Ottawa (Ontario), le 4 janvier 2012
En présence de monsieur le juge Lemieux
ENTRE :
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
I. Introduction
[1] Le 14 octobre 2011, j’ai accordé un sursis temporaire de la mesure de renvoi aux Philippines du demandeur prévue pour le lundi 17 octobre 2011.
[2] Dans le contexte de l’argument du préjudice irréparable, une question a été soulevée et j’ai estimé que cette dernière méritait quelques arguments supplémentaires. Cette question était de savoir si, dans l’éventualité où le demandeur était renvoyé, sa demande à la Section d’appel de l’immigration (SAI) de rouvrir son dossier d’appel ou de proroger le délai pour le faire, deviendrait sans objet, parce que la SAI aurait perdu sa compétence pour statuer sur la question dans l’éventualité où la demande d’autorisation pendante du demandeur d’en appeler d’un refus antérieur de rouvrir ou de proroger sa demande serait accueillie. J’ai demandé d’autres arguments sur ce point.
[3] L’avocat du demandeur s’appuyant principalement sur la décision de la Cour fédérale dans l’affaire Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Rumpler, 2008 CF 1264 (Rumpler 2008), a soutenu que la question centrale soulevée par la Cour au cours de l’audience sur le sursis n’était pas la perte du statut de résident permanent du demandeur en tant que tel, mais bien le fait que l’expulsion aura été réalisée. Selon lui, la SAI ne peut pas se saisir de son cas si la mesure de renvoi qui lui est imposée est mise en application. En conséquence, son appel devient inopérant et il subira un préjudice irréparable.
[4] L’avocat du ministre a adopté un point de vue contraire. Il a soutenu que l’argument du demandeur est fondé sur une évaluation incorrecte de la situation actuelle du demandeur et sur une interprétation erronée de Rumpler 2008. Il a également fait valoir que la SAI conserve sa compétence à l’égard de la demande du demandeur de rouvrir et de proroger le délai d’appel pour la simple raison que sa requête à la SAI a été présentée avant la date de son renvoi. Par conséquent, l’avocat du ministre a fait valoir que la SAI exerçait sa compétence discrétionnaire et continue pendant que le demandeur était encore au Canada. Selon l’avocat du ministre, d’après la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Tesoro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 148 (Tesoro), la SAI conserve sa compétence; elle n’aurait pas compétence si, comme dans l’affaire Rumpler 2008, le demandeur n’avait pas présenté de demande à ce tribunal avant son renvoi (soulignement ajouté).
[5] L’avocat du ministre, se fondant sur la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Toledo, [2000] 3 CF 563, a déclaré que cette affaire signifiait qu’il n’y avait aucune raison de retarder le renvoi après que M. Toledo eut demandé la réouverture de son appel, mais avant que l’on rende une décision à l’égard de sa requête.
[6] L’avocat du demandeur a répondu que la jurisprudence citée par l’avocat du ministre était non pertinente parce que la procédure que le demandeur avait engagée devant la SAI était une demande de réouverture ou de prorogation du délai d’appel, mais comme celle-ci avait été refusée par la SAI, elle n’est malheureusement jamais devenue un appel interjeté devant ce tribunal. Par conséquent, il en vient à la conclusion que la compétence discrétionnaire et continue de la SAI n’a jamais été exercée pendant que le demandeur se trouvait au Canada et qu’elle ne l’est toujours pas actuellement. Il fait valoir que si ce n’était pas le cas, le ministre ne serait pas en mesure de l’expulser du Canada (soulignement ajouté).
[7] Selon lui, c’est en raison de l’incompétence de son ancien avocat que le demandeur n’a jamais déposé d’avis d’appel dans les trente jours suivant l’audience de la Section de l’immigration (SI) qui a rendu la décision de le renvoyer. En d’autres termes, la SAI, lorsqu’elle a rejeté la requête du demandeur de rouvrir le dossier d’appel ou de prolonger le délai, a refusé d’exercer sa compétence.
II. Exposé des faits
[8] Le demandeur est citoyen des Philippines; il est né là-bas en juin 1961. Il est devenu résident permanent du Canada en octobre 1990 après que sa mère l’ait parrainé.
