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Date : 20111205


Dossier : IMM-2939-11

Référence : 2011 CF 1415

Ottawa (Ontario), le 5 décembre 2011

En présence de madame la juge Mactavish

 

 

ENTRE :

 

AL-MUNZIR ES-SAYYID

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]           Al-Munzir Es-Sayyid sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de l’immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié qui a refusé sa demande de réexamen d’une décision de ne pas reporter le contrôle des motifs de sa détention devant avoir lieu dans les 48 heures suivant le début de celle-ci, report qui lui aurait permis d’être représenté par un avocat. Selon M. Es‑Sayyid, la décision de la Commission de tenir audience en l’absence de son avocate a entraîné pour lui une injustice.

 

[2]           Pour les motifs qui suivent, j’arrive à la conclusion que M. Es-Sayyid n’a pas été traité injustement par la Commission. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

Dispositions applicables

 

[3]           Comme cette demande intéresse le champ du pouvoir discrétionnaire conféré aux membres de la Section de l’immigration pour l’organisation des contrôles initiaux de motifs de détention, il convient de commencer par exposer la disposition applicable de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [la LIPR].

 

[4]           Les paragraphes 57(1) et (2) de la LIPR sont ainsi formulés :

57. (1) La section contrôle les motifs justifiant le maintien en détention dans les quarante-huit heures suivant le début de celle-ci, ou dans les meilleurs délais par la suite.

 

(2) Par la suite, il y a un nouveau contrôle de ces motifs au moins une fois dans les sept jours suivant le premier contrôle, puis au moins tous les trente jours suivant le contrôle précédent.

57. (1) Within 48 hours after a permanent resident or a foreign national is taken into detention, or without delay afterward, the Immigration Division must review the reasons for the continued detention.

 

(2) At least once during the seven days following the review under subsection (1), and at least once during each 30-day period following each previous review, the Immigration Division must review the reasons for the continued detention.

 

 

Contexte

 

[5]           Puisqu’il m’incombe de dire si la procédure suivie ici par la Commission atteint le niveau d’équité requis dans tous les cas, il est nécessaire de bien comprendre l’historique de cette affaire et les circonstances qui ont conduit à la décision contestée.

 

[6]           M. Es-Sayyid est Égyptien. Il est arrivé au Canada avec sa famille en 1996. Il a été reconnu en 2003 comme réfugié au sens de la Convention, mais sa demande de résidence permanente a par la suite été refusée pour raison de grande criminalité.

 

[7]           Bien qu’il n’ait que 22 ans, M. Es-Sayyid a de longs antécédents criminels, puisqu’il a été reconnu coupable, entre autres, de ce qui suit : être l’auteur d’infractions liées aux armes à feu, avoir proféré des menaces et avoir commis de multiples vols à main armée. M. Es-Sayyid a aussi été reconnu coupable de nombreux manquements à des engagements et à des ordonnances de probation. Il a été reconnu coupable la dernière fois le 15 décembre 2010, lorsqu’il a plaidé coupable de possession d’héroïne, substance qui avait été trouvée sur lui alors qu’il était incarcéré à l’établissement de Joyceville.

 

[8]           Une mesure d’expulsion a été prononcée contre M. Es-Sayyid le 13 novembre 2009. Le même jour, un mandat était décerné, qui ordonnait sa détention après sa mise en liberté. Ces documents n’ont pas été signifiés à M. Es-Sayyid ni à son avocate à cette date.

 

[9]           En juin 2010, une demande d’avis de dangerosité a été présentée à l’encontre de M. Es‑Sayyid.

 

[10]       La date de libération d’office de M. Es-Sayyid était le 15 avril 2011. Le 12 avril 2011, l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) a envoyé un cartable de documents à l’avocate de M. Es-Sayyid. Le cartable contenait 335 pages de documents. Aucune demande de contrôle des motifs de la détention n’accompagnait les documents, et aucune copie de la décision de détenir M. Es‑Sayyid n’était fournie non plus à l’avocate. Cependant, la table des matières accompagnant les documents précisait que les documents étaient [TRADUCTION] « soumis en même temps qu’une demande de contrôle des motifs de la détention ». Les documents ont été signifiés à M. Es-Sayyid personnellement deux jours plus tard.

