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Date: 20111223

Dossier : IMM-3007-11

Référence : 2011 CF 1518

Montréal (Québec), le 23 décembre 2011

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

 

ENTRE :

 

JUVÉNAL NSENGIYUMVA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 (LIPR), à l’encontre d’une décision de l’agent d’examen des risques avant renvoi (ERAR) par laquelle il rejetait la demande d’examen des risques avant renvoi du demandeur.

 

 

[2]               Le demandeur, citoyen du Rwanda et d’origine hutue, est prêtre au sein de l’Église catholique, ayant été ordonné au diocèse de Ruhengeri en août 1992 où il a travaillé comme éducateur et préfet de discipline de septembre 1993 jusqu’en juillet 1994. Il allègue les faits suivants au soutien de sa demande.

 

[3]               En juillet 1994, il s’enfuit à Goma en République démocratique du Congo (RDC) suite aux massacres de prêtres et d’évêques hutus par les forces du Front patriotique du Rwanda (FPR) dans son pays. Même en RDC, le demandeur n’était pas hors de la portée des militaires du FPR. Selon lui, il aurait été placé sur une liste de gens à tuer.

 

[4]               Le 2 août 1994, lui et 28 autres prêtres diocésains rwandais réfugiés à Goma envoient une lettre au Pape Jean-Paul II afin de le mettre au courant de la situation au Rwanda. D’après cette lettre, le FPR aurait été coupable des massacres lors du génocide, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) serait dirigé par des criminels de guerre, et les Tutsis détiendraient tous les droits au Rwanda.

 

[5]               Ne trouvant plus où se réfugier, le demandeur revient au Rwanda à l’archevêché en avril 1997, et il y reste jusqu’à son départ pour le Canada. Au cours des années 1998 et de 1999, plusieurs de ses confrères ont été tués par les forces du FPR. Son père, ses deux frères et son oncle ont également subi le même sort.

 

[6]               En juillet 1999, il devient victime d’un attentat et de menaces de mort de la part d’un lieutenant de l’armée rwandaise alors qu’il revenait à son lieu de résidence à l’évêché. Dès lors, il décide de partir pour le Canada.

 

[7]               Le demandeur arrive au Canada en septembre 1999, et dépose une demande d’asile en novembre 1999, laquelle fut rejetée par la Section du statut de réfugié (SSR). La demande d’autorisation déposée à l’encontre de cette décision fut rejetée en février 2002.

 

[8]               En août 2007, Citoyenneté et Immigration Canada émet un rapport en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR, indiquant que le demandeur est interdit de territoire étant donné qu’il a été retrouvé coupable de conduite avec facultés affaiblies.

 

[9]               Deux mois plus tard, sa demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est aussi refusée.

 

[10]           Le 31 janvier 2011, il dépose une demande d’ERAR, indiquant qu’il craint pour sa vie, sa sécurité et son intégrité physique s’il devait retourner au Rwanda pour les raisons suivantes :

a.       Les lois rwandaises sur l’idéologie du génocide et le sectarisme, édictées récemment, sont larges et floues afin de permettre au gouvernement de supprimer toute opposition au FPR. Puisqu’il est coauteur d’une lettre adressée au Pape dans laquelle il exprime son opposition au FPR, il pourrait être emprisonné ou assassiné.

 

b.      Le régime Kagamé tente de se venger de l’Église catholique et s’attaque à certains éléments qui pourraient être dérangeants. Il pourrait faire partie de ces « certains éléments ».

 

c.       Puisqu’il est membre de l’ethnie hutue, il pourrait être persécuté à son retour au Rwanda.

 

d.      Le fait que sa demande d’asile ait été rejetée, que son histoire ait fait mention d’une tentative d’assassinat à son égard, et que la SSR ait attribué une attitude négationniste face au génocide pourrait l’exposer à un emprisonnement à son retour.

 

e.       Ses déclarations contre les autorités rwandaises lors de messes et de conférences pour la communauté rwandaise à Montréal pourraient le mettre à risque à son arrivée au Rwanda.

 

[11]           Sa demande d'ERAR est rejetée la 21 avril 2011.

 

[12]           Dans sa décision, l’agent a examiné une longue liste de documents soumis par le demandeur au soutien de sa demande en rejetant plusieurs en raison de leur partialité, de la difficulté à identifier les sources de l’information qui s’y trouve, ou parce qu’ils ne servent pas à établir un lien avec la situation personnelle du demandeur.

 

[13]           Ces documents comprenaient un rapport d’expertise portant sur les lois rwandaises destinées à combattre l’idéologie du génocide, préparé par Me Evode Uwizeyimana suite à un mandat reçu par le demandeur, lequel reçut peu de poids. Selon l’agent, les conclusions de Me Uwizeyimana ne font que refléter son interprétation personnelle des lois en question et ne donnent pas d’information quant à la situation personnelle du demandeur.