[9] Il n’a pas enfreint la loi au Canada depuis 1990. Il a toutefois été accusé pour la première fois le 8 décembre 2004 d’avoir émis un faux chèque d’un montant de 485,67 $ le 12 novembre 2003.
[10] Il a été reconnu coupable de cette accusation le 10 mars 2005, après avoir plaidé coupable; il a été mis à l’épreuve et condamné à une peine avec sursis de neuf mois. En vertu du Code criminel (L. R. C. 1985, ch. C-46), l’accusation de mise en circulation d’un document contrefait est passible d’une peine d’emprisonnement maximale ne dépassant pas dix ans.
[11] Le 3 août 2007, il a été accusé d’une agression sexuelle qui serait survenue le 22 avril 2007. Le 8 juin 2010, il a plaidé coupable à cette accusation. Ce plaidoyer a été confirmé le 14 octobre 2010; il a été reconnu coupable et condamné à une peine d’emprisonnement d’un an.
[12] En ce qui concerne les deux condamnations, le demandeur était représenté par le même avocat spécialisé en droit pénal.
[13] Entre-temps, ses problèmes d’immigration ont évolué de la manière suivante :
Le 24 mai 2010, le demandeur a reçu une lettre de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) l’informant qu’un rapport en vertu du paragraphe 44 (1) de la Loi de 2001 sur l’immigration et la protection des réfugiés, ch. 27 (LIPR) pourrait être préparé afin de signifier son interdiction de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 36 (1)a) de la LIPR à la suite de sa condamnation de 2005. On l’a averti que si un rapport était préparé, on pourrait tenir une enquête et prendre une mesure de renvoi contre lui. La lettre l’invitait à présenter des observations écrites expliquant pour quels motifs on ne devrait pas demander une mesure de renvoi. Le demandeur déclare qu’il a consulté l’avocat qui l’avait déjà représenté et qui le représentait encore dans le cadre des poursuites pénales. Aucune observation n’a été présentée à l’ASFC sur la question.
Le 24 mai 2010, l’ASFC a avisé le demandeur qu’elle avait soumis un rapport à la Section de l’immigration aux fins d’enquête pour déterminer s’il avait le droit de demeurer au Canada.
L’audience a eu lieu le 30 juin 2010 à Vancouver, au moyen d’un lien par vidéoconférence avec Edmonton, où le demandeur et son avocat mentionné précédemment étaient présents. L’avocat du demandeur a admis que M. Ledda n’était pas citoyen canadien, qu’il était résident permanent et qu’il a été reconnu coupable de l’infraction décrite en détail dans la déclaration de culpabilité de 2005. Le tribunal a indiqué que, compte tenu de cette admission, il n’avait pas besoin d’autres observations, à moins que l’une ou l’autre des parties ne souhaite ajouter quelque chose. L’avocat du demandeur et celui du ministre ont indiqué qu’ils n’avaient rien d’autre à ajouter. Le tribunal a ensuite rendu sa décision, à savoir qu’elle était tenue d’ordonner une mesure d’expulsion. Elle a informé le demandeur de son droit d’interjeter appel de la décision devant un tribunal de révision. Le tribunal avait déjà dit aux participants qu’en tant que résident permanent, le demandeur avait le droit d’interjeter appel de la mesure d’expulsion auprès de la SAI « qui avait une compétence plus large que la mienne ». Le tribunal a expliqué que la SAI avait plus de pouvoir et pouvait tenir compte de toutes les circonstances de son cas, dont des considérations d’ordre humanitaire. Le demandeur a dit au tribunal qu’il comprenait tout cela. En fait, le même jour, le tribunal a envoyé par télécopieur au bureau de cet avocat une copie de la mesure d’expulsion et une copie d’un formulaire d’avis d’appel à la SAI indiquant en caractères gras que le délai d’appel était de 30 jours. Aucun avis d’appel n’a été déposé à la SAI dans le délai prescrit (soulignement ajouté). Comme on le verra, l’avocat susmentionné n’a pas envoyé les formulaires à son client.
