[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 12 décembre 2011
En présence de monsieur le juge Mandamin
ENTRE :
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ROY ALLISTER, JANET IANA ALFRED, ZENISHA BLADES ET ZENERTTI ALFRED
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ET DE L’IMMIGRATION
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire concernant la décision datée du 8 avril 2011 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (SPR) a conclu que les demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger.
[2] Les demandeurs sont des citoyens de Sainte-Lucie qui ont présenté des demandes d’asile sous prétexte que M. Allister avait été témoin de l’assassinat de son frère en 1994 et que sa famille et lui avaient été menacés et maltraités par le présumé assassin et ses acolytes, tant avant le procès de ce dernier ainsi qu’après sa mise en liberté à la suite de sa déclaration de culpabilité.
[3] La SPR a pris en considération à la fois l’exposé circonstancié écrit de M. Allister et son témoignage à l’audience, et elle a conclu qu’il n’était pas un témoin digne de foi. La demande de Mme Alfred, ainsi que celle des enfants, était fondée sur le fait qu’ils s’exposaient à un risque à cause du risque que courait M. Allister.
[4] À titre préliminaire, le défendeur a fait valoir que les demandeurs avaient induit la Cour en erreur en déposant un faux affidavit. Ma conclusion sur ce point est différente. Je rejette toutefois la demande de contrôle judiciaire parce que l’examen que j’ai fait de la preuve de M. Allister confirme que la conclusion de la SPR était tout à fait raisonnable. Le témoignage de M. Allister n’est pas crédible et il n’a aucune preuve documentaire digne de foi qui étaye sa crainte d’être exposé à un risque parce qu’il a été témoin de l’assassinat de son frère. Mes motifs sont exposés ci-après.
Le contexte
[5] Les demandeurs, Roy Allister, son épouse Janet Iana Alfred et leurs enfants, Zenisha Blades et Zenertti Alfred, sont tous citoyens de Sainte-Lucie.
[6] M. Allister alléguait avoir été témoin de l’assassinat de son frère en mars 1994. Il disait avoir été menacé par l’assassin et ses acolytes, tant avant qu’après le procès de ce dernier. Il disait que le domicile de sa tante avait été incendié et que l’assassin et ses acolytes avaient enlevé et agressé sexuellement Mme Alfred.
[7] Mme Alfred est arrivée au Canada le 24 mai 2004. M. Allister et Zenisha Blades sont arrivés le 25 septembre 2004, et Zenertti Alfred le 23 décembre 2007. Les demandeurs ont présenté leur demande d’asile le 7 février 2008.
La décision faisant l’objet du présent contrôle
[8] La SPR a conclu que la demande des demandeurs était dénuée d’un minimum de fondement.
[9] La SPR a pris en considération à la fois l’exposé circonstancié écrit de M. Allister et son témoignage à l’audience et elle a conclu qu’il n’était pas digne de foi. Par exemple, elle a fait remarquer que M. Allister n’avait pas inscrit le défunt comme un frère, ne connaissait pas l’année de naissance de son frère décédé, avait donné des dates différentes pour le décès dans son témoignage écrit et oral, n’avait aucun document illustrant la relation familiale, avait produit un certificat de décès contenant des informations qui contredisaient d’autres éléments de preuve et n’avait pas inclus dans sa preuve un rapport de police confirmant qu’il avait été témoin de l’assassinat. Compte tenu de ses doutes sérieux quant à la crédibilité de la preuve de M. Allister, la SPR a conclu que ce dernier n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles qui démontraient que le défunt était son frère et que lui-même et sa famille avaient été menacés et maltraités par l’assassin et ses acolytes.
Les dispositions législatives applicables
[10] La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR) dispose :
96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :
a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;
b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.
97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée : a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;
b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :
(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,
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96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,
(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or
(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.
97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally
(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or
(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if
(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,
(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country…
(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas, |
Les questions en litige
[11] La présente affaire soulève deux questions :
1) Mme Alfred a-t-elle induit la Cour en erreur?
2) La décision de la SPR était-elle raisonnable?
La norme de contrôle applicable
[12] Les constatations de fait de la SPR et ses conclusions relatives aux questions mixtes de fait et de droit doivent être évaluées selon la norme de la raisonnabilité : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190. Les conclusions que tire la SPR quant à la crédibilité ont droit à un degré élevé de retenue: Aguebor c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315 (CAF), aux paragraphes 3 et 4.
Analyse
1) Mme Alfred a-t-elle induit la Cour en erreur?
[13] Les demandeurs se sont représentés eux-mêmes au contrôle judiciaire. Mme Alfred a déposé un affidavit déclarant qu’elle craignait d’être maltraitée à Sainte-Lucie si elle y retournait parce que son époux, M. Allister, avait été témoin de l’assassinat de son frère. Elle a dit qu’à Sainte-Lucie l’assassin et ses acolytes l’avaient enlevée et agressée sexuellement. Elle a ajouté que la SPR ne lui avait pas permis de témoigner sur ce qui lui était arrivé ou sur ce qu’elle craignait dans son pays. Comme elle l’a indiqué : [traduction] « [l]e commissaire a été très grossier et agressif envers moi quand j’ai demandé à témoigner et il a dit qu’il n’avait pas besoin de m’entendre ». Dans le reste de son affidavit, Mme Alfred tente d’expliquer les contradictions relevées dans la preuve de M. Allister.