 

[14]           Quant au risque lié à la lettre envoyée au Pape en 1994, l’agent a noté que la lettre a été écrite quelques semaines après la fin du génocide. Rien ne démontre que le gouvernement rwandais en connaît l’existence, ni que les autres coauteurs ont été emprisonnés ou maltraités du simple fait qu’ils ont été signataires de cette lettre. L’agent a constaté que le demandeur est retourné vivre au Rwanda entre 1997 et 1999 sans avoir eu des problèmes.

 

[15]           L’agent a reconnu que la législation rwandaise portant sur l’idéologie du génocide et le sectarisme a péché par son caractère délibérément large et imprécis et que son application a pu servir à régler des comptes sans rapport avec le génocide rwandais. La preuve démontre que des journalistes et des responsables politiques ont été visés pour « négationnisme » par les autorités en place. Toutefois, le libellé de ces lois et leur application ne permettent pas de conclure que le demandeur serait personnellement visé par les autorités.

 

[16]           L’agent s’appuie sur le US Country Report de 2010 pour rejeter les allégations du demandeur selon lesquelles ses origines hutues le mettraient à risque s’il était renvoyé au Rwanda. Même si le gouvernement rwandais tient encore des offensives contre des rebelles hutus et que plusieurs personnes soient mortes, le demandeur n’a pas démontré qu’il pourrait être considéré comme opposant, rebelle ou dissident.

 

[17]           L’agent a également conclu que le demandeur n’a pas démontré que sa demande d’asile a été portée à l’attention du gouvernement rwandais, ni qu’il aurait fait des déclarations contre le gouvernement lors de célébrations ou de conférences. Quoique le demandeur ait soumis des documents dans lesquels il est fait mention « qu’un demandeur d’asile retourné au Rwanda aurait été reconnu coupable de diffamation puisqu’il aurait fait de fausses déclarations ainsi qu’utilisé des documents falsifiés » et de « l’arrestation et la condamnation de certaines personnes appartenant au clergé », celui-ci ne démontre pas qu’il pourrait être considéré comme un opposant, rebelle ou dissident et ainsi être à risque advenant son retour.

 

[18]           La décision de l’agent d’ERAR est-elle raisonnable?

 

[19]           Essentiellement, il s’agit dans cette affaire d’une question d’appréciation de la preuve, laquelle commande une plus grande déférence de la part de la Cour.

 

[20]           Dans sa décision, qui est d’ailleurs bien détaillée et motivée, l’agent a fait mention des documents soumis par le demandeur ainsi que des motifs pour lesquels il a rejeté certains d’entre eux ou ne leur a accordé que peu de poids. L’agent a soulevé un doute quant à l’objectivité des auteurs et à l’indépendance des sources, ce qui lui était loisible de faire surtout lorsque l’information porte sur des événements intimement liés à un contexte politique.

 

[21]           Quant au rapport de Me Evode Uwizeyimana, de prime abord, il semble raisonnablement soutenir la proposition selon laquelle certaines lois rwandaises seraient utilisées pour « museler l’opposition et la critique ». L’auteur y précise que le fait de retourner le demandeur au Rwanda serait une décision à haut risque. Or, l’agent ne lui a accordé que peu de poids en l’absence de lien entre l’information décrite au rapport et la situation personnelle du demandeur. En effet, Me Uwizeyimana ne peut témoigner des activités du demandeur ni de sa connaissance ou intérêt des autorités rwandaises envers le demandeur. Le poids à donner à cette preuve relevait entièrement de la discrétion de l’agent et ne peut en soi justifier l’intervention de la Cour.

 

[22]           Quant à la lettre adressée au Pape Jean-Paul II laquelle nie l’existence d’un génocide envers les Tutsis au Rwanda, rien ne démontre que des personnes ont pu faire l’objet de poursuites à titre de simple signataire de la lettre.

 

[23]           En résumé, une lecture de la décision de l’agent révèle qu’il a soigneusement considéré les éléments de preuve soumis par le demandeur. Il a bel et bien tenu compte du fait que le demandeur a été identifié par la SSR comme ayant une attitude négationniste envers le génocide, mais a néanmoins  conclu qu’il n’a pas démontré que la décision de la SSR aurait été portée à l’attention du gouvernement rwandais. Le seul fait que les dossiers de la Cour soient accessibles au public ne permet pas de conclure que les autorités rwandaises sont au courant de la décision, et encore moins d’une décision rendue il y a 10 ans ni qu’elles auraient un intérêt envers le demandeur.

 

[24]           Quant aux agissements sur place, le demandeur n’a également soumis aucune preuve probante pour démontrer qu’une participation à une manifestation il y a cinq ans et que des propos imprécis ou certaines déclarations qu’il aurait faites, pourraient établir un risque personnalisé advenant son retour.

 

[25]           L’agent concluait que le demandeur n’avait tout simplement soumis aucune preuve probante pour appuyer les allégations de son récit. Cette décision est raisonnable puisqu’elle appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, (2008) 1 R.C.S. 190).

 

[26]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3007-11

 

INTITULÉ :                                       JUVÉNAL NSENGIYUMVA  et   MCI ET AL.

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 21 décembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                      le 23 décembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Noël Saint-Pierre

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Daniel Latulippe

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Saint-Pierre Perron Leroux

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Myles J. Kirvan 

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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