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Date : 20120119


Dossier : T-5-11

Référence : 2012 CF 65

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 janvier 2012

En présence de monsieur le juge Barnes

 

 

ENTRE :

 

RICHARD GOULET

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, Richard Goulet, est un détenu sous responsabilité fédérale qui purge une peine de sept ans et trois mois en Pennsylvanie (États-Unis), à l’établissement correctionnel à faible sécurité d’Allenwood, pour complots visant à distribuer et à importer de la marijuana aux États‑Unis.

 

[2]               M. Goulet est citoyen canadien. Le 10 juillet 2008, il a présenté une demande sous le régime de la Loi sur le transfèrement international des délinquants, LC 2004, c. 21 (la Loi) en vue d’être transféré à un établissement correctionnel canadien. Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre) a rejeté la demande par une décision rendue le 8 décembre 2010, et la présente demande de contrôle judiciaire fait suite à cette dernière.

 

Le contexte

            La décision faisant l’objet du présent contrôle

[3]               Pour bien saisir les arguments des parties, il est utile d’examiner la décision contestée dans le contexte des éléments de preuve qui ont été soumis au ministre.

 

[4]               Il ressort du dossier qu’en janvier 2009 le département de la Justice des États-Unis a accédé à la demande de transfèrement au Canada de M. Goulet. Des informations transmises à l’époque par les autorités américaines ont confirmé que M. Goulet avait fourni et passé en contrebande de grandes quantités de marijuana du Québec aux États-Unis et qu’il avait comploté avec d’autres individus aux États-Unis en vue de faire livrer la drogue en Floride. L’ampleur de cette activité illégale a sans aucun doute été le fondement de la longue période d’incarcération que lui a infligée la Cour de district des États-Unis.

 

[5]               Selon d’autres informations de base, M. Goulet travaillait au sein des services d’alimentation de l’établissement d’Allenwood et son dossier de conduite était sans taches. Il recevait également du lithium pour soigner un trouble bipolaire préexistant et il avait perdu beaucoup de poids.

 

[6]               Dans un rapport établi à l’intention du ministre, un directeur du Service correctionnel du Canada (le SCC) a résumé les infractions que M. Goulet avait commises et a évalué les facteurs énumérés à l’article 10 de la Loi en vue de déterminer s’il était justifié de le transférer au Canada. Ce rapport indiquait ce qui suit :

[traduction]

A.        LE RETOUR AU CANADA DU DÉLINQUANT PEUT CONSTITUER UNE MENACE POUR LA SÉCURITÉ DU CANADA (alinéa 10(1)a) de la LTID)

À la suite d’une vérification menée auprès d’homologues du Service correctionnel du Canada dans les secteurs de la sécurité et du renseignement ainsi qu’auprès du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), les informations obtenues à ce jour ne donnent pas à croire que le retour de M. Goulet au Canada constituerait une menace pour la sécurité du Canada.

 

B.                 LE DÉLINQUANT A QUITTÉ LE CANADA OU EST DEMEURÉ À L’ÉTRANGER AVEC L’INTENTION DE NE PLUS CONSIDÉRER LE CANADA COMME LE LIEU DE SA RÉSIDENCE PERMANENTE (alinéa 10(1)b) de la LTID)

M. Goulet est né à Magog (Québec), ce qui a été vérifié et confirmé le 8 décembre 2008 par le Consulat général du Canada à Buffalo (New York). Rien n’indique que M. Goulet avait l’intention de ne plus considérer le Canada comme son lieu de résidence. Il a vécu provisoirement aux États-Unis, pendant une période de 8 à 12 mois, après avoir fait faillite en 2003. Durant ce temps, il a travaillé dans le secteur de la construction; il vivait chez des collègues durant la semaine et retournait au Canada toutes les fins de semaine. À l’époque de son arrestation, M. Goulet vivait à Ayer’s Cliff (Québec).

 

C.        LE DÉLINQUANT A DES LIENS SOCIAUX OU FAMILIAUX AU CANADA (alinéa 10(l)c) de la LTID)

L’enquête communautaire menée le 28 novembre 2008 auprès de la mère, du père, du frère et de la sœur du sujet, qui vivent à Ayer’s Cliff (Québec), témoigne que ses liens sociaux et familiaux demeurent très solides, et ils restent en contact au moyen de lettres et d’appels téléphoniques quotidiens. Sa famille est disposée à offrir un soutien sous forme de logement, mais elle dit qu’une fois remis en liberté, il vivra très probablement avec son épouse à Ayer’s Cliff (Québec). Son frère et sa sœur ont assisté au procès aux États-Unis et lui ont rendu visite à trois reprises. La distance et les frais de déplacement empêchent de lui rendre régulièrement visite. Son épouse, qui était en sa compagnie au moment de l’arrestation, n’a pas pu lui rendre visite à cause du choc causé par l’incident. Les deux se parlent tous les jours au téléphone.