[14] En novembre 2010, le demandeur a été signalé à l’ASFC pour sa condamnation pour agression sexuelle en octobre 2010, mais aucun renvoi pour une procédure d’admissibilité n’a été fait puisqu’il faisait déjà l’objet d’une mesure de renvoi.
[15] Le 4 mai 2011, on lui a offert une évaluation des risques avant renvoi, qui a été rejetée le 14 juin 2011. Aucune demande d’autorisation n’a été présentée.
[16] En mai 2011, le demandeur a retenu les services de son avocat actuel pour ses affaires d’immigration (l’avocat en matière d’immigration). Le 27 mai 2011, son avocat en matière d’immigration a envoyé une lettre à l’ASFC pour demander le report de son renvoi indiquant qu’il présentait une demande à la SAI « pour rouvrir le dossier d’appel du renvoi de M. Ledda relativement à la condamnation de 2005 parce qu’il a été mal représenté, ce qui a causé un préjudice ou une erreur judiciaire ». Il a joint une copie de la demande de réouverture de dossier. [Non souligné dans l’original] Il a demandé un report de la mesure de renvoi jusqu’à ce que l’on ait obtenu le résultat de la demande auprès de la SAI.
[17] Le 2 juin 2011, la SAI a reçu, au nom du demandeur, la demande de réouverture de la mesure de renvoi en vertu de l’article 71 de la LIPR en raison d’un manquement au principe de justice naturelle. Cette demande de réouverture indiquait que M. Ledda avait le droit d’interjeter appel en vertu du paragraphe 63 (3) de la LIPR. L’avocat du demandeur a soutenu que les raisons pour lesquelles la SAI devrait exercer son pouvoir de rouvrir le dossier étaient énoncées dans la déclaration solennelle ci-jointe du conseiller juridique en droit pénal de M. Ledda, qui a admis franchement qu’il n’avait jamais pratiqué dans le domaine du droit de l’immigration, qu’il n’avait aucune connaissance de ce domaine ni des procédures qui s’y rattachent. L’avocat en matière d’immigration a mentionné que l’avocat en droit criminel de M. Ledda tentait de négocier une peine moindre pour l’accusation de voies de fait portée contre M. Ledda en 2007 et, dans le cadre de cette négociation, il a suggéré au demandeur que s’il ne faisait rien pour s’opposer à ses procédures d’immigration, il risquait de recevoir une peine moindre ou d’éviter la prison. L’avocat en matière d’immigration a noté que M. Ledda « avait très peur d’aller en prison et a dit aux autorités de l’immigration qu’il paierait son billet de retour aux Philippines et qu’il partirait dès que possible ». [Non souligné dans l’original] Il a fait remarquer que l’avocat de droit pénal avait reçu le formulaire d’avis d’appel à la SAI du tribunal de la SI, mais qu’il ne l’avait pas transmis au demandeur. Son avocat en droit pénal a admis qu’il n’avait pas d’expérience en immigration et qu’il n’avait jamais conseillé au demandeur de consulter un avocat spécialisé en droit de l’immigration. Dans sa déclaration solennelle, il a également admis qu’il n’avait pas lui-même consulté un avocat en droit de l’immigration pour conseiller son client et qu’il n’avait pas fait de recherches de son côté sur les appels pouvant être interjetés devant la SAI. Il a admis n’avoir jamais interjeté appel devant la SAI au nom de M. Ledda.
[18] Le 10 juin 2011, la SAI a reçu l’avis d’appel du demandeur déposé par son avocat en matière d’immigration.
[19] Le 15 juin 2011, la SAI a écrit à l’avocat du demandeur, l’objet de la missive étant « Roben Corpuz Ledda; Demande de prorogation du délai pour interjeter appel d’une mesure de renvoi » Le premier paragraphe de cette lettre se lit comme suit :
Nous accusons réception de votre demande datée du 27 mai 2011, reçue le 2 juin 2011 par messager et le 9 juin 2011 par télécopieur. Nous accusons réception en date du 10 juin 2011 de l’avis d’appel signé le 10 juin 2011. Nous traiterons votre demande datée du 27 mai 2011 comme une « Demande de prorogation du délai pour interjeter appel d’une mesure de renvoi ».
