[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 24 janvier 2012
En présence de monsieur le juge Scott
ENTRE :
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ET DE L’IMMIGRATION
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
I. Introduction
[1] Tahir Ahmad (le demandeur) demande le contrôle judiciaire d’une décision datée du 21 avril 2011, par laquelle l’agente d’examen des risques avant renvoi (ERAR), Anne Dello, a conclu que le demandeur [traduction] « ne court pas plus qu’une simple possibilité de persécution au sens de l’article 96 » de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR). L’agente a également conclu que [traduction] « le demandeur ne serait probablement pas exposé au risque d’être soumis à la torture, ou à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités au sens de l’article 97 de la LIPR s’il retournait au Pakistan ».
[2] La demande de contrôle judiciaire sera rejetée pour les motifs énoncés ci‑dessous.
II. Faits
A. Contexte procédural et factuel
[3] Le demandeur, un citoyen du Pakistan, est un Ahmadi.
[4] Le demandeur avait huit ans lorsqu’il a quitté le Pakistan pour aller en Allemagne avec les autres membres de sa famille, après que son père eut été assassiné par des fanatiques anti‑Ahmadis. La famille a demandé l’asile en Allemagne.
[5] La mère du demandeur a épousé un citoyen canadien qui a parrainé sa demande d’immigration au Canada en qualité de résidente permanente. Malheureusement, le demandeur a été rejeté par son beau‑père et s’est fait mettre à la porte du domicile familial.
[6] Le demandeur a ensuite vécu dans la rue. Il a eu de mauvaises fréquentations et s’est retrouvé avec une dépendance à l’alcool et aux drogues. Entre septembre 2001 et août 2006, il a fait l’objet de 31 déclarations de culpabilité pour des infractions criminelles. Il y en a eu d’autres depuis.
[7] Il a donc été déclaré interdit de territoire au Canada pour grande criminalité aux termes de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR et s’est vu ordonner de quitter le pays le 7 septembre 2004. L’appel interjeté devant la Section d’appel de l’immigration (SAI) a entraîné le sursis de la mesure d’expulsion à certaines conditions. Le demandeur, cependant, n’a pas respecté les conditions énoncées dans la décision de la SAI datée du 10 juillet 2007. L’affaire a donc été renvoyée à la SAI pour qu’elle réexamine sa décision.
[8] La SAI a autorisé la poursuite du sursis et l’a prorogé sous réserve de conditions supplémentaires. Le tribunal a averti le demandeur que toute autre violation des conditions entraînerait l’annulation immédiate du sursis au renvoi.
[9] Le 14 janvier 2011, le demandeur a été déclaré coupable d’introduction par effraction et de vol qualifié. Le sursis de la mesure de renvoi a été annulé. Le 10 février 2011, le demandeur a été arrêté pendant qu’il purgeait sa peine pour le vol qualifié. Il est demeuré sous la garde de l’Immigration.
[10] Le 23 juin 2011, le juge Zinn a conclu qu’il était justifié de surseoir au renvoi du demandeur sous réserve de certaines conditions. On peut lire ce qui suit au paragraphe 11 de son ordonnance :
[11] [. . .] j’ordonne que le ministre puisse demander à la Cour une ordonnance visant à annuler la présente ordonnance si le demandeur devait être accusé d’une infraction criminelle avant l’expiration de l’ordonnance ou s’il devait omettre de respecter une des conditions de sa mise en liberté. Cela fait suffisamment longtemps que le demandeur est au Canada pour qu’il comprenne qu’« après trois prises, on est dehors » et cela pourrait très bien s’appliquer à lui s’il ne saisit toujours pas l’opportunité qui lui et offerte.
B. Décision de l’agente d’ERAR
[11] Dans sa décision, l’agente d’ERAR a conclu que, même si le demandeur était la cible de discrimination en raison de ses croyances religieuses, il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir qu’il subirait personnellement une discrimination équivalant à de la persécution.
