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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20111121

Dossier : IMM‑3767‑10

Référence : 2011 CF 1332

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 21 novembre 2011

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

ENTRE :

 

 

NAWAL HAJ KHALIL

 

 

 

demanderesse

et

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

 

Dossier : IMM‑3769‑10

 

ET ENTRE :

 

 

 

NAWAL HAJ KHALIL

 

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

ET LE MINISTRE

DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

 

défendeurs

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Vue d’ensemble

 

[1]               Mme Nawal Haj Khalil s’est vu refuser la résidence permanente au Canada parce qu’une agente d’immigration a conclu qu’elle était un ancien membre du Fatah, groupe considéré comme s’étant livré au terrorisme, et l’a en conséquence déclarée interdite de territoire canadien sous le régime de l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC  2001, c 27 [la LIPR]. (Les dispositions que je citerai de cette loi sont reproduites en annexe.)

 

[2]               Mme Haj Khalil soutient que l’agente en question a commis plusieurs erreurs de procédure et de fond. Elle me prie par la présente demande de contrôle judiciaire (dossier IMM‑3769 10) d’ordonner le réexamen de sa demande de résidence permanente par un autre agent. Notre Cour a déjà annulé trois décisions sur la question de l’interdiction de territoire canadien de Mme Haj Khalil.

 

[3]               En outre, Mme Haj Khalil demande le contrôle judiciaire de la décision par laquelle le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a rejeté sa demande de dispense relative à l’interdiction de territoire prononcée par l’agente susdite. La demanderesse fait valoir que le ministre a commis plusieurs erreurs et a violé les droits que lui garantit l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Dans le cadre de cette deuxième demande de contrôle judiciaire (dossier IMM‑3767‑10), Mme Haj Khalil me prie d’ordonner au ministre de réexaminer sa demande de dispense.

II.         Le contexte factuel

[4]               Mme Haj Khalil est née en Syrie en 1955. C’est en 1994 qu’elle est entrée avec ses deux enfants au Canada, où les trois ont demandé l’asile au motif qu’elle avait été emprisonnée et torturée en Syrie.

 

[5]               Dans l’exposé écrit qu’elle a présenté à l’appui de sa demande d’asile, Mme Haj Khalil a expliqué qu’elle avait travaillé pour un journal appelé Filastin Al‑Thawra [FAT], lié à l’Organisation de libération de la Palestine [l’OLP]. Elle a aussi déclaré avoir été membre de l’OLP/Fatah. Le Canada lui a reconnu, à elle et ses enfants, la qualité de réfugiés au sens de la Convention.

 

[6]               Mme Haj Khalil a demandé la résidence permanente au Canada en 1996. Un agent du Service canadien du renseignement de sécurité [le SCRS] a alors conclu qu’elle avait été membre de l’OLP et qu’elle avait travaillé pour celle‑ci comme journaliste, et que cette organisation s’était livrée au terrorisme pendant qu’elle était à son service [soit de 1978 à 1993]. Par la suite, un agent d’immigration, après avoir interrogé Mme Haj Khalil, a conclu qu’elle était interdite de territoire canadien, conclusion qui a été annulée en contrôle judiciaire.

 

[7]               Un deuxième agent a aussi déclaré Mme Haj Khalil interdite de territoire au motif qu’elle avait été membre de l’OLP et avait travaillé comme journaliste pour son organe officiel. Cet agent a fait observer qu’elle avait accompagné plusieurs fois le chef de l’OLP, Yasser Arafat, dans ses voyages à l’étranger. En outre, Mme Haj Khalil restait en contact avec son ancien directeur de rédaction et avec son mari, qui était employé par l’Autorité palestinienne. La conclusion de cet agent a été annulée en contrôle judiciaire, sur consentement du ministre.

[8]               Un troisième agent a déclaré Mme Haj Khalil interdite de territoire, cette fois au motif qu’elle avait été membre du Fatah, plutôt que de son appartenance à l’OLP. En tant que journaliste, raisonnait‑il, elle ne pouvait qu’avoir été au courant de l’idéologie du Fatah, et l’on ne s’expliquerait pas qu’elle soit devenue un membre de confiance du service de presse de Yasser Arafat si elle ne l’avait pas partagée. Cette conclusion a aussi été annulée en contrôle judiciaire sur consentement du ministre.

 

[9]               Voici qu’un quatrième agent déclare Mme Haj Khalil interdite de territoire, au motif cette fois qu’elle a été « membre » du Fatah selon une définition large de ce terme. C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire. Le raisonnement de l’agente qui a prononcé cette quatrième interdiction de territoire est exposé ci‑dessous de manière plus détaillée.

