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Date : 20111205


Dossier : IMM-6398-10

Référence : 2011 CF 1405

Ottawa (Ontario), le 5 décembre 2011

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

ENTRE :

 

GLEB SUHATSKI

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Aperçu

 

[1]               M. Gleb Suhatski est né en Ukraine, et, en 1994, il a déménagé en Israël avec ses parents. Il prétend qu’il a été victime de harcèlement et d’intimidation à l’école dans ce pays parce qu’il était d’origine russe et parce qu’il n’était pas juif et n’était pas circoncis. L’expérience qu’il a vécue l’a amené à adopter des opinions anti‑sionistes et c’est ainsi qu’il est devenu un objecteur de conscience et qu’il a refusé de servir dans l’armée israélienne. 

 

[2]               M. Suhatski a demandé l’asile au Canada en raison de son origine russe, de son statut d’objecteur de conscience et du fait qu’il n’est pas circoncis. Il a également prétendu que, à titre de personne bisexuelle, il était victime de discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. Sa demande était fondée sur les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch 27 [LIPR] (voir l’annexe).

 

[3]               Un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande de M. Suhatski en raison d’un manque d’éléments de preuve et de l’existence de la protection de l’État en Israël. M. Suhatski conteste les conclusions de la Commission en prétendant que celle‑ci a injustement omis de tenir compte de la preuve documentaire qu’il a soumis après son audience et, par ailleurs, parce qu’elle s’est fiée injustement à une preuve documentaire dont il ne connaissait pas l’existence. Il prétend également qu’elle a rendu une décision déraisonnable. Il me demande d’annuler la décision de la Commission et d’ordonner la tenue d’une nouvelle audience relativement à sa demande.

 

[4]               Selon moi, la Commission n’a pas traité M. Suhatski de façon inéquitable et n’a pas rendu une décision déraisonnable. La preuve documentaire que celui‑ci a fournie après l’audience n’était pas importante et il en va de même pour la preuve extrinsèque que la Commission a consultée. De plus, les conclusions que la Commission a tirées étaient étayées par la preuve et, par conséquent, étaient raisonnables. Par conséquent, je ne vois aucun motif pour infirmer la décision de la Commission et je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[5]               Il y a deux questions en litige en l’espèce :

 

            1.         La Commission a‑t‑elle traité M. Suhatski de façon inéquitable?

            2.         La décision de la Commission était-elle déraisonnable?

 

II.         La décision de la Commission

 

[6]               La Commission a examiné les allégations de M. Suhatski selon lesquelles il aurait été victime de mauvais traitements en raison de son statut d’Israélien non juif d’origine russe, de son statut d’objecteur de conscience, de son orientation sexuelle et de sa crainte de la circoncision. Elle a ensuite examiné la possibilité pour les personnes qui se trouvent dans la situation de M. Suhatski de se prévaloir de la protection de l’État en Israël.

 

            a)         Mauvais traitements à titre d’Israélien d’origine russe

 

[7]               La Commission a souligné que pour que de mauvais traitements soient considérés comme étant de la persécution, ils doivent être infligés à répétition, ou avec persistance, ou de façon systématique et les prétendus mauvais traitements doivent fondamentalement mettre en péril les droits fondamentaux de la personne du demandeur d’asile. Le harcèlement et la discrimination peuvent ne pas équivaloir à de la persécution.

 

[8]               La Commission a conclu que rien, autre que les déclarations de M. Suhatski, n’étayait ses allégations. De plus, les prétendu mauvais traitements auraient été infligés pendant que M. Suhatski fréquentait l’école primaire ou secondaire. La Commission n’était pas d’avis que ces actes équivalaient à de la persécution.

 

[9]               La Commission n’a rien trouvé dans la preuve documentaire existante qui puisse justifier les allégations de M. Suhatski. Il y a environ un million d’immigrants provenant de l’ancienne Union soviétique [AUS] qui vivent en Israël, et environ 300 000 d’entre eux ne sont pas juifs. La Commission a souligné que « [p]eu d’information sur des cas de discrimination contre des immigrants de l’ancienne Union soviétique (AUS) a été trouvée ». De plus, le ministère israélien de l’Immigration et de l’Intégration offre toute une gamme de services en russe aux immigrants.

 

[10]           La Commission a conclu que les enfants immigrants ont parfois de la difficulté à s’établir en en Israël et s’adonnent davantage à la délinquance, l’absentéisme scolaire et la toxicomanie. Toutefois, rien ne prouve que les immigrants de l’AUS sont victimes d’intimidation délibérée ou systémique dans les écoles en Israël. De plus, ils ne sont pas exposés à des mauvais traitements ou à des actes de violence. Une section spéciale du protecteur du citoyen fournit des services aux enfants provenant de l’AUS.

 

[11]           Par conséquent, la Commission a conclu qu’aucune preuve documentaire ne corroborait les mauvais traitements que M. Suhatski prétend avoir subis en conséquence de son ascendance russe.

 

            b)         Persécution subie à titre d’objecteur de conscience

 

[12]           La Commission a reconnu la croyance profonde de M. Suhatski dans les droits de la personne et sa prétention selon laquelle l’armée israélienne aurait violé les droits de la personne par ses activités militaires à Gaza. Par conséquent, M. Suhatsi « estime que servir au sein de cette armée [l]e rendrait complice de ses crimes et, sur le plan politique, [il est] en désaccord avec Israël en ce qui concerne la mainmise sur [l]es territoires occupés et la prise de Gaza ». Toutefois, la Commission a conclu que M. Suhatski n’était membre d’aucun groupe opposé aux actions militaires d’Israël, que ce soit avant ou après avoir quitté Israël, et qu’il n’a jamais publiquement exprimé ses opinions.

 

[13]           À l’audience, M. Suhatski a affirmé dans son témoignage qu’il n’aurait aucune objection à servir dans l’armée si elle ne commettait aucun crime de guerre. La Commission a estimé que cette déclaration était incompatible avec sa déclaration antérieure selon laquelle il ne servirait pas du tout dans l’armée. La Commission a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, M. Suhatski n’avait pas une opinion profonde et sincère qui cadre avec le fait d’être un objecteur de conscience et n’avait fourni aucune preuve objective convaincante à cet égard.

 

            c)         Persécution fondée sur l’orientation sexuelle

 

[14]           M. Suhatski a dit dans son témoignage qu’il n’avait jamais eu aucune relation amoureuse, que ce soit avec un homme ou avec une femme, en Israël ou au Canada. Il avait déjà embrassé une fille au Canada deux ans auparavant. Selon la Commission, il était déraisonnable qu’il n’ait fait mention d’aucune relation dans son exposé écrit afin d’étayer sa prétention relative à l’orientation sexuelle.

 

[15]           La Commission a reconnu qu’il n’était pas facile de déterminer l’orientation sexuelle d’une personne, compte tenu qu’il s’agit de quelque chose « d’ancré dans ses sentiments profonds ». Mais, elle a également souligné que rien dans la preuve ne permettait de conclure que M. Suhatski était homosexuel ou bisexuel. Bien qu’il eût fourni la preuve de sa participation à des activités liées à la fierté gaie, la Commission lui a accordé peu de poids parce que n’importe qui peut participer à ces événements.

 

[16]           Enfin, la Commission a souligné que M. Suhatski avait affirmé dans son témoignage que, à titre de personne bisexuelle, il pouvait vivre en sécurité à Tel-Aviv. Par conséquent, l’orientation sexuelle n’était pas un véritable problème.

