[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 13 décembre 2011
En présence de monsieur le juge Lemieux
ENTRE :
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JEAN CHRÉTIEN
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L’HONORABLE JOHN H. GOMERY, EN SA QUALITÉ D’EX‑COMMISSAIRE DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE SUR LE PROGRAMME DE COMMANDITES ET LES ACTIVITÉS PUBLICITAIRES
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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MOTIFS DE L’ADJUDICATION DES DÉPENS ET ORDONNANCE
I. Introduction
[1] Dans la présente requête en adjudication de dépens, le très honorable Jean Chrétien (M. Chrétien) réclame une somme globale au titre des honoraires et des débours qu’il a engagés relativement à la demande de contrôle judiciaire dans laquelle il a eu gain de cause et par laquelle, le 26 juin 2008, le juge Teitelbaum a infirmé, avec dépens, les conclusions que le commissaire Gomery avait tirées à son sujet et qui figurent dans la phase I du Rapport découlant de l’Enquête publique sur le programme de commandites et les activités publicitaires (la Commission d’enquête). La requête en adjudication de dépens de M. Chrétien a été ajournée par le juge Teitelbaum jusqu’à ce que la Cour d’appel fédérale statue sur l’appel du procureur général du Canada de la décision du juge Teitelbaum concernant la demande de contrôle judiciaire de M. Chrétien. Le 26 octobre 2010, la Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel, avec dépens en faveur de M. Chrétien. Le 4 août 2011, le demandeur a déposé un dossier de requête supplémentaire, et les avocats des défendeurs ont fait savoir à la Cour qu’ils n’avaient pas l’intention d’y répondre.
II. La requête en adjudication de dépens de M. Chrétien
[2] Monsieur Chrétien réclame une somme globale de 300 000 $ au titre des honoraires et des débours. Ce montant est étayé par l’affidavit de Me Nadia Effendi, avocate au sein du bureau d’Ottawa du cabinet d’avocats de M. Chrétien. Celle‑ci n’a pas été contre‑interrogée.
[3] L’affidavit de Me Effendi nous indique ce qui suit :
a. Sur une base avocat‑client, pour le temps consacré à la demande de contrôle judiciaire, le total des honoraires et des débours de M. Chrétien s’élève à 399 269,29 $, aux tarifs ordinaires facturés par les professionnels chargés de la demande de M. Chrétien.
b. Subsidiairement à l’adjudication d’une somme globale, M. Chrétien sollicite une ordonnance prescrivant à l’officier taxateur de taxer ses dépens à la valeur maximale de la colonne V du tarif des frais et des débours prévu dans les Règles des cours fédérales (DORS/98‑106) (le tarif), soit un montant total de 137 190,65 $, taxes applicables comprises.
c. Subsidiairement encore, M. Chrétien sollicite une ordonnance prescrivant à l’officier taxateur de taxer les honoraires et les débours à la valeur maximale de la colonne IV du tarif, soit un montant de 113 569,13 $, taxes applicables comprises.
d. Subsidiairement encore, M. Chrétien demande que les honoraires et débours soient taxés selon la colonne III du tarif ce qui, selon sa valeur maximale, permettrait d’arriver à un montant de 88 442,45 $, taxes applicables comprises.
[4] L’avocat de M. Chrétien fait valoir qu’il est juste et équitable que la Cour fixe les dépens à un montant supérieur à ceux que prévoit le tarif. S’appuyant sur les facteurs énoncés à l’article 400 des Règles, lesquels doivent être pris en compte au moment d’adjuger les dépens, l’avocat de M. Chrétien souligne ce qui suit :
• L’issue de la demande de contrôle judiciaire a été importante. Le juge Teitelbaum a annulé les conclusions de fait que le commissaire Gomery avait tirées à l’encontre de M. Chrétien, réparant ainsi le préjudice causé à la réputation de ce dernier. Le juge Teitelbaum a conclu que le commissaire avait préjugé de diverses questions, qu’il n’avait pas été impartial à l’endroit de M. Chrétien et qu’il avait tenu à son égard des propos désobligeants qui avaient terni sa réputation et sa personne, et y avait porté atteinte.
• Les questions étaient importantes aux yeux de M. Chrétien, car son héritage politique était en jeu. Les questions étaient également complexes sur le plan des faits, et les documents étaient volumineux (280 000 pages dans le dossier conjoint de demande).
