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 Date : 20111214

Dossier : IMM-1429-11

Référence : 2011 CF 1427

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 décembre 2011

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

GABRIEL IGBINOSA

 

 

 

demandeur

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Introduction

[1]               La présente décision porte sur une demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention (Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, [1969] RT Can n6) ni une personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, 2001, ch. 27 (LIPR). Pour les motifs exposés ci‑après, la demande est accueillie.

 

Les faits

[2]               Le demandeur, un citoyen du Nigeria, a fréquenté le collège biblique Gateway à Benin City, dans l’État d’Edo, au Nigeria. Après l’obtention de son diplôme, il a travaillé comme pasteur adjoint à l’église biblique God’s Plan à Benin City, au Nigeria. On l’a d’abord chargé de mettre sur pied une église biblique God’s Plan au village d’Oleten, situé à environ 45 minutes de Benin City. À son arrivée, le demandeur a connu de grands succès dans des ses activités évangéliques et a converti plusieurs personnes au christianisme; il s’est cependant aussi attiré la colère d’autres membres de la collectivité parce que de nombreux convertis ont brûlé des idoles et divers objets traditionnels de leur ancienne religion.

 

[3]               Peu après ces conversions, des résidents du village d’Oleten ont été frappés par une épidémie. Plusieurs aînés non convertis croyaient que cela résultait des activités évangélisatrices du demandeur, de ses efforts en vue de convertir les villageois et de son arrogance envers les pratiques religieuses traditionnelles. En conséquence, ils l’auraient enlevé au milieu de la nuit, l’auraient attaché à un arbre situé dans ce que le demandeur appelle la [traduction] « forêt maléfique » et l’y auraient abandonné; ce ne serait que trois jours plus tard qu’il aurait été libéré par un autre membre de l’église.

 

[4]               Le demandeur est retourné à Benin City et s’est réfugié dans une église. Les aînés et quelques jeunes du village d’Oleten ont exigé qu’il leur soit remis, menaçant d’incendier l’église de Benin City dans le cas contraire. Le demandeur s’est donc enfui dans une autre ville du Nigeria, Kaduna, où les aînés et les jeunes du village d’Oleten l’ont retrouvé et ont encore exigé qu’il leur soit livré. Il a réussi à s’échapper de l’église de Kaduna et à se réfugier chez l’un des aînés de l’église. Ceux-ci ont finalement découvert qu’un membre de leur église informait les villageois de l’endroit où se trouvait le demandeur et ont donc proposé que le demandeur quitte le pays.

 

La question en litige

[5]               La question en litige en l’espèce consiste à savoir si la décision de la Commission est raisonnable suivant Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190. Comme le juge Binnie l’a déclaré dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59 :

La raisonnabilité constitue une norme unique qui s’adapte au contexte. L’arrêt Dunsmuir avait notamment pour objectif de libérer les cours saisies d’une demande de contrôle judiciaire de ce que l’on est venu à considérer comme une complexité et un formalisme excessifs. Lorsque la norme de la raisonnabilité s’applique, elle commande la déférence. Les cours de révision ne peuvent substituer la solution qu’elles jugent elles‑mêmes appropriée à celle qui a été retenue, mais doivent plutôt déterminer si celle‑ci fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 47). Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable.

 

 

Analyse

[6]               La conclusion de la Commission selon laquelle il n’existait pas de lien entre la persécution subie par le demandeur et un motif fondé sur la Convention contient une erreur susceptible de révision. Deuxièmement, j’estime que la conclusion relative à l’existence d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) est insoutenable à la lumière de la preuve présentée à la Commission.

 

[7]               La conclusion de la Commission sur la question de savoir si le demandeur avait été persécuté en raison des ses croyances religieuses et de sa prédication est déraisonnable étant donné les faits qu’elle a admis. La Commission a écrit :

Le demandeur d’asile allègue être persécuté du fait de ses croyances religieuses. En fait, comme il l’indique dans l’exposé circonstancié contenu dans son formulaire de renseignements personnels (FRP), à son arrivée au village d’Oleten, le demandeur d’asile a demandé et obtenu la permission des [traduction] « aînés et du chef de district d’utiliser les salles de classe le dimanche soir pour tenir des réunions de prière et étudier la Bible ». Il a aussi mené avec grand succès une croisade publique de trois jours axée sur la prière; non seulement il n’a rencontré aucun problème, mais il a pu compter sur l’acceptation de pratiquement tous les villageois d’Oleten. Ce n’est que lorsqu’une épidémie causant plusieurs morts s’est propagée dans tout le village que le demandeur d’asile a rencontré des difficultés; en effet, bon nombre de villageois le tenaient responsable de la destruction d’idoles et d’icônes traditionnelles pendant sa croisade de trois jours. Le tribunal conclut qu’il aurait été tenu responsable de l’épidémie, et ce, même si la destruction des totems de culte traditionnels n’avait pas fait partie de la croisade axée sur la prière.

 

Le fait que les objets de culte traditionnels ont été détruits pendant la tenue d’un événement religieux est accessoire à la destruction des objets. Si les objets traditionnels avaient été détruits dans le cadre d’un rassemblement politique ou social, par exemple, mené par le demandeur d’asile, et qu’une épidémie s’était ensuite répandue, le demandeur d’asile aurait quand même été tenu responsable. En bref, le demandeur d’asile a été pris pour cible parce qu’il a eu le malheur d’avoir mené sa croisade, au cours de laquelle des totems de culte traditionnels ont été détruits, juste avant qu’une épidémie sévisse dans le village.

