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Date : 20111220


Dossier : T-490-07

Référence : 2011 CF 1506

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 20 décembre 2011

En présence de monsieur le juge Hughes

 

 

ENTRE :

INLINE FIBERGLASS LTD.

 

demanderesse

 

et

 

L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

défenderesse

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse, Inline Fiberglass Ltd., a déposé la présente demande de contrôle judiciaire, qui vise à faire infirmer et à renvoyer à un autre décideur de la défenderesse - l’Agence du revenu du Canada (ARC) - une décision qui lui a été communiquée par une lettre datée du 22 février 2007. Cette décision est une seconde et dernière révision de la décision prise par l’ARC le 31 mai 2006 de rejeter l’annulation, pour cause de difficultés financières, du montant d’intérêts et de pénalités imposé à Inline en rapport avec les années d’imposition 2004, 2005 et 2006. Dans cette seconde et dernière décision, l’ARC a déclaré qu’il lui était impossible d’accorder à Inline un allègement à l’égard du montant des intérêts et des pénalités qu’elle demandait.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent je rejette la demande, avec dépens.

 

[3]               Inline a de longs antécédents avec l’ARC en rapport avec l’imposition d’intérêts et de pénalités pour non-respect des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl.). En 1996 et 1997, l’ARC a refusé de renoncer à un montant d’intérêts et pénalités, mais en 2003 et 2004 elle a renoncé à un montant d’intérêts et de pénalités qu’elle avait imposé. À la suite d’examens de comptes en fiducie effectués en 2005 et en 2006, elle a imposé des pénalités pour faute lourde. L’administrateur et les représentants d’Inline ont été l’objet d’un avertissement de poursuite à la suite de l’examen mené en 2005.

 

[4]               En l’espèce, Inline sollicite la renonciation à des pénalités de 42 125,58 $ et à des intérêts de 19 236,00 $ (à l’époque où la preuve a été déposée dans la présente instance) qui se sont accumulés en rapport avec les années d’imposition 2005, 2006 et 2007. Elle a souligné à plusieurs reprises à l’ARC qu’elle avait des difficultés financières, et lui a notamment fait savoir que des hauts dirigeants avaient hypothéqué leur maison et restructuré leur salaire en vue d’aider à financer la société.

 

[5]               Selon la preuve qu’Inline a soumise à l’ARC, dans l’année se terminant le 31 janvier 2004 la société avait réalisé un bénéfice de plus de 900 000 $, dans l’année se terminant le 31 janvier 2005, un bénéfice de plus de 72 000 $ et dans l’année se terminant le 31 janvier 2006, un bénéfice de plus de 235 000 $; dans l’année se terminant le 31 janvier 2007, elle s’attendait à réaliser un bénéfice de l’ordre de 700 000 $.

 

[6]               À la suite de la demande de renonciation aux intérêts et aux pénalités d’Inline, l’ARC a transmis une première réponse par une lettre datée du 31 mai 2006 et indiquant, notamment, ce qui suit :

[Traduction] Un examen des faits liés au présent dossier ne montre pas qu’il existe une preuve concluante de difficultés financières. Nous avons donc conclu qu’il n’y a pas lieu d’annuler des frais de pénalité ou d’intérêt.

 

Vous n’êtes pas sans savoir que l’imposition de pénalités et d’intérêts a pour but d’inciter à respecter nos exigences en matière de production, de retenue et de versement. En particulier, étant donné que les montants retenus en vertu de la Loi sur la taxe d’accise, de la Loi de 2001 sur l’accise, de la Loi de l’impôt sur le revenu, du Régime de pensions du Canada et de la Loi sur l’assurance-emploi sont des fonds détenus en fiducie, les lois qui régissent l’utilisation de ces fonds sont forcément strictes.

 

[7]               Inline a demandé que l’on soumette cette décision à une seconde révision administrative, ce qui a amené un employé de l’ARC du nom de Webster à examiner le dossier et à établir un rapport. Ce dernier n’a pas été envoyé à Inline, mais, au dire de l’avocat de l’ARC, il aurait été mis à la disposition d’Inline si elle en avait fait la demande. Ce rapport indique ce qui suit :

[Traduction
Sommaire des faits :

 

Cette entreprise s’est déjà vu refuser l’annulation d’intérêts et de pénalités en octobre 1996, en mars 1997 et en novembre 2006. Elle a obtenu l’annulation d’intérêts et de pénalités totalisant 111 802 $ en septembre 2003 et 15 636,06 $ en juillet 2004. En mai 2006, la demande d’annulation d’intérêts et de pénalités pour cause de difficultés financières lui a été refusée. En août 2006, l’Agence a reçu une demande d’examen administratif. Le 11 août 2006, une lettre a été envoyée à l’entreprise en vue d’obtenir des copies de pièces justificatives et d’états financiers. Ces documents ont été transmis à l’Agence en janvier 2007.

 

Cette entreprise fabrique des produits en fibre de verre et fait l’objet de mesures de recouvrement depuis 1994. Selon son propriétaire, elle a eu une très mauvaise année en 2004, suivie de difficultés financières en 2005. D’après nos dossiers, la déclaration de revenus des sociétés pour 2004 a fait état d’un bénéfice net de 931 309 $ et d’un chiffre d’affaires de 11 196 389 $. La déclaration relative à 2005 a fait état d’un bénéfice net de 72 565 $ et d’un chiffre d’affaires de 11 496 359 $. La déclaration T2 concernant la période financière se terminant le 31 janvier 2006 n’a pas été produite, mais les états financiers que l’administrateur a déposés font état d’un bénéfice net de 235 029 $ et d’un chiffre d’affaires de 13 541 428 $. Il ressort de nos dossiers que la société a reçu un crédit au titre de la recherche et du développement de 702 287 $ en août 2004 et de 540 214,38 $ en août 2005. Il y a présentement un crédit approuvé de 723 001 $. Ce solde est actuellement détenu jusqu’à ce que le montant nécessaire pour rembourser ce compte soit transféré. En février 2006, l’hypothèque grevant le bâtiment à partir duquel la société exploite ses activités a été refinancée, pour un montant additionnel de 287 000 $. Selon la lettre, les actionnaires ont réhypothéqué leur bien et injecté les fonds dans l’entreprise. Les documents présentés montrent que ce bien est le bâtiment à partir duquel la société exploite ses activités. Même si la lettre de l’administrateur indique qu’en 2006 tous les versements ont été faits comme il le fallait, nos dossiers montrent que l’entreprise s’est vu imposer six pénalités pour défaut de versement en 2006, de même que trois pénalités pour versement tardif et une pénalité pour production tardive. Selon l’administrateur, pour 2007 la société anticipe un bénéfice de 700 000 $ et des ventes de 14,3 millions de dollars. Le compte d’entreprise et le compte de la taxe sur les produits et services indiquent tous deux un solde nul. Le dernier paiement à l’égard de cette créance a été de 20 000 $, en décembre 2006.

 

Selon les informations fournies, la demande ne répond pas aux critères des dispositions d’équité pour cause de difficultés financières. Il y a à l’heure actuelle un crédit au titre de la recherche et du développement qui est disponible, d’un montant de 723 001 $, et les fonds nécessaires pour rembourser ce compte sont transférés à partir de ce crédit. L’entreprise fait annuellement état d’un bénéfice net depuis les trois dernières années. Dix pénalités additionnelles lui ont été imposées en 2006. Elle a déjà obtenu  l’annulation d’intérêts et de pénalités en septembre 2003, d’un montant de 111 802,50 $, et d’un montant additionnel de 15 636,06 $ en juillet 2004. Rien n’indique que le paiement de cette créance causera à l’entreprise des difficultés financières. Je recommande que la demande soit rejetée.

 

[8]               Le directeur du Bureau des services fiscaux de Toronto-Ouest a examiné le dossier et c’est lui qui a rendu la décision qui fait l’objet du présent contrôle et qui a été communiquée par lettre à Inline en date du 22 février 2007. Cette lettre indique en partie ce qui suit :

[Traduction] Les dispositions d’équité permettent d’annuler ou de réduire en tout ou en partie les pénalités et les intérêts à payer. L’Agence prend en considération un certain nombre de facteurs au moment de décider s’il convient ou non d’accorder un tel allègement. Nous avons une fois de plus examiné avec soin vos observations concernant les intérêts et les pénalités imputés à votre compte au regard de ces dispositions. Après mûre réflexion, nous avons conclu qu’il n’y a aucune preuve concluante que le paiement de cette créance causera à l’entreprise des difficultés financières. Nos dossiers montrent aussi qu’en 2006, l’entreprise s’est vu imposer trois pénalités additionnelles pour paiement tardif, une pénalité pour production tardive et six pénalités pour défaut de paiement. La déclaration de l’entreprise pour l’exercice se terminant le 31 janvier 2006 n’a pas non plus été produite. Je suis donc au regret de vous annoncer qu’il nous est impossible d’accorder l’allègement que vous demandez.