• La quantité de travail a été extraordinaire : les avocats, exclusion faite des parajuristes et des étudiants, ont travaillé 1 707 heures.
• Il était dans l’intérêt du public d’instruire le contrôle judiciaire. Celui‑ci concernait la conduite appropriée de la Commission d’enquête.
III. Les observations des défendeurs
[5] L’avocat du procureur général du Canada et l’avocat de la Commission d’enquête ont présenté des observations parce qu’ils s’opposaient aux montants réclamés au titre des dépens. Le procureur général du Canada ne s’est pas opposé à ce que la Cour adjuge une somme globale.
[6] En résumé, les défendeurs ont fait valoir que M. Chrétien demandait essentiellement à la Cour de lui adjuger des dépens sur une base avocat‑client, soulignant que puisque la somme de 300 000 $ demandée est fondée sur ses propres calculs, elle [traduction] « dépasse nettement le montant maximal de 114 744,72 $ que prévoit la colonne V – la plus élevée – du tarif ». D’après les facteurs qui régissent une telle adjudication, M. Chrétien n’a pas droit à des dépens avocat‑client.
[7] L’avocat du procureur général du Canada a fait valoir que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour adjuger à M. Chrétien une somme globale qui soit conforme à la fourchette supérieure de la colonne III du tarif, y compris des honoraires pour la présence d’un second avocat, mais avec les réserves suivantes : 1) Aucun crédit ne devrait être accordé pour les heures de présence à la Cour que les avocats de M. Chrétien ont consacrées à titre d’observateurs dans l’instance relative à M. Jean Pelletier parce qu’aucun avantage n’a découlé de cette présence; en fait, l’audience relative à la demande de M. Chrétien a été plus longue que celle concernant la demande de M. Pelletier. La réduction demandée s’appliquait à six (6) jours de présence et à quarante heures pour les articles 14A et B. 2) Étant donné qu’aucune preuve n’a été produite à l’égard des débours, il faudrait renvoyer cette question à l’officier taxateur.
[8] Il s’ensuit que l’avocat du procureur général a sollicité une ordonnance pour que soit adjugée à M. Chrétien la somme de 36 205,20 $ au titre des honoraires, exclusion faite des débours à taxer, mais inclusion faite des taxes applicables.
[9] L’avocat du procureur général du Canada a cité le passage suivant, tiré de l’arrêt Sherman c Canada (Ministre du Revenu national), 2004 CAF 29, de la Cour d’appel fédérale pour affirmer que l’objet des règles relatives aux dépens n’est pas de rembourser la totalité des dépenses et des débours qu’une partie a engagés dans le cadre d’un litige, mais plutôt d’assurer une compensation partielle :
L’objet des règles relatives aux dépens n’est pas de rembourser toutes les dépenses et les débours engagés par une partie dans la poursuite d’un litige, mais bien d’assurer une compensation partielle. Les dépens adjugés sont, en principe, les dépens partie‑partie. À moins que la Cour n’en ordonne autrement, la Règle 407 exige qu’ils soient évalués selon la colonne III du tableau du tarif B. Comme la Cour fédérale l’a dit de façon fort à propos dans Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd. (1998), 159 F.T.R. 233, le tarif B représente un compromis entre l’indemnisation de la partie qui a obtenu gain de cause et l’imposition d’une charge excessive à la partie déboutée.
[Non souligné dans l’original]
[10] Les observations de l’avocat du commissaire Gomery ont été semblables à celles du procureur général du Canada, sauf qu’il s’opposait à l’adjudication d’une somme globale et a demandé à la Cour d’ordonner que les dépens soient taxés conformément à la colonne III du tarif.
IV. La réponse et les observations supplémentaires de M. Chrétien
[11] Voici les détails de la réponse de l’avocat de M. Chrétien :
1. Il a répondu à une allégation, formulée dans la réponse du procureur général, selon laquelle M. Chrétien avait reçu du gouvernement du Canada des fonds pour payer les honoraires relatifs à sa demande de contrôle judiciaire. Les documents fournis dans le cadre de la réponse montraient à la Cour que M. Chrétien avait bien reçu des fonds, mais que ceux‑ci étaient liés à une instance datant de 2005 dans laquelle était contestée la décision du commissaire Gomery de ne pas se récuser. Or, M. Chrétien s’est désisté dans cette affaire. Ces honoraires n’avaient donc rien à voir avec la demande de contrôle judiciaire dont il est question en l’espèce, et pour laquelle M. Chrétien n’a reçu aucuns fonds du gouvernement du Canada.
