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Date : 20120126


Dossier : IMM-1480-11

Référence : 2012 CF 96

[TRADUCTION FRANÇAISE NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 janvier 2012

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

ENTRE :

 

DELMA BETTY ANN JOHN

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Aperçu

 

[1]               Mme Delma Betty Ann John est arrivée au Canada en provenance de la Grenade en 2001. Le visa de visiteur en vertu duquel elle a été admise a expiré en 2002. En 2004, elle a présenté une demande de résidence permanente pour motifs d’ordre humanitaire (demande CH). Une agente d’immigration a refusé sa demande. L’agente a par la suite fait l’objet d’une suspension pour avoir accepté des pots‑de‑vin.

 

[2]               Mme John a présenté à nouveau sa demande CH en y joignant des renseignements supplémentaires, mais elle a été déboutée une fois de plus. Mme John prétend que l’agente n’a pas tenu compte de l’intérêt supérieur des divers enfants touchés par la décision – ceux dont Mme John s’occupait à titre de gardienne, ainsi que ses nièces et neveux au Canada et à la Grenade – douze enfants en tout. Elle maintient aussi que l’agente n’a pas suffisamment tenu compte de son degré d’établissement au Canada. Elle demande à la Cour d’annuler la décision de l’agente et d’ordonner un nouvel examen de sa demande par un autre agent.

 

[3]               La question consiste essentiellement à savoir si la décision de l’agente était raisonnable à la lumière des éléments de preuve se rapportant au degré d’établissement et à l’intérêt supérieur des enfants. Je ne puis conclure que l’agente a rendu une décision déraisonnable à cet égard. Elle a tenu compte de tous les éléments de preuve et soupesé les divers facteurs favorables et défavorables. Je devrai, par conséquent, rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

 

II.        La décision de l’agente

 

[4]               L’agente a tenu compte de la présence au Canada de membres de la famille de Mme John – un frère, des sœurs, des neveux, des nièces et une belle‑sœur. À la Grenade, elle a deux sœurs, quatre frères et une tante âgée. Mme John est une bénévole active dans la collectivité et s’implique aussi auprès de son église. Elle a travaillé comme gardienne pour deux familles. Elle a beaucoup d’amis ici.

 

[5]               L’agente a reconnu qu’un retour à la Grenade causerait un préjudice émotionnel et financier à Mme John et à sa famille élargie.

 

[6]               L’agente a souligné que Mme John possède un compte d’épargne et de chèques, et qu’elle n’a pas eu recours à l’assistance sociale. Elle a suivi des cours au collège Woodsworth, au collège George Brown et au Centre de toxicomanie et de santé mentale. En ce qui a trait à ses antécédents professionnels, l’agente a souligné que Mme John a participé à l’exploitation d’un service de traiteur et a travaillé comme caissière, aide ménagère et gardienne.

 

[7]               L’agente a mentionné que Mme John a toujours des liens avec la Grenade puisque des membres de sa famille y vivent. De plus, elle a fait ses études secondaires dans ce pays et y a travaillé comme gardienne pendant trois ans. Elle s’impliquait également auprès de son église.

 

[8]               L’agente a énuméré les facteurs appuyant une décision favorable, soit le degré d’établissement de Mme John au Canada – le temps passé au pays, son emploi et son bénévolat – et les liens qu’elle a établis avec sa famille, ses amis, son église et sa collectivité. L’agente a également pris en compte le préjudice éventuel que causerait un retour à la Grenade ainsi que l’intérêt supérieur des divers enfants concernés.

 

[9]               Au nombre des facteurs appuyant une décision défavorable, l’agente a mentionné la présence de membres de la famille de Mme John à la Grenade, et le fait que la demanderesse vit et travaille illégalement au Canada depuis 2002.

 

[10]           Au début de son analyse, l’agente a souligné qu’il revenait à Mme John de démontrer que le refus de la demande CH lui causerait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées.

 

[11]           En ce qui concerne l’établissement, l’agente a mentionné que Mme John était venue au Canada pour des raisons économiques et familiales, mais avait dépassé la durée de séjour autorisée et était ensuite restée illégalement au pays. Naturellement, puisqu’elle vit au Canada depuis près de dix ans, elle a réussi à s’établir dans une certaine mesure. Elle possède un passeport valide et suffisamment d’argent pour retourner à la Grenade. Selon l’agente, Mme John n’a pas démontré qu’une interruption de son emploi, de son implication auprès de l’église et de son bénévolat au Canada aurait des répercussions néfastes importantes justifiant l’octroi de la résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire.

 

[12]           Concernant les difficultés qu’occasionnerait un retour à la Grenade, l’agente a reconnu que Mme John serait séparée de sa famille établie au Canada et qu’elle devrait se réhabituer à vivre à la Grenade. Elle retrouverait toutefois les membres de sa famille qui vivent là‑bas. Ceux‑ci ont souligné la situation économique difficile qui existe au pays et le fait qu’ils dépendent de l’argent que Mme John leur envoie. Il s’agit cependant d’une situation touchant l’ensemble du pays, et des éléments de preuve démontrent que la Grenade se remet progressivement de l’ouragan de 2004.

 

[13]           L’agente a fait remarquer que Mme John retournerait à la Grenade dotée de nouvelles compétences et capable d’assurer sa subsistance à court terme grâce à ses économies. Selon l’agente, très peu d’éléments de preuve indiquaient que Mme John ne serait pas en mesure de se réinstaller à la Grenade ou qu’elle serait confrontée à des difficultés sérieuses si elle devait faire sa demande de résidence permanente dans son pays.