 

[11]       Le jour de sa mise en liberté le vendredi 15 avril 2011, l’ASFC a immédiatement mis M. Es-Sayyid sous la garde des autorités de l’immigration.

 

[12]       À environ 12 h 30 le vendredi 15 avril 2011, l’avocate de M. Es-Sayyid a envoyé à la Section de l’immigration et à l’ASFC, par télécopieur, une lettre dans laquelle elle demandait si un contrôle des motifs de la détention de M. Es-Sayyid avait été prévu. Presque simultanément, elle recevait de la Commission un avis l’informant que le contrôle des motifs de la détention de M. Es-Sayyid dans le délai réglementaire de 48 heures aurait lieu à 9 heures le lundi 18 avril 2011.

 

[13]       Durant l’après-midi du 15 avril, l’avocate de M. Es-Sayyid a écrit à la Commission pour la prier de reporter l’audience au 25 avril 2011 ou à une date ultérieure, en raison du court préavis de la Commission. Le ministre s’est opposé à la requête de l’avocate. La Commission a refusé la demande de report, affirmant qu’aucune raison valable n’avait été donnée justifiant le report du contrôle des motifs de la détention et attestant le non-respect des délais indiqués dans la LIPR.

 

[14]       À ce moment-là, les bureaux de la Commission étaient fermés pour le weekend. Cependant, l’avocate de M. Es-Sayyid a écrit à la Commission, tard dans l’après-midi du 15 avril, pour la prier de reconsidérer sa décision de refuser le report demandé. Entre autres choses, l’avocate faisait observer que, selon la loi, le contrôle des motifs de la détention devait avoir lieu « dans les 48 heures “ou dans les meilleurs délais” » et que ce terme visait à assurer la protection de la personne détenue, de sorte que sa libération ne soit pas indûment retardée. L’avocate faisait valoir qu’il était également préjudiciable aux droits d’une personne détenue de l’obliger à se faire entendre sans être représentée par un avocat, ou en étant représentée par un avocat qui n’a pas eu une occasion suffisante de se préparer pour l’audience.

 

[15]       L’avocate expliquait aussi qu’il était déraisonnable de donner un avis de moins de 24 heures de la tenue de l’audience, en particulier à la fin d’une semaine ouvrable. Elle écrivait qu’elle avait des engagements antérieurs, non spécifiés, qui faisaient obstacle, vu le court préavis, à une réelle représentation de son client. Elle proposait que l’audience soit fixée au 21 avril 2011.

 

[16]       À cause d’une erreur administrative survenue dans les bureaux de l’avocate de M. Es‑Sayyid, la demande de réexamen de la décision de refuser le report d’audience n’a en fait pas été envoyée à la Commission. Une copie de la demande fut toutefois remise au représentant du ministre. Il ne semble pas que le représentant du ministre savait que la Commission n’avait pas reçu la demande de réexamen.

 

[17]       L’audience de contrôle des motifs de la détention a commencé comme prévu à 9 heures le lundi 18 avril 2011. Bien que sa demande initiale de report eût été refusée et qu’elle n’eût reçu aucune réponse à sa demande de réexamen de ce refus, l’avocate de M. Es‑Sayyid ne s’est pas présentée à l’audience ni n’a envoyé personne d’autre pour représenter M. Es-Sayyid à l’audience.

 

[18]       La Commission a commencé l’audience en demandant à M. Es-Sayyid s’il souhaitait renouveler sa demande de report et si son avocate lui avait demandé de s’exprimer à ce sujet. M. Es-Sayyid a informé la Commission que son avocate avait besoin de temps pour se préparer et qu’elle et lui seraient prêts pour l’audience dans un délai d’une semaine. Après avoir passé en revue l’historique du dossier, la Commission a indiqué que l’audience aurait lieu comme prévu.

 

[19]       Puis la Commission a expliqué soigneusement à M. Es-Sayyid l’objet de l’audience et ses conséquences. Elle lui a aussi expliqué le processus qui serait suivi au cours de l’audience et l’a informé de ses droits. D’autres précisions ont été données à M. Es-Sayyid par la Commission tout au long de l’audience.