2. La question des débours appropriés ne devrait pas être renvoyée à l’officier pour taxation. Dans sa réponse, l’avocat de M. Chrétien a joint l’affidavit de Betsy Spencer, qui avait établi le mémoire de dépens joint à l’affidavit de Me Effendi. Elle a déclaré que les débours inclus dans le mémoire de dépens avaient uniquement trait à la demande de contrôle judiciaire de M. Chrétien. Elle a expliqué comment fonctionnait le système informatisé de comptabilisation des dépenses du cabinet d’avocats. Elle a fourni d’autres détails au sujet d’articles précis du tarif. Elle n’a pas été contre‑interrogée.
3. Bien que M. Chrétien n’ait pas sollicité de dépens avocat‑client, il ne serait pas inapproprié de lui en adjuger, car il existe en l’espèce des circonstances spéciales : Capital Vision, Inc. c Canada (Ministre du Revenu national) [2003] ACF no 1580 (CF), Church of Jesus Christ of Latter Day Saints c King, (1998) 41 OR 3d 389 (CA), et King c Canada (Procureur Général) [2000] ACF no 1558 (CAF). L’avocat fonde ses observations sur l’objet de la demande de contrôle judiciaire de M. Chrétien, qui est de défendre sa réputation, entachée par la conduite de la Commission d’enquête. Une adjudication de dépens avocat‑client est un moyen approprié d’aider à rétablir la confiance du public envers M. Chrétien.
[12] Dans des observations supplémentaires du 4 août 2011, l’avocat de M. Chrétien a expliqué pourquoi le gouvernement du Canada avait rejeté la demande de M. Chrétien d’être indemnisé pour les frais juridiques qu’il avait engagés à titre de défendeur dans le cadre de l’appel interjeté par le procureur général contre la décision du juge Teitelbaum. Fait plus important, toutefois, l’avocat a présenté des observations concernant les montants accordés par la Cour d’appel fédérale au titre des frais et débours que M. Chrétien avait engagés en sa qualité de défendeur devant la Cour d’appel, relativement à la décision du juge Teitelbaum. J’examinerai ces observations dans le volet analytique des présents motifs.
V. L’analyse
[13] S’exprimant au nom de ses collègues, qui ont rejeté, avec dépens en faveur de M. Chrétien, l’appel que le procureur général avait formé contre la décision du juge Teitelbaum, le juge Mainville a motivé par écrit l’adjudication de dépens en faveur de M. Chrétien au titre des honoraires et des débours engagés dans le cadre de l’opposition à l’appel du procureur général (voir Canada (Procureur général) c Chrétien, 2011 CAF 53).
[14] Devant la Cour d’appel fédérale, M. Chrétien a demandé, au titre de ses dépens et de ses débours, une somme globale fixée à 70 000 $. L’avocat du procureur général s’est dit favorable à l’octroi d’une somme globale, calculée sur la base du tarif des Règles des Cours fédérales, s’élevant à 11 282,70 $, exclusion faite des débours, mais inclusion faite des taxes applicables.
[15] Le juge Mainville a résumé les principes qui s’appliquent à l’adjudication de dépens supplémentaires, c’est‑à‑dire l’adjudication de dépens qui excèdent le montant maximal que prévoit le tarif. Voici ce qu’il a écrit aux paragraphes 3 à 9 de ses motifs d’ordonnance :
Les principes applicables à l’adjudication de dépens supplémentaires ont déjà été examinés par la Cour et peuvent se résumer comme suit :
a. L’adjudication de dépens partie‑partie est généralement déterminée en conformité avec la colonne III du tableau du tarif B et ne vise pas à indemniser une partie pour les frais juridiques qu’elle a engagés, mais représente plutôt une contribution aux frais juridiques de la partie qui a obtenu gain de cause.
b. Cependant, la Cour peut, à sa discrétion, majorer les dépens afin d’adjuger des dépens partie‑partie appropriés lorsque les circonstances le justifient.
c. Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la Cour peut tenir compte des facteurs énoncés à l’article 400 des Règles, notamment les sommes réclamées et les sommes recouvrées, l’importance et la complexité des questions en litige, la charge de travail nécessaire, la conduite d’une partie et le fait que l’intérêt public dans la résolution judiciaire de l’instance justifie une adjudication particulière des dépens.