 

d)         La prétention fondée sur la circoncision

 

[17]           La Commission a conclu que les allégations de M. Suhatski selon lesquelles on lui aurait infligé des mauvais traitements en raison de son refus de se faire circoncire n’avaient aucun fondement. Elle a conclu que la preuve ne portait que sur les conséquences de la circoncision sur le plan médical et anatomique et non pas sur son statut en Israël. La Commission n’a également trouvé aucune preuve documentaire étayant cette question dans sa documentation sur la situation dans le pays. Elle a effectué une recherche au centre juif de ressources sur la circoncision (Jewish Circumcision Resource Center) et a conclu que la circoncision n’est pas nécessairement la source de l’identité juive ou de sa force, qu’aujourd’hui une minorité de juifs choisissent de ne pas se faire circoncire et que la circoncision a perdu sa signification d’acte sacré.

 

            e)         La protection de l’État

 

[18]           La Commission a également conclu que M. Suhatski n’avait fourni aucune preuve claire et convaincante de l’absence de protection de l’État. Premièrement, la Commission a relevé divers mécanismes et divers organismes gouvernementaux auxquels on peut avoir recours en Israël afin de régler un problème d’actes discriminatoires comme ceux dont M. Suhatski prétend avoir été victime :

 

·        L’Association pour les droits civils en Israël (Association for Civil Rights in Israel) traite les plaintes déposées par les Israéliens qui estiment que leurs droits de la personne ont été violés;

 

·        Le Bureau de l’ombudsman (Office of the Ombudsman) examine les plaintes déposées contre les organismes gouvernementaux, les institutions de l’État, les gouvernements régionaux et autres organismes; toute personne peut déposer une plainte dans la langue de son choix, en personne ou par Internet.

 

[19]           Deuxièmement, en ce qui concerne sa prétention selon laquelle il est un objecteur de conscience, la Commission a conclu que M. Suhatski disposait de recours après avoir reçu ses ordres d’appel en 2006. La politique en vigueur à l’époque faisait une distinction entre l’objection « totale » au service, découlant du pacifisme, et l’objection « sélective », découlant d’une objection politique à des politiques précises. Les personnes qui appartiennent à la première catégorie ont été exemptées du service militaire, alors que celles qui appartiennent à la dernière catégorie pouvaient être traduites en justice et condamnées à une peine d’emprisonnement pour avoir refusé de s’enrôler. Les personnes qui prétendent être objecteurs de conscience ont droit à une audience devant un comité spécial.

 

[20]           De plus, le commissaire aux appels publics (Public Appeals Commissioner) sert d’intermédiaire entre l’armée et les civils. Il s’occupe des plaintes déposées par des soldats ainsi que les demandes de report et d’exemption du service militaire.

 

[21]           La Commission a conclu que M. Suhatski ne s’était prévalu d’aucun de ces recours avant de quitter Israël. Il a dit qu’il connaissait l’existence du comité qui s’occupe des objecteurs de conscience, mais il estimait qu’il comportait de graves lacunes. Il s’est fié à des renseignements qui lui avaient été donnés par un certain Dr Sergey Sandler-Yogev. La Commission a souligné que les titres de compétence de cette personne n’ont pas été établis et que son affidavit n’était pas objectif. Elle a accordé peu de poids à cet élément de preuve.

 

[22]           La Commission a également fait mention de la présomption bien connue selon laquelle l’État est capable de protéger ses citoyens. Israël est une démocratie dotée d’un appareil judiciaire indépendant et d’une armée contrôlée par des civils. La Commission a conclu que M. Suhatski ne s’était pas acquitté du fardeau de démontrer que l’État ne voulait pas ou n’était pas capable de le protéger.

 

[23]           De plus, la Commission a souligné que le service militaire obligatoire, en soi, ne constitue pas de la persécution. Dans les pays où le service militaire est obligatoire, la poursuite en justice et l’incarcération des objecteurs de conscience ne constituent pas de la persécution.         

 

            f)          L’article 97

 

[24]           En plus de prétendre être un réfugié au sens de la Convention, M. Suhatski prétend être une personne à protéger au sens de l’art. 97 de la LIPR en raison d’un risque de traitements ou peines cruels et inusités en Israël. La Commission a conclu que les sanctions et les pénalités dont M. Suhatski pourrait faire l’objet pour avoir évité le service militaire étaient prévues par des lois générales adoptées par un état légitime. Elle a conclu que rien ne prouvait que les peines qui pouvaient lui être infligées étaient excessives ou non conformes aux normes internationales et, par conséquent, la demande fondée sur l’article 97 de la LIPR a également été rejetée.

