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 Date : 20120117


Dossier : IMM-3963-11

Référence : 2012 CF 60

Montréal (Québec), le 17 janvier 2012

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

 

JOAQUIN MANUEL GONZALEZ MOJICA YAZNIT LUNA PARRAL

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Introduction

[1]               Il était loisible à la Section de la protection des réfugiés [SPR] de conclure que le demandeur ne s’était pas prévalu de la protection de l’État puisque ce dernier n’a pas effectué le suivi de ses plaintes. Le demandeur s’est contenté de réitérer sa crainte de la corruption des autorités. La SPR note les éléments suivants des explications du demandeur :

[10]      Le demandeur explique son inertie relativement à l’absence de tout suivi relativement à ses démarches de plainte, parce que soit « ils » ne font rien, soit son agent agresseur n’a aucune peur des représailles parce qu’il est bien protégé ou parce que la police ne peut rien faire contre une entité de l’État.

 

II. Procédure judiciaire

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], à l’encontre d’une décision de la SPR, rendue le 26 mai 2011, selon laquelle les demandeurs n’ont ni la qualité de réfugié au sens de la Convention tel que défini à l’article 96 de la LIPR ni la qualité de personne à protéger selon l’article 97 de la LIPR.

 

III. Faits

[3]               Monsieur Joaquin Manuel Gonzalez Mojica, demandeur principal, et sa conjointe de fait, madame Yaznit Luna Parral, sont citoyens mexicains.

 

[4]               Le demandeur travaillait pour la Commission fédérale d’électricité, société d’État du Mexique, depuis 1999. Il allègue avoir été témoin durant ces années de consommation et de vente de drogue durant les heures de travail, et ce, en toute impunité.

 

[5]               En février 2009, le demandeur allègue avoir refusé de consommer de la cocaïne comme le lui proposait son supérieur immédiat pour la première fois, durant les heures de travail à l’intérieur d’un véhicule de la compagnie.

 

[6]               Le demandeur, relativement à ce refus, aurait été victime de persécution, de harcèlement et de sanctions non justifiées de la part de son supérieur immédiat. Le demandeur a déposé une plainte auprès de son syndicat qui n’a pas réagi.

 

[7]               Suite à cette dénonciation, le demandeur allègue que son supérieur immédiat lui a pointé un fusil sur la tête pour avoir été un rapporteur.

 

[8]               Le 15 mars 2009, le demandeur dépose, auprès de la police mexicaine, une plainte pour menaces de mort. Les policiers se seraient moqués de lui et lui auraient déconseillé de porter plainte contre son supérieur immédiat.

 

[9]               Le demandeur aurait à nouveau été menacé de mort par son supérieur immédiat pour l’avoir dénoncé à la police. Il allègue que son supérieur immédiat lui aurait dit être protégé par les « Zetas ».

 

[10]           Les 16 et 17 mars 2009, le demandeur s’informe sur les demandes d’asiles et entreprend des démarches en vue d’acheter des billets d’avion pour quitter le Mexique.

 

[11]           Les demandeurs arrivent au Canada le 10 mai 2009 et demandent l’asile la même journée.

 

IV. Décision faisant l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire

[12]           La SPR n’a pas remis en question la crédibilité du demandeur. Pour la SPR, la question déterminante de la demande d’asile est celle de la protection de l’État. La SPR conclut que le Mexique, étant une démocratie organisée, est présumé pouvoir protéger ses citoyens. Il appartenait au demandeur de réfuter cette présomption.

 

[13]           Pour tirer cette conclusion, la SPR accorde une grande importance à la preuve documentaire (Cartables nationaux de documentation) qui révèle, selon elle, que le gouvernement du Mexique est apte à combattre la corruption, qu’il peut protéger ses citoyens des représailles et qu’un ensemble de recours sont mis à la disposition des citoyens victimes de la corruption des fonctionnaires fédéraux. Elle est d’avis que le Mexique « fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens victimes ou menacés d’actes criminels, le seul fait qu’il n’y réussit pas toujours, ne suffit pas à justifier la prétention que les victimes ou les gens menacés d’actes criminels ne peuvent se réclamer de sa protection » (Décision au para 13).