[Non souligné dans l’original]
III. Décision de la SAI
[20] Dans sa décision du 5 août 2010, un membre de la SAI a écrit ce qui suit : [traduction]
[20]
Roben Corpuz LEDDA (le demandeur) demande une prorogation de délai pour déposer son avis d’appel dans cette affaire ou, à titre subsidiaire, demande la réouverture de l’appel. La demande appropriée est une prorogation de délai, car aucun appel n’a été retiré, ni déclaré abandonné ni rejeté, de sorte qu’une demande de réouverture n’est pas nécessaire.
[...]
L’avis d’appel du demandeur a été reçu par la SAI le 10 juin 2011, bien que la demande de « réouverture » ait été reçue le 2 juin 2011. J’ai considéré que cette demande et les autres observations des avocats constituaient une demande de prorogation du délai et que, dans les faits, il s’est écoulé environ 11 mois entre la décision de la SI et la tentative d’interjeter appel.
[Non souligné dans l’original]
[21] La SAI a rejeté la requête du demandeur au motif que [traduction] « le demandeur n’a pas démontré que les intérêts de la justice exigent qu’on lui donne la possibilité de poursuivre son appel ». Elle a refusé de proroger le délai d’appel.
[22] La SAI a fait observer que la demande de prorogation de délai était fondée sur des allégations selon lesquelles l’ancien avocat était incompétent pour représenter le demandeur et que cela l’avait privé du droit à la justice naturelle, en invoquant la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. G. D. B., 2000 CSC 22, [2000] 1 RCS 520. Elle a cité les paragraphes 26 à 28 des motifs de jugement du juge Major au nom de la Cour suprême rendu à l’unanimité. Je cite le paragraphe 29 de cette décision :
Le recours à une allégation de représentation non effective est expliqué dans Strickland v. Washington, 466 U. S. 668 (1984), par le juge O’Connor. Les motifs comprennent une composante performance et une composante préjudice. Pour qu’un appel soit accueilli, il faut d’abord établir que les actes ou omissions de l’avocat constituent une incompétence et, ensuite, qu’il en résulte une erreur judiciaire.
L’incompétence est appréciée au moyen de la norme du caractère raisonnable. Le point de départ de l’analyse est la forte présomption que la conduite de l’avocat se situe à l’intérieur du large éventail de l’assistance professionnelle raisonnable. Il incombe au demandeur de démontrer que les actes ou omissions reprochés à l’avocat ne découlaient pas de l’exercice d’un jugement professionnel raisonnable. La sagesse rétrospective n’a pas sa place dans cette appréciation.
Les erreurs judiciaires peuvent prendre plusieurs formes dans ce contexte. Dans certains cas, le travail de l’avocat peut avoir compromis l’équité procédurale, alors que dans d’autres, c’est la fiabilité de l’issue du procès qui peut avoir été compromise.
Dans les cas où il est clair qu’aucun préjudice n’a été causé, il n’est généralement pas souhaitable que les cours d’appel s’arrêtent à l’examen du travail de l’avocat. L’objet d’une allégation de représentation non effective n’est pas d’attribuer une note au travail ou à la conduite professionnelle de l’avocat. Ce dernier aspect est laissé à l’appréciation de l’organisme d’autoréglementation de la profession. S’il convient de trancher une question de représentation non effective pour cause d’absence de préjudice, c’est ce qu’il faut faire (Strickland, précité, au paragraphe 697).