[12] Elle a accordé peu de poids, voire aucun, aux lettres de divers organismes de défense des droits de la personne qui ont été soumises en preuve. Elle a conclu que les lettres n’expliquaient pas le risque qui se poserait au demandeur s’il retournait au Pakistan et que les auteurs n’avaient pas précisé en quelle capacité ils avaient rédigé les lettres.
[13] L’agente d’ERAR a précisé que, outre la lettre de l’organisation Ahmadiya Muslim Jama’at (AMJO), le demandeur n’avait produit aucun élément de preuve objectif concernant sa situation personnelle qui établirait que sa religion ahmadie fait tellement partie de sa vie qu’il attirerait une attention non désirée et risquerait par conséquent d’être persécuté dans son pays d’origine.
[14] L’agente d’ERAR a conclu que le demandeur n’avait pas fourni une preuve suffisante pour établir que sa famille et lui avaient enduré une discrimination grave et systémique dans le passé. Il n’a pas non plus fourni de documents corroborant le décès du père, comme des rapports de police, des affidavits ou des documents prouvant la demande d’asile en Allemagne.
[15] Dans sa conclusion, l’agente d’ERAR a reconnu que les lois pakistanaises sont discriminatoires à l’égard des Ahmadis, mais a jugé que la mise en œuvre et l’application de ces lois ne tendent pas à créer des conditions exposant les Ahmadis à une possibilité sérieuse de persécution.
[16] À la lumière de cette analyse, l’agente a rejeté la demande d’ERAR du demandeur.
III. Dispositions législatives
[17] L’article 96, le paragraphe 97(1) et l’alinéa 113b) de la LIPR, de même que l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (RIPR) sont libellés comme suit :
Définition de « réfugié »
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Convention refugee
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96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :
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96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion, |
a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;
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(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or |
b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.
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(b) not having a country of nationality, is
outside the country of their former habitual residence and is unable or, by
reason of that fear, unwilling to return to that country. |
Personne à protéger
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Person in need of protection |
97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :
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97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally
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a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;
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(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or |
b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :
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(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if
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(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,
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(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,
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(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,
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(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country, |
(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,
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(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and
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(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.
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(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.
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Examen de la demande
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Consideration of application |
113. Il est disposé de la demande comme il suit :
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113. Consideration of an application for protection shall be as follows: |
[. . .]
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. . . |
b) une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;
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(b) a hearing may be held if the Minister, on the basis of prescribed factors, is of the opinion that a hearing is required; |
[. . .]
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. . . |
Facteurs pour la tenue d’une audience
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Hearing — prescribed factors
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167. Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :
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167. For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following: |
a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;
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(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant's credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;
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b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection; |
(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and
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c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection. |
(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection. |
IV. Questions en litige et norme de contrôle
A. Questions en litige
1. L’agente d’ERAR a‑t‑elle commis une erreur en tirant des conclusions à l’égard de la crédibilité sans évaluer la nécessité de tenir une audience?
2. Les conclusions de l’agente d’ERAR sont‑elles raisonnables?
B. Norme de contrôle
[18] La première question est une question d’équité procédurale qui commande la norme de la décision correcte (voir Lai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 361, [2008] 2 R.C.F. 3, au paragraphe 55; Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 R.C.F. 392).
[19] Quant à la deuxième question, la Cour a établi que les conclusions des agents d’ERAR appellent une retenue considérable et que leurs décisions sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir James c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 318, [2010] A.C.F. no 368 (QL), au paragraphe 16).
