[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 12 décembre 2011
En présence de monsieur le juge Harrington
ENTRE :
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ET SES PRÉPOSÉS BILL THOMPSON,
ANNE KELLY ET DON HEAD
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MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] M. Spidel, détenu à l’époque pertinente à l’Établissement Ferndale, installation à sécurité minimale, a intenté une action contre Sa Majesté et ses trois préposés à l’emploi du Service correctionnel du Canada. La cause alléguée de l’action provient d’une décision du directeur de rejeter sa nomination comme candidat aux élections du comité des détenus, et de son transfert subséquent hors de Ferndale. Il réclame par conséquent des dommages-intérêts généraux, majorés et punitifs ainsi que des dommages-intérêts pour violation de la Charte.
[2] J’ai devant moi une requête au nom des défendeurs visant la radiation totale de la déclaration, ou à défaut, un rejet de l’action contre les individus désignés comme défendeurs et la radiation de la demande de dommages-intérêts majorés et punitifs.
[3] La requête est accordée en partie. L’intitulé est radié en partie et l’action contre les défendeurs Anne Kelly et Don Head est rejetée. Autrement, la requête est rejetée.
CONTEXTE
[4] Même si M. Spidel avait fait partie du comité des détenus de temps en temps à Ferndale, le directeur, Bill Thompson, a refusé de le laisser poser sa candidature en décembre 2009. Cela a mené à des griefs de deuxième et troisième paliers, et de là à la requête devant la présente Cour par voie de contrôle judiciaire. Le procureur général, en tant que défendeur, a demandé que le contrôle judiciaire soit rejeté en raison de son caractère théorique, puisque qu’entre-temps, M. Spidel avait été transféré dans une autre institution et ne pouvait plus par conséquent faire partie du comité des détenus, de toute façon.
[5] Madame la juge Mactavish n’a pas adhéré à cet argument. Même si l'affaire est théorique, elle a décidé de l’entendre quand même. Dans ses motifs, cités dans Spidel c. Canada (Procureur Général), 2011 CF 999, [2011] ACF No 1228 (QL), elle a exprimé de vives critiques. Après avoir été transféré de Ferndale, installation à sécurité minimale, à l’Établissement de Mission, installation à sécurité moyenne, M. Spidel a exercé un recours en habeas corpus devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique. Avant que cette cour ne puisse se prononcer sur le recours, le SCC a consenti à renvoyer l’intéressé dans un établissement à sécurité minimale, et une ordonnance sur consentement a été rendue. Le dossier déposé à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique était volumineux et comprenait différents affidavits, également déposés devant cette cour.
[6] Madame la juge Mactavish a déclaré ce qui suit aux paragraphes 17 et 18 :
[17] Je ne vais pas examiner en détail chacun des affidavits. Je me contente de constater que ce qui se dégage de la preuve déposée par M. Spidel est troublant. Je suis consciente que le défendeur a soumis d’autres éléments de preuve à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique pour justifier sa décision de reclasser et transférer M. Spidel, mais les affidavits qui m’ont été présentés donnent à penser que des griefs déposés par ce dernier avaient grandement irrité le directeur, lequel avait pris diverses mesures de représailles contre le détenu, dont l’abolition d’un programme de santé mentale afin de justifier son renvoi.
[…]
[19] Le psychologue ayant préparé le document sur lequel s’est appuyé le SCC pour justifier le transfèrement a souscrit deux affidavits. Il déclare avoir entendu dire que [traduction] « la direction souhaitait le départ de M. Spidel et désirait un rapport d’évaluation [...] qui lui permettrait de parvenir à cette fin ». Le psychologue affirme qu’il n’a pas produit alors un tel rapport, mais il est l’auteur de la note qui a subséquemment justifié le transfèrement de M. Spidel. Il déclare sous serment qu’on l’a trompé au sujet du prétendu comportement de M. Spidel, et qu’il a rédigé la note en question sans avoir cherché à obtenir confirmation de ce que la direction du SCC lui avait dit.
[7] Par la suite, dans sa déclaration, M. Spidel affirme que ses droits garantis par la Charte, en particulier la liberté de réunion, ont été violés et qu’il a également souffert de difficultés familiales, d’humiliation, de honte, de déshonneur, de gêne, de dégradation et de blessures à son amour-propre et à son estime de lui-même. Les motifs de l’interdiction de participer au comité des détenus étaient prétendument et malicieusement faux et trompeurs et avaient comme intention de causer des embûches correctionnelles, une perte de réputation, de la souffrance mentale et d'autres dommages, ce qu’ils ont causés.
[8] Contrairement à ce que M. Spidel affirme dans sa déclaration, madame la juge Mactavish est parvenue à sa décision sans avoir à considérer la Charte.