 

[14]           La SPR conclut que le demandeur principal a « adopté une position d’inertie » en ce qu’il aurait dû assurer le suivi de sa plainte au syndicat et de celle au Ministère public (Décision au para 13). La SPR tire une inférence défavorable au demandeur du fait qu’il ait entrepris des démarches en vue de l’achat de billets d’avion trois jours après sa plainte auprès du Ministère public.

 

V Point en litige

[15]           Dans les circonstances, la décision de la SPR est-elle raisonnable?

 

VI. Dispositions législatives pertinentes

[16]           Les dispositions suivantes de la LIPR s’appliquent au présent cas :

Définition de « réfugié »

 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

Personne à protéger

 

      (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

      (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection

 

 

VII. Position des parties

[17]           La partie demanderesse prétend, en premier lieu, que la SPR a erré en ce qu’elle a appliqué le mauvais test juridique pour conclure à la protection de l’État. Elle a, conséquemment, commis une erreur susceptible de révision. Elle prétend que la jurisprudence sur laquelle s’est basé le tribunal ne reflète pas la situation qui prévaut aujourd’hui au Mexique. En effet, il serait plus facile de renverser la présomption de protection de l’État dans un pays comme le Mexique qui est une démocratie en voie de développement. Par ailleurs, elle soutient que la SPR a écarté certaines preuves documentaires démontrant que l’efficacité de la protection du Mexique, malgré les efforts du gouvernement, est faible.

 

[18]           De plus, la SPR aurait écarté le témoignage du demandeur relatif aux efforts qu’il a déployés pour rechercher la protection du Mexique.

 

[19]           La partie défenderesse, quant à elle, fait valoir que la SPR a bien analysé la question de la protection de l’État. Il ressort de l’analyse de la preuve documentaire que le demandeur n’a pas épuisé tous les recours mis à sa disposition pour se réclamer de la protection de son pays d’origine notamment les organismes voués à la protection des droits de la personne. Ainsi, la SPR n’est pas tenue de commenter chacun des éléments de preuves qui lui ont été présentés. Par le fait même, la partie demanderesse n’a pas déposé les documents auxquels elle fait référence au soutien de son affidavit. De plus, selon la partie défenderesse, il est raisonnable que la SPR ait accordé de l’importance au fait que le demandeur n’a pas effectué de suivi de ses plaintes, et qu’il ait quitté le pays trois jours après sa plainte au Ministère public. En l’occurrence, la situation du demandeur démontre un problème local et il n’apparaît pas que la protection était inefficace dans tout le pays.

VIII. Analyse

[20]           La norme de contrôle des conclusions de la SPR relatives à la protection de l’État est celle de la décision raisonnable. La Cour suprême du Canada a statué que les décisions de la SPR appellent un certain degré de déférence (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339).

 

[21]           Il importe de se rappeler qu’en matière de protection d’État, chaque cas comporte son propre contexte, ses propres faits et il importe d’analyser la preuve objective à la lumière des circonstances particulières (Arellano c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1265).

 

[22]           Dans Burgos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 1537, le juge Edmond P. Blanchard a expliqué comme suit le principe de la protection de l’État :

[35]      Le juge Denis Pelletier, alors à la Cour fédérale, a précisé que l’omission par les forces locales de maintenir l’ordre de façon efficace n’équivaut pas à une absence de protection étatique (Zhuravlvev c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. no 507 (QL)). Il a ajouté que la preuve doit établir une tendance plus générale de l’État à être incapable ou à refuser d'offrir une protection pour que l’absence de protection étatique soit établie.

 

 

[36]      Par ailleurs, lorsqu’elle examine la question de la protection de l’État, la Cour ne peut pas exiger que la protection actuellement offerte soit d’une efficacité parfaite. Les propos suivants du juge James Hugessen dans Villafranca c. M.E.I., [1992] A.C.F. no 1189 (C.A.F.) (QL), font d’ailleurs état de ce principe :

 

Par contre, lorsqu'un État a le contrôle efficient de son territoire, qu'il possède des autorités militaires et civiles et une force policière établies, et qu'il fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens contre les activités terroristes, le seul fait qu'il n'y réussit pas toujours ne suffit pas à justifier la prétention que les victimes du terrorisme ne peuvent pas se réclamer de sa protection.

