[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 24 janvier 2012
En présence de monsieur le juge Near
ENTRE :
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Le demandeur, Okey Fabian Eze, fait appel de la décision de la juge de la citoyenneté qui, le 13 décembre 2010, a rejeté sa demande de citoyenneté en se fondant sur l’interdiction relative à une inculpation pour infraction criminelle visée à l’alinéa 22(1)b) de la Loi sur la citoyenneté, LRC, 1985, c C-29 (Loi).
[2] Pour les motifs exposés ci-après, l’appel est accueilli.
I. Contexte
[3] Le 1er novembre 2004, Okey Fabian Eze (demandeur) a présenté une demande de citoyenneté canadienne.
[4] Le 31 mai 2006, il a toutefois été inculpé des infractions suivantes au Code criminel du Canada, LRC, 1985, c C-46 : a) complot en vue de commettre un acte criminel; b) fraude de plus de 5000 $; c) possession de biens criminellement obtenus; d) commission d’une infraction au profit d’une organisation criminelle.
[5] Le 10 août 2010, le bureau de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) de Windsor lui a envoyé par la poste une Demande de document d’information judiciaire ou de certificat de condamnation, les documents exigés devant lui permettre de déterminer si l’obtention de la citoyenneté canadienne était désormais interdite au demandeur. Le 14 septembre 2010, le demandeur a reçu en mains propres une seconde demande de la part de la juge de la citoyenneté. Il disposait, à compter de la date de la première demande, de soixante jours pour y répondre, mais il ne l’a pas fait.
[6] Or, le 7 octobre 2010, le demandeur et son avocat ont demandé une prorogation de délai de 90 jours pour déposer les documents et satisfaire aux exigences prévues par la Loi dans les cas où la criminalité est en cause. Dans sa demande, le demandeur a signalé que certaines des accusations avaient été retirées et que le criminaliste qui le représentait demandait un sursis d’instance sur le fondement de l’alinéa 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés (Charte). Selon l’entreprise de messagerie, Fedex, la demande en question et les documents à l’appui ont été reçus le 13 octobre 2010.
[7] Quoi qu’il en soit, dans une courte lettre portant cette même date, la juge de la citoyenneté a rejeté la demande de citoyenneté, invoquant les accusations criminelles et le défaut du demandeur de répondre à la demande de renseignements supplémentaires. Dans la lettre, on pouvait lire ce qui suit : [traduction] « Puisque vous ne vous êtes pas conformé aux demande dans le délai imparti, je n’ai d’autre choix que de refuser votre dossier. » Selon l’interdiction prévue à l’alinéa 22(1)b) de la Loi, nul ne peut recevoir la citoyenneté au titre du paragraphe 5(1) ni prêter le serment de citoyenneté tant qu’il est inculpé pour un acte criminel prévu par une loi fédérale.
[8] La juge de la citoyenneté s’est également demandée si elle devait recommander au ministre d’exercer les pouvoirs discrétionnaires que lui sont conférés par les paragraphes 5(3) et 5(4), mais après avoir examiné les observations du demandeur, elle a jugé que cette mesure n’était pas justifiée dans les circonstances. Mentionnons que dans sa lettre, la juge de la citoyenneté ne fait pas allusion à la demande de prorogation de délai.
[9] Le 21 décembre 2010, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a entendu la requête présentée par le demandeur en vue d’obtenir la suspension de l’instance relative aux accusations dont il faisait l’objet. Le 12 janvier 2011, le demandeur s’est rendu au bureau de la juge de la citoyenneté pour l’informer de ces développements, mais il prétend qu’elle n’a pas pu le recevoir.
[10] Le 17 janvier 2011, la juge Wilson, de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, a accueilli la requête en sursis d’instance du demandeur en vertu de l’article 24 et de l’alinéa 11b) de la Charte, compte tenu des retards accusés dans la tenue du procès. Le 19 janvier 2011, le demandeur s’est rendu au bureau de la juge de la citoyenneté afin de lui remettre une copie de la décision. C’est à cette occasion qu’il a appris que la juge avait déjà rejeté sa demande.
[11] Le demandeur demande à la Cour de contrôler la décision de la juge de la citoyenneté de lui refuser la citoyenneté pour cause de criminalité du fait qu’elle n’a pas tenu compte de sa demande de prorogation de délai et qu’elle s’est fondée sur des accusations qui ont été retirées ou suspendues par la suite.
II. Questions en litige
[12] La Cour doit trancher les questions suivantes :
a) La juge de la citoyenneté a-t-elle manqué à l’équité procédurale en ne statuant pas sur la demande de prorogation de délai?
b) La juge de la citoyenneté a-t-elle commis une erreur en rejetant la demande en application de l’alinéa 22(1)b)?
III. La norme de contrôle
[13] Les question d’équité procédurale commandent l’application de la norme de la décision correcte (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, 2009 CarswellNat 434 au paragraphe 43).