[9] Le motif de la requête est qu’en vertu de la Règle 221 des Règles des Cours fédérales, la déclaration devrait être radiée puisqu’elle ne révèle aucune cause d’action ou de défense valable. L’examen consiste à décider s’il est clair et évident qu’aucune cause d’action raisonnable n’est révélée (Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 RCS 959 [1990] SCJ No 93 (QL)). Les faits allégués dans la déclaration sont présumés être exacts (Operation Dismantle c. La Reine, [1985] 1 RCS 441 [1985] SCJ No 22 (QL)). À mon avis, s’ils sont fondés, il existe une possibilité réelle que la cause d’action existe, ce qui s’étend aux dommages-intérêts spéciaux.
[10] De plus, il est soutenu queles allégations du demandeur quant à des manquements à la Charte n'étaient pas étayées par de faits pertinents suffisants.
[11] L'arrêt de principe sur les manquements à la Charte est intitulé Vancouver (Ville) c. Ward, 2010 CSC 27, [2010] 2 RCS 28. Il doit être souligné que M. Ward, contrairement à M. Spidel, ne revendiquait que des dommages-intérêtspour violation de la Charte en vertu du paragraphe 24(1), qui énonce ce qui suit :
[12] Au paragraphe 20, la juge en chef McLachlin, qui parle pour la Cour, indique ceci :
Les facteurs généraux permettant de reconnaître une réparation convenable et juste au sens du par. 24(1) ont été énoncés par les juges Iacobucci et Arbour dans Doucet‑Boudreau c. Nouvelle‑Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62 (CanLII), [2003] 3 R.C.S. 3. En résumé, une réparation convenable et juste : (1) permet de défendre utilement les droits et libertés du demandeur; (2) fait appel à des moyens légitimes dans le cadre de notre démocratie constitutionnelle; (3) est une réparation judiciaire qui défend le droit en cause tout en mettant à contribution le rôle et les pouvoirs d’un tribunal; (4) est équitable pour la partie visée par l’ordonnance : Doucet‑Boudreau, par. 55‑58.
[13] Elle ajoute au paragraphe 22 que ce qui était demandé dans Ward n'était pas des dommages‑intérêts de droit privé, mais bien une réparation distincte sous forme de dommages‑intérêts en matière constitutionnelle.Une telle action est intentée contre l’État, et non contre ses représentants à titre individuel. Toutefois, les actions contre ces derniers devraient, pour leur part, être fondées sur les causes d’action existantes.
[14] Les allégations contre Anne Kelly et Don Head veulent que dans leurs positions d’autorité, ils aient nommé les décideurs aux deuxième et troisième paliers de grief. S’il existe une cause d’action contre eux, ce dont je doute, elle devrait être de nature constitutionnelle et intentée uniquement contre l’État, comme établi par Ward, mentionné ci-dessus. Cela s’applique aussi au directeur, Bill Thompson. La cause d’action alléguée découle de la décision de ne pas laisser M. Spidel se présenter aux élections, et non d’une procédure de grief.
[15] Il est beaucoup trop tôt pour déterminer comment cette affaire se développera, et à quelle étape, s’il y a lieu, M. Spidel aura peut-être à choisir entre des dommages‑intérêts de droit privé et des dommages-intérêts pour violation de la Charte.
[16] S’il existe une possibilité que le demandeur obtienne gain de cause, il ne devrait pas être « privé d'un jugement », comme dans le cas Hunt mentionné ci-dessus.
[17] Si les défendeurs restants pensent que les actes de procédure sont plutôt vagues, ils ont le droit de demander des précisions.
ORDONNANCE
POUR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL ORDONNE :
que la requête en radiation soit accordée en partie :
que la déclaration soit radiée, sans autorisation de modification, et que l’action contre les défendeurs Anne Kelly et Don Head soit rejetée.
que l’intitulé soit modifié en conséquence, pour devenir :
MICHAEL AARON SPIDEL
Demandeur
et
SA MAJESTÉ LA REINE
ET SON PRÉPOSÉ BILL THOMPSON
Défendeurs
Autrement, la requête est rejetée.
Les défendeurs restants disposent d'un délai de 30 jours pour déposer leur défense.
les dépens suivront l'issue de la cause.
« Sean Harrington »
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-1569-11
INTITULÉ : SPIDEL c. SMR ET AUTRES
REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER EXAMINÉE À VANCOUVER, COLOMBIE-BRITANNIQUE, CONFORMÉMENT À LA RÈGLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES
ET ORDONNANCE : LE JUGE HARRINGTON
DATE DES MOTIFS ET DE L’ORDONNANCE : Le 12 décembre 2011
OBSERVATIONS ÉCRITES :
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(se représentant lui-même)
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Amanda Sanghera
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POUR LES DÉFENDEURS
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
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(se représentant lui-même)
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Myles J. Kirvan
Sous-procureur général du Canada
Vancouver (Colombie-Britannique)
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POUR LES DÉFENDEURS
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