Dossier : IMM-2928-11
Référence : 2012 CF 16
[traduction française certifiée, non révisée]
Ottawa (Ontario), le 5 janvier 2012
En présence de monsieur le juge Near
ENTRE :
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 25 mars 2011 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). La Commission a refusé au demandeur la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger en application de la section Fb) de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] RT Can no 6 (la Convention relative au statut des réfugiés) et de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la LIPR), pour avoir commis un crime grave de droit commun aux États-Unis.
[2] Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.
I. Les faits
[3] Le demandeur, Spartak Radi, est un citoyen albanais. En 2007, il a présenté une demande d’asile au Canada en alléguant une crainte de persécution liée à une vendetta impliquant sa famille. Il avait précédemment tenté d’obtenir le droit d’asile aux États-Unis mais sa demande a été refusée.
[4] Le nom du demandeur apparaît sur une liste de fugitifs recherchés par les autorités américaines. Il a été arrêté et accusé de plusieurs infractions, notamment de violence conjugale, d’inconduite et d’actes de violence.
[5] Plus précisément, le demandeur a été accusé de voies de fait contre sa conjointe 28 septembre 2006 ou vers cette date. La victime a décrit sa relation avec lui comme [traduction] « violente autrefois » et a laissé entendre qu’il était [traduction] « quelqu’un d’extrêmement “violent” ».
[6] Le 16 octobre 2006, le demandeur a enregistré un plaidoyer de nolo contendere et a été déclaré coupable du délit mineur d’inconduite.
II. La décision sous contrôle
[7] La Commission a voulu établir s’il y avait des raisons sérieuses de penser que le demandeur avait commis un crime grave de droit commun à l’extérieur du Canada. Il a été reconnu qu’il n’avait pas contesté sa condamnation aux États-Unis pour une infraction finalement qualifiée de délit mineur. La Commission a toutefois estimé, en s’appuyant sur le rapport des policiers, qu’il aurait pu être accusé et possiblement déclaré coupable de voies de fait ayant causé des lésions corporelles à sa conjointe de fait au Canada.
[8] Le comportement violent qu’il a eu par la suite à l’égard de sa conjointe de fait, comme l’atteste un rapport de police, constituait des circonstances aggravantes. Les éléments de preuve additionnels soumis par le représentant du ministre au sujet de ses activités criminelles aux États-Unis le confirment.
[9] La Commission a donc conclu au paragraphe 25 de ses motifs :
À la lumière de l’ensemble de la preuve, y compris le témoignage du demandeur, et en ayant tenu compte des observations de l’avocat du demandeur, je juge, pour ma part, que le Ministre a satisfait à son fardeau et qu’il existe des raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis, à l’extérieur du Canada, un crime grave de droit commun. Je m’appuie notamment sur l’incident survenu le ou vers le 28 septembre 2006, qui, à mon avis, aurait pu donner lieu au Canada à une accusation portée contre le demandeur de s’être livré à des voies de fait infligeant des lésions corporelles à sa conjointe de fait du moment. Frapper sa conjointe comme le demandeur l’a fait lors de cet incident qui a eu pour conséquence immédiate que celle-ci a perdu au moins quatre dents, la menacer de mort, être en conséquence reconnu coupable d’une infraction et continuer, par la suite, à agir de façon violente envers la même conjointe, constituent un comportement qui n’est pas pris à la légère au Canada. Et, j’estime qu’il est légitime pour un pays d’accueil de protéger sa propre population en fermant ses frontières à un criminel jugé indésirable en raison de la gravité d’un crime de droit commun qu’il le soupçonne d’avoir commis.
III. La question en litige
[10] La présente demande soulève la question suivante :
a) La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur avait commis un crime grave de droit commun qui l’excluait de la protection accordée aux réfugiés?
IV. La norme de contrôle
[11] S’agissant de l’interprétation de la section Fb) de l’article premier et de l’article 98, la norme applicable est celle de la décision correcte. Cependant, la décision de la Commission d’exclure le demandeur pour avoir commis un crime grave de droit commun fait intervenir des questions de fait et de droit assujetties à la norme de la raisonnabilité (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c PAPD, 2011 CF 738, [2011] ACF no 926, au paragraphe 10; Ryivuze c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 134, [2007] ACF no 186, au paragraphe 15; Harb c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 39, [2003] ACF no 108, au paragraphe 14).
[12] La raisonnabilité « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » ainsi qu’« à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (voir Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).
V. Analyse
[13] La section Fb) de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés exclut en ces termes les auteurs de crimes graves de droit commun de la protection accordée aux réfugiés :
1F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :
a) Qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;
b) Qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;
c) Qu’elles se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.
[Non souligné dans l’original.]
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1F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:
(a) he has committed a crime against peace, a war crime or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes;
(b) he has committed a serious non-political crime outside the country of refuge prior to his admission to that country as a refugee;
(c) he has been guilty of acts contrary to the purposes and principles of the United Nations.