 

[14]           Quant à l’intérêt supérieur des enfants, l’agente a tenu compte du fait que Mme John a pris soin d’une nièce et d’un neveu pendant plus de trois ans et qu’elle leur est très attachée. Toutefois, les parents des enfants résident au Canada et aux États‑Unis, et les enfants ont déjà été séparés de Mme John lorsqu’ils ont immigré au Canada. L’agente a aussi souligné que ces enfants sont maintenant de jeunes adultes qui peuvent garder contact avec leur tante par courrier, par téléphone ou par Internet. Les jumeaux de son autre sœur ont seulement quatre ans, et même si Mme John les garde à l’occasion, elle n’est plus leur gardienne attitrée. Le frère de Mme John vit à Ottawa avec ses quatre enfants, de sorte qu’ils sont déjà séparés de leur tante.

 

[15]           Mme John a également été la gardienne des deux enfants d’une amie. Elle est très attachée à ces enfants, mais n’est plus leur gardienne puisqu’ils vont à l’école. L’agente a mentionné que son amie touche une indemnité d’accident du travail en raison d’une incapacité permanente et qu’elle est gravement malade. Elle est également séparée de son mari qui est atteint d’un trouble bipolaire. Elle a cependant reçu l’aide d’autres membres de sa famille.

 

[16]           L’agente a pris en considération le fait que Mme John travaille actuellement comme gardienne pour deux familles. Les enfants sont très jeunes et, malgré la demande en fournisseurs de soins, l’agente a souligné que les enfants seraient pris en charge par leurs parents en attendant de trouver une nouvelle personne pour s’occuper d’eux.

 

[17]           En conclusion, l’agente a conclu que le retour de Mme John à la Grenade n’entraînerait pas des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées.

 

III.       La décision de l’agente était‑elle déraisonnable?

 

[18]           Mme John soutient que la décision est déraisonnable parce que l’agente n’a pas suffisamment tenu compte de son établissement au Canada et des répercussions que son départ aurait sur l’intérêt supérieur d’une douzaine d’enfants (ou plus).

 

[19]           À mon avis, Mme John n’a pas établi que l’agente ne s’était pas montrée « réceptive, attentive et sensible » à l’intérêt supérieur des nombreux enfants qui dépendent d’elle. Par exemple, dans le cas des enfants de l’amie de la demanderesse, l’agente a tenu compte de leur âge et de leur situation actuelle, y compris les soins que les enfants obtiendraient en l’absence de Mme John.

 

[20]           J’estime donc qu’il n’était pas déraisonnable pour l’agente de conclure qu’en l’absence de Mme John, les divers enfants touchés par le retour de cette dernière à la Grenade recevraient quand même des soins adéquats. L’agente a notamment tenu compte de l’intérêt supérieur des enfants qui vivent à la Grenade. Elle a reconnu qu’il était préférable pour ces enfants que Mme John continue à travailler au Canada et leur envoie une partie de son salaire. Mais il s’agit d’un facteur parmi tous ceux qu’elle devait examiner.

 

[21]           Sur la question de l’établissement, Mme John prétend qu’il était déraisonnable pour l’agente d’écarter certains éléments de preuve sous prétexte qu’ils témoignaient du temps qu’elle avait passé au Canada sans statut. Le fait qu’elle réside au Canada depuis presque dix ans et qu’elle a toujours conservé un emploi, principalement comme gardienne d’enfants canadiens, joue en sa faveur. Elle a subvenu à ses besoins ainsi qu’à ceux de sa famille au Canada et à l’étranger, sans profiter de l’assistance sociale. Elle a un certain nombre de parents proches au Canada et s’implique énormément comme bénévole dans sa collectivité et auprès de son église. Elle a suivi des formations et des cours universitaires, et a aussi un bon dossier civil. Son établissement au Canada est attribuable en partie au fait qu’elle a dû présenter une deuxième demande CH pour des raisons échappant à sa volonté.

 

[22]            Il m’apparaît que l’agente a bien tenu compte du degré d’établissement de Mme John au Canada, mais a conclu que celle‑ci n’avait pas démontré qu’un retour à la Grenade aurait des répercussions si importantes qu’elles justifiaient l’octroi d’une dispense pour motifs d’ordre humanitaire. Elle a également tenu compte du fait que Mme John n’a pas de statut, soulignant notamment qu’elle ne s’était pas conformée à un avis d’interdiction de séjour.

 

[23]           À la lumière de la preuve et de l’analyse de l’agente, je ne puis conclure que cette dernière a rendu une décision déraisonnable. L’agente a effectué un examen approfondi et impartial de la demande de Mme John. La demanderesse peut contester le poids que l’agente a accordé aux divers facteurs favorables et défavorables, mais une demande de contrôle judiciaire ne peut être accueillie pour ce motif. Si la décision de l’agente est justifiée, intelligible et transparente et qu’elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, je n’ai d’autre choix que de la confirmer.

 

IV.       Conclusion et décision

 

[24]           L’agente a dûment tenu compte de l’intérêt supérieur des divers enfants touchés par sa décision et a tenu compte du degré d’établissement de Mme John au Canada. Par conséquent, je ne puis conclure que l’agente a rendu une décision déraisonnable à la lumière de la preuve lui ayant été présentée. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. Aucune partie ne m’a proposé une question de portée générale à certifier, et aucune n’est énoncée.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE COMME SUIT :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucune question de portée générale n’est énoncée.

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1480-11

 

INTITULÉ :                                      DELMA BETTY ANN JOHN

                                                            c

                                                            MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 29 SEPTEMBRE 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 26 JANVIER 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel Kingwell

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Ada Mok

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mamann Frankel Sandaluk, s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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