V. Observations des parties
A. Observations du demandeur
[20] Le demandeur fait valoir que l’agente d’ERAR a accepté ses déclarations selon lesquelles son père a été victime d’un assassinat motivé par la religion au Pakistan et sa famille s’est enfuie en Allemagne où elle a demandé l’asile. Elle a conclu, cependant, qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour corroborer ces allégations. Il s’agit d’une conclusion déraisonnable selon le demandeur. L’agente a par ailleurs exigé que les déclarations du demandeur soient corroborées par la preuve documentaire. Le demandeur souligne que, dans la décision Zokai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1103, [2005] A.C.F. no 1359 (QL) (Zokai), le juge Kelen a déclaré ce qui suit aux paragraphes 11 et 12 de sa décision :
[11] Je reconnais avec le demandeur que les faits de l’espèce indiquent qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale. Dans sa demande ERAR, le demandeur a présenté une demande détaillée en vue d’obtenir une audience, en faisant référence expressément aux facteurs énumérés à l’article 167 du Règlement. L’agent ERAR n’a toutefois aucunement mentionné ces facteurs, ni les autres facteurs qui l’ont amené à décider de ne pas tenir une audience, malgré la demande en ce sens présentée par écrit. En fait, il n’existe aucun élément qui indique que l’agent a examiné l’opportunité de tenir une audience.
[12] Qui plus est, il est évident, malgré les observations contraires présentées par le défendeur, que la crédibilité a joué un rôle central dans la décision ERAR défavorable. En refusant d’accorder toute force probante au récit du demandeur en l’absence de preuve le corroborant, l’agent ERAR a en fait conclu que le demandeur n’était pas digne de foi. J’estime que, compte tenu de ses doutes en matière de crédibilité, il incombait à l’agent d’examiner la demande d’audience et de motiver le refus d’en accorder une. L’omission par l’agent d’agir de cette façon en l’espèce constitue un manquement à l’équité procédurale. En outre, compte tenu des circonstances spéciales de la présente affaire pour ce qui est de la crédibilité, la Cour estime qu’une audience est appropriée.
[21] En l’espèce, le demandeur prétend que, n’étant pas représenté par un avocat, il n’a pu faire une demande d’audience. Selon lui, l’agente d’ERAR était quand même tenue, en vertu de la loi, d’évaluer si une audience était requise. Puisque l’agente d’ERAR a fondé sa décision sur l’absence de documents corroborant les allégations du demandeur, celui‑ci soutient que les critères visés à l’article 167 de la LIPR semblent avoir été respectés. L’agente d’ERAR avait donc l’obligation d’envisager la tenue d’une audience, et en ne le faisant pas, elle a manqué à son obligation d’équité procédurale, une erreur susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.
[22] Par ailleurs, l’agente d’ERAR a formulé les conclusions suivantes à la page 11 du dossier de la demande :
[traduction]
[...] En ce qui a trait à sa situation personnelle, le demandeur n’a pas prouvé de façon satisfaisante que ses croyances religieuses sont telles qu’elles forment une part indissociable de sa vie et de son mode de vie et que, du fait de sa religion, il fait face à plus qu’une simple possibilité de persécution ou de menace à sa vie […] Le demandeur n’a fourni aucun autre document pour établir que sa foi, en tant qu’Ahmadi, est telle qu’elle lui attirerait une attention non désirée, comme une personne qui occupe un poste de dirigeant ou qui professe publiquement sa religion [...]
[23] Le demandeur prétend que l’agente a commis une erreur susceptible de contrôle. Aucun élément de preuve n’étaye la conclusion selon laquelle les Ahmadis qui se font persécuter sont ceux qui proclament publiquement leur religion. Il ressort de la preuve documentaire que les Ahmadis, quel que soit leur profil, sont victimes de violence et de persécution aux mains de fanatiques religieux au Pakistan. Le conseil du demandeur a porté à l’attention de la Cour plusieurs extraits de la preuve documentaire qui corroborent cette affirmation. Selon le demandeur, l’agente d’ERAR a tiré ses conclusions sans tenir compte de ces renseignements.
[24] L’agente a également conclu qu’il est peu probable que le demandeur soit persécuté par les autorités pakistanaises par suite de la mise en œuvre et de l’application des lois discriminatoires. Même si, entre 1986 et 2006, 239 Ahmadis ont été inculpés en vertu des lois sur le blasphème, l’agente a conclu que ces lois étaient rarement exécutées et que peu de cas avaient donné lieu à une procédure judiciaire.