d. De plus, les dépens supplémentaires doivent être adjugés à titre de dépens partie‑partie, étant donné qu’ils ne dédommagent pas la partie qui a obtenu gain de cause de ses dépens avocat‑client.
e. Les dépens avocat‑client ne sont accordés que dans des circonstances exceptionnelles, par exemple lorsqu’une partie a fait preuve de mauvaise foi ou d’une conduite inappropriée, répréhensible, scandaleuse ou outrageante; des raisons d’intérêt public peuvent également justifier l’adjudication de dépens sur une base avocat‑client.
f. L’adjudication des dépens n’est pas une science exacte, elle relève plutôt d’un pouvoir discrétionnaire fondé sur le discernement et le bon sens.
(Articles 400 et 407 des Règles, Consorzio del Prosciutto di Parma c. Maple Leaf Meats Inc., 2002 CAF 417, [2003] 2 C.F. 451; Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 157, 325 N.R. 134; CCH Canadian Ltée. c. Barreau du Haut‑Canada, 2004 CAF 278, 243 D.L.R. (4th) 759; Mackin c. Nouveau‑Brunswick (Ministre des Finances); Rice c. Nouveau‑Brunswick, 2002 CSC 13, [2002] 1 R.C.S. 405, au paragraphe 86.)
L’intimé justifie sa demande de dépens supplémentaires par le résultat de l’instance, l’importance des questions en litige, l’intérêt public dans la résolution judiciaire de l’instance et la conduite de l’appelant.
Le résultat de l’instance ne peut à lui seul justifier l’attribution de dépens supplémentaires. Par ailleurs, la conduite de l’appelant au regard de cet appel n’était pas répréhensible et ne justifie pas non plus la majoration des dépens.
Toutefois, je reconnais que l’importance des questions en litige à trancher dans le cadre de l’appel, ainsi que l’intérêt public à instruire l’appel, justifient la majoration des dépens. L’appel portait sur la réputation d’un ancien premier ministre du Canada et la conduite appropriée des commissions fédérales d’enquête publique. Il s’agit de questions en litige importantes et complexes d’intérêt public. Par conséquent, l’appelant se verra octroyer des dépens en plus de ceux prévus par le tarif B.
En ce qui concerne le montant des dépens, il relève d’un pouvoir discrétionnaire fondé sur les facteurs décrits ci‑haut. L’intimé demande 70 000 $, soit presque l’équivalent de ses dépens avocat‑client. Rien ne justifie en l’espèce d’adjuger des dépens sur une base avocat‑client. Pour sa part, l’appelant propose d’appliquer le tarif B pour adjuger des dépens de 11 282,70 $, somme comprenant les taxes, mais non les débours (que l’intimé estime à 4 475,91 $). Comme je l’ai déjà mentionné, l’adjudication de dépens plus élevés que les sommes prévues par le tarif B est justifiée en l’espèce, et je ne puis donc souscrire à la position de l’appelant qui limite les dépens au tarif.
Compte tenu du temps que les avocats de l’intimé ont consacré à préparer l’appel et de l’importance des questions en litige, l’adjudication de 25 000 $ en plus de tous les débours et des taxes applicables me semble appropriée en l’espèce. Bien que cette somme ne suffise pas à compenser pleinement les frais juridiques engagés par l’intimé dans le cadre du présent appel, elle constitue néanmoins une contribution importante à ces dépens tout en étant conforme aux normes acceptables pour l’adjudication de dépens partie‑partie. Elle représente un compromis entre l’indemnisation de la partie qui a gain de cause et la non‑imposition d’une charge excessive à la partie qui succombe.
Par conséquent, je suis d’avis d’adjuger à l’intimé, pour l’appel et toutes les requêtes connexes, y compris la présente requête, des dépens partie‑partie de 25 000 $, en plus des débours engagés et des taxes applicables à la présente ordonnance et aux débours. De plus, il est ordonné à l’officier taxateur de taxer les dépens en conséquence.
[Souligné dans l’original]
[16] Dans ses observations supplémentaires, l’avocat de M. Chrétien a fait remarquer que, subsidiairement au paiement global de 70 000 $, ce dernier avait demandé des dépens correspondant à la valeur maximale prévue à la colonne V, soit des honoraires de 9 561,50 $ et un montant de 4 475,91 $, c’est‑à‑dire un total de 14 037,41 $, et que la Cour d’appel lui avait adjugé la somme de 25 000 $ plus les débours et les taxes applicables.