[Non souligné dans l’original]
[23] La SAI a ensuite écrit ce qui suit au paragraphe 5 des motifs de sa décision : [traduction]
La raison pour laquelle je suis allé à la citation originale [des motifs de jugement dans l’arrêt R. c. G.D.B.] est due à l’utilisation par l’avocat du demandeur, dans ses observations, du terme « ou » disjonctif, alors que l’arrêt G. D. B. utilise le « et » conjonctif. En l’espèce, cette distinction est importante parce que, en examinant la litanie des allégations d’incompétence, qui ne sont pas contestées par le ministre et qui sont appuyées par une déclaration solennelle de l’ancien avocat du demandeur, je ne doute pas que le demandeur a démontré, selon la prépondérance des probabilités, que son ancien avocat ait fait preuve d’incompétence. Si la situation actuelle du demandeur était attribuable à cette incompétence et qu’il était une victime innocente de cette incompétence, le critère de préjudice serait certainement satisfait et on pourrait probablement conclure à une erreur judiciaire. Je remarque toutefois qu’il doit y avoir à la fois une incompétence de l’avocat causant un préjudice ainsi qu’une erreur judiciaire.
[Soulignement ajouté et notes non incluses]
[24] Après avoir examiné la preuve et, en particulier, l’affidavit de M. Ledda dans lequel il mentionne l’avis de son ancien avocat, selon lequel : [traduction]
(...) il devrait se conformer à ce que les autorités de l’immigration m’ont demandé de faire et ne pas s’opposer à mon renvoi du Canada après la condamnation de 2005 dans l’espoir d’éviter la prison pour les accusations de 2007. « J’avais très peur d’aller en prison et j’ai écouté mon avocat. » [Non souligné dans l’original]
[25] M. Ledda a également déclaré dans son affidavit que le 10 mai 2010 : [traduction]
J’ai dit aux autorités de l’immigration que je paierais mon propre billet pour les Philippines et que je quitterais le Canada le plus tôt possible. J’ai cru, en me basant sur les conseils... que si j’acceptais d’être renvoyé du Canada le plus tôt possible, je n’aurais pas à aller en prison pour les accusations de 2007.
[Non souligné dans l’original]
[26] La SAI a ensuite écrit : [traduction]
Ainsi, le demandeur, en consultation avec son avocat, a mis en œuvre une stratégie visant à alléger la peine relativement à l’infraction de 2007 (les documents ne semblent pas révéler ce pour quoi cette condamnation a été prononcée); il était prêt à abandonner ses droits d’appel, à quitter le Canada « dès que possible » et à payer lui-même son voyage. Dans ce contexte, l’incompétence présumée de l’avocat qui aurait omis de faire valoir les droits d’appel du demandeur dans la SAI ressemble davantage à une stratégie qui aurait pu réduire sa peine qu’à de l’incompétence.
[Non souligné dans l’original]
[27] La SAI a ensuite examiné la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Grewal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 2 CF 263 quant aux facteurs à prendre en compte lors d’une prorogation du délai pour déposer une demande de contrôle judiciaire, qu’elle a résumée pour inclure : [traduction]
s’il existe une explication satisfaisante du fait que le demandeur n’a pas présenté sa demande dans le délai prescrit;
si le demandeur avait l’intention, dans les délais impartis, de présenter la demande et s’il avait cette intention de façon continue par la suite;
s’il y a eu abandon de cette intention de la part du demandeur ou si le demandeur n’a pas fait preuve de la diligence raisonnable à laquelle on pouvait raisonnablement s’attendre de sa part pour poursuivre son intention, ce qui réduirait les chances d’obtenir une telle prorogation;
si le défendeur subirait un préjudice si la prorogation était accordée;
si le demandeur a un argument défendable pour annuler la décision en question.
[9] Les facteurs susmentionnés ne sont pas exhaustifs et tous les facteurs ne sont pas nécessaires pour qu’une prorogation soit accordée, et l’existence ou l’absence d’un facteur peut être pondérée en fonction de ce qui convient dans toutes les circonstances.
[28] Le commissaire de la SAI a conclu qu’il ne trouvait pas satisfaisante l’explication de M. Ledda au sujet du retard dans le dépôt de l’appel. De son point de vue, le retard était dû à la négociation d’une peine moins lourde; il a été suivi d’une stratégie consistant à accepter de retourner dans son pays d’origine pour éviter l’emprisonnement ou réduire la durée de celle-ci. En résumé, le fait que M. Ledda n’ait pas déposé son appel dans les délais voulus était dû au choix qu’il a fait plutôt qu’à l’incompétence de son avocat. De plus, il n’a pas démontré son intention d’interjeter appel dans les délais impartis. Il a conclu que M. Ledda avait manifestement omis de faire valoir ses droits d’appel avec diligence et qu’il les avait sans doute abandonnés dans le cadre de sa stratégie liée à sa condamnation criminelle.