[14] À titre de question préliminaire, le défendeur soutient que les demandeurs ont induit la Cour en erreur en prétendant que la SPR n’avait pas voulu permettre à Mme Alfred de témoigner. Il a ajouté que la transcription de l’audience révèle le contraire. Il convient, soutient-il, de rejeter leur demande sans audience sur le fond et d’exiger qu’ils remboursent ses dépens, fixés toutefois à un montant modeste compte tenu de leur situation.
[15] Il ressort de la transcription de l’audience tenue devant la SPR que Mme Alfred bénéficiait des services d’un avocat et qu’on lui a donné tout le loisir d’y témoigner. La SPR a expressément dit qu’elle n’avait pas besoin d’entendre les détails relatifs à l’enlèvement et à l’agression sexuelle. Après avoir passé en revue la transcription, je déduis que la SPR a agi ainsi pour éviter à Mme Alfred d’avoir à relater des détails sur le traitement honteux et dégradant que les ravisseurs lui avaient fait subir.
[16] Le défendeur soutient que la mauvaise foi est établie parce que la transcription de l’audience contredit le témoignage de Mme Alfred, et il cite à l’appui de sa position la décision Mayorga c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1180.
[17] Je fais remarquer tout d’abord que même si la transcription littérale d’une audience prouve d’une manière fiable de ce qui a été dit, il y a lieu de faire preuve de prudence lorsqu’on étend le sens ordinaire des mots couchés sur papier à la façon dont les participants perçoivent le sens de ce qui se dit. Une transcription ne peut pas refléter le comportement ou le ton de la voix. Elle ne révèle pas aisément non plus les traits de personnalité ou de culture qui entrent en jeu. Quand des personnes interagissent, elles intègrent ces facteurs dans la compréhension qu’elles ont du sens des mots prononcés.
[18] La preuve la plus solide de Mme Alfred avait trait à l’enlèvement et à l’agression sexuelle dont elle avait été victime. Se faire dire qu’elle n’avait pas besoin de témoigner sur ces incidents a pu lui donner l’impression qu’on la privait de la possibilité de témoigner au sujet de la preuve la plus importante qu’elle avait. Il est fort possible qu’elle ait interprété les paroles de la SPR comme un refus d’entendre son témoignage.
[19] Dans Mayorga, le juge Near a conclu que la demanderesse avait déposé une fausse preuve. Les faits étaient sans équivoque : la demanderesse avait déclaré dans un affidavit qu’elle avait déposé une lettre d’emploi disant que son travail consistait à prendre soin d’enfants handicapés dans une école. Lors de l’enquête, les autorités scolaires avaient indiqué que l’école ne comptait pas d’enfants handicapés et que le directeur de cette dernière n’avait pas écrit la lettre.
[20] En l’espèce, il est possible que Mme Alfred ait cru subjectivement qu’on ne lui permettait pas de témoigner. Cette croyance n’est pas forcément incompatible avec la transcription objective des témoignages. Dans ces circonstances, je ne puis conclure que Mme Alfred a induit la Cour en erreur.
2) La décision de la SPR était-elle raisonnable?
[21] Examinons maintenant le bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire. Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Sellan, 2008 CAF 381, 76 Imm LR (3d) 6, la Cour d’appel a déclaré :
[3] À notre avis, il faut répondre à cette question de la façon suivante : lorsque la Commission tire une conclusion générale selon laquelle le demandeur manque de crédibilité, cette conclusion suffit pour rejeter la demande, à moins que le dossier ne comporte une preuve documentaire indépendante et crédible permettant d’étayer une décision favorable au demandeur. C’est au demandeur qu’il incombe de démontrer que cette preuve existe.
[Non souligné dans l’original.]
[22] À l’audience de la SPR, les demandeurs se sont fondés sur l’exposé circonstancié écrit de M. Allister et sur son témoignage oral. La demande de Mme Alfred, de même que celle de ses enfants, était fondée sur le fait qu’ils s’exposaient à un risque à cause du risque que courait M. Allister.
[23] Mon examen de la preuve de M. Allister confirme que la conclusion de la SPR est tout à fait raisonnable. Ce dernier n’a pas été digne de foi et il ne possède aucune preuve documentaire crédible à l’appui de sa prétention selon laquelle il court un risque parce qu’il a été témoin de l’assassinat d’un frère. Les explications de Mme Alfred, quelle qu’en soit l’ampleur, ne rendront pas crédible le témoignage de M. Allister. La SPR n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle en arrivant à sa conclusion.
Conclusion
[24] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
[25] Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé une question grave de portée générale à certifier, et je n’en certifie aucune.
[26] En terminant, il convient de féliciter l’avocat du défendeur. Les demandeurs se sont présentés devant le tribunal sans le mémoire et les documents connexes du défendeur, même s’ils leur avaient été personnellement signifiés. L’avocat du défendeur a pris le temps de mettre ces documents à la disposition des demandeurs, et la conduite et l’attitude qu’il a eues face à ces demandeurs non représentés ont été exemplaires.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE :
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.
Traduction certifiée conforme
Claude Leclerc, LL.B.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-3171-11
INTITULÉ DE LA CAUSE : ROY ALLISTER, JANET IANA ALFRED, ZENISHA BLADES et ZENERTTI ALFRED c LE MINSITRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 30 NOVEMBRE 2011
MOTIFS DU JUGEMENT
DATE DES MOTIFS : LE 12 DÉCEMBRE 2011
COMPARUTIONS :
Janet Alfred
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POUR LES DEMANDEURS (POUR LEUR PROPRE COMPTE)
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Brad Bechard |
POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Janet Alfred
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POUR LES DEMANDEURS (POUR LEUR PROPRE COMPTE) |
Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR
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