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[14] Le droit canadien reconnaît ce principe par le biais de l’article 98 de la LIPR, qui prévoit :
98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.
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98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.
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[15] L’arrêt Jayasekara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 404, [2008] ACF no 1740, précise au paragraphe 44 que l’évaluation de la gravité d’un crime au titre de la section Fb) de l’article premier « exige, […], que l’on évalue les éléments constitutifs du crime, le mode de poursuite, la peine prévue, les faits et les circonstances atténuantes et aggravantes sous-jacentes à la déclaration de culpabilité ». La mention de ces facteurs peut réfuter toute présomption quant à la gravité de ce crime en regard du droit international ou de la législation de l’État d’accueil.
[16] Le demandeur soutient que la Commission a effectué une analyse lacunaire de ces facteurs, particulièrement en ce qui a trait aux éléments constitutifs du crime et au mode de poursuite. Le demandeur a été déclaré coupable du délit mineur d’inconduite – qui équivaut à une infraction punissable par déclaration de culpabilité par procédure sommaire au Canada – et non de voies de fait contre sa conjointe. D’après lui, le procureur n’a pas dû être convaincu que la preuve était suffisante pour donner suite à l’accusation de voies de fait contre sa conjointe, compte tenu des allégations contradictoires touchant la crédibilité. En s’appuyant sur la déclaration de la plaignante, il soutient que la Commission a conclu trop rapidement qu’il aurait pu être déclaré coupable de voies de fait ayant causé des lésions corporelles aux termes de l’article 267 du Code criminel du Canada, LRC 1985, ch C-46.
[17] Cependant, je ne puis accepter la thèse du demandeur. La Commission a examiné les facteurs mentionnés dans l’arrêt Jayasekara, précité. En tenant compte du rapport de police et de la déclaration de la plaignante, la Commission a examiné le contexte factuel entourant la condamnation. Elle était en droit de pondérer la preuve et de rejeter les allégations du demandeur selon lesquelles il n’était pas violent pour donner préséance à des détails révélateurs de son comportement à l’égard de sa conjointe de fait. Quelles que soient les conjectures du demandeur sur l’état d’esprit du procureur, il était loisible à la Commission de conclure qu’il a pu être difficile de donner suite à l’accusation initiale en raison du refus de coopérer de la plaignante.
[18] La Cour d’appel fédérale a reconnu qu’il était possible de rendre une décision fondée sur la section Fb) de l’article premier même lorsque le demandeur d’asile n’a pas été reconnu coupable (Zrig c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 178, [2003] ACF no 565). Elle précise au paragraphe 129 :
[129] [...] permet d’exclure tout autant les auteurs de crimes graves de droit commun qui cherchent à utiliser la Convention pour échapper à la justice locale, que les auteurs de crimes graves de droit commun qu’un État juge indésirable d’accueillir sur son territoire, qu’ils cherchent ou non à fuir une justice locale, qu’ils aient ou non été poursuivis pour leurs crimes, qu’ils aient ou non été reconnus coupables de ces crimes ou qu’ils aient ou non purgé la sentence qui leur aurait été imposée relativement à ces crimes.
[19] Dans la décision Pineda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 454, [2010] ACF no 538, la juge Johanne Gauthier formulait les commentaires suivants au paragraphe 25 :
[25] Cela paraît logique étant donné que les inculpations peuvent être rejetées pour diverses raisons, notamment des questions de procédure, le rejet de preuves essentielles pour des raisons procédurales ou simplement parce que l’accusé a soulevé un doute raisonnable. La Convention n’a pas adopté la norme stricte applicable aux poursuites pénales et la SPR peut fort bien estimer que les preuves présentées par le ministre, qui ne seraient peut-être pas admissibles devant une cour de justice, sont suffisantes pour donner de sérieuses raisons de penser que le demandeur a effectivement commis un crime grave.
[20] Plus récemment, le juge Russel Zinn a reconnu que cette décision pouvait reposer sur des accusations ayant débouché sur un non-lieu, quoiqu’une plus grande prudence soit alors de mise. Il a accepté l’argument selon lequel « il n’y a rien de fautif à prendre acte des accusations déposées, même lorsque telles accusations ne débouchent pas sur une déclaration de culpabilité, et en particulier même lorsque l’accusé a consenti à une transaction pénale menant à un abandon des accusations initiales » (Naranjo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1127, 2011 CarswellNat 3941, au paragraphe 15).
[21] Dans la décision Ganem c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1147, [2011] ACF no 1404, le juge Donald Rennie a déclaré au paragraphe 24 que « [n]i la déclaration de culpabilité ni le fait que la peine a été purgée ne peuvent être décisifs pour l’analyse ayant trait à l’exclusion ».
[22] Ces conclusions tendent à indiquer que la Commission jouit d’une latitude suffisante pour évaluer la preuve présentée par le ministre et déterminer si une accusation ou une condamnation particulière constituerait un crime grave de droit commun aux fins de la section Fb) de l’article premier, pour autant qu’elle examine les facteurs mentionnés dans l’arrêt Jayasekara, précité. La Commission n’est pas liée par la qualification exacte de la déclaration de culpabilité, ni même par l’existence ou l’absence d’une telle déclaration. Il doit simplement exister de « sérieuses raisons de penser » que ce type de crime a été commis.