 

D.        L’ENTITÉ ÉTRANGÈRE OU SON SYSTÈME CARCÉRAL CONSTITUE UNE MENACE SÉRIEUSE POUR LA SÉCURITÉ DU DÉLINQUANT OU SES DROITS DE LA PERSONNE (alinéa 10(1)d) de la LTID)

Les États-Unis ou son système carcéral ne constituent pas une menace sérieuse pour la sécurité ou les droits de la personne du délinquant. Ce dernier travaille au sein des services alimentaires de l’établissement et il a une conduite sans taches. Son adaptation est, dit-on, positive.

 

Cependant, il convient de signaler que M. Goulet souffre d’un grave trouble bipolaire, qui exige un régime de médicaments et de tests particulier. Selon sa famille et son avocat, M. Goulet a perdu beaucoup de poids, et il semble malade et prend une quantité excessive de médicaments. Le fait de ne pas surveiller l’état de M. Goulet pourrait avoir des conséquences mortelles. Le Consulat du Canada à Buffalo (New York) fait actuellement enquête sur l’allégation de la famille selon laquelle M. Goulet ne reçoit pas des soins médicaux appropriés.

 

E.         DE L’AVIS DU MINISTRE, LE DÉLINQUANT COMMETTRA, APRÈS SON TRANSFÈREMENT UNE INFRACTION DE TERRORISME OU UNE INFRACTION D’ORGANISATION CRIMINELLE, AU SENS DE L’ARTICLE 2 DU CODE CRIMINEL (alinéa 10(2)a) de la LTID)

Compte tenu des résultats de la vérification menée auprès des homologues du Service correctionnel du Canada dans les secteurs de la sécurité et du renseignement ainsi qu’auprès du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), les informations obtenues à ce jour ne donnent pas à croire que M. Goulet, après son transfèrement, commettrait une infraction de terrorisme ou d’organisation criminelle, au sens de l’article 2 du Code criminel.

 

F.         LE DÉLINQUANT A DÉJÀ ÉTÉ TRANSFÉRÉ EN VERTU DE LA PRÉSENTE LOI OU DE LA LOI SUR LE TRANSFÈREMENT DES DÉLINQUANTS, CHAPITRE  7‑15 DES LOIS RÉVISÉES DU CANADA (1985) (alinéa 10(2)b) de la LTID)

M. Goulet n’a jamais été transféré en vertu de la Loi sur le transfèrement international des délinquants ou de la Loi sur le transfèrement des délinquants, chapitre T‑15 des Lois révisées du Canada (1985).

 

[7]               Il a également été indiqué dans le rapport susmentionné que M. Goulet pouvait être expulsé des États-Unis vers le Canada dès le 3 octobre 2014, auquel cas il ne ferait pas l’objet de mesures de contrôle ou d’une libération conditionnelle surveillée. Selon l’évaluation des risques pour la sécurité du public que le SCC a menée au sujet de M. Goulet, ce dernier n’avait pas d’antécédents criminels au Canada, pas de liens reconnus avec un groupe criminel organisé et pas d’antécédents d’actes criminels de nature sexuelle. Il a aussi été conclu qu’il avait peu de risques de récidiver (un résultat de +16 à l’échelle ISR‑RI).

 

[8]               Le ministre a motivé en ces termes le rejet de la demande de M. Goulet :

[traduction]

La Loi sur le transfèrement international des délinquants (la Loi) a pour objet de faciliter l’administration de la justice et la réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants en permettant à ceux-ci de purger leur peine dans le pays dont ils sont citoyens ou nationaux. Cet objet sert à rehausser la sécurité du public au Canda. Pour chaque demande de transfèrement, j’examine les faits et les circonstances uniques qui me sont présentés dans le contexte de l’objet de la Loi et des facteurs particuliers qui sont énumérés à l’article 10.

 

Le demandeur, Richard Goulet, purge une peine d’incarcération de sept ans et trois mois aux États-Unis pour les infractions suivantes : « complot en vue de distribuer plus de 50 kg de marijuana », « complot en vue d’importer plus de 50 kg de marijuana » et « confiscations de produits ». En février 2006, Larry Bowen a été arrêté alors qu’il transportait dans son véhicule 191 livres (86,6 kg) de marijuana hydroponique. M. Bowen a déclaré aux agents de l’Immigration et des Douanes des États-Unis que, durant les années 2005 et 2006, il avait fait 10 voyages de livraison à [Éric Tetreault] et que la source de la marijuana était Richard Goulet. M. Bowen a accepté de participer à une livraison contrôlée de marijuana à M. Tetreault. M. Goulet a donné à M. Bowen des instructions sur la livraison de la drogue à M. Tetreault, qui a été arrêté pendant qu’il tentait d’en prendre possession. Le 2 juin 2006, M. Goulet a été arrêté. Un autre complice, Stéphane Ruel, qui agissait également comme chauffeur dans le cadre des livraisons organisées par M. Goulet, a été impliqué dans cette transaction.

 

La Loi exige que j’examine si, à mon avis, le délinquant, après son transfèrement, commettra une infraction d’organisation criminelle au sens de l’article 2 du Code criminel. Dans ce contexte, je signale que, outre le délinquant, au moins trois complices ont été impliqués dans la commission de l’infraction, une transaction complexe qui mettait en cause de grandes quantités de marijuana. Des informations dans le dossier désignent le demandeur à la fois comme un élément important de l’opération de contrebande de drogue et comme l’individu qui a retenu les services d’autres personnes, a donné à celles-ci des instructions et les a payés pour aider à passer en contrebande le chargement de drogue. De plus, selon des informations dans le dossier, le demandeur a coordonné et organisé dans le passé des voyages de drogue qui mettaient habituellement en cause une quantité d’environ 100 livres (45 kg) de marijuana. D’après le complice du demandeur, il était possible que des membres de la famille de ce dernier l’aient accompagné lors de ces voyages, et sa fille a permis qu’on se serve de sa maison pour stocker et transférer la drogue. Par ailleurs, deux complices ont déclaré que les transactions de drogue comportaient d’importantes sommes d’argent, qui ont été ramenées au demandeur. Dans la présente affaire, le demandeur a été impliqué dans la commission d’une grave infraction qui,  si elle avait réussi, aurait vraisemblablement permis aux individus et au groupe d’individus impliqués dans la transaction d’en retirer un avantage matériel ou financier.

 

La Loi exige que j’examine si le délinquant a des liens sociaux ou familiaux au Canada. Je reconnais les liens familiaux qu’a le demandeur au Canada, y compris le fait que ses parents, son frère, sa sœur et son épouse continuent de le soutenir.

 

La Loi exige également que j’examine si l’entité étrangère ou son système carcéral constituent une menace sérieuse pour la sécurité ou les droits de la personne du délinquant. Je souligne l’état de santé de M. Goulet, précisément son trouble bipolaire et l’importante perte de poids qui semble être survenue depuis son incarcération.

 

Après avoir pris en considération les faits et les circonstances uniques de la présente demande de même que les facteurs énumérés à l’article 10, je ne crois pas qu’un transfèrement correspondrait à l’objet de la Loi.

 

 

Les questions en litige

[9]               M. Goulet soutient que la décision du ministre est déraisonnable car elle ne satisfait pas aux exigences de transparence, d’intelligibilité et de justification énoncées dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 151, [2008] 1 RCS 190. Le ministre soutient qu’il est possible de comprendre le fondement de cette décision à partir des motifs fournis, et que son pouvoir discrétionnaire est suffisamment vaste pour qu’on lui accorde un certain degré de retenue judiciaire.

 

Analyse

[10]           La question déterminante qui est soulevée dans la présente demande est une question mixte de faits et de droit et, en particulier, elle consiste à savoir si la décision du ministre appartient aux issues possibles acceptables qui peuvent se justifier au regard de la preuve et du droit : voir la décision Del Vecchio c Canada (MSPPC), 2011 CF 1135, au paragraphe 20, [2011] ACF no 1395 (QL). La norme de contrôle oblige donc la Cour à prendre en considération la raisonnabilité de la décision du ministre.

 

[11]           Pour les motifs qu’ont exposés mes collègues, la juge Anne Mactavish dans la décision Del Vecchio, précitée, et le juge James O’Reilly, dans la décision Tangorra c Canada (MSPPC), 2011 CF 1433, [2011] ACF no 1733 (QL), j’ai conclu que la décision du ministre est déraisonnable et qu’il convient de réexaminer la demande de M. Goulet sur le fond ainsi qu’en conformité avec la Loi.

 

[12]           Une décision qui ne contient rien de plus qu’une énumération de quelques faits pertinents et une simple conclusion n’est pas légalement défendable sous le régime de la Loi. La motivation d’une décision, comme l’exige l’article 11 de la Loi, ne se fait pas sans analyser la preuve dans le contexte de l’objet déclaré de la Loi et des critères énoncés à l’article 10 de cette dernière. En fait, il est impossible de dire à partir de ces motifs quels sont les facteurs qui ont amené le ministre à rejeter la demande de M. Goulet, pas plus que la Cour ne peut juger si la décision a été rendue d’une manière raisonnablement conforme aux obligations légales du ministre.

 

[13]           L’avocate du ministre fait état d’une série de décisions de la Cour qui semblent souscrire au caractère raisonnable de décisions semblables à celle rendue en l’espèce : voir Newberry c Canada (MSPCP), 2011 CF 1261, [2011] ACF no 1544 (QL), Lebon c Canada (MSPPC), 2011 CF 1018, [2011] ACF no 1261 (QL), Duarte c Canada (MSPPC), 2011 CF 602, [2011] ACF no 805 (QL), Holmes c Canada (MSPPC), 2011 CF 112, [2011] ACF no 82 (QL), et Tippett c Canada (MSPPC), 2011 CF 814,[2011] ACF no 1015 (QL). Toutes ces décisions n’indiquent pas de manière évidente que les décisions du ministre étaient aussi superficielles que celle qui a été rendue à l’endroit de M. Goulet. Cependant, dans la mesure où les décisions susmentionnées étayent des décisions ministérielles qui n’étaient essentiellement que de simples conclusions, je m’abstiens de les suivre. Je souscris plutôt au raisonnement formulé dans les décisions Del Vecchio et Tangorra, tous deux précitées, de même qu’aux nombreuses décisions antérieures qui ont fixé, pour la présentation de motifs, un critère qui requiert quelque chose de plus que ce l’on a fourni à M. Goulet.

 

[14]           L’avocate du défendeur a raison de dire que le ministre a le vaste pouvoir discrétionnaire de soupeser les éléments de preuve pertinents conformément aux pouvoirs que lui confère la Loi, mais ce pouvoir doit toujours être exercé d’une manière conforme aux principes législatifs applicables. C’est ce qui a été affirmé il y a de nombreuses années de cela dans l’arrêt Roncarelli c Duplessis, [1959] RCS 121, [1959] ACS no 1 (QL), où le juge Ivan Rand a fait remarquer :

Dans une réglementation publique de cette nature, il n'y a rien de tel qu'une « discrétion » absolue et sans entraves, c'est-à-dire celle où l'administrateur pourrait agir pour n'importe quel motif ou pour toute raison qui se présenterait à son esprit; une loi ne peut, si elle ne l'exprime expressément, s'interpréter comme ayant voulu conférer un pouvoir arbitraire illimité pouvant être exercé dans n'importe quel but, si fantaisiste et hors de propos soit-il, sans avoir égard à la nature ou au but de cette loi. La fraude et la corruption au sein de la commission ne sont peut-être pas mentionnées dans des lois de ce genre, mais ce sont des exceptions que l'on doit toujours sous‑entendre. La « discrétion » implique nécessairement la bonne foi dans l'exercice d'un devoir public. Une loi doit toujours s'entendre comme s'appliquant dans une certaine optique, et tout écart manifeste de sa ligne ou de son objet est tout aussi répréhensible que la fraude ou la corruption. Pourrait-on refuser un permis à celui qui le demande sous le prétexte qu'il est né dans une autre province, ou à cause de la couleur de ses cheveux? On ne peut fausser ainsi la forme courante d'expression de la législature.

 

 

Il s’ensuit que le pouvoir discrétionnaire du ministre n’inclut pas la faculté de trancher une demande de transfèrement en prenant pour base des facteurs ou des aspects qui débordent le cadre de la loi. La décision du ministre doit être suffisamment intelligible et transparente pour que le public et la partie touchée puissent voir que la Loi a été appliquée de manière équitable; voir la décision Adu c Canada (MCI), 2005 CF 565, au paragraphe 14, [2005] ACF no 693 (QL). Un délinquant n’a pas droit à une issue particulière, même si les arguments en faveur d’un transfèrement paraissent convaincants, mais il a le droit de savoir quels sont les facteurs qui ont mené au rejet de sa demande et de quelle façon la preuve a été évaluée. Cela est particulièrement vrai quand, comme c’est le cas en l’espèce, les informations que le ministre a reçues de ses conseillers contredisent la conclusion qu’il a tirée.