 

[10]           Mme Haj Khalil a demandé en 2002, sous le régime du paragraphe 34(2) de la LIPR, une dispense ministérielle au motif que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national. Cette demande a essuyé un rejet, qui a été annulé en contrôle judiciaire sur consentement du ministre. Le ministre a aussi rejeté la deuxième demande de dispense formée par Mme Haj Khalil. Cette deuxième décision du ministre, dont on trouvera le détail ci‑dessous, fait également l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

III.       La décision de l’agente sur l’interdiction de territoire

 

[11]           L’agente énumère les pièces qu’elle a prises en considération dans l’examen de la demande de résidence permanente de Mme Haj Khalil. Elle n’a pas interrogé cette dernière.

 

[12]           L’agente expose d’abord le critère applicable à l’interdiction de territoire selon les alinéas 34(1)c) et 34(1)f) de la LIPR, qui est le point de savoir s’il y a des motifs raisonnables de croire que l’étranger en question est ou a été membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’actes de terrorisme. L’agente précise que la norme de preuve applicable exige davantage qu’un simple soupçon, mais reste moins stricte que la prépondérance des probabilités : « La croyance doit essentiellement posséder un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi »; voir Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, paragraphes 114 à 116.

 

[13]           L’agente conclut qu’il y a des motifs raisonnables de croire que le Fatah s’est livré à des activités terroristes pour servir ses fins politiques, et qu’il a ce faisant pris pour cible, blessé et tué des civils. L’agente conclut également qu’il y a des motifs raisonnables de croire que Mme Haj Khalil a été membre du Fatah. Elle divise son analyse en deux sections, respectivement intitulées [TRADUCTION] « La qualité de membre » et [TRADUCTION] « La nature terroriste de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) / Fatah ».

 

                        i)          La qualité de membre

 

[14]           L’agente fait observer que le terme « membre » reçoit une interprétation libérale dans la jurisprudence. C’est ainsi qu’on peut lire ce qui suit aux paragraphes 27 à 29 de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Poshteh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 85 :

Lorsqu’elle a interprété le mot « membre » employé dans l’ancienne Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I‑2, la Section de première instance (sa désignation à l’époque) a dit que ce mot devait recevoir une interprétation large et libérale. La raison d’être d’une telle approche est exposée dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Singh (1998), 151 F.T.R. 101, au paragraphe 52 (1re inst.) :

 

Les dispositions en cause traitent de la subversion et du terrorisme. Le contexte, en ce qui concerne la législation en matière d’immigration, est la sécurité publique et la sécurité nationale, soit les principales préoccupations du gouvernement. Il va sans dire que les organisations terroristes ne donnent pas de cartes de membres. Il n’existe aucun critère formel pour avoir qualité de membre et les membres ne sont donc pas facilement identifiables. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration peut, si cela n’est pas préjudiciable à l’intérêt national, exclure un individu de l’application de la division 19(1)f)(iii)(B). Je crois qu’il est évident que le législateur voulait que le mot « membre » soit interprété d’une façon libérale, sans restriction aucune.

 

Les mêmes considérations valent pour l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [...]

 

Eu égard au raisonnement suivi dans la décision Singh et, plus particulièrement, à l’existence, dans les cas qui le justifient, d’une dispense d’application de l’alinéa 34(1)f), je suis d’avis que le mot « membre » , employé dans la Loi, devrait continuer d’être interprété d’une manière libérale.

 

 

[15]           L’agente fait aussi remarquer que la Cour d’appel fédérale assimile la qualité de « membre » d’une organisation à l’« appartenance » à celle‑ci : Chiau c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 297, paragraphe 57.

 

[16]           L’agente se fonde sur les éléments de preuve suivants :

            •            Mme Haj Khalil a elle-même déclaré qu’elle avait été membre du Fatah dans des documents établis sous serment qu’elle a joints à ses demandes d’asile et d’immigration. Il est donc inutile de prouver qu’elle a été membre en bonne et due forme de cette organisation.

           •            Elle a travaillé de son propre gré durant environ 15 ans comme journaliste pour FAT, [TRADUCTION] « l’organe d’information officiel de l’OLP », contrôlé par le Fatah.

            •          Elle était rémunérée à partir des fonds attribués au Fatah par l’OLP ([TRADUCTION] « la quote-part du Fatah »).

            •           Elle a écrit pour FAT plus de 200 articles, qui ne pouvaient que mettre en œuvre la rhétorique de l’OLP et du Fatah et s’accorder avec leurs opinions. De plus, elle avait donné des articles à ce journal même avant d’en devenir salariée.