[25] Le demandeur affirme que l’agente a commis une erreur en ne tenant pas compte du contexte ou des documents lui ayant été présentés (voir Erdogu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 407, [2008] A.C.F. no 546 (QL), aux paragraphes 31 et 32; Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (QL), 157 F.T.R. 35, aux paragraphes 27 et 28). Le demandeur estime donc que l’agente d’ERAR a tiré des conclusions déraisonnables parce qu’elle n’a pas mentionné la violence systématique infligée aux Ahmadis, y compris le massacre de 93 adeptes survenu moins d’un an avant la décision d’ERAR. Il soutient aussi que l’agente a écarté des éléments de preuve contraires montrant que les lois sur le blasphème font l’objet d’une application répandue au Pakistan et qu’elle a commis une erreur susceptible de contrôle en n’expliquant pas pourquoi elle a rejeté ces documents.
[26] Enfin, le demandeur prétend que l’agente d’ERAR aurait dû considérer que le traitement des Ahmadis au Pakistan équivaut à de la persécution.
B. Observations du défendeur
[27] Le défendeur fait remarquer que le demandeur n’a pas droit à une audience étant donné que l’agente d’ERAR a fondé sa décision sur l’insuffisance de la preuve et non sur la crédibilité de l’intéressé. Dans le contexte d’une demande d’ERAR, la tenue d’une audience est requise dans des cas exceptionnels et sous réserve des critères visés à l’article 167 du RIPR. Une question importante doit être soulevée à l’égard de la crédibilité et cette question doit être déterminante pour la demande d’ERAR.
[28] Le défendeur souligne que la Cour fédérale a établi qu’une audience n’est pas requise si l’agent rejette la demande d’ERAR à la lumière d’une preuve objective, ce qui n’a rien à voir avec la crédibilité de l’intéressé (voir Al Mansuri c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 22, [2007] A.C.F. no 16 (QL), au paragraphe 43 (Al Mansuri)).
[29] Le défendeur maintient que l’agente doit établir la valeur probante des éléments de preuve soumis à son examen. Elle peut aussi évaluer le poids à accorder à ces éléments de preuve. Elle n’est pas tenue, cependant, d’analyser les documents dans un ordre particulier, et il « est loisible au juge des faits, lorsqu’il examine la preuve, de passer directement à une évaluation du poids ou de la valeur probante de la preuve sans tenir compte de la question de la crédibilité » (voir Ferguson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1067, [2008] A.C.F. no 1308 (QL), au paragraphe 26 (Ferguson)).
[30] Selon le défendeur, c’est exactement ce qui s’est produit en l’espèce. L’agente a accordé une faible valeur probante aux allégations de risque du demandeur en raison des lacunes cernées dans les pièces à l’appui et de l’absence d’éléments de preuve établissant un lien entre le demandeur et le risque allégué. L’agente n’avait pas à évaluer la crédibilité du demandeur, ayant jugé que les documents n’avaient pas un poids suffisant pour étayer plusieurs de ses allégations (voir Ferguson, précité, au paragraphe 26; Iboude c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1316, [2005] A.C.F. no 1595 (QL), aux paragraphes 5 et 12 à 14; Parchment c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1140, [2008] A.C.F. no 1423 (QL), aux paragraphes 18 et 19; Saadatkhani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 614, [2006] A.C.F. no 769 (QL), aux paragraphes 4 à 8).
[31] Le défendeur soutient qu’en l’espèce, contrairement à Zokai, l’agente n’avait pas à tenir une audience puisque le demandeur n’en avait pas fait la requête dans sa demande d’ERAR et que l’agente n’avait tiré aucune conclusion quant à la crédibilité.