 

[La Cour souligne]

 

[23]           Le raisonnement du juge Marie-Josée Bédard dans l’affaire Zepeda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 491, [2009] 1 RCF 237, est pertinent :

[20]      Je souscris à la façon qu’a la juge Gauthier d’aborder la question de la protection de l’État au Mexique. En effet, bien que le Mexique constitue une démocratie et veuille généralement assurer la protection de ses citoyens, la documentation abonde quant aux problèmes de gouvernance et de corruption qui y existent. Les décisionnaires doivent par conséquent apprécier avec soin la preuve dont ils sont saisis et laissant voir que le Mexique, bien qu’il veuille protéger ses citoyens, peut bien ne pas être en mesure de le faire. Cette appréciation doit notamment prendre en compte la situation générale ayant cours dans le pays d’origine du demandeur, toutes les mesures que celui-ci a effectivement prises et sa relation avec les autorités (Hernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1211, [2007] A.C.F. n° 1563 (QL), paragraphe 21; Peralta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 989, [2002] A.C.F. n° 1331 (QL), paragraphe 18).

 

[24]           La SPR a fortement souligné les efforts déployés par le gouvernement mexicain pour lutter contre la corruption. La SPR a pris connaissance de la preuve documentaire, énumérée au paragraphe 12 de sa décision, selon laquelle le demandeur aurait pu rechercher la protection de l’État par l’intermédiaire de différents mécanismes mis en place par le gouvernement pour lutter contre la corruption notamment la possibilité de porter plainte auprès du bureau du Procureur général pour ne citer que celui-ci.

 

[25]           La Cour est d’avis que le demandeur, pour réussir dans son argumentation relative à l’inefficacité des mesures gouvernementales, doit effectivement démontrer cette inefficacité. Il ne peut invoquer une crainte subjective pour justifier son défaut de se prévaloir de la protection de l’État. Comme expliqué, par la Cour, dans l’affaire Castaneda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 393 :

[26]      Malgré cela, le demandeur a dit ne pas avoir fait appel aux autorités fédérales par crainte. Cette explication ne peut être acceptée car la suffisance de la protection de l’état ne peut reposer sur la peur subjective du demandeur. La présomption de la protection de l’état ne peut être réfutée sur cette seule base subjective (Suarez c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2005 CF 1050, 141 A.C.W.S. (3d) 116). 

 

[27]      Pour réfuter la présomption de protection de l’État, le demandeur doit présenter une preuve claire et convaincante de l’incapacité de l’État de fournir une protection. La preuve doit être pertinente et fiable et être en mesure de convaincre le juge des faits que la protection de l’État est insuffisante (Ward; Carrillo c. Canada (M.C.I.), 2008 CAF 94, [2008] 4 R.C.F. 636). [La Cour souligne]

 

[26]           Quant à l’argument avancé par la partie demanderesse selon lequel la SPR n’aurait pas tenu compte de la relation du demandeur avec les autorités par le fait que ce dernier exerçait en tant qu’électricien dans une société d’État, il n’est pas fondé et doit être rejeté. En effet, ce fait est explicitement mentionné au paragraphe 10 de la décision de la SPR. En l’occurrence, la persécution de la part d’un agent de l’État ne le décharge pas le demandeur de son fardeau de réfuter la présomption de protection étatique (Cardona c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 57).

 

[27]           La Cour est d’avis, à la lumière de l’analyse de la preuve versée au dossier, que la SPR a raisonnablement conclu que le demandeur ne s’est pas déchargé de son fardeau de preuve de réfuter la présomption de protection de l’État. La SPR a tenu compte des circonstances particulières de l’affaire, sa conclusion quant à la protection de l’État est raisonnable.

 

 

IX. Conclusion

[28]           Pour l’ensemble de ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. 

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE le rejet de la demande de contrôle judiciaire du demandeur. Aucune question d’importance générale à certifier.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3963-11

 

INTITULÉ :                                       JOAQUIN MANUEL GONZALEZ MOJICA

                                                            YAZNIT LUNA PARRAL c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 16 janvier 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 17 janvier 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Claudia Andrea Molina

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Yaël Levy

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cabinet Molina Inc.

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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