[TRADUCTION FRANÇAISE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 24 janvier 2012
En présence de monsieur le juge O’Reilly
ENTRE :
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
I. Aperçu
[1] Mme Nachhattar Pal Shinmar a demandé l’asile au Canada en raison de sa crainte d’être persécutée en Inde à titre de membre féminine célibataire de la caste Dalit. Un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que Mme Shinmar n’était pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 [la LIPR] (voir l’annexe pour les extraits de la Loi). Mme Shinmar soutient que la Commission a tiré des conclusions négatives erronées au sujet de sa crédibilité et a aussi omis d’effectuer correctement une analyse au sens de l’article 97. À mon avis, les conclusions de crédibilité de la Commission étaient fondées sur la preuve, ou le manque de preuve. Par conséquent, elles étaient raisonnables. Par contre, la Commission n’a pas analysé la demande de Mme Shinmar fondée sur l’article 97. Par conséquent, je dois accueillir en partie la demande de contrôle judiciaire.
[2] Il y a deux questions à trancher :
1. Les conclusions de la Commission au sujet de la crédibilité étaient-elles raisonnables?
2. La Commission a-t-elle commis une erreur en n’effectuant pas une analyse séparée au sens de l’article 97 de la LIPR?
II. Le contexte factuel
[3] Mme Shinmar est une citoyenne de l’Inde. Elle est née et a habité dans le village de Barsal jusqu’à son arrivée au Canada en 2009.
[4] La famille de Mme Shinmar appartient à une basse caste, les Dalits. Sa famille et elle ont été victimes de discrimination de la part de membres de castes supérieures. Cependant, avec l’aide d’une sœur qui habite au Canada, ils ont été en mesure d’acheter une terre et d’assurer leur sécurité financière.
[5] Lorsque ses parents ont immigré au Canada en 2006, ils ont laissé à Mme Shinmar la tâche de prendre soin de la maison et de la terre familiales. Lorsque les voisins ont réalisé que Mme Shinmar habitait seule, ils ont empiété sur sa terre et, lorsqu’elle s’y est opposée, ils l’ont injuriée et menacée. Mme Shinmar a demandé l’aide des policiers, mais lorsqu’ils ont appris qu’elle était de la caste Dalit, ils l’ont humiliée et lui ont demandé de l’argent.
[6] Finalement, Mme Shinmar s’est cachée. Ses parents l’ont encouragée à quitter et elle a communiqué avec un agent pour organiser son voyage au Canada.
III. La décision de la Commission
[7] La Commission a rejeté la demande d’asile de Mme Shinmar en raison de son manque de crédibilité. Elle a relevé un certain nombre d’« incohérences sérieuses » et d’omissions dans la preuve de Mme Shinmar.
[8] Mme Shinmar a déclaré dans son récit écrit que ses problèmes avec ses voisins ont débuté lorsqu’ils ont appris que ses parents avaient quitté l’Inde. Cependant, devant la Commission, elle a déclaré que son père avait subi des problèmes semblables. Mme Shinmar a déposé des lettres de son père, du Sarpanch du village (le chef) et d’un policier local à l’appui de son récit, mais aucune de ces lettres ne mentionnait de persécution fondée sur la propriété de la terre. La Commission a conclu que le témoignage de Mme Shinmar servait à embellir sa demande.
[9] Dans son récit, Mme Shinmar a mentionné deux occasions distinctes lors desquelles elle a été confrontée par ses voisins. La première a eu lieu après qu’elle se soit plainte aux voisins qu’ils empiétaient sur sa terre. Les voisins ont tiré des coups de feu dans les airs pour l’effrayer. La deuxième fois a eu lieu après qu’elle se soit plainte à la police. Les voisins se sont réunis devant sa maison et ont tiré des coups de feu. La Commission a conclu que le témoignage oral de Mme Shinmar contredisait son récit écrit de deux façons : (1) elle avait déclaré que les voisins venaient tous les jours à sa maison et (2) elle avait déclaré qu’on n’avait tiré des coups de feu vers elle qu’une seule fois, mais elle a ensuite changé sa réponse à « deux » fois.
[10] Mme Shinmar a aussi témoigné que des garçons de la région l’empêchaient de cultiver ses champs. Lorsque la Commission lui a demandé pourquoi cet incident n’avait pas été inscrit dans son FRP, elle n’a pas répondu et s’est mise à pleurer. La Commission a déclaré qu’il ne s’agissait pas d’un cas de « violence familiale ou sexuelle » qui rendrait le témoignage difficile pour la demanderesse. La Commission a conclu que l’incident ne s’était pas produit.