[14] En revanche, la norme de contrôle applicable à la décision rendue par un juge de la citoyenneté en application de l’alinéa 22(1)b) de la Loi est celle de la décision raisonnable (voir par exemple Zhan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 822, [2010] ACF no 1021, au paragraphe 18). L’intervention de la Cour n’est pas justifiée à moins que la décision ne soit pas conforme aux principes de justification, de transparence et d’intelligibilité du processus décisionnel ou qu’elle n’appartienne pas aux issues possibles acceptables (voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).
IV. Analyse
A. La juge de la citoyenneté a-t-elle manqué à l’équité procédurale en ne statuant pas sur la demande de prorogation de délai?
[15] Le demandeur soutient que le juge de la citoyenneté l’a privé de son droit à une audience impartiale en ignorant sa demande de prorogation de délai et en concluant par la suite qu’il avait négligé de fournir toute l’information nécessaire concernant les accusations criminelles. Il invoque la décision Niedzialkowski c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 459, où la Cour d’appel fédérale a déclaré, relativement à une demande tardive de prorogation de délai : « La Commission n’a jamais statué sur cette demande ni pris la moindre mesure pour fixer une date de présentation des observation du demandeur; au lieu de ce faire, quelques jours après l’appel téléphonique du conseiller, elle a rédigé et déposé une décision écrite portant rejet de la demande. Ainsi donc, le demandeur n’a jamais réellement eu la chance de faire valoir son point de vue. »
[16] Selon le défendeur, le fait que la prorogation de délai demandée n’a pas été accordée ne signifie pas que la demande n’a pas été examinée. Étant donné que le demandeur a omis de se conformer aux deux demandes précédentes de document d’information judiciaire ou de certificat de condamnation, il n’aurait pas été déraisonnable que la juge de la citoyenneté lui refuse cette prorogation de 90 jours.
[17] Il est vrai que la décision de la juge de la citoyenneté de refuser la prorogation peut se justifier puisque le demandeur a omis de se conformer aux demandes précédentes. Le demandeur a aussi été lent à porter la question à l’attention de la juge de la citoyenneté. En supposant que les renseignements fournis par le demandeur concernant la réception de la demande de documents soient exacts, cela signifie que la juge de la citoyenneté a rédigé sa décision le même jour, ce qui pourrait expliquer en partie pourquoi elle n’a pas fait allusion à la demande de prorogation, ne l’ayant peut-être pas reçue avant de rendre sa décision.
[18] Quoi qu’il en soit, le problème qui se pose est que le demandeur a adressé sa demande tardivement, à peu près au moment où la décision a été rendue. Or, il avait droit à ce que cette demande soit examinée, comme l’indique la décision rendue au même effet dans l’affaire Niedzialkowski, précitée. Quelle qu’ait été la décision de la juge de la citoyenneté sur cette question, le fait de ne pas examiner la demande constituait un manquement à l’équité procédurale.
B. La juge de la citoyenneté a-t-elle commis une erreur en rejetant la demande en application de l’alinéa 22(1)b)?
[19] Je reconnais, comme l’affirme le défendeur, que malgré la demande de prorogation de délai, la décision rendue par la juge de la citoyenneté était raisonnable compte tenu des renseignements dont elle disposait. En outre, le défendeur ajoute qu’aucun sursis d’instance n’était en vigueur au moment où la juge de la citoyenneté a rendu sa décision et que le demandeur dispose par ailleurs de la possibilité de présenter une nouvelle demande de citoyenneté.
[20] Toutefois, le demandeur a présenté une demande accompagnée de renseignements supplémentaires faisant état de la possibilité d’un changement dans l’état des poursuites criminelles dont il était l’objet; la juge de la citoyenneté aurait donc dû traiter de cet aspect dans sa décision.
V. Conclusion
[21] La juge de la citoyenneté a manqué à l’équité procédurale en rejetant la demande de citoyenneté en raison de l’existence d’accusations criminelles, en application de l’alinéa 22(1)b) de la Loi, sans avoir examiné expressément la demande de prorogation du délai imparti pour la présentation de renseignements supplémentaires.
[22] Par conséquent, l’appel est accueilli. L’affaire est renvoyée à un autre juge de la citoyenneté pour qu’il procède à un nouvel examen de la demande de citoyenneté et de la demande de prorogation du délai imparti pour le dépôt des documents se rapportant aux poursuites criminelles.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que le présent appel est accueilli. L’affaire est renvoyée à un autre juge de la citoyenneté pour qu’il procède à un nouvel examen de la demande de citoyenneté et de la demande de prorogation du délai imparti pour le dépôt des documents se rapportant aux poursuites criminelles.
Traduction certifiée conforme
Claude Leclerc, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-122-11
INTITULÉ : OKEY FABIAN EZE c. MCI
DATE DE L’AUDIENCE : LE 9 JANVIER 2012
MOTIFS DU JUGEMENT
DATE DES MOTIFS : LE 24 JANVIER 2012
COMPARUTIONS :
Lorne Waldman
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POUR LE DEMANDEUR |
Alex Kam
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Lorne Waldman Waldman & Associates Toronto (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR |
Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada
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POUR LE DÉFENDEUR |