[32] Le défendeur souligne en outre qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que la discrimination dont les Ahmadis font l’objet au Pakistan équivaut à de la persécution. L’agente d’ERAR n’a pas nié la preuve selon laquelle les Ahmadis sont victimes de discrimination en général ou que la discrimination subie par certains Ahmadis peut équivaloir à de la persécution. L’agente devait évaluer si le demandeur est personnellement exposé à plus qu’une simple possibilité de persécution ou de menace à sa vie. Comme la Cour l’a établi dans Raza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1385, [2006] A.C.F. no 1779 (QL), au paragraphe 29 (Raza) : « Les articles 96 et 97 exigent que le risque soit personnalisé, c’est‑à‑dire qu’il concerne la personne qui demande l’asile. C’est ce que montre clairement l’emploi du terme ‘personnellement’ à l’article 97 ». L’agente a conclu que le demandeur n’avait pas établi qu’il était personnellement exposé à un risque de persécution ou à une menace à sa vie.
[33] Le défendeur maintient que la preuve n’était pas suffisante pour établir l’existence d’un risque futur pour le demandeur. L’agente a fondé sa conclusion sur la persécution antérieure alléguée par le demandeur et sur la preuve documentaire concernant le traitement des Ahmadis au Pakistan.
[34] Lorsqu’un demandeur fonde sa demande d’asile sur des incidents antérieurs, l’agent doit évaluer si la preuve appuie une crainte de persécution future (voir Natynczyk c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 914, [2004] A.C.F. no 1118 (QL), aux paragraphes 69 à 71).
[35] Le demandeur a allégué que son père avait été tué par des fanatiques et que lui et sa famille étaient allés chercher asile en Allemagne. De l’avis du défendeur, il était raisonnable pour l’agente de conclure que la preuve documentaire était insuffisante pour corroborer ces allégations.
[36] Tel qu’il est précisé au paragraphe 22 de la décision Ahmed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 957 (QL), les demandes d’asile de cette nature requièrent une analyse au cas par cas. Le défendeur soutient que tous les Ahmadis ne sont pas traités de la même façon ou se trouvent dans la même situation pour ce qui concerne la crainte fondée de persécution. Il était raisonnable pour l’agente de conclure que le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau de prouver qu’un retour au Pakistan l’exposerait à plus qu’une simple possibilité de persécution ou de menace à sa vie.
VI. Analyse
1. L’agente d’ERAR a‑t‑elle commis une erreur en tirant des conclusions à l’égard de la crédibilité sans évaluer la nécessité de tenir une audience?
[37] Le demandeur prétend que l’agente d’ERAR a tiré des conclusions sur sa crédibilité lorsqu’elle a analysé les éléments de preuve lui ayant été présentés. Il invoque la décision Zokai à l’appui de cet argument. Ayant examiné attentivement la décision contestée, le tribunal doit conclure qu’il était loisible à l’agente d’évaluer comme elle l’a fait les documents lui ayant été présentés. Dans Al Mansuri, la Cour a établi que « l’agente n’a pas rejeté la demande d’ERAR en se fondant sur la crédibilité de M. Al Mansuri. Elle a plutôt estimé que la preuve objective se rapportant aux conditions ayant cours dans le pays ne permettait pas de dire que M. Al Mansuri était exposé à un risque de torture, à une menace pour sa vie ou à un risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités. Cette conclusion n’a rien à voir avec la crédibilité propre de M. Al Mansuri » (voir Al Mansuri, au paragraphe 43). Les conclusions de l’agente se rapportent clairement à la valeur probante de la preuve présentée, et non à la crédibilité de l’intéressé.
[38] Il est bien établi que, dans le contexte d’une demande d’ERAR, une audience constitue l’exception et n’est justifiée que si la demande d’ERAR soulève des questions importantes à l’égard de la crédibilité. Il ressort clairement de la décision de l’agente qu’il n’existait aucune question de la sorte.