 

[20]       Le ministre a produit une preuve au soutien du maintien de la détention de M. Es-Sayyid. La Commission a refusé certaines des preuves produites par le représentant du ministre parce que l’avocate de M. Es-Sayyid n’était pas là pour présenter des arguments sur la recevabilité des documents en cause. La Commission a alors donné à M. Es-Sayyid la possibilité de réagir, et il a fait une brève déclaration sur la possibilité d’une surveillance électronique.

 

[21]       La phase de l’audience se rapportant à la production de la preuve a alors pris fin. M. Es-Sayyid a eu la possibilité de présenter des conclusions, et il a répondu par de brefs commentaires. L’audience a alors été suspendue pour la pause-déjeuner.

 

[22]       La demande écrite de l’avocate de M. Es-Sayyid sollicitant le réexamen de la décision refusant le report de l’audience semble être venue à l’attention du président de l’audience au cours de la pause-déjeuner, juste avant qu’il ne rende sa décision sur la question de la libération de M. Es‑Sayyid.

 

[23]       Après avoir étudié la demande de réexamen présentée le 15 avril par l’avocate de M. Es-Sayyid, la Commission a refusé de reporter l’audience, faisant observer que l’avocate devait avoir connaissance depuis longtemps de la date de la libération d’office de M. Es-Sayyid. Elle avait donc eu plusieurs mois pour se préparer en vue d’une audience de contrôle et pour donner des directives à d’autres avocats au cas où elle serait indisponible durant la période immédiatement postérieure à la sortie de prison de M. Es-Sayyid. La Commission faisait aussi observer que l’avocate avait reçu le 12 avril 2011 le cartable de documents de l’ASFC, mais qu’elle n’avait pas alors cherché à savoir ce qu’il en était.

 

[24]       La Commission a aussi relevé que, d’après la loi, un contrôle initial des motifs d’une détention devait avoir lieu rapidement, afin que la personne détenue puisse se voir offrir une libération rapide. Tout en reconnaissant qu’une personne détenue a le droit d’être représentée par un avocat, la Commission écrivait que « en l’absence d’explications valables de la conseil et compte tenu des directives expresses énoncées par le législateur à l’article 57 », elle était persuadée que l’examen des motifs de la détention ne devrait pas être différé.

 

[25]       Puis la Commission concluait que M. Es-Sayyid posait un danger actuel et futur pour le public, qu’il était prêt à résister à son renvoi en Égypte et que ce n’était pas la première fois qu’il désobéissait à des ordonnances judiciaires. Elle a donc ordonné qu’il reste en détention jusqu’au contrôle suivant des motifs de sa détention, qui devait avoir lieu le 21 avril 2011.

 

La demande est-elle théorique?

 

[26]       La question n’a pas été soulevée par le défendeur, mais j’ai prié les parties d’examiner si la tenue de plusieurs contrôles des motifs de la détention de M. Es-Sayyid depuis le contrôle initial du 15 avril 2011 avait pu rendre théorique la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[27]       Les parties ne s’accordent pas sur la question de savoir si la demande est devenue théorique, mais il ne m’est pas nécessaire de trancher la question. Je crois comprendre que le défendeur admet que, même si l’affaire est théorique, il est opportun ici que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire et accepte de se prononcer sur la demande.

 

[28]       Plus précisément, le défendeur reconnaît que, dans la mesure où la demande oblige à s’interroger sur le champ du pouvoir discrétionnaire de la Commission de différer le contrôle initial des motifs d’une détention, il s’agit ici d’une situation susceptible à la fois de se répéter et d’être à nouveau soumise aux tribunaux en raison des très courts délais concernés : voir l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, [1989] R.C.S. n° 14 (Q.L.), au paragraphe 45.

 

[29]       Je suis donc d’avis qu’il est opportun pour la Cour de statuer sur cette affaire.

 

Norme de contrôle

 

[30]       Le point essentiel soulevé par cette demande est celui de savoir si, en raison du refus de la Commission de différer le contrôle des motifs de sa détention, l’équité procédurale a été refusée à M. Es-Sayyid.

 

[31]       Lorsqu’est soulevée une question d’équité procédurale, il incombe à la Cour de dire si le processus suivi par le décideur a satisfait au degré d’équité requis dans tous les cas : voir l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 43.