[11] Mme Shinmar a écrit dans son récit qu’elle est allée voir les policiers après que des coups de feu aient été tirés vers sa maison. Les policiers n’ont jamais enquêté au sujet de cet incident. Cependant, à l’audience, elle a témoigné qu’elle croyait que les policiers avaient arrêtés les attaquants, mais qu’ils les avaient relâchés après avoir reçu un pot-de-vin. Elle a aussi déclaré qu’elle s’était rendue au poste de police avec un voisin, mais qu’ils avaient été écartés en raison de leur caste. Les policiers ont aussi demandé de l’argent. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle n’avait pas mentionné ces détails dans son récit, Mme Shinmar a d’abord répondu que ce type de comportement de la part des policiers était bien connu en Inde et elle a ensuite répondu qu’elle avait honte de le dire à son père. Enfin, Mme Shinmar a déclaré qu’elle n’avait pas réalisé qu’elle devait tout expliquer. La Commission a conclu que Mme Shinmar inventait des réponses pour expliquer ses omissions.
[12] La Commission a conclu que le défaut de Mme Shinmar de fournir des documents au sujet de la propriété de la terre de sa famille en Inde jouait contre sa crédibilité. Lorsqu’on lui a demandé si elle avait tenté d’obtenir les documents, Mme Shinmar a répondu qu’elle ne savait pas qu’elle en aurait besoin. La Commission a conclu que cette réponse était déraisonnable parce que sa demande était fondée sur l’acquisition de la terre et qu’elle avait eu amplement le temps d’obtenir les documents. En fait, l’affidavit de son père indiquait qu’il s’était récemment rendu en Inde pour « récupérer les documents de [sa] fille en vue de son audience concernant le statut de réfugié ».
[13] La Commission a aussi posé des questions au sujet de la raison pour laquelle le père de Mme Shinmar avait déposé tardivement son affidavit à l’appui de la demande de Mme Shinmar et a noté que l’affidavit ne provenait pas d’une partie désintéressée. Elle a accordé à cet affidavit peu de poids.
[14] Dans l’ensemble, la Commission a conclu que Mme Shinmar était « un témoin difficile » parce qu’elle avait tendance à s’éloigner du sujet, qu’elle offrait des réponses vagues, qu’elle avait de la difficulté à se souvenir de détails précis et que, par moments, elle devenait très agitée et pleurait. Comme elle n’avait pas présenté de rapport médical ou psychologique, la Commission a conclu que son état émotif affectait de façon négative sa crédibilité.
[15] La Commission a conclu que « [j]e ne crois tout simplement pas que […]les événements importants qui lui seraient arrivés se sont vraiment produits; c’est pourquoi la demande d’asile qu’elle a présentée au titre de l’article 96 de la LIPR est rejetée ». La Commission a aussi conclu que la demande que Mme Shinmar avait présenté au titre de l’article 97 était rejetée parce qu’il n’existait aucune autre preuve qu’elle serait exposée aux risques décrits à l’article 97.
IV. Première question – les conclusions de la Commission au sujet de la crédibilité étaient-elles raisonnables?
[16] Mme Shinmar soutient que les conclusions de la Commission étaient déraisonnables. Elle soutient que la Commission a donné trop d’importance à des omissions et des incohérences mineures, a injustement écarté son témoignage oral sans tenir compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe et qu’elle s’est fondée à tort sur l’absence de preuve documentaire pour tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité.
[17] En particulier, elle note qu’elle en savait peu au sujet des problèmes de son père parce que les hommes partagent rarement des renseignements avec les femmes. Pour d’autres points, son témoignage oral était simplement plus détaillé que son récit écrit, comme on peut naturellement s’y attendre. Certains détails avaient été omis par gêne, ce qui expliquait aussi son état émotif à l’audience. Certaines des menaces et de la violence qu’elle avait subies étaient de nature sexuelle, ce qui était évidemment bouleversant pour elle et difficile à raconter. C’est pourquoi la Commission aurait dû tenir compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe.
[18] J’ai examiné le dossier et je suis convaincu que beaucoup des conclusions de la Commission étaient clairement justifiées – elle pouvait conclure que l’affidavit du père méritait peu de poids, que l’absence de preuve documentaire corroborante était mal expliquée, qu’il existait des écarts et des incohérences dans la preuve de Mme Shinmar et que ses réponses à de nombreuses questions étaient vagues et inadéquates. La question qu’il reste à trancher est celle de savoir si les conclusions de la Commission étaient erronées parce qu’elle n’a pas tenu compte des Directives du président concernant la persécution fondée sur le sexe. Ces directives rappellent aux commissaires que les femmes ont parfois de la difficulté à témoigner au sujet de questions portant sur la violence sexuelle et qu’elles peuvent avoir peu de connaissances au sujet de questions qui sont généralement réglées par les hommes, parce que les hommes peuvent décider de ne pas partager ces renseignements avec les femmes de leur famille.