 

III.       La Commission a‑t‑elle traité M. Suhatski de façon inéquitable?

 

            a)         Les documents déposés après l’audience

 

[25]           M. Suhatski se plaint que les documents qu’il a soumis à la Commission après la tenue de l’audience ont été refusés à tort. De plus, la Commission n’a donné aucune raison pour avoir refusé d’accepter les éléments de preuve additionnels.

 

[26]           Ces éléments de preuve portaient sur ce qui suit :

 

·        La situation générale qui prévaut en Israël et dans les territoires occupés;

·        Le traitement des Israéliens non-juifs d’origine russe;

·        Le traitement des Palestiniens qui vivent sous l’occupation.

 

[27]           M. Suhatski affirme que ces éléments de preuve étaient directement liés à sa demande.

 

[28]           Après avoir examiné ces éléments de preuve, je conclus que tout manquement à l’équité procédurale n’a pas porté à conséquence. La Commission a rejeté la demande présentée par M. Suhatski à titre d’Israélien d’origine russe parce que les mauvais traitements qu’il allègue avoir subis n’équivalaient pas à de la persécution. La preuve documentaire qu’il a soumise après l’audience fait mention de certaines difficultés que les Israéliens d’origine russe éprouvent parfois lorsqu’ils s’établissent dans certains endroits (à Bethléem, p.ex.) ou lorsqu’ils louent un logement (à Tel-Aviv, p.ex.). Cet élément de preuve n’a pas étayé son allégation de persécution.

 

[29]           De plus, la Commission a rejeté l’allégation de M. Suhatski selon laquelle il était un objecteur de conscience, non pas en raison d’un manque de preuve documentaire, mais parce que son témoignage n’était pas crédible, parce qu’il n’avait pas été établi qu’il avait refusé de servir dans l’armée pour des raisons de principe, et parce qu’il disposait de recours en Israël où il pouvait faire part de ses réserves concernant le service militaire.

 

[30]           Par conséquent, le refus de la Commission d’accepter ces éléments de preuve n’a eu aucune incidence importante sur sa décision (comme dans Mobil Oil Canada Ltd .c. Office Canada‑Terre‑Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 RCS 202). M. Suhatski avait déjà présenté une preuve documentaire importante quant à ces questions. Les documents additionnels reprennent en grande partie ce dont la Commission était déjà saisie.

 

            b)         La preuve portant sur la question de la circoncision

 

[31]           M. Suhatski s’insurge contre le fait que la Commission s’est fiée à une preuve extrinsèque à laquelle il ne lui a pas été donné l’occasion de répondre. Il prétend que la preuve extrinsèque invoquée par la Commission provenait de sources américaines plutôt que de sources israéliennes et a été utilisée pour mettre son témoignage en doute.

 

[32]           M. Suhatski conteste également l’emploi par la Commission du mot « intéressée » pour décrire sa preuve relative à cette question et renvoie à de la jurisprudence qui met en garde contre l’utilisation de ce terme Kimbudi c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1982] A.C.F. no 8 (CA); Konadu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1996 CarswellNat 2032 (C.F. 1re inst.); Mahmud c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 729 (1re inst.); Vallejo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 264 (CA).

 

[33]           Selon moi, la Commission aurait dû demander à M. Suhatski de lui formuler des observations quant à la preuve extrinsèque sur laquelle elle s’était fiée et aurait dû éviter l’utilisation du terme « intéressée ». Toutefois, la preuve consultée par la Commission n’a pas eu une incidence importante sur sa conclusion selon laquelle la discrimination dont M. Suhatski s’était plaint n’équivalait tout simplement pas à de la persécution.