 

La Commission a-t-elle manqué à l’équité envers M. Es-Sayyid dans le processus qu’elle a suivi?

 

[32]       Je ne crois pas que les parties soient en désaccord sur le fait que la Commission était astreinte à une importante obligation d’équité envers M. Es-Sayyid, puisque c’est sa liberté qui était en jeu dans le processus d’examen des motifs de sa détention : voir l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, [1999] R.C.S. n° 39 (Q.L.), au paragraphe 25.

 

[33]       Par ailleurs, le droit à l’assistance d’un avocat est un important volet de la justice fondamentale, car c’est un droit qui se manifeste lorsque la liberté d’une personne, et ses droits garantis par la Charte, sont mis en cause dans le processus : arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 118.

 

[34]       Un examen des motivations exposées par la Commission pour justifier son refus d’accéder à la demande de réexamen présentée par M. Es-Sayyid confirme que la Commission savait que le paragraphe 57(1) est à l’avantage de la personne détenue puisque son objet est de lui offrir une possibilité de libération rapide. La Commission comprenait aussi l’importance du droit à l’assistance d’un avocat. Elle a apprécié les intérêts rivaux en présence en tenant compte du texte clair de la loi et de toutes les circonstances concomitantes.

 

[35]       Après avoir examiné l’affaire par moi-même, comme je suis tenue de le faire, je ne suis pas persuadée que le processus suivi par la Commission dans cette affaire a été injuste pour M. Es‑Sayyid.

 

[36]       D’abord, M. Es-Sayyid ne m’a pas persuadée que l’avis que lui a signifié la Commission était déficient, ou que son avocate n’a pas eu suffisamment de temps pour se préparer à l’audience du 18 avril 2011 portant sur le contrôle des motifs de sa détention.

 

[37]       Pour arriver à cette conclusion, je commencerais par faire observer que l’avocate de M. Es‑Sayyid a admis que son cabinet représente M. Es-Sayyid et sa famille depuis plusieurs années. Comme la Commission l’a souligné, il ne s’agissait pas là d’un cas où un nouvel avocat devait se familiariser avec le dossier.

 

[38]       Je ne crois pas non plus qu’il soit contesté que M. Es-Sayyid et son avocate devaient avoir eu connaissance de sa libération d’office plusieurs mois avant sa mise en liberté le 15 avril 2011 par le Service correctionnel du Canada.

 

[39]       Vu le casier judiciaire assez chargé de M. Es-Sayyid et son mépris confirmé pour les conditions de sa mise en liberté, il était tout à fait prévisible qu’il serait à cette date confié à la garde des autorités de l’immigration, d’autant qu’un avis de dangerosité avait été demandé à son sujet, ce qui confirmait la volonté du ministre de le faire renvoyer du Canada.

 

[40]       L’avocate devait aussi avoir connaissance des dispositions du paragraphe 57(1) de la LIPR et de l’obligation légale d’un rapide contrôle initial des motifs de la détention de son client. L’avis remis à M. Es-Sayyid dans cette affaire était d’ailleurs conforme aux prescriptions du paragraphe 57(1) de la LIPR.

 

[41]       En outre, l’avocate de M. Es-Sayyid s’est vu remettre, trois jours avant que son client ne sorte du pénitencier, les documents qui devaient être utilisés dans le processus de contrôle des motifs de la détention. Je reconnais qu’il eût été préférable que l’ASFC joigne à ces documents une lettre informant l’avocate de son intention de détenir M. Es-Sayyid à sa sortie de prison. Cependant, vu l’information contenue dans la table des matières, il est clair que, le 12 avril 2011, on ne pouvait guère douter de ce qui allait arriver à M. Es-Sayyid le 15 avril 2011.

 

[42]       Le cartable de documents sur lequel s’est appuyé le ministre dans le processus de contrôle des motifs de la détention était assez volumineux, mais il ressort de la transcription de l’audience de contrôle qu’il se composait principalement de rapports de police, de certificats de déclaration de culpabilité et de rapports d’incident du Service correctionnel du Canada. Vu le rôle manifeste du cabinet d’avocats dans le processus ayant conduit à l’avis de dangerosité, nombre de ces documents, sinon la totalité, ne devaient certainement pas être inédits. La correspondance de l’avocate datée du 15 avril 2011, non plus que l’affidavit produit au soutien de la demande, ne laissent d’ailleurs penser que l’un quelconque de ces documents était nouveau pour l’avocate.