 

[15]           La Loi oblige expressément le ministre à fournir des motifs. Ces derniers doivent être suffisants pour permettre à un tribunal de contrôle de comprendre pourquoi le décideur a rendu sa décision et de déterminer si la conclusion appartient aux issues raisonnables et acceptables : voir l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011]  ACS no 62 (QL). En bref, l’un des buts de la présentation de motifs est de permettre de procéder à un contrôle judiciaire sérieux. Il ne suffit pas de dire qu’on a pris en considération les facteurs prévus par la loi. Il faut évaluer d’une certaine façon les éléments de preuve afin que la Cour puisse décider si la conclusion ultime est raisonnable, c’est-à-dire si elle repose réellement sur les considérations légales applicables. Le fait d’accepter qu’une simple conclusion suffit mettrait la moindre décision à l’abri d’un véritable contrôle judiciaire et autoriserait à rendre des décisions administratives arbitraires ou abusives.

 

[16]           L’avocate du ministre soutient qu’il est loisible à un tribunal de contrôle d’examiner le dossier pour compléter l’analyse du décideur, si cela est nécessaire pour évaluer la raisonnabilité d’une décision. C’est, je crois, ce principe-là qu’avait à l’esprit le juge Michel Shore dans la décision Newberry, précitée :

28     La question que la Cour doit trancher en l’espèce est de savoir si on pourrait raisonnablement conclure, sur la foi de l’information contenue dans le dossier, que le ministre a eu raison de conclure que les objectifs du régime de transfèrement international des délinquants – la protection de la société et la réadaptation du délinquant au moyen de sa réinsertion sociale – ne pourraient pas être atteints aussi efficacement si le demandeur était transféré au Canada.

 

Ce point a été souligné plus récemment par la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union, précité.

 

[17]           Bien sûr, s’il est nécessaire qu’un tribunal de contrôle examine le dossier pour évaluer la raisonnabilité d’une décision, il est possible que le processus mine une décision tout aussi facilement qu’elle l’étaye. C’est ce que j’ai fait remarquer dans la décision Grant c Canada (MSPPC), [2010] AFC no 386 (QL), au paragraphe 4 (1re inst.), une affaire dans laquelle le dossier soumis au ministre penchait fortement en faveur du transfèrement; ce dernier l’avait toutefois refusé sans explication sérieuse. Dans cette décision, j’ai déclaré : « […] plus les circonstances de l’affaire militent en faveur du demandeur, plus la responsabilité de justifier une opinion contraire est lourde ».

 

[18]           Dans le cas présent, la situation est la même. Les informations données au ministre favorisaient presque entièrement le transfèrement de M. Goulet au Canada. Le ministre se souciait, semble-t-il, des circonstances du crime, mais même ces détails n’étaient reliés à aucun des facteurs énumérés dans la loi. Le ministre a laissé à M. Goulet une énumération de certains des faits pertinents, ainsi qu’une simple conclusion allant à l’encontre de l’essentiel de la preuve. Il s’agit là du genre de décision que l’on rend pour la forme en vertu de la Loi et qui, à maintes reprises, a été jugé insuffisant : voir les décisions Del Vecchio, Tangorra et Grant, toutes trois précitées, ainsi que Villano c Canada (MSPPC), 2011 CF 1434, [2011] ACF no 1734 (QL), Downey c Canada (MSP), 2011 CF 116, [2011] ACF no 139 (QL), Randhawa c Canada (MSPPC), 2011 CF 625, [2011] ACF no 791 (QL), Vatani c Canada (MSPPC), 2011 CF 114, [2011] ACF no 137 (QL), Yu c Canada (MSPPC), 2011 CF 819, [2011] ACF no 1023 (QL), Dudas c Canada (MSPPC), 2010 CF 942, [2010] ACF no 1153 (QL), Getkate c Canada (MSPPC), 2008 CF 965, [2008] ACF no 1200 (QL), Singh c Canada (MSPPC), 2011 CF 115, [2011] ACF no 138 (QL) et Wong c Canada (MSPPC), 2008 CF 723, [2008] ACF no 1013 (QL) .

 

Conclusion

[19]           Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. Dans les 45 jours qui suivent, le ministre réévaluera la demande de transfèrement de M. Goulet sur le fond et conformément aux exigences de la Loi.

 

[20]           Le demandeur a droit aux dépens, taxés suivant la colonne III.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie. Dans les 45 jours qui suivent, le défendeur réévaluera la demande de transfèrement du demandeur sur le fond, conformément aux exigences de la Loi.

 

LA COUR ORDONNE DE PLUS que le demandeur ait droit aux dépens, taxés suivant la colonne III.

 

 

« R.L. Barnes »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-5-11

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            GOULET c  MSPPC

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 13 DÉCEMBRE 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 19 JANVIER 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

John W. Conroy

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Lucy Bell

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Conroy & Company

Avocats

Abbotsford (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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