            •            Enfin, elle a accompagné en tant que journaliste le président de l’OLP, Yasser Arafat, dans de multiples voyages à l’étranger.

 

[17]           L’agente prend aussi acte des déclarations de M. Rex Brynen, professeur que Mme Haj Khalil a cité comme témoin expert sur l’OLP et la société palestinienne dans l’action civile qu’elle a intentée en 2007. M. Brynen a déclaré que FAT [TRADUCTION] « était l’organe central ou officiel » de l’OLP, qu’il s’occupait « d’information et de relations publiques », qu’il était « dominé par le Fatah » et que « [b]on nombre des attaques dont il y était rendu compte élogieusement relevaient sans doute du terrorisme ».

 

[18]           L’agente conclut que les dénégations ultérieures d’appartenance au Fatah de Mme Haj Khalil étaient « intéressées ». Elle ajoute plutôt foi aux premières déclarations de la demanderesse selon lesquelles cette dernière était [TRADUCTION] « membre » du Fatah. En outre, observe l’agente, les dénégations de Mme Haj Khalil ne changent rien à ceci que sa participation aux activités du Fatah et ses liens de longue durée avec lui ont fait d’elle un membre au sens large de cette organisation.

 

                        ii)         La nature terroriste de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) / Fatah 

 

[19]           Ayant conclu que Mme Haj Khalil a été membre du Fatah, l’agente examine le point de savoir si cette organisation s’est livrée au terrorisme. Elle rappelle d’abord que la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme donne du terme « terrorisme » une définition que la Cour suprême du Canada a adoptée dans Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1 :

 

98.       [...] le terme « terrorisme » [...] inclut tout « acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque ».

 

 

[20]           Afin d’établir si le Fatah s’est livré au terrorisme, l’agente examine le mandat de cette organisation et le point de savoir si elle a commis des actes destinés à tuer ou blesser grièvement des civils, ou d’autres personnes qui ne participaient pas directement au conflit armé. Premièrement, l’agente conclut que le mandat de l’OLP était la création d’un État palestinien indépendant par la lutte armée. Plusieurs articles de la Charte nationale palestinienne [la Charte de l’OLP] prônaient explicitement la violence comme moyen d’atteindre ce but (jusqu’à la signature des Accords d’Oslo en 1993). La Constitution du Fatah formulait le même objectif : la libération de la Palestine par la lutte armée.

 

[21]           Deuxièmement, l’agente examine les actions violentes du Fatah. Elle reconnaît que toutes les actions violentes ne sont pas assimilables à du terrorisme, mais constate que certains des actes commis par le Fatah entrent bel et bien dans la définition du terme « terrorisme ». Elle rappelle à ce propos que les témoins experts sur l’OLP cités par les deux parties dans le procès civil s’accordaient à dire que le Fatah et ses composantes s’étaient livrés à des actes assimilables à du terrorisme. Or Mme Haj Khalil ne pouvait qu’être au courant des activités terroristes qui s’exerçaient autour d’elle.

 

[22]           L’agente examine ensuite des actes particuliers de terrorisme attribués au Fatah et aux groupes y affiliés, qui avaient pour objet de tuer ou de blesser des touristes, des diplomates, de simples passagers ou d’autres non-combattants.

 

                        iii)         Conclusion

 

[23]           Ayant ainsi constaté que Mme Haj Khalil est un ancien membre du Fatah et qu’il y a des motifs raisonnables de croire que cette organisation a été l’auteur d’actes de terrorisme, l’agente conclut que la demanderesse est interdite de territoire canadien sous le régime de l’alinéa 34(1)f).

 

IV.       La décision ministérielle rejetant la demande de dispense

 

[24]           Les demandes de dispense ministérielle sont d’abord examinées par un délégué ministériel, membre de l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC], qui en recommande l’accueil ou le rejet au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile. Ce dernier peut adopter ou non la recommandation de l’ASFC et rend la décision finale.

[25]           Dans la présente espèce, l’ASFC commence par rappeler que pèse sur Mme Haj Khalil la charge de convaincre le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national [voir le paragraphe 34(2)]. Les facteurs pertinents à cet égard sont énumérés au chapitre IP 10 du Guide de traitement des demandes au Canada, établi par CIC. Les facteurs à prendre en considération pour décider si Mme Haj Khalil est ou non interdite de territoire canadien doivent être appréciés en fonction des objectifs explicites de la LIPR, ainsi que des obligations et intérêts nationaux et internationaux du Canada.

 

[26]           L’exposé de l’ASFC se divise en trois sections, respectivement intitulées [TRADUCTION] « Éléments à prendre en considération », « Appréciation des facteurs applicables » et « Recommandation ».