[17] L’avocat signale que les dépens adjugés par la Cour d’appel fédérale équivalaient à deux fois et demie le montant maximal des honoraires qui auraient été autorisés selon la colonne V.
[18] Appliquant le raisonnement de la Cour d’appel à l’instance devant le juge Teitelbaum, l’avocat de M. Chrétien soutient que le montant calculé sur la base de la colonne V du tarif s’élève à 114 744,72 $ au titre des honoraires et que, si l’on multiplie ce montant par 2,5, le résultat serait une adjudication, au titre des honoraires, de 286 861,68 $, par opposition à l’adjudication d’une somme globale, au titre des honoraires, de 300 000 $, inclusion faite des débours demandés.
[19] Comme il a été signalé, l’avocat du procureur général a décidé, ainsi qu’il l’a indiqué dans une lettre adressée à la Cour en date du 14 octobre 2011, de ne pas répondre aux observations supplémentaires de M. Chrétien.
[20] Si j’applique le raisonnement du juge Mainville aux dépens que sollicite M. Chrétien à l’égard de la demande de contrôle judiciaire instruite devant le juge Teitelbaum, je tire les conclusions suivantes au sujet de ces dépens :
1. les dépens avocat‑client ne sont pas appropriés;
2. une majoration des dépens supérieure à la valeur que prévoient les colonnes est appropriée;
3. une adjudication de dépens partie‑partie ne vise pas à indemniser une partie pour ses frais juridiques, mais représente une contribution à l’égard de ces frais;
4. en l’espèce, il est approprié que l’adjudication d’une somme globale représente une contribution importante aux frais que M. Chrétien a engagés, tout en respectant les normes acceptables qui s’appliquent aux dépens partie‑partie, lesquels représentent un compromis entre l’indemnisation de la partie qui a gain de cause et la non‑imposition d’une charge excessive à la partie qui succombe.
[21] L’avocat de M. Chrétien a laissé entendre que si j’appliquais le facteur de 2,5 à la valeur maximale des honoraires qui peuvent être taxés selon la colonne V, le résultat s’élèverait à 286 861,68 $ au titre des honoraires, tandis que la somme globale demandée est de 300 000 $, inclusion faite des débours.
[22] Je conviens qu’un renvoi aux honoraires taxables que prévoit la colonne V du tarif est un indicateur qui permet de bien déterminer la valeur des honoraires dans le calcul de la somme globale adjugée en l’espèce, mais j’estime que l’utilisation d’un simple multiplicateur met à mal le compromis dont parle le juge Mainville.
[23] Nous savons que la somme globale de 70 000 $ que réclamait M. Chrétien (laquelle incluait les débours et les taxes) était proche du montant de ses dépens avocat‑client. Pourtant, les 25 000 $ plus les débours adjugés représentent légèrement moins que la moitié du montant total des frais qu’il a engagés.
[24] Je suis conscient que la préparation et l’audience relatives à la demande de contrôle judiciaire ont nécessité nettement plus de temps en ressources juridiques que l’appel devant la Cour d’appel fédérale. La différence est révélatrice dans les calculs effectués pour déterminer le montant des honoraires selon la colonne V (114 744 $ pour le contrôle judiciaire et un peu moins de 10 000 $ pour l’appel).
[25] Après avoir pondéré tous les des facteurs qu’a mentionnés le juge Mainville et avoir fait un rajustement approprié, notamment celui que demande le procureur général pour la présence d’un avocat à l’audience relative à la demande de Jean Pelletier, j’accorde à M. Chrétien la somme globale de 200 000 $, laquelle inclut les débours et les taxes et représente près de la moitié du montant total de la facture d’honoraires juridiques de M. Chrétien.
[26] L’avocat de M. Chrétien m’a convaincu que les débours facturés sont appropriés. Je n’accorde aucuns dépens à l’égard de la présente requête.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE qu’une somme globale de 200 000 $ soit adjugée à M. Chrétien au titre des honoraires et des débours ainsi que les taxes applicables, à payer sans délai par le procureur général du Canada.
Traduction certifiée conforme
Linda Brisebois, LL.B.