 

 

[8]               Des conclusions non équivoques quant à l’existence d’un lien avec l’un des motifs de persécution reconnus par la Convention sont essentielles pour l’analyse de toute revendication du statut de réfugié. En l’espèce, la signification de ces deux paragraphes a fait l’objet d’un âpre débat. Je ne répéterai pas les interprétations divergentes, car elles étayent, dans le meilleur des cas, la conclusion que l’existence d’un lien n’était pas claire. L’interprétation privilégiée et la plus solide est que la Commission a conclu, sur le fondement de la preuve dont elle disposait, à l’existence d’une preuve de persécution. La Commission a ensuite écarté la conclusion, parce que, pour employer une expression familière, le demandeur se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment.

 

[9]               La décision doit être annulée étant donné que la Commission rejette, sur le fondement d’une analyse juridique erronée, la conclusion de persécution pour des motifs religieux. La Commission concède que, si les mêmes événements s’étaient produits à la suite d’un discours prononcé lors d’un « rassemblement politique ou social », la persécution aurait été établie. Au vu des faits qui ont été reconnus par la Commission, il est indifférent que la persécution ait résulté de la communication d’un message religieux plutôt que politique. Un lien avec l’un des motifs prévus dans la Convention a été établi. Comme la juge Danièle Tremblay-Lamer l’a écrit dans Nosakhare c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 772, aux paragraphes 11 et 12 :

Il ressort de cette définition qu’il doit y avoir un lien entre l’existence de persécutions et l’un des cinq motifs qu’elle énonce; l’existence de ce lien est une question de fait qui relève clairement de la compétence de la Commission et qui n’est pas sujette à contrôle judiciaire à moins d’avoir été établie d’une manière maligne ou arbitraire ou sans égards aux documents existants (voir, par exemple, Mia c. M.C.I., [2000] J.C.F. no 120). Je suis convaincue que la Commission s’est trompée dans ses conclusions de fait.

 

La preuve révèle clairement que le rapt et les coups subis par le demandeur étaient des actes perpétrés par un groupe religieux par suite des croyances religieuses du demandeur. Par conséquent, je suis convaincue que d’après le dossier soumis à la Commission, il y avait un lien entre la revendication du demandeur et l’un des cinq motifs énoncés dans la Convention.

 

 

[10]           L’analyse du lien contient une deuxième erreur, soit que la persécution est un critère à la fois objectif et subjectif. Le fait que les villageois ont injustement et erronément attribué l’épidémie à l’enseignement du demandeur n’est pas pertinent. Ce qui est pertinent au regard de l’analyse sur la persécution, c’est que les villageois croyaient que le demandeur avait été le facteur déclencheur et qu’ils imputaient leur malheur à sa personne ainsi qu’à ses croyances religieuses. À la lumière des faits reconnus, il était raisonnable de la part du demandeur de craindre les villageois et de croire qu’ils le voyaient comme le facteur déclencheur à l’origine de leur malheur.

 

[11]           La conclusion selon laquelle la Commission a commis une erreur en ne reconnaissant pas l’existence d’un lien entre la conduite de persécution et l’un des motifs prévus dans la Convention a des conséquences sur son raisonnement relativement à l’existence d’une PRI. Une définition correcte de la nature du risque doit faire partie intégrante de l’analyse de la protection de l’État et de la PRI. D’un point de vue logique, pour évaluer la viabilité d’un lieu sûr où mettre une personne à l’abri de la persécution, il faut bien comprendre ce contre quoi l’individu tente de se mettre à l’abri. Je note également la déclaration suivante de la Commission :

Le tribunal est conscient de certaines des difficultés que le pasteur pourrait connaître s’il devait retourner au Nigeria et recommencer à travailler comme pasteur. Néanmoins, le tribunal constate également que les deux fois où le demandeur d’asile a été retrouvé, c’était dans des endroits où son église était présente et, dans les deux cas, avec l’aide de membres de sa propre église. Si le demandeur d’asile déménageait dans une région où il n’y a pas d’église de sa confession ni aucune présence de cette église, il pourrait commencer à travailler dans une autre église pentecôtiste, puisqu’il est un pasteur pentecôtiste et que ce mouvement est l’une des branches du christianisme qui connaît le plus grand essor au Nigeria.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[12]           Cette conclusion ne satisfait pas au critère de la justification et de l’intelligibilité énoncé dans Dunsmuir. Il est erroné sur le plan de la logique de conclure que, en se mettant à prêcher dans une autre région dans laquelle il n’y a pas d’église, il éviterait la persécution et pourrait alors recommencer à prêcher.

 

[13]           Je me pencherai enfin sur les conclusions qui ont trait à la crédibilité. Il est bien établi que les conclusions concernant la crédibilité doivent être énoncées dans des termes clairs et précis. Les conclusions ne satisfont pas à ce critère. La Commission a déclaré qu’elle avait « quelques préoccupations » et que « le tribunal doit donc mettre en doute l’authenticité de l’ensemble du rapport de police ». Ces préoccupations sont peu de chose en comparaison avec l’acceptation par la Commission des éléments importants du témoignage du défendeur. En conséquence, il est difficile de savoir quelles conclusions, le cas échéant, peuvent être tirées de ces déclarations et quelles conséquences elles ont sur la demande d’asile.

 

[14]           Les conclusions relatives à la crédibilité doivent être claires et précises : Kaur Sadeora c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 430. En l’espèce, elles ne le sont pas et elles doivent être annulées.

 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour qu’il procède à un nouvel examen. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification et la Cour estime que l’affaire n’en soulève aucune.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                   IMM-1429-11

 

INTITULÉ :                                                  GABRIEL IGBINOSA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                            Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :                          Le 18 octobre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :
       LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 14 décembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kingsley Jesuorobo

POUR LE DEMANDEUR

 

Nicole Paduraru

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Kingsley I. Jesuorobo
Avocat
North York (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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