 

                        i)          Éléments à prendre en considération

 

[27]           Comme il est expliqué ci‑dessous, l’ASFC a pris en considération la nature et l’étendue de la participation de Mme Haj Khalil aux activités du Fatah, sa situation actuelle, le degré de son établissement au Canada et les conséquences pour elle des instances en immigration antérieures.

 

[28]           Mme Haj Khalil, en tant que journaliste de l’OLP, n’a pas participé personnellement à des actions violentes. Elle a rompu tous ses liens avec cette organisation en 1993, et rien n’indique qu’elle ait eu de rapports avec une quelconque organisation terroriste depuis son entrée au Canada en 1994. Elle n’approuve plus le recours au terrorisme comme moyen d’action politique. Bien que Mme Haj Khalil soutienne qu’aucun élément n’établit que FAT ait prôné la violence, il apparaît qu’elle a écrit un article présentant sous un jour favorable le fait de tuer ou de blesser des citoyens israéliens. Elle fait cependant valoir qu’elle était obligée d’écrire de tels articles pour conserver son emploi.

 

[29]           Mme Haj Khalil affirme qu’elle n’a tiré aucun avantage de son emploi, mis à part son salaire. Elle soutient également que le fait d’être journaliste pour l’OLP ne lui procurait pas de position spéciale dans la société. Elle n’a pas exprimé de remords de ses activités, déclarant n’avoir rien fait d’autre que de commenter l’actualité pour l’OLP, qui était l’organisation représentant les intérêts du peuple palestinien.

[30]           Depuis son arrivée au Canada, Mme Haj Khalil n’a occupé qu’un seul emploi rémunéré. Elle explique qu’il lui est difficile de trouver un emploi parce que son numéro d’assurance sociale, du fait qu’il commence par un 9, la désigne comme dépourvue de la qualité de résidente permanente. Elle vit actuellement de l’aide sociale. Elle a beaucoup pratiqué le bénévolat, mais elle souffre maintenant de dépression, de migraines et de fibromyalgie, de sorte qu’elle ne peut plus exercer ce genre d’activités. Elle soutient que ses ennuis de santé sont dus aux obstacles qui retardent le règlement de son cas par les autorités de l’immigration. Cependant, dans la décision rendue en 2007 à l’issue de l’action civile intentée devant notre Cour par Mme Haj Khalil (Khalil c Canada, 2007 CF 923, conf. par 2009 CAF 69), la juge Carolyn Layden‑Stevenson a conclu à l’absence de lien de causalité entre sa situation au regard de l’immigration, d’une part, et ses ennuis de santé et les difficultés rencontrées dans sa recherche d’emploi, d’autre part. L’ASFC conclut que, bien que ne participant pas activement à la vie de la société canadienne, Mme Haj Khalil a fait certains efforts pour s’intégrer à celle‑ci. Il apparaît aussi qu’elle a élevé ses enfants de manière qu’ils deviennent des membres respectueux et productifs de la société canadienne.

 

                        ii)         Appréciation des facteurs applicables

 

[31]           L’ASFC rappelle qu’il convient de prendre en compte aussi bien les objectifs de la LIPR que les priorités récemment exposées par le gouvernement. Les objets de la dispense ministérielle se répartissent entre les catégories suivantes :

            •           les facteurs économiques,

            •           la sécurité publique,

            •           la sécurité nationale et mondiale,

            •           les relations internationales et bilatérales.

[32]           L’ASFC énumère les facteurs favorables suivants :

            •           Mme Haj Khalil a rompu ses liens avec le Fatah il y a presque deux décennies.

            •           L’ensemble de la preuve donne à penser que ses activités ne dépassaient pas le cadre du journalisme.

            •           Aucun élément ne tend à prouver qu’elle se soit livrée à la violence, et elle est maintenant contre le recours à celle‑ci.

            •           Elle s’est établie au Canada, elle a adopté les valeurs démocratiques canadiennes et elle a réussi à élever ses enfants de telle sorte qu’ils deviennent des membres productifs de la société canadienne.

 

[33]           Néanmoins, l’ASFC relève certains sujets d’inquiétude. Elle fait ainsi observer que Mme Haj Khalil a occupé un poste de confiance dans une organisation qui, pendant tout le temps où elle en a été membre, a régulièrement recouru au terrorisme pour atteindre ses buts politiques. L’ASFC note également que Mme Haj Khalil a sciemment contribué au travail de propagande de l’OLP et fait l’éloge de ses actions violentes. En outre, dans les diverses instances auxquelles elle a été partie depuis son arrivée au Canada, Mme Haj Khalil a fait des déclarