
b) née à l’étranger après le 14 février 1977 d’un père ou d’une mère ayant qualité de citoyen au moment de la naissance; |
3. (1) Subject to this Act, a person is a citizen if
[…]
(b) the person was born outside Canada after February 14, 1977 and at the time of his birth one of his parents, other than a parent who adopted him, was a citizen; |
[14] Aux termes de l’alinéa 3(1)f), la personne qui a cessé d’être citoyen pour un motif autre que ceux décrits ci‑dessous a le droit d’être réintégrée dans la citoyenneté. C’est le cas notamment de la personne qui devient citoyen naturalisé d’un autre pays.
f) qui, avant l’entrée en vigueur du présent alinéa, a cessé d’être citoyen pour un motif autre que les motifs ci-après et n’est pas subséquemment devenu citoyen :
(i) elle a renoncé à sa citoyenneté au titre de l’une des dispositions suivantes :
(A) l’alinéa 19(2)c) de la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.C. 1946, ch. 15, édicté par S.C. 1951, ch. 12, art. 3,
(B) l’alinéa 19(2)c) de la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.R.C. 1952, ch. 33,
(C) le sous-alinéa 19(1)b)(iii) de la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.R.C. 1952, ch. 33, édicté par S.C. 1967-68, ch. 4, art. 5,
(D) le sous-alinéa 18(1)b)(iii) de l’ancienne loi,
(E) l’article 8 de la Loi sur la citoyenneté, S.C. 1974-75-76, ch. 108,
(F) l’article 9 de la présente loi,
(ii) sa citoyenneté a été révoquée pour cause de fausse déclaration, fraude ou dissimulation de faits importants ou essentiels au titre de l’une des dispositions suivantes :
(A) l’alinéa 21(1)b) de la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.C. 1946, ch. 15,
(B) l’alinéa 19(1)b) de la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.C. 1946, ch. 15, édicté par S.C. 1950, ch. 29, art. 8,
(C) l’alinéa 19(1)b) de la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.R.C. 1952, ch. 33, dans ses versions antérieures à l’entrée en vigueur de la Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.C. 1967-68, ch. 4,
(D) l’alinéa 19(1)a) de la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.R.C. 1952, ch. 33, édicté par S.C. 1967-68, ch. 4, art. 5,
(E) l’alinéa 18(1)a) de l’ancienne loi,
(F) l’article 9 de la Loi sur la citoyenneté, S.C. 1974-75-76, ch. 108,
(G) l’article 10 de la présente loi,
(iii) elle n’a pas présenté la demande visée à l’article 8, dans ses versions antérieures à l’entrée en vigueur du présent alinéa, pour conserver sa citoyenneté ou, si elle l’a fait, la demande a été rejetée; |
(f) before the coming into force of this paragraph, the person ceased to be a citizen for any reason other than the following reasons and did not subsequently become a citizen:
(i) the person renounced his or her citizenship under any of the following provisions:
(A) paragraph 19(2)(c) of the Canadian Citizenship Act, S.C. 1946, c. 15, as enacted by S.C. 1951, c. 12, s. 1(3),
(B) paragraph 19(2)(c) of the Canadian Citizenship Act, R.S.C. 1952, c. 33,
(C) subparagraph 19(1)(b)(iii) of the Canadian Citizenship Act, R.S.C. 1952, c. 33, as enacted by S.C. 1967-68, c. 4, s. 5,
(D) subparagraph 18(1)(b)(iii) of the former Act,
(E) section 8 of the Citizenship Act, S.C. 1974-75-76, c. 108, or
(F) section 9 of this Act,
(ii) the person’s citizenship was revoked for false representation, fraud or concealment of material circumstances under any of the following provisions:
(A) paragraph 21(1)(b) of the Canadian Citizenship Act, S.C. 1946, c. 15,
(B) paragraph 19(1)(b) of the Canadian Citizenship Act, S.C. 1946, c. 15, as enacted by S.C. 1950, c. 29, s. 8,
(C) paragraph 19(1)(b) of the Canadian Citizenship Act, R.S.C. 1952, c. 33, as it read before the coming into force of An Act to amend the Canadian Citizenship Act, S.C. 1967-68, c. 4,
(D) paragraph 19(1)(a) of the Canadian Citizenship Act, R.S.C. 1952, c. 33, as enacted by S.C. 1967-68, c. 4, s. 5,
(E) paragraph 18(1)(a) of the former Act,
(F) section 9 of the Citizenship Act, S.C. 1974-75-76, c. 108, or
(G) section 10 of this Act, or