[23] Il était aussi approprié, en fait attendu, que la Commission se rapporte au droit criminel canadien pour évaluer le crime. Dans la décision PAPD précitée, au paragraphe 12, la Cour a pris la Commission en défaut pour ne s’être pas demandé « quel serait le résultat si ces faits étaient présentés à un tribunal canadien », et avoir cherché plutôt « des dispositions pénales équivalentes à celles visant les infractions américaines ».
[24] Par conséquent, je ne puis conclure que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a examiné la gravité de l’incident sous-jacent et établi, compte tenu de la nature de l’infraction, que le demandeur aurait vraisemblablement pu être accusé et possiblement déclaré coupable de voies de fait graves au Canada, et être ainsi visé par l’exclusion pour avoir commis un crime grave de droit commun.
[25] Il serait contraire à la décision PAPD précitée, de s’en remettre à l’affirmation du demandeur voulant qu’un délit mineur équivaille à première vue à une infraction punissable par une déclaration de culpabilité par procédure sommaire au Canada. Comme elle l’a fait en l’espèce, la Commission devait considérer les faits dans le contexte canadien.
[26] De plus, l’emphase que la Commission a mise sur les circonstances aggravantes était conforme aux principes de l’arrêt Jayasekara, précité. Le fait qu’il ait maintenu son comportement violent à l’égard de sa conjointe et qu’il se soit livré à d’autres activités criminelles confirmait encore que la protection devait lui être refusée pour avoir commis un crime grave de droit commun.
[27] Le demandeur avance, en guise d’argument subsidiaire, que même si la désignation de l’infraction au Canada était correcte, sa conduite ne devrait pas être considérée comme un crime grave de droit commun. S’appuyant sur les arrêts Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, [1993] ACS no 74, et Pushpanathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 RCS 982, [1998] ACS no 46, il soutient fermement que seuls les crimes se rapportant aux droits de la personne donneraient lieu à une exclusion.
[28] Avec égards, cela est inexact. Comme l’a fait remarquer le défendeur, aucun détail n’a été fourni à l’appui de cet argument. Plus significative est la conclusion du juge Robert Décary dans la décision Zrig, précitée, au paragraphe 108, selon laquelle « les crimes que vise la section F(b) de l’article premier sont les crimes ordinaires que reconnaît le droit pénal traditionnel ». La Cour a rejeté des arguments légèrement différents voulant que les arrêts Ward ou Pushpanathan, précités, limitent la portée des crimes ayant une pertinence eu égard à l’exclusion.
VI. Conclusion
[29] La conclusion selon laquelle le crime commis par le demandeur, tel qu’évalué à la lumière de l’arrêt Jayasekara, précité, et du droit criminel canadien, lui interdisait la protection accordée aux réfugiés au titre de la section Fb) de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés et de l’article 98 de la LIPR, était raisonnable. Malgré les allégations du demandeur à l’effet contraire, la Commission était en droit de pondérer la preuve touchant les circonstances factuelles sous-jacentes.
[30] Le demandeur a proposé la question suivante à certifier :
[traduction]
Si, d’après les faits de l’affaire, une personne a été déclarée coupable d’une infraction sans gravité, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié peut-elle conclure, sur la base des mêmes faits, que celle-ci a commis un crime grave de droit commun et qu’elle est donc exclue de la protection accordée aux réfugiés au titre de la section Fb) de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés?
[31] Le défendeur s’oppose à ce que cette question soit certifiée étant donné qu’elle se rapporte aux faits de l’espèce et qu’elle n’a pas une portée générale (voir Kunkel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 347, [2009] ACF no 1700 aux paragraphes 8 à 10). Plus important encore, cette question n’est pas déterminante quant à l’issue de la demande puisque la Commission est tenue d’effectuer une analyse des facteurs pertinents de l’arrêt Jayasekara, précité.
[32] La jurisprudence que j’ai citée établit clairement que la nature des accusations ou des déclarations de culpabilité n’est pas déterminante. Il s’ensuit que la Commission peut conclure que le même ensemble de faits justifie une exclusion au titre de la section Fb) de l’article premier. Malgré la suggestion du demandeur, il n’y a pas lieu de clarifier davantage cet aspect de la disposition.
[33] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.
Traduction certifiée conforme
Linda Brisebois, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-2928-11
INTITULÉ : SPARTAK RADI c. MCI
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO
DATE DE L’AUDIENCE : LE 17 NOVEMBRE 2011
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE NEAR.
DATE DES MOTIFS : LE 5 JANVIER 2012
COMPARUTIONS :
Yehuda Levinson
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POUR LE DEMANDEUR |
Deborah Drukarsh
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Yehuda Levinson Levinson & Associates Toronto (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR |
Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada
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POUR LE DÉFENDEUR |