 

 

[9]               À l’appui de sa demande, la demanderesse a produit l’affidavit de Michael Shurety, président d’Inline. Le défendeur a produit les affidavits de Marisetti, la personne qui a rendu la décision visée par le présent contrôle, et de Webster, la personne qui a établi le rapport précédemment mentionné, de même que l’affidavit d’Allen, assistant juridique au bureau du ministère de la Justice à Toronto. Il n’y a pas eu de contre-interrogatoire sur ces affidavits.

 

[10]           L’avocat de la demanderesse s’oppose à ce que certains passages de l’affidavit de Marisetti, notamment le paragraphe 17, soient inclus dans cette preuve. Il soutient que les informations qui y figurent sont en réalité une tentative visant à fournir des motifs additionnels et meilleurs pour la décision en litige. L’avocat de la défenderesse soutient que l’affidavit [traduction] « étoffe » plutôt qu’il ne complète les motifs mentionnés dans la décision. Les propos du juge d’appel Pelletier, dans l’arrêt Sellathurai c Canada, 2008 CAF 255, au paragraphe 46, sont pertinents : « […] un tribunal ou un décideur ne peut améliorer les motifs donnés au demandeur par le biais d’un affidavit déposé dans le cadre d’une instance en contrôle judiciaire ». Je n’accorderai aucun poids au paragraphe 17 ou aux autres éléments de l’affidavit de Marisetti qui visent à [traduction] « étoffer » la décision.

 

[11]           L’avocat de la demanderesse soulève essentiellement deux arguments au sujet de la décision en litige. Premièrement, cette dernière indique erronément que la demanderesse n’a pas produit sa déclaration pour 2006. Deuxièmement, le décideur n’a pas accordé l’importance voulue à la précarité des flux de trésorerie d’Inline. Les deux avocats conviennent que la norme de contrôle applicable est la raisonnabilité.

 

[12]           Pour ce qui est du premier argument, la déclaration pour 2006 avait été produite, avec un mois de retard cependant, à l’époque où la décision faisant l’objet du présent contrôle a été rendue. Il convient toutefois de signaler qu’il est indiqué dans cette décision que la déclaration pour 2006 [traduction] « n’a pas non plus été produite [non souligné dans l’original] ». L’emploi des mots « non plus » signifie aussi qu’il s’agit là d’un motif additionnel pour refuser de renoncer aux intérêts et aux pénalités. Le principal motif de refus est le suivant : [traduction] « […] il n’y a aucune preuve concluante que le paiement de cette créance causera à l’entreprise des difficultés financières ». C’est donc dire que même si le défaut de produire la déclaration pour 2006 est erroné, le principal motif de refus demeure intact.

 

[13]           Quant au principal argument invoqué, l’avocat de la demanderesse soutient que l’on a accordé trop peu d’importance, sinon aucune, à la précarité des flux de trésorerie d’Inline. Il s’agit là d’une question de pondération et de jugement qui incombe à l’ARC. Ainsi que l’a déclaré le juge O’Keefe, de la présente Cour, dans la décision Holmes c Canada (Procureur général), 2010 CF 809, au paragraphe 20 : « [l]es décisions en matière d’équité fiscale sont informelles et elles ne sont pas des décisions juridictionnelles ». Comme l’a également écrit tout récemment la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 17 :

 

[…] Les juges siégeant en révision doivent accorder une [traduction] « attention respectueuse » aux motifs des décideurs et se garder de substituer leurs propres opinions à celles de ces derniers quant au résultat approprié en qualifiant de fatales certaines omissions qu’ils ont relevées dans les motifs.

 

[14]           En l’espèce, le rapport transmis au décideur expose avec force détails tous les aspects de la situation financière d’Inline, y compris ses flux de trésorerie et ses antécédents en matière de pénalités et d’intérêts. La décision en litige indique que le dossier a été examiné avec soin, et cela inclut les observations qui ont été faites pour le compte d’Inline.

 

[15]           La décision en litige est raisonnable, dans les limites fixées par l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, aux paragraphes 46 à 50. En conséquence, elle est rejetée. Les parties conviennent qu’il y a lieu d’accorder à la partie ayant gain de cause - la défenderesse en l’occurrence - des dépens d’un montant global de 2 500 $.

 


JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS QUI PRÉCÈDENT :

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  la demande est rejetée;

 

2.                  des dépens d’un montant de 2 500 $ sont adjugés à la défenderesse.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-490-07

 

INTITULÉ :                                       INLINE FIBERGLASS LTD. c. AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 19 DÉCEMBRE 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 20 DÉCEMBRE 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Oscar Strawczynski

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Laurent Bartleman

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Feldman Lawyers

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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