(iii) the person failed to make an application to retain his or her citizenship under section 8 as it read before the coming into force of this paragraph or did make such an application that subsequently was not approved; |
[15] L’alinéa 3(7)c) prévoit que la personne redevient citoyen à la date à laquelle elle a cessé de l’être :
(7) Malgré les autres dispositions de la présente loi et l’ensemble des lois concernant la naturalisation ou la citoyenneté en vigueur au Canada avant l’entrée en vigueur du présent paragraphe :
[…]
c) la personne visée à l’alinéa (1)f) qui, au moment où elle a cessé d’être citoyen, avait obtenu la citoyenneté par attribution, est réputée avoir acquis par attribution la citoyenneté au titre de cet alinéa à partir de ce moment; |
(7) Despite any provision of this Act or any Act respecting naturalization or citizenship that was in force in Canada at any time before the day on which this subsection comes into force
[…]
(c) a person referred to in paragraph (1)(f) who, at the time he or she ceased to be a citizen, was a citizen by way of grant is deemed to have been granted citizenship under that paragraph at that time; |
[16] De plus, la personne née à l’étranger d’un parent qui était citoyen canadien au moment de la naissance avant 1977, mais qui n’est pas devenue citoyen avant l’entrée en vigueur du projet de loi C-37, peut obtenir la citoyenneté en vertu de l’alinéa 3(1)g) :
g) qui, née à l’étranger avant le 15 février 1977 d’un père ou d’une mère ayant qualité de citoyen au moment de la naissance, n’est pas devenue citoyen avant l’entrée en vigueur du présent alinéa; |
(g) the person was born outside Canada before February 15, 1977 to a parent who was a citizen at the time of the birth and the person did not, before the coming into force of this paragraph, become a citizen; |
[17] Aux termes de l’alinéa 3(7)e), cette personne est réputée être citoyen à partir du moment de sa naissance :
(7) Malgré les autres dispositions de la présente loi et l’ensemble des lois concernant la naturalisation ou la citoyenneté en vigueur au Canada avant l’entrée en vigueur du présent paragraphe :
[…]
e) la personne visée aux alinéas (1)g) ou h) est réputée être citoyen à partir du moment de sa naissance; |
(7) Despite any provision of this Act or any Act respecting naturalization or citizenship that was in force in Canada at any time before the day on which this subsection comes into force
[…]
(e) a person referred to in paragraph (1)(g) or (h) is deemed to be a citizen from the time that he or she was born; |
[18] Cependant, la transmission de la citoyenneté par filiation aux enfants nés à l’étranger est maintenant limitée à la première génération par l’alinéa 3(3)a) :
(3) Le paragraphe (1) ne s’applique pas à la personne née à l’étranger dont, selon le cas :
a) au moment de la naissance ou de l’adoption, seul le père ou la mère a qualité de citoyen, et ce, au titre de l’un des alinéas (1)b), c.1), e), g) et h), ou les deux parents ont cette qualité au titre de l’un de ces alinéas; |
(3) Subsection (1) does not apply to a person born outside Canada
(a) if, at the time of his or her birth or adoption, only one of the person’s parents is a citizen and that parent is a citizen under paragraph (1)(b), (c.1), (e), (g) or (h), or both of the person’s parents are citizens under any of those paragraphs; or |
[19] Le projet de loi C-37 prévoyait au paragraphe 3(4) une exception pour la personne née à l’étranger d’un membre d’une génération subséquente qui avait déjà eu qualité de citoyen. Cette disposition transitoire permet à ces personnes de conserver leur citoyenneté :
(4) Le paragraphe (3) ne s’applique pas à la personne qui, à la date d’entrée en vigueur de ce paragraphe, a qualité de citoyen. |
(4) Subsection (3) does not apply to a person who, on the coming into force of that subsection, is a citizen.
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IV. La question en litige
[20] Les présentes demandes soulèvent seulement la question suivante :
a) L’agent de citoyenneté a-t-il commis une erreur lorsqu’il a refusé de délivrer des certificats de citoyenneté aux demandeurs en raison de l’alinéa 3(3)a)?