[29] La SAI a toutefois constaté que :
(1) puisqu’il avait un enfant né au Canada et une famille au Canada, « il a un argument défendable en faveur de l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’ordre humanitaire de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi selon certaines modalités et conditions »;
(2) le ministre n’a pas prétendu qu’il subirait un préjudice si la prorogation était accordée.
[Non souligné dans l’original]
[30] Le commissaire de la SAI a conclu son analyse en déclarant ce qui suit : [traduction]
Dans cette affaire, le demandeur n’a pas démontré que les intérêts de la justice exigent qu’on lui donne la possibilité de poursuivre l’appel; la demande de prorogation du délai pour interjeter appel est rejetée.
AVIS DE DÉCISION
La demande du demandeur datée du 1er juin 2011 demandant une prolongation de délai pour déposer son avis d’appel est rejetée.
[Non souligné dans l’original]
IV. Analyse
[31] Le critère tripartite pour surseoir à l’instance est bien connu. Je suis également d’avis que le demandeur a démontré l’existence d’une question sérieuse à trancher. La question sérieuse consiste à trancher si le commissaire de la SAI a dûment tenu compte des facteurs pertinents dans la demande de prorogation du délai d’appel en faveur du demandeur lorsqu’il a conclu que l’ancien avocat du demandeur était incompétent, en particulier parce qu’il n’a pas déposé d’avis d’appel de la décision de la SI de rendre une mesure de renvoi contre son client, et en concluant que le demandeur avait un argument défendable en faveur d’une suspension discrétionnaire des procédures assortie de conditions.
[32] Je suis d’accord avec l’avocat du demandeur lorsqu’il affirme que la compétence de la SAI n’a pas encore été engagée, étant donné que le commissaire de la SAI a refusé de prolonger le délai pour que son client puisse solliciter la compétence discrétionnaire de la SAI, en lui refusant le délai nécessaire pour déposer un avis d’appel de la décision de la SI. Le renvoi du demandeur avant l’octroi de l’autorisation, et si cette autorisation est accordée jusqu’à ce que la demande de contrôle judiciaire soit jugée, entraînerait la perte de la compétence de la SAI en vertu de l’article 71 de la LIPR.
[33] Bref, il n’y a actuellement aucun appel interjeté par le demandeur devant la SAI. Aucune des affaires citées par l’avocat du défendeur ne porte sur les éléments factuels précis de la présente affaire. La décision du juge Blanchard dans l’affaire Rumpler c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1485, [2007] 3 FCR 702 (Rumpler 2006) n’ a pas porté sur l’article 71 de la LIPR et la question du caractère théorique n’a pas été tranchée (voir les paragraphes 12 et 13), et le juge Pinard a fait valoir au paragraphe 13 de l’arrêt Rumpler 2008 que la SAI n’avait pas maintenu sa compétence malgré le fait qu’il avait quitté le Canada et qu’il avait exécuté la mesure de renvoi avant de déposer un avis d’appel.
[34] Dans les circonstances, la prépondérance des inconvénients joue en faveur du ministre.
ORDONNANCE
CETTE COUR ORDONNE qu’un sursis de renvoi soit accordé au demandeur jusqu’à ce que l’on tranche sur la demande d’autorisation et, le cas échéant, jusqu’à ce que la demande de contrôle judiciaire soit entendue.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-5582-11
INTITULÉ : ROBEN CORPUZ LEDDA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Ottawa (par téléconférence)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 13 octobre 2011
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : Le juge LEMIEUX
DATE DES MOTIFS : Le 4 janvier 2012
COMPARUTIONS :
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Rick Garvin
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Stewart Sharma Harsanyi, Calgary (Alberta)
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Myles J. Kirvan
Sous-procureur général du Canada
Edmonton (Alberta)
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POUR LE DÉFENDEUR
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