[39] L’agente n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale. Comme dans la décision Yousef c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 864, [2006] A.C.F. no 1101 (QL), au paragraphe 36, « la décision de l’agente d’ERAR était motivée par l’insuffisance de la preuve produite par le demandeur à l’appui de sa prétention selon laquelle il serait exposé à des risques nouveaux ou accrus s’il devait retourner en Égypte ». Enfin, il convient aussi de préciser que le demandeur n’a pas satisfait aux critères énoncés à l’article 167 du RIPR.
2. Les conclusions de l’agente d’ERAR sont‑elles raisonnables?
[40] Tel qu’il est précisé à l’article 113 de la LIPR, le rôle de l’agent d’ERAR consiste à examiner les « éléments de preuve survenus depuis le rejet [de la demande d’asile] ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet ». Cette disposition restreint la portée de l’intervention de l’agent d’ERAR. Dans Kaybaki c Canada (Solliciteur général), 2004 CF 32, [2004] A.C.F. no 27 (QL), le juge Kelen écrit au paragraphe 11 de sa décision que la « procédure d’évaluation du risque avant renvoi ne saurait se transformer en une seconde audience du statut de réfugié. Cette procédure a pour objet d’évaluer les nouveaux risques pouvant surgir entre l’audience [devant la CISR] et la date du renvoi ».
[41] Le juge Mosley a formulé le commentaire suivant dans Raza, précité, au paragraphe 10 :
[10] Les agents d’ERAR possèdent des connaissances spécialisées en matière d’examen des risques et leurs conclusions sont généralement dictées par les faits, ce qui explique que celles‑ci doivent faire l’objet d’une retenue considérable : Selliah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 872, 256 F.T.R. 53, au paragraphe 16 (Selliah). Les conclusions de fait tirées par un agent d’ERAR, y compris celles qui concernent le poids à accorder à la preuve qui lui a été présentée, réclament une retenue judiciaire considérable : Yousef c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 864, [2006] A.C.F. no 1101, au paragraphe 19 (Yousef). À moins qu’il ait omis de prendre en considération des facteurs pertinents ou qu’il ait tenu compte de facteurs non pertinents, l’appréciation de la preuve relève de l’agent chargé de l’examen et n’est normalement pas sujette à un contrôle judiciaire : Augusto c Canada (Solliciteur général), 2005 CF 673, [2005] A.C.F. no 850, au paragraphe 9.
[42] Le demandeur prétend que l’agente a conclu à tort qu’il n’avait pas fourni une preuve suffisante pour établir que sa religion fait partie intégrante de sa vie et de son mode de vie. Il allègue que sa conclusion n’est étayée par aucun élément de preuve documentaire ou ouvrage de référence.
[43] L’agente a fondé sa conclusion sur le fait que la preuve ne permettait pas d’établir de façon satisfaisante que la religion faisait partie du mode de vie du demandeur. Il ressort clairement de la décision de l’agente qu’elle a apprécié les documents soumis en preuve par le demandeur et a jugé qu’ils ne permettaient pas d’établir que la religion occupe une si grande place dans sa vie qu’elle entraînerait plus qu’une simple possibilité de persécution au Pakistan. L’examen de l’agente d’ERAR doit se limiter aux nouveaux éléments de preuve produits.
[44] Le demandeur allègue en outre que l’agente d’ERAR a commis une erreur en disant que, pour qu’un Ahmadi soit la cible de persécution, il doit occuper un poste de dirigeant ou parler publiquement de sa religion. Ayant lu l’ensemble de la décision, la Cour ne peut accepter cet argument. L’agente a souligné le fait que le demandeur n’a présenté aucun document ou élément de preuve démontrant qu’il s’attirerait une attention non désirée au Pakistan en raison de ses croyances religieuses. Ayant conclu que la preuve présentée par le demandeur était insuffisante, l’agente a cité des exemples de personnes susceptibles d’attirer ce genre d’attention, notamment [traduction] « une personne occupant un poste de dirigeant ou une personne qui professe publiquement sa foi » (voir la décision de l’agente d’ERAR, page 6 du dossier du tribunal). L’agente d’ERAR n’a pas commis une erreur susceptible de contrôle.