V. La norme de contrôle
[21] Les parties ne s’entendent pas sur la norme de contrôle qui devrait s’appliquer en l’espèce.
[22] Selon les demandeurs, la norme de la décision correcte devrait s’appliquer au contrôle de la décision de l’agent de citoyenneté car celle‑ci est fondée sur l’interprétation de l’exception prévue au paragraphe 3(4) de la Loi. Ils rappellent les facteurs qui doivent être pris en compte dans le cadre de l’analyse de la norme de contrôle selon Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190. Les demandeurs soulignent qu’il n’y a aucune clause privative et que le travail effectué au nom du ministre par le Centre de traitement des demandes (le CTD) en Nouvelle‑Écosse consiste seulement à délivrer une attestation de citoyenneté, et non à agir comme un tribunal. Ils insistent sur le fait qu’il s’agit d’une question d’interprétation législative, et non d’expertise concernant l’objet de la Loi. L’expertise que possède le CTD en matière d’appréciation des faits ne s’étend pas aux questions de droit de portée générale qui sont soulevées en l’espèce.
[23] Pour sa part, le défendeur soutient que la décision appelle la déférence de la norme de la raisonnabilité. Malgré l’absence d’une clause privative, les agents de citoyenneté possèdent une expertise particulière concernant la question faisant précisément l’objet du présent contrôle, à savoir si une personne a démontré qu’elle est un citoyen canadien selon la Loi et qu’elle devrait obtenir un certificat. La Loi crée un régime autonome et spécialisé. Les agents de citoyenneté n’examinent pas des questions de droit d’importance fondamentale pour le système juridique qui ne relèvent pas de leur domaine d’expertise dans le cadre de l’administration de ce régime. En outre, le défendeur rappelle que la Cour suprême a reconnu, au paragraphe 56 de Dunsmuir, précité, que la norme de la raisonnabilité peut convenir davantage pour certaines questions de droit.
[24] Les parties attirent l’attention de la Cour sur deux décisions rendues en vertu de la Loi qui traitent de la norme de contrôle. Bien qu’elles soient instructives, ces décisions ne renferment pas une analyse approfondie de la question.
[25] Par exemple, dans Azziz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 663, [2010] ACF no 767, la Cour affirme simplement au paragraphe 27 :
[27] Ayant procédé à une analyse de la norme de contrôle en fonction des critères habituels, je suis d’avis que la norme de la décision correcte régit les questions de droit soulevées dans le dossier, tandis que la norme de la décision raisonnable s’applique aux conclusions d’ordre factuel pour lesquelles l’analyste possède une expertise reconnue. D’autre part, les questions d’équité procédurale ou de partialité sont assujetties à la norme de contrôle de la décision correcte.
[28] À cet égard, la décision d’une analyste concernant la suffisance de la preuve présentée par un requérant pour confirmer la citoyenneté d’une personne est celle de la décision raisonnable (Worthington v. Canada, 2008 CF 409, [2009] 1 F.C.R. 311 au paragraphe 63). […]
[26] Dans cette affaire, la Cour a déterminé, à l’aide de la norme de la raisonnabilité, si la preuve était suffisante pour conclure que l’intéressé n’était pas citoyen canadien, mais elle n’a pas indiqué clairement quelles questions de droit distinctes, le cas échéant, devaient être contrôlées au moyen de la norme de la décision correcte.
[27] Dans Rabin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1094, 2010 CarswellNat 4208, aux paragraphes 16 et 17, le juge Richard Boivin a cité le passage tiré de Azziz ci‑dessus et a déterminé que « la décision de l’agente de citoyenneté doit donc être examinée au regard de la norme de la raisonnabilité », sans faire de distinction entre les questions de droit et les autres. Il a cependant affirmé ensuite, au paragraphe 19 que « [l]’interprétation que doit recevoir l’article 3 de la Loi — plus particulièrement les alinéas 3(1)b), 3(1)g) et 3(3)a) — est au cœur de la présente demande de contrôle judiciaire ». Cette affirmation est étayée par ses propos subséquents sur la façon dont les dispositions s’appliquaient au demandeur dans cette affaire.
[28] Si la Cour n’a pas examiné l’effet du paragraphe 3(4) dans Rabin, précitée, comme les demandeurs l’ont avancé en l’espèce, elle semble s’être intéressée à des questions suffisamment similaires concernant l’interprétation et l’application des autres exigences de la Loi. Me fondant sur cette décision et sur le rôle joué par l’agent de citoyenneté dans l’administration d’un régime autonome, je suis disposé à convenir avec le défendeur qu’à tout le moins une certaine déférence doit être démontrée à l’égard du décideur et que la norme de la raisonnabilité devrait s’appliquer.
[29] Quoi qu’il en soit, l’intervention de la Cour selon la méthode proposée par les demandeurs ne serait justifiée en vertu d’aucune des deux normes.
VI. Analyse
[30] Les demandeurs affirment qu’ils ne devraient pas être inadmissibles à la citoyenneté en raison de la restriction à la première génération imposée par l’alinéa 3(3)a), compte tenu de la disposition transitoire du paragraphe 3(4). Ils soutiennent que, comme leur grand‑mère est redevenue citoyenne canadienne à la date où elle avait cessé de l’être et que leur père est réputé être citoyen canadien depuis sa naissance selon le paragraphe 3(7), la Cour devrait considérer que la citoyenneté leur a été transmise indépendamment de la nouvelle restriction à la première génération.
[31] Bien qu’ils n’aient pas été reconnus à ce titre auparavant, ils seraient réputés être citoyens « à la date d’entrée en vigueur » de l’alinéa 3(3)a) et pourraient bénéficier de l’exception prévue au paragraphe 3(4). Selon les demandeurs, la disposition transitoire fait en sorte que la restriction à la première génération s’applique seulement de manière prospective aux personnes nées après la date d’entrée en vigueur du 17 avril 2009. Cette interprétation est conforme également au but premier du projet de loi C‑37 : permettre aux [traduction] « Canadiens dépossédés de leur citoyenneté » de redevenir citoyens.
[32] Pour sa part, le défendeur soutient que l’exception prévue au paragraphe 3(4) ne s’applique pas aux demandeurs et qu’elle ne peut être invoquée pour écarter l’application de la restriction à la première génération. L’exception transitoire visait à éviter que des droits à la citoyenneté soient supprimés, non à attribuer la citoyenneté rétroactivement au‑delà de la première génération. Cette interprétation du paragraphe 3(4) fait en sorte que toutes les dispositions de la Loi sont appliquées de manière cohérente, compte tenu des exigences concernant la conservation qui étaient prévues auparavant et des autres exceptions contenues dans la Loi. Le défendeur souligne que l’imposition de la restriction à la première génération serait conforme aux décisions judiciaires rendues dans le passé. De plus, l’interprétation adoptée représente une bonne politique gouvernementale car elle favorise l’application équitable et claire des exigences de la Loi.
[33] Pour déterminer si l’agent de citoyenneté a commis une erreur en appliquant la restriction à la première génération prévue à l’alinéa 3(3)a) malgré l’exception énoncée au paragraphe 3(4), je dois examiner les termes des dispositions et les « lire […] dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (Re), [1998] 1 RCS 27, [1998] ACS no 2, au paragraphe 21; Hypothèques Trustco Canada c R, 2005 CSC 54, [2005] 2 RCS 601, au paragraphe 10).
[34] À première vue, l’alinéa 3(3)a) empêche clairement les demandeurs d’obtenir la citoyenneté canadienne, car ils font partie de la deuxième génération née à l’étranger. Ils ne peuvent pas satisfaire aux exigences du paragraphe 3(1) pour être reconnus comme citoyens parce que leur père a acquis la citoyenneté canadienne en vertu de l’alinéa 3(1)g). Le juge Boivin a mis en évidence cette interprétation simple de la Loi dans des circonstances analogues dans Rabin, précitée, au paragraphe 22 :
[22] L’alinéa 3(1)b) ne peut être considéré en vase clos. L’effet juridique d’une demande de citoyenneté fondée sur l’alinéa 3(1)g) — sur lequel s’appuyait la mère du demandeur — entraîne l’application de l’alinéa 3(3)a) et rend donc l’alinéa 3(1)b) inapplicable au demandeur. Les termes liminaires du paragraphe 3(1) de la Loi sont clairs : Sous réserve des autres dispositions de la présente loi [...]. Et ceux du paragraphe 3(3) le sont tout autant : Le paragraphe (1) ne s’applique pas à la personne née à l’étranger [...].
[Souligné dans l’original.]
[35] Le juge Boivin a maintenu que l’alinéa 3(3)a) s’appliquait au demandeur dans cette affaire parce que la mère de ce dernier était devenue citoyenne canadienne en vertu de l’alinéa 3(1)g) et que le demandeur faisait partie de la deuxième génération née aux États‑Unis. Il a rejeté expressément les arguments selon lesquels le demandeur devrait pouvoir bénéficier rétroactivement de la citoyenneté de sa mère, car il n’était pas clair que c’était là l’intention du législateur en adoptant les dispositions pertinentes. Le juge Boivin a écrit ce qui suit à ce sujet aux paragraphes 27 et 28 de la décision :
[27] L’alinéa 3(3)a) rend dont explicitement inadmissible à la citoyenneté par filiation les personnes nées à l’étranger si, au moment de la naissance ou de l’adoption, seul le père ou la mère avait qualité de citoyen au titre de l’alinéa (1)b), c.1), e), g) ou h) de la Loi. La preuve établit que le cas de la mère du demandeur est un cas visé à l’alinéa 3(1)g) : elle n’était pas une citoyenne canadienne avant l’entrée en vigueur du projet de loi C‑37 le 17 avril 2009, mais elle pouvait présenter une demande d’attestation de citoyenneté sur le fondement de l’alinéa 3(1)g) de la Loi, ce qu’elle a fait en mai 2009. En raison de l’alinéa 3(3)a), l’alinéa 3(1)b) de la Loi ne s’applique pas au demandeur et, par conséquent la règle limitant la citoyenneté par filiation à la première génération née à l’étranger d’un père ou d’une mère ayant la citoyenneté canadienne s’applique au demandeur.
[28] Le demandeur a en outre fait valoir un argument fondé sur la théorie juridique relative à la rétroactivité suivant laquelle il devrait pouvoir s’appuyer de façon rétroactive sur la citoyenneté de sa mère. La Cour est d’avis que les dispositions pertinentes — les al. 3(1)b), 3(1)g) et 3(3)a) —, considérées ensemble, ne permettent pas de souscrire à l’argument du demandeur concernant la rétroactivité. Rien dans la Loi ne permet de croire que le législateur a voulu faire jouer la rétroactivité dans un cas comme celui de l’espèce. Suivant le principe de la primauté du droit, l’argument relatif à la rétroactivité du demandeur ne saurait être retenu.
[36] Je reconnais que le juge Boivin n’a pas traité directement de la disposition transitoire du paragraphe 3(4) dans Rabin, précitée. Cependant, vu la similitude des faits et la nature de l’argument relatif à la rétroactivité, les principes généraux sont pertinents en l’espèce.
[37] La décision Rabin appuie l’application en l’espèce de la restriction à la première génération née à l’étranger prévue à l’alinéa 3(3)a) et ce, malgré le fait que le père des demandeurs est réputé être citoyen canadien depuis sa naissance.
[38] Je dois cependant déterminer si la disposition transitoire a une incidence en l’espèce.
[39] Les demandeurs ont prétendu que les mots « à la date d’entrée en vigueur de ce paragraphe, a qualité de citoyen » n’ont pas le même sens que l’expression « avant l’entrée en vigueur » employée ailleurs dans la Loi. Ils font valoir en conséquence que, par le jeu des autres dispositions déterminatives contenues dans le projet de loi C‑37, ils étaient citoyens « à la date d’entrée en vigueur », même s’ils n’étaient pas reconnus à ce titre auparavant.
[40] Cet argument est logique dans un certain sens. Comme la Cour l’a dit dans Peach Hill Management Ltd c Canada, [2000] ACF no 894, 257 NR 193, au paragraphe 12, « [l]orsqu’une loi emploie des mots différents pour traiter du même sujet, ce choix du législateur doit être considéré comme délibéré et être tenu pour une indication de changement de sens ou de différence de sens ».
[41] Je ne suis pas convaincu cependant qu’il faut systématiquement conclure de ce qui précède que le législateur voulait que la disposition transitoire s’applique aux demandeurs par suite de l’acquisition rétroactive de la citoyenneté par leur père. Au contraire, il semble que l’inclusion du paragraphe 3(4) n’ait pas été réellement motivée par un cas comme celui des demandeurs.
[42] Par exemple, on peut lire ce qui suit dans l’analyse article par article du projet de loi C‑37 préparée pour le Parlement :
[traduction] Le paragraphe 3(4) clarifie le fait que, malgré le paragraphe 3(3), aucune personne ne sera dépossédée de sa citoyenneté canadienne à la date d’entrée en vigueur du projet de loi, même si elle fait partie de la deuxième génération ou d’une génération subséquente née à l’étranger.
[43] Ce passage semble indiquer que l’inclusion de la disposition transitoire dans le projet de loi C‑37 était motivée par la perte de citoyenneté des citoyens de la deuxième génération ou des générations subséquentes nés à l’étranger, et non pas parce que l’on voulait reconnaître de nouveaux droits découlant de la rétroactivité prévue par les autres dispositions de l’article 3.
[44] La ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration de l’époque, Mme Diane Finley, a décrit les répercussions du projet de loi C‑37 sur la citoyenneté de diverses personnes lors de sa comparution devant le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie le 10 avril 2008 :
Les personnes qui auront le statut de citoyen canadien au moment de l’entrée en vigueur des modifications conserveront leur statut. Par ailleurs, quiconque a acquis la citoyenneté canadienne en vertu la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947 et l’a par la suite perdue sera réintégrée dans la citoyenneté canadienne. Ensuite, toute personne née au Canada le 1er janvier 1947 ou à une date ultérieure et qui a par la suite perdu sa citoyenneté sera réintégré dans la citoyenneté canadienne. Aussi, quiconque a été naturalisé au Canada le 1er janvier 1947 ou à une date ultérieure et a par la suite perdu sa citoyenneté sera réintégré dans la citoyenneté canadienne. Enfin, toute personne née à l’étranger le 1er janvier 1947 ou à une date ultérieure d’un citoyen canadien, et qui n’est pas citoyenne canadienne, acquerra la citoyenneté canadienne, dans la mesure où elle appartient à la première génération d’enfants nés à l’étranger.
[Non souligné dans l’original.]
[45] Ces propos laissaient entrevoir que la citoyenneté serait attribuée au père des demandeurs, mais non à des personnes qui, comme ces derniers, n’appartiennent pas à la première génération née à l’étranger.
[46] Le Bulletin opérationnel 102 sur la mise en œuvre du projet de loi C‑37, publié par Citoyenneté et Immigration Canada le 26 février 2009, indiquait que certaines « personnes n’obtiendront pas la citoyenneté » le 17 avril 2009 [souligné dans l’original], notamment « [l]es personnes de la deuxième génération ou d’une génération subséquente née d’un parent canadien à l’extérieur du Canada, qui ne sont pas déjà des citoyens canadiens ou qui ont perdu leur citoyenneté dans le passé (y compris les personnes qui ont omis de prendre les mesures nécessaires pour conserver leur citoyenneté) […] » [souligné dans l’original].
[47] Au soutien de leur prétention selon laquelle la restriction à la première génération devrait s’appliquer seulement de manière prospective, les demandeurs invoquent le résumé législatif relatif au projet de loi C‑37 qui a été rédigé par le Service d’information et de recherche parlementaires (9 janvier 2008). Il est indiqué dans ce résumé au sujet de l’exception prévue au paragraphe 3(4) :
La nouvelle règle qui écarte de la citoyenneté les personnes de la deuxième génération ou des générations subséquentes nées à l’étranger s’applique uniquement aux personnes nées après sa mise en application. Les personnes nées avant sa mise en application qui sont des Canadiens de la deuxième génération ou d’une génération subséquente nés à l’étranger conservent leur citoyenneté canadienne (nouveau par. 3(4)). En fait, le projet de loi améliore leur situation, car elles ne sont plus tenues de déclarer et de conserver leur citoyenneté avant d’atteindre l’âge de 28 ans. Le projet de loi ne comporte toutefois aucune mesure de redressement pour les personnes de la deuxième génération et des générations subséquentes qui sont nées à l’étranger après le 14 février 1977 et qui ont perdu leur citoyenneté parce qu’elles n’ont pas pris les arrangements nécessaires pour la conserver à l’âge de 28 ans.
[48] Si on lit seulement la première phrase, il semble qu’il faudrait donner raison aux demandeurs. Le reste du paragraphe donne cependant des précisions. Il parle seulement des personnes de la deuxième génération et des générations subséquentes nées à l’étranger dont la citoyenneté était auparavant assujettie aux exigences en matière de conservation. Malgré les termes généraux utilisés, il ne vise pas expressément un cas analogue à celui des demandeurs.
[49] Le fait que les personnes n’ayant pas rempli les exigences leur permettant de conserver leur citoyenneté ne peuvent pas devenir citoyens renforce l’idée que les demandeurs ne devraient pas bénéficier de la rétroactivité et de la reconnaissance automatique de la qualité de citoyen. Il serait incohérent d’exiger d’une personne qu’elle satisfasse aux exigences relatives à la conservation de la citoyenneté pour être considérée comme citoyen canadien « à la date d’entrée en vigueur » du projet de loi C‑37 et de permettre en même temps aux personnes appartenant à la deuxième génération ou à une génération subséquente qui sont nées à l’étranger d’acquérir des droits qui n’étaient pas reconnus auparavant.
[50] En outre, si l’expression « « à la date d’entrée en vigueur » employée au paragraphe 3(4) devait avoir le sens suggéré par les demandeurs, il n’est pas déraisonnable de penser que cela devrait ressortir d’une reconnaissance plus large de la citoyenneté aux personnes de la deuxième génération ou d’une génération subséquente nées à l’étranger.
[51] Le législateur aurait pu libeller la disposition transitoire différemment pour clarifier une telle intention. Par exemple, il aurait pu prévoir que toute personne faisant partie de la deuxième génération ou d’une génération subséquente qui est née à l’étranger avant la date d’entrée en vigueur (le 17 avril 2009) n’est pas assujettie à la restriction à la première génération. Au lieu de cela, l’exception du paragraphe 3(4) vise à empêcher les personnes qui possédaient la citoyenneté de la perdre.
[52] Il ne fait aucun doute que l’un des principaux objectifs du projet de loi C‑37 était de régler la question des [traduction] « Canadiens dépossédés de leur citoyenneté ». Cependant, il visait également à protéger la valeur de la citoyenneté en la limitant à la première génération née à l’étranger et à simplifier et à clarifier les dispositions contenues dans la Loi. Prévoir des façons de réintégrer dans la citoyenneté la grand‑mère des demandeurs et implicitement leur père, tout en limitant les avantages dont peuvent bénéficier les membres de la deuxième génération ou des générations subséquentes qui sont nés à l’étranger et en excluant les demandeurs, reflète ces objectifs.
[53] On ne peut pas dire que l’agent de citoyenneté a commis une erreur en refusant l’attestation de citoyenneté demandée par les demandeurs sur la foi de l’alinéa 3(3)a). Les modifications ne devaient pas permettre aux personnes appartenant à la deuxième génération qui sont nées à l’extérieur du Canada d’acquérir la citoyenneté. En conséquence, le paragraphe 3(4) ne s’applique pas aux demandeurs.
VII. Conclusion
[54] Les demandes de certificat de citoyenneté présentées par les demandeurs ont été rejetées en vertu de l’alinéa 3(3)a) parce que ces derniers font partie de la deuxième génération née à l’étranger. Le juge de citoyenneté n’a pas commis une erreur en tirant cette conclusion et en n’appliquant pas la disposition transitoire du paragraphe 3(4). Cette disposition ne visait pas les demandeurs, mais les personnes qui avaient déjà possédé la citoyenneté et qui satisfaisaient aux exigences relatives à la conservation.
[55] En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Traduction certifiée conforme
Claude Leclerc, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIERS : T-405-11 et T-406-11
INTITULÉ : IAN WILLIAM JABOUR c. MCI
ADAM GEORGE c. MCI
DATE DE L’AUDIENCE : Le 15 décembre 2011
MOTIFS DU JUGEMENT
DATE DES MOTIFS : Le 25 janvier 2012
COMPARUTIONS :
Bruce C. Allen et Blair Hodgman
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POUR LES DEMANDEURS |
Jonathan Shapiro et Lori Rasmussen
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Bruce C. Allen et Blair Hodgman Allen & Hodgman
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POUR LES DEMANDEURS |
Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada
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POUR LE DÉFENDEUR |