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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20111130


Dossier : IMM-2692-11

Référence : 2011 CF 1391

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 novembre 2011

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE NEAR

 

 

ENTRE :

 

TEFORN TARAN RICHARDS

et NASHON DELON RICHARDS

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire de la décision du 29 mars 2011 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a estimé que les demandeurs n'avaient ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande est rejetée.

 

I.          Contexte

 

[3]               Les demandeurs, Teforn Taran Richards et Nashon Delon Richards, sont des mineurs et ils sont citoyens de Saint-Vincent-et-les Grenadines (Saint-Vincent). Ils sont arrivés au Canada en juillet 2009 avec l'aide de parents et ont demandé l'asile en septembre 2009. Ils affirmaient avoir été victimes de violences physiques de la part de leur père, Nathaniel. Teforn a été victime d'un traumatisme crânien qui, suivant sa mère, Denise Richards, était la conséquence des violences qu'il avait subies.

 

[4]               La mère des demandeurs a également agi à titre de représentante commise d'office à l'audience. Elle est arrivée au Canada avant les demandeurs en 1999. Dans la demande d'asile qu'elle avait présentée en 2003, elle affirmait qu'elle avait été victime de violences de la part de son conjoint de fait, Nathaniel, qui est également le père des demandeurs. Cette demande a toutefois été refusée en 2004.

 

II.         La décision à l'examen

 

[5]               La Commission a d'abord demandé à la représentante commise d'office pourquoi elle avait tardé à présenter la demande de ses fils, compte tenu du fait que la même question avait eu des conséquences importantes sur sa demande d'asile dont elle avait été déboutée. La Commission a estimé que si la représentante commise d'office craignait véritablement pour la sécurité de ses enfants à cause de Nathaniel, elle n'aurait pas répété dans leur cas la même erreur que celle qu’elle avait commise pour elle-même.

 

[6]               La Commission a également relevé des contradictions et des exagérations dans le témoignage de la représentante commise d'office. Elle affirmait que Nathaniel tuerait les enfants si elle retournait à Saint-Vincent; il semblait toutefois que Nathaniel avait facilité les déplacements de ses fils en signant leur demande de passeport. Alors que le FRP affirmait que les violences avaient commencé en 1999, Nashon avait laissé entendre qu'elles n'avaient commencé qu'en 2007.

 

[7]               La Commission a également tiré une conclusion négative au sujet de la crédibilité en raison du défaut de la représentante commise d'office de soumettre des éléments de preuve documentaire pour corroborer ses allégations. Il n'y avait aucun élément de preuve confirmant que Nathaniel était violent. La représentante commise d'office affirmait que ses fils se faisaient battre devant l'école alors qu'une lettre du directeur de l'école signalait simplement qu'on savait qu'il y avait des problèmes à la maison sans toutefois parler de violences physiques. Il n'y avait également aucun élément de preuve confirmant la prétention de la demanderesse suivant laquelle le traumatisme cérébral dont Teforn avait été victime avait été causé par un coup porté à la tête par son père. En raison de ces conclusions négatives au sujet de la crédibilité, la Commission a conclu que Nathaniel n'avait pas maltraité physiquement les demandeurs d'asile.

 

[8]               De plus, il était possible pour les demandeurs de vivre chez leur tante Cynthia s'ils retournaient à Saint-Vincent, malgré l'opposition de Nathaniel. Les demandeurs étaient demeurés dans ce pays pendant huit ans sans la protection de la représentante commise d'office. Il n'y avait tout simplement pas suffisamment d'éléments de preuve crédibles pour faire droit à une demande d'asile fondée sur la menace que représentait Nathaniel.

 

III.       Questions en litige

 

[9]               La présente demande soulève les questions suivantes :

 

a)         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en se fondant sur le témoignage de la représentante commise d'office?

 

b)         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en tirant des conclusions négatives au sujet de la crédibilité des demandeurs?

 

c)         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en ignorant certains des éléments de preuve documentaires soumis par les demandeurs?

 

IV.       Norme de contrôle

 

[10]           Les questions de fait et de crédibilité sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Aguirre c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 571, [2008] ACF no 732, aux paragraphes 13 et 14; Aguebor c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] ACF no 732, 42 ACWS (3d) 886 (CAF), au paragraphe 4).