[45] L’agente a conclu que les lois discriminatoires qui ciblent les Ahmadis au Pakistan ne sont pas appliquées rigoureusement par les autorités pakistanaises. Le demandeur maintient que l’agente d’ERAR a commis plusieurs erreurs graves étant donné qu’elle n’a examiné qu’une partie des documents produits en preuve, négligeant de tenir compte de plusieurs incidents illustrant la discrimination exercée envers la communauté ahmadie. L’avocat du demandeur a présenté des exemples de ces incidents à l’audience.
[46] La façon dont l’agente a analysé les éléments de preuve se rapportant à la discrimination envers les Ahmadis est raisonnable. Elle a reconnu que la population ahmadie fait l’objet d’une discrimination systématique et, plus important encore, juridique. Elle a souligné le fait que les Ahmadis sont victimes de discrimination sur les plans scolaire, professionnel et économique. La Cour reconnaît que l’agente n’a pas mentionné explicitement dans sa décision plusieurs des incidents décrits par le demandeur à la page 139 de son dossier de demande. Néanmoins, cette omission ne peut être considérée comme une erreur susceptible de contrôle puisque le rôle de l’agent d’ERAR consiste à apprécier la preuve présentée par un demandeur d’asile. Dans le cas présent, l’agente a reconnu l’existence d’un risque mais a conclu que, dans le cas du demandeur, aucun lien crédible n’avait été établi entre les incidents rapportés et la crainte de persécution.
[47] De plus, le demandeur allègue que l’agente a conclu à tort que les lois sur le blasphème au Pakistan sont rarement appliquées par les autorités pakistanaises. Sur ce point également, l’agente n’a pas commis d’erreur puisqu’elle s’est appuyée sur des renseignements précis pour conclure que les lois discriminatoires ne sont pas appliquées rigoureusement par les autorités pakistanaises. L’agente a reconnu que ces lois sont discriminatoires. Selon son appréciation de la preuve produite cependant, elle a conclu que l’application de ces lois au Pakistan n’avait pas pour effet de créer une situation de persécution pour tous les Ahmadis. À la lumière de cette conclusion, il était justifié de dire que le demandeur n’avait pas fourni une preuve suffisante pour établir que tous les Ahmadis, dont lui‑même, sont la cible de persécution et d’un traitement cruel. Il lui était loisible de conclure qu’il n’existait pas plus qu’une simple possibilité de persécution aux termes de l’article 96 de la LIPR et que, si le demandeur retournait au Pakistan, il ne serait probablement pas exposé au risque d’être soumis à la torture ou au risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités, au sens envisagé à l’article 97 de la LIPR.
[48] L’agent d’ERAR doit effectuer une analyse personnalisée, et c’est ce que l’agente a fait dans le cas présent (voir Kovacs c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1003, [2010] A.C.F. no 1241 (QL)). La Cour n’a aucune raison valable d’intervenir en l’espèce, et ce, même s’il est possible qu’elle aurait tiré une conclusion différente. Il n’appartient pas à la Cour d’apprécier de nouveau la preuve produite, elle ne doit que s’assurer que la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
VII. Conclusion
[49] L’agente d’ERAR pouvait raisonnablement conclure que le demandeur n’a pas prouvé qu’il sera personnellement exposé à plus qu’une simple possibilité de persécution ou de menace à sa vie s’il retourne au Pakistan. Elle a également conclu qu’il ne sera probablement pas exposé au risque d’être soumis à la torture ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.
[50] La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.
JUGEMENT
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;
2. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.
Traduction certifiée conforme
Claude Leclerc, LL.B.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-3148-11
INTITULÉ : TAHIR AHMAD
c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 22 NOVEMBRE 2011
DATE DES MOTIFS : LE 24 JANVIER 2012
COMPARUTIONS :
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POUR LE DEMANDEUR
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Mahan Keramati |
POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
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POUR LE DEMANDEUR |
Myles J. Kirvan Sous‑procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR
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