 

IV.       La décision de la Commission était-elle déraisonnable?

 

            a)         L’évaluation faite par la Commission de la preuve documentaire

 

[34]           M. Suhatski allègue que la Commission n’a pas tenu compte de centaines de documents et d’articles, et ce, sans donner aucune explication. Ces documents comprenaient des renseignements portant sur les sujets suivants :

 

·        Les violations des droits de la personne et les pratiques illégales de l’armée israélienne;

·        L’utilisation répandue de la torture;

·        L’invasion du Liban en 2006;

·        L’attaque de Gaza en 2008 et le siège qui a suivi;

·        L’attaque illégale de la flotte de Gaza en eaux internationales;

·        La destruction de villages « équivalant à du nettoyage ethnique ».

 

[35]           M. Suhatski prétend que la décision de la Commission devrait être annulée parce qu’elle ne mentionne pas pourquoi elle rejetait ces éléments de preuve.

 

[36]           M. Suhatski dit également que la Commission a rejeté sans raison valable la déclaration sous serment du Dr Sandler-Yogev, et que ce document devrait être présumé véridique.

 

[37]           Manifestement, on ne peut pas s’attendre à ce que la Commission ait fait mention des nombreux documents qui ont été soumis en preuve. Ce qui compte pour que la décision de la Commission soit raisonnable, « c’est qu’il ressorte des motifs, considérés dans le contexte du dossier et des observations sur les questions en litige, que le juge a compris l’essentiel de l’affaire. Si c’est le cas, une description détaillée des éléments de preuve ou du droit n’est pas nécessaire ». : R c R.E.M., 2008 CSC 51, paragraphe 43; voir également Ralph c Canada (Procureur général), 2010 CAF 256.

 

[38]           M. Suhatski n’a pas démontré que les éléments de preuve dont la Commission n’aurait pas tenu compte étaient importants ou avaient une valeur probante. Encore une fois, les principales questions en litige relatives à sa prétention selon laquelle il est un objecteur de conscience étaient la crédibilité et le manque d’éléments de preuve démontrant qu’il avait refusé de servir dans l’armée pour des raisons de principe. De plus, la Commission a conclu que la discrimination dont M. Suhatski a prétendu avoir été victime en Israël n’équivalait pas à de la persécution.

 

[39]           M. Suhatski n’a tout simplement pas démontré en quoi la preuve documentaire dont il n’aurait pas été tenu compte aurait été pertinente quant aux conclusions de la Commission. En ce qui concerne l’évaluation faite par la Commission de la déclaration assermentée du Dr Sandler‑Yogev, la Commission a conclu qu’il faut lui accorder peu de poids parce que ses compétences n’ont pas été prouvées. C’est à la Commission qu’il revient de décider du poids qu’il faut accorder à la preuve.

 

[40]           De plus, l’affidavit confirme que M. Suhatski était perturbé par la perspective d’avoir à servir dans l’armée, en partie pour des « questions d’ordre idéologiques » qui étaient « plutôt nébuleuses à l’époque ». Ses opinions sont récemment devenues plus claires, mais le Dr Sandler‑Yogev ne précise pas ce que sont ces opinions. Selon moi, cet affidavit étayait peu la prétention de M. Suhatski selon laquelle il était un objecteur de conscience.

 

            b)         L’analyse faite par la Commission de la prétention selon laquelle le demandeur est un objecteur de conscience

 

[41]           M. Suhatski souligne qu’il s’opposait au service militaire pour des motifs d’ordre moral et juridique liés aux politiques israéliennes et aux opérations militaires. Il soutient que la Commission n’a pas tenu compte de ces éléments de preuve et a plutôt conclu que parce qu’il n’avait joué aucun rôle actif dans l’un des groupes opposés aux politiques militaires d’Israël, il n’était pas véritablement un objecteur de conscience.

 

[42]           M. Suhatski invoque également sa participation au « New Profile List », une organisation israélienne opposée à l’occupation, dont le dirigeant, le Dr Sandler-Yogev, a confirmé que M. Suhatski avait des liens avec ce groupe et a fourni des renseignements sur les politiques militaires concernant les objecteurs de conscience.

 

[43]           De plus, M. Suhatski affirme que la Commission a été obligée de tenir compte de la preuve documentaire pour décider si le Guide du HCR s’applique en l’espèce. M. Suhatski reproche notamment à la Commission de ne pas avoir davantage tenu compte de la question de savoir s’il était un « objecteur de conscience sélectif », et il a invoqué Zolfagharkhani c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 584 (CA), paragraphe 38; Tewelde c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1103, paragraphe 2; et Lebedev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 728 [Lebedev]. Le point de départ de cette analyse est le paragraphe 171 du Guide du HCR, qui est ainsi libellé :

N’importe quelle conviction, aussi sincère soit-elle, ne peut justifier une demande de reconnaissance du statut de réfugié après désertion ou après insoumission. Il ne suffit pas qu’une personne soit en désaccord avec son gouvernement quant à la justification politique d’une action militaire particulière. Toutefois, lorsque le type d’action militaire auquel l’individu en question ne veut pas s’associer est condamné par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires, la peine prévue pour la désertion ou l’insoumission peut, compte tenu de toutes les autres exigences de la définition, être considérée en soi.

 

[44]           Dans Lebedev, le juge Yves de Montigny a adopté l’analyse énoncée par la juge Anne Mactavish dans Hinzman, Re, 2006 CF 420, aux paragraphes 108 à 109, confirmée par 2007 CAF 171. La juge Mactavish a conclu que le paragraphe 171 du guide du HCR devait être interprété au regard du paragraphe 170. Cela l’a amenée à conclure que le paragraphe 171 comporte un volet objectif et un volet subjectif :

Le paragraphe 170 parle de la nature et de l’authenticité des convictions personnelles et subjectives de la personne concernée, tandis que le paragraphe 171 parle du statut objectif de « l’action militaire » en question. Cela signifie que, pour être visé par le paragraphe 170 du Guide, le demandeur doit refuser de servir dans l’armée en raison de ses convictions politiques, religieuses ou morales ou pour des raisons de conscience valables. En l’espèce, la Commission a admis que M. Hinzman entretenait des objections véritablement sincères et profondes à l’égard de la guerre en Irak et cette conclusion n’est pas contestée ici.

 

M. Hinzman a donc démontré qu’il était visé par le paragraphe 170 du Guide. Cela ne lui donne toutefois pas droit à la protection accordée aux réfugiés, étant donné que le paragraphe 171 énonce clairement qu’une conviction morale ou politique authentique ne permet pas toujours de justifier une demande de statut de réfugié. Le paragraphe 171 exige qu’il existe également des éléments de preuve objectifs démontrant que « le type d’action militaire auquel l’individu en question ne veut pas s’associer est condamné par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires ».

 

[45]           Selon moi, la Commission n’a commis aucune erreur en n’évaluant pas l’élément objectif du critère, parce qu’elle a conclu que M. Suhatski n’avait pas satisfait au premier volet du critère – il n’a pas pu démontrer que son opposition était profonde. La juge de Montigny a déclaré ce qui suit dans Lebedev : « Les personnes qui tentent par principe de se soustraire au service militaire sont réputées craindre d’être persécutées en raison de leurs opinions politiques ou religieuses. Mais si leurs motivations sont plus anodines [...] le demandeur ne pourra pas être considéré comme étant un réfugié au sens de la Convention » (paragraphe 60).

 

[46]           En l’espèce, la Commission a reconnu que M. Suhatski avait fait état de convictions profondes en matière de droits de la personne et d’un désaccord avec les politiques d’Israël à propos des territoires occupés, mais elle a néanmoins conclu que ses actions ne s’accordaient pas avec ses croyances. Elle a conclu que « [l]e témoignage du demandeur d’asile ne donn[ait] aucun poids à l’allégation de ce dernier voulant qu’il soit un objecteur de conscience ». La juge de Montigny a affirmé ce qui suit dans Lebedev : « j’aurais été disposé à m’en remettre à l’agente d’ERAR si le fondement de sa décision avait été la non-crédibilité de M. Lebedev et l’absence de preuve démontrant qu’il avait refusé de servir [...] en raison de principes » (paragraphe 61).

 

[47]           De plus, toute erreur de la part de la Commission dans ce domaine n’aurait eu aucune incidence sur sa conclusion indépendante selon laquelle M. Suhatski pouvait se prévaloir de la protection de l’État.

 

            c)         L’analyse faite par la Commission quant à la protection de l’État

 

[48]           M. Suhatski prétend que la conclusion de la Commission n’est pas étayée par la preuve. Il invoque une décision récente dans laquelle la Cour a conclu que la Commission avait commis une erreur en concluant qu’un Israélien d’origine arabe pouvait se prévaloir de la protection de l’État (Zaatreh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 211).

[49]           La décision Zaatreh n’est pas pertinente en l’espèce. Les allégations mentionnées dans Zaatreh étaient tout à fait différentes de celles dont il est question en l’espèce – le demandeur dans Zaatreh avait fondé sa demande sur une crainte d’être persécuté par un groupe musulman extrémiste. La question de savoir si la Commission avait commis une erreur en concluant que ce demandeur ne pouvait pas se prévaloir de la protection de l’État n’a aucune pertinence quant à la question de savoir si la conclusion de la Commission en l’espèce était raisonnable.

 

[50]           En l’espèce, la Commission a mentionné qu’il existe en Israël un certain nombre d’organismes gouvernementaux, de programmes et de mesures de protection auxquels peuvent avoir recours les personnes qui prétendent être victimes de discrimination à titre de non-juifs et les personnes qui demandent à être exemptés du service militaire parce qu’elles sont objecteurs de conscience. M. Suhatski ne conteste pas ces conclusions directement et je ne vois aucune raison de les modifier.

 

            d)         L’analyse faite par la Commission de la discrimination cumulative à titre de persécution

 

[51]           M. Suhatski prétend que la Commission n’a pas tenu compte d’éléments de preuve étayant sa demande fondée sur la discrimination cumulative et n’a pas tenu compte de la discrimination contre les non-juifs en Israël.

 

[52]           M. Suhatski n’a soumis aucun motif de croire que les éléments de preuve qu’il invoque auraient modifié la conclusion ultime de la Commission. En ce qui concerne la discrimination cumulative, la Commission a conclu que le traitement dont M. Suhatski s’est plaint n’équivalait pas à de la persécution, que ses craintes n’étaient pas fondées objectivement et qu’il existe en Israël une protection de l’État adéquate contre ce genre de traitement. Les observations de M. Suhatski ne visent pas directement l’une ou l’autre de ces conclusions.

 

V.        Conclusion et dispositif

 

[53]           Je conclus que la Commission n’a pas traité M. Suhatski de façon inéquitable. Elle n’a pas non plus rendu une décision déraisonnable compte tenu de la preuve dont elle était saisie. Sa conclusion était transparente, intelligible, et pouvait se justifier au regard des faits et du droit. Par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

[54]           Les parties peuvent formuler des observations concernant une question à certifier dans les cinq jours suivants la délivrance du présent jugement.

 

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  La Cour examinera les observations concernant la certification d’une question qui seront soumises dans les cinq jours de la délivrance des présents motifs.

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.
Annexe

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27

 

Définition de « réfugié »

 

     96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :


a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;
b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.


Personne à protéger

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001 c 27

 

Convention refugee

 

     96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.


Person in need of protection

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6398-10

 

INTITULÉ :                                       GLEB SUHATSKI c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto, Ontario

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 25 mai 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              le juge O’Reilly

 

DATE DES MOTIFS :                      le 5 décembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Edward C. Corrigan

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nina Chandy

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Edward C. Corrigan

Avocat

London (Ontario)

 

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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