 

[11]           Le caractère raisonnable « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

 

V.        Analyse

 

            A.        La Commission a-t-elle commis une erreur en se fondant sur le témoignage de la représentante commise d'office?

 

[12]           Les demandeurs reprochent à la Commission l’importance qu’elle a accordée au témoignage de leur mère en tant que représentante commise d'office et à la crédibilité de cette dernière. Alors que seules leurs demandes d'asile étaient soumises à son examen à l'audience, la Commission a tiré des conclusions négatives au sujet de la crédibilité de leur mère. Les demandeurs insistent pour dire qu'ils sont capables de s'exprimer eux-mêmes et que la Commission ne devait pas tirer de conclusion négative au motif que leur témoignage n'était pas complet.

 

[13]           L'argument des demandeurs n'est pas convaincant. Notre Cour a reconnu qu’une des fonctions dévolues au représentant commis d’office consiste à présenter des éléments de preuve et à témoigner (voir Duale c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 150, [2004] ACF no 178, au paragraphe 17). La Commission a le droit d'apprécier le témoignage donné par l'enfant mineur du représentant commis d'office (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c Patel, 2008 CF 747, [2008] ACF no 950, au paragraphe 56). Il est donc possible de tirer des inférences négatives au sujet de la crédibilité en se fondant sur le témoignage d'un représentant commis d'office.

 

[14]           Il ressort de la transcription de l'audience que nul ne s'est opposé à ce que la représentante commise d'office témoigne. La représentante commise d'office comprenait qu'elle parlerait au nom de ses fils et que c’est elle qui présenterait l'essentiel de la preuve compte tenu de la nature de l'instance et de l'âge de ses enfants. Elle a expliqué que son fils aîné, Nashon, tenait à prendre la parole et Nashon a donc été interrogé par l'avocat à l'audience.

 

Bien que la plus grande partie de la preuve ait été présentée par la représentante commise d'office et qu’il ait été mentionné que la demanderesse n’avait pas été jugée crédible lors de l’examen de la demande d'asile qu'elle avait antérieurement présentée, la Commission était consciente du fait qu'il s'agissait d'évaluer l'exposé circonstancié et la preuve des demandeurs. D'ailleurs, la Commission a signalé, au paragraphe 14 de sa décision qu'elle s'était « en tout temps efforcé[e] de ne pas injustement porter préjudice aux demandeurs d’asile, en se gardant de tenir compte de considérations non pertinentes qui concernent la représentante désignée ».

La Commission a agi de façon raisonnable en se fondant sur le témoignage de la représentante commise d'office; cette dernière était appelée à jouer un rôle en ce qui concerne la présentation de la preuve et la Commission était consciente qu'elle était d'abord et avant tout tenue d'apprécier la crédibilité de la demande d'asile des demandeurs.B. La Commission a‑t‑elle commis une erreur en tirant des inférences négatives au sujet de la crédibilité des demandeurs?

 

[15]           Lorsqu'elle tire des conclusions négatives au sujet de la crédibilité, la Commission doit exposer ses motifs « en termes clairs et explicites » (Hilo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1991), 15 Imm LR (2d) 199, [1991] ACF no 228 (CAF)). La Commission s'est acquittée de cette obligation en l'espèce.

 

[16]           Les conclusions négatives au sujet de la crédibilité reposaient sur le témoignage de la représentante commise d'office et de Nashon. La Commission a cité des exemples précis tirés de la preuve en expliquant qu'ils soulevaient des préoccupations. Il y avait des éléments de preuve documentaire qui contredisaient l'argument de la représentante commise d'office suivant lequel Nathaniel n'avait pas aidé les enfants à obtenir leur passeport pour venir au Canada. La représentante commise d'office avait également laissé entendre qu'elle avait dénoncé à la police les mauvais traitements infligés par Nathaniel aux enfants, mais n'en avait pas parlé dans le FRP et elle était incapable de documenter ce signalement. Le témoignage de Nashon laissait penser que la période au cours de laquelle les mauvais traitements avaient été infligés était différente de celle déclarée dans le FPR et Nashon a confirmé cette divergence une seconde fois lorsque son avocat l'a interrogé à ce sujet.

 

[17]           La Commission peut tirer des conclusions défavorables des divergences relevées dans la preuve aux diverses étapes du processus de demande d'asile (Eustace c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1553, [2005] ACF no 1929, au paragraphe 10; Parnian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 96 FTR 142, [1995] ACF no 777, au paragraphe 10; Zaloshnja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 206, [2003] ACF no 272, au paragraphe 6).

 

C.        La Commission a-t-elle commis une erreur en ignorant certains des éléments de preuve documentaires soumis par les demandeurs?

 

[18]           Les demandeurs contestent également la conclusion de la Commission suivant laquelle celle‑ci « se serait attendu[e] à ce que la représentante désignée soit en mesure de présenter au moins quelques éléments de preuve documentaire indépendants témoignant du fait que les enfants ont été victimes de violences physiques. Cependant, aucun document du genre ne figure parmi les éléments de preuve ». Les demandeurs affirment que la Commission a ignoré deux lettres confirmant les violences physiques lesquelles avaient été écrites par un parent et un voisin malgré le fait qu'elle était obligée de prendre acte des éléments de preuve qui contredisaient ses conclusions et d'expliquer pourquoi elle les rejetait (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 157 FTR 35, [1998] ACF no 1425, au paragraphe 17; Sierra c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 1048, [2009] ACF no 1289, au paragraphe 68; Sekeramayi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 845, [2008] ACF no 1066, au paragraphe 25).À la différence de la situation qui existait dans l'affaire Karayel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 1305, [2010] ACF no 1624, la Commission a bel et bien cité un document portant sur la question, à savoir, une lettre du directeur de l'école de Nashon. Toutefois, cette lettre ne corroborait pas l'affirmation de la représentante commise d'office suivant laquelle son fils avait été battu à l'extérieur de l'école, mais mentionnait seulement que les demandeurs avaient des problèmes à la maison.

 

[19]           De plus, la Commission « est présumée avoir pesé et considéré toute la preuve dont elle est saisie, jusqu'à preuve du contraire » (Florea c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] ACF n° 598, paragraphe 1 (C.A.)). Elle n'a pas à mentionner chacun des éléments de preuve (Hassan v Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1992), 147 NR 317, [1992] ACF n° 946 (CAF)).

 

[20]           L'omission de la Commission de mentionner certains éléments de preuve documentaire ne constitue pas une erreur. La Commission a le droit de donner la préférence à certains éléments de preuve plutôt qu’à d'autres (Wijekoon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CF 758, [2002] ACF no 1022, au paragraphe 49). Comme elle avait déjà des réserves au sujet de la crédibilité du témoignage de la représentante commise d'office et de l'un des demandeurs, la Commission pouvait se fonder sur le défaut de corroborer leurs allégations au moyen d'éléments de preuve documentaire supplémentaires pour tirer une autre conclusion négative au sujet de la crédibilité des demandeurs.

 

[21]           On ne peut affirmer que la Commission a commis une erreur, puisqu'elle a bel et bien mentionné une lettre, mais qu’elle a conclu qu’elle ne corroborait pas les allégations précises formulées par la représentante commise d'office dans son témoignage. De plus, la Commission n'avait pas l'obligation de mentionner chaque élément de preuve. Bien que les demandeurs insistent pour dire que la Commission aurait dû mentionner expressément les lettres, cette omission n'entache pas sa conclusion générale (Nyathi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1119, [2003] ACF no 1409, au paragraphe 18).

VI.       Conclusion

 

[22]           La Commission s'est fondée de façon raisonnable sur le témoignage donné par la représentante commise d'office pour le compte de ses fils et a en conséquence tiré des conclusions négatives au sujet de la crédibilité. La Commission n'a pas ignoré des éléments de preuve documentaire, mais leur a simplement accordé une valeur limitée.

 

[23]           En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2692-11

 

INTITULÉ :                                       TEFORN TARAN RICHARDS ET AUTRES

                                                            c. MCI

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 15 NOVEMBRE 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 30 NOVEMBRE 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Karen Kwan Anderson

 

POUR LES DEMANDEURS

Jessica Norman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Karen Kwan Anderson

Pace Law Firm

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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