 

[43]       La demande de réexamen présentée par l’avocate de M. Es-Sayyid fait aussi référence à certains autres engagements non spécifiés qui, disait-elle, l’empêcheraient de se préparer pour l’audience. Cependant, elle n’a pas véritablement dit qu’elle serait indisponible le matin du 18 avril 2011. En outre, l’affidavit produit au soutien de la demande de contrôle judiciaire déposée par M. Es-Sayyid ne fait pas état d’engagements précis de son avocate qui auraient empêché celle-ci de se présenter devant la Commission le matin du 18 avril 2011.

 

[44]       Dans ces conditions, je trouve curieux que l’avocate de M. Es-Sayyid ne se soit pas présentée à l’audience de contrôle ou n’ait pas envoyé quelqu’un d’autre pour représenter M. Es‑Sayyid à l’audience, vu que la première demande de report faite par l’avocate avait été refusée et qu’aucune réponse n’avait été reçue par elle après sa demande de réexamen de ce refus. Il appert d’ailleurs du dossier que l’avocate a simplement dit à M. Es-Sayyid d’informer la Commission qu’elle serait en mesure de se présenter devant elle dans un délai d’une semaine. Malheureusement, les choses ne fonctionnent pas ainsi.

 

[45]       Je ferais aussi observer que le cabinet de cette avocate compte plusieurs autres avocats qui ont une expérience considérable des dossiers d’immigration. Si l’avocate de M. Es-Sayyid pensait ne pas pouvoir se préparer pour une audience de contrôle au tout début de la semaine suivant le 15 avril 2011, alors elle aurait pu donner des directives à d’autres avocats de son cabinet après avoir reçu le 12 avril 2011 le cartable de documents.

 

[46]       Eu égard aux circonstances indiquées plus haut, M. Es-Sayyid ne m’a pas persuadée que l’avis que lui a remis la Commission était déficient ou que son avocate n’a pas eu assez de temps pour se préparer en vue de l’audience de contrôle du 18 avril 2011.

 

[47]       Je ne suis pas non plus persuadée que la décision de la Commission de tenir audience en l’absence de son avocate a rendu inéquitable l’audience d’examen de M. Es-Sayyid.

 

[48]       Un examen de la transcription de l’audience du 18 avril 2011 montre que la Commission a été sensible à la position de M. Es-Sayyid et a pris toutes les mesures raisonnables pour garantir l’équité de l’audience.

 

[49]       J’admets que M. Es-Sayyid est un jeune homme sans formation juridique. Cependant, les procédures de la Cour ne lui sont nullement étrangères.

 

[50]       M. Es-Sayyid n’a pas non plus produit, au soutien de cette demande, un affidavit attestant qu’il avait été surpris de constater que l’audience avait lieu comme prévu, ou attestant qu’il avait été empêché de quelque façon de véritablement participer au déroulement de l’audience.

 

[51]       M. Es-Sayyid avait reçu plusieurs jours avant l’audience les documents invoqués par le représentant du ministre, et il devait déjà avoir connaissance du contenu des documents, puisqu’ils se rapportaient à ses propres antécédents criminels.

 

[52]       Il convient aussi de souligner que, par la demande de report, M. Es-Sayyid avait déjà indiqué sa volonté de demeurer sous garde durant une autre semaine. La seule autre issue possible de l’audience était sa libération – un résultat plus avantageux que celui qu’il recherchait.

 

[53]       Le seul préjudice possible résultant, selon l’avocate de M. Es-Sayyid, de la décision de la Commission de tenir audience était que certaines preuves, non spécifiées, figuraient dans le dossier, sans que nul ne s’y soit opposé. Comme les contrôles ultérieurs des motifs d’une détention ne sont pas véritablement des audiences de novo, alors, d’affirmer l’avocate, l’admission de ces preuves non spécifiées entraînait selon elle une injustice permanente dont l’effet était de vicier les contrôles ultérieurs.

 

[54]       Cet argument présente deux difficultés.

 

[55]       La première est que M. Es-Sayyid n’a désigné aucune preuve particulière qui, selon lui, a été injustement ou fautivement admise lors du contrôle initial de sa détention. La transcription montre d’ailleurs que la Commission s’est montrée prudente dans l’admission des preuves et qu’elle n’était pas disposée à admettre certaines des preuves documentaires produites par le ministre tant que l’avocate de M. Es-Sayyid n’aurait pas eu la possibilité de contester leur recevabilité.

 

[56]       Deuxièmement, si l’avocate était d’avis que des preuves avaient été fautivement admises lors du contrôle initial de la détention, il lui était loisible de chercher à les faire exclure au contrôle suivant. D’ailleurs, la Cour d'appel fédérale a bien souligné, dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Thanabalasingham, 2004 CAF 4, [2004] 3 R.C.F. 572, au paragraphe 11, que les commissaires qui procèdent à des contrôles de détention peuvent, se fondant sur de nouveaux arguments, réévaluer les preuves admises lors de contrôles antérieurs, à condition de motiver clairement leur réévaluation. Je n’ai pas la preuve que c’est ce qui a été tenté au contrôle suivant de la détention de M. Es-Sayyid, ni que des difficultés ont surgi sur ce point.

 

Dispositif

 

[57]       J’accepte l’argument de M. Es-Sayyid pour qui le paragraphe 57(1) de la LIPR confère à la Commission le pouvoir discrétionnaire de procéder à des contrôles initiaux de détention en dehors de la période de 48 heures suivant immédiatement la remise de l’intéressé à la garde des autorités de l’immigration, pour autant que l’audience de contrôle ait lieu « dans les meilleurs délais ». J’accepte aussi son argument selon lequel le droit à l’assistance d’un avocat est très important dans des cas comme celui-ci et que, dans certains cas, l’équité peut requérir le report de l’audience, surtout quand l’intéressé est disposé à abandonner son droit à une audience rapide.

 

[58]       Ma décision repose sur les faits assez singuliers de la présente affaire et sur l’absence d’un préjudice démontré pour M. Es-Sayyid. Les présents motifs ne devraient pas être interprétés comme s’ils donnaient à entendre que des demandeurs devront ordinairement être en mesure de prédire qu’ils seront détenus par les autorités de l’immigration, ou de prédire la date à laquelle le contrôle de leur détention pourrait avoir lieu, dispensant ainsi la Commission de son obligation de donner un avis suffisant de la tenue de l’audience.

 

[59]       Cela dit, pour les motifs indiqués, je ne suis pas persuadée qu’il était injuste de la part de la Commission de refuser le report du contrôle de la détention de M. Es-Sayyid. La demande est donc rejetée.

 

Question à certifier

 

[60]       Le défendeur a proposé que, en fonction du raisonnement de la Cour, la question suivante soit certifiée :

Une personne concernée peut-elle unilatéralement abandonner le droit à un contrôle des motifs de sa détention en raison de l’indisponibilité de son avocat, de la brièveté du préavis, de la nature des documents communiqués ou du délai de préparation jugé trop bref?

 

L’avocate de M. Es-Sayyid reconnaît que c’est là une question digne d’être certifiée.

 

[61]       Je ne suis pas persuadée que cette question devrait être certifiée. Non seulement ne disposerait-elle pas de ce cas, qui est un cas d’espèce, mais encore il ne s’agit pas non plus d’une question grave, comme le voudrait une interprétation qui va à l’encontre du texte explicite du paragraphe 57(1) de la LIPR. J’admets que l’accès à un avocat est un facteur que doit prendre en compte la Commission quand elle décide des « meilleurs délais » à l’intérieur desquels doit avoir lieu le contrôle initial des motifs d’une détention, mais il ressort clairement des dispositions applicables que le moment de la première audience ne dépend manifestement pas de la seule volonté de la personne détenue.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

            1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée; et

 

            2.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2939-11

 

INTITULÉ :                                      AL-MUNZIR ES-SAYYID c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 29 novembre 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              La juge Mactavish

 

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 5 décembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS:

 

Barbara Jackman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Ian Hicks

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

 

Jackman et Associés

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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