[19] Ces questions s’appliquent certainement à la situation de Mme Shinmar. Elle avait de la difficulté à parler du « langage cru » que ses voisins ont utilisé. Aussi, elle en savait peu au sujet des problèmes que sont père avait eus avant de quitter l’Inde. Cependant, ces parties du témoignage n’avaient pas une grande importance dans les conclusions de fait de la Commission. La Commission a fait un commentaire négatif au sujet de l’état émotif de Mme Shinmar, mais la majorité de ses conclusions étaient fondées sur d’autres éléments de preuve dont elle était saisie ou, sur l’absence de preuves. De plus, bien que la Commission n’ait pas expressément mentionné les Directives, elle a agi correctement avec Mme Shinmar à l’audience, lui accordant des pauses pour qu’elle se reprenne, exprimant des préoccupations au sujet de son bien-être et permettant à son avocat de poser des questions à la place du commissaire. Compte tenu des circonstances, je conclus que la Commission a, en général, respecté l’esprit des Directives et je ne conclus pas que son analyse était fautive simplement parce qu’elle n’a pas expressément mentionné les Directives.
V. Deuxième question – la Commission a-t-elle commis une erreur en n’effectuant pas une analyse séparée au sens de l’article 97 de la LIPR?
[20] Mme Shinmar soutient que, si elle retournait en Inde, sa vie serait menacée ou elle serait exposée à des peines cruelles et inusitées en raison de son appartenance à un groupe social particulier.
[21] Bien que les protections offertes par les articles 96 et 97 soient distinctes, il existe des situations lors desquelles les conclusions de la Commission au sujet de l’article 96 seront déterminantes pour l’article 97. Par exemple, lorsque la Commission ne relève aucune preuve à l’appui d’une demande présentée au titre de l’article 96, il n’est pas nécessaire de trancher séparément la question de savoir si la demande présentée au titre de l’article 97 est justifiée.
[22] Cependant, en l’espèce, même si la Commission a conclu que Mme Shinmar n’était pas crédible et que les événements qu’elle avait décrits n’ont pas eu lieu, il restait à trancher la question de savoir si la preuve documentaire objective appuyait une demande présentée au titre de l’article 97. Rien dans les motifs de la Commission ne donne à penser qu’elle a examiné cette preuve. Par conséquent, à mon avis, la Commission a commis une erreur en n’effectuant pas d’analyse distincte au sens de l’article 97.
VI. Conclusion et dispositif
[23] Je ne peux pas conclure que la conclusion de la Commission selon laquelle la demande de Mme Shinmar au titre de l’article 96 n’était pas appuyée par la preuve était déraisonnable. Bien que la Commission n’ait pas mentionné expressément les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, elle en a respecté l’esprit pendant l’audience. Cependant, à mon avis, la Commission a commis une erreur en n’examinant pas si la demande de Mme Shinmar au titre de l’article 97 était appuyée par la preuve documentaire. Par conséquent, j’accueille la demande de contrôle judiciaire en partie et j’ordonne à un tribunal différemment constitué de la Commission de réexaminer la demande fondée sur l’article 97. Aucune partie n’a proposé de question de portée général pour la certification et je n’en certifierai aucune.
JUGEMENT
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie;
2. Un tribunal différemment constitué de la Commission doit examiner la demande de Mme Shinmar fondée sur l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27;
3. Aucune question de portée générale n’est certifiée.
Annexe
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27
Définition de « réfugié »
96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques : a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays; b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.
Personne à protéger 97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée : a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture; b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant : (i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, (ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas, (iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles, (iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.
(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection |
Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27
Convention refugee
96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion, (a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or (b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.
Person in need of protection 97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally (a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or (b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if (i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country, (ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country, (iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and (iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.
(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection. . |
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-813-11
INTITULÉ : NACHHATTAR PAL SHINMAR
c.
MCI
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 28 septembre 2001
ET JUGEMENT : LE JUGE O’REILLY
DATE DES MOTIFS : Le 24 janvier 2012
COMPARUTIONS :
Melody Mirzaagha |
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Alex Kam |
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Green and Spiegel, LLP Toronto (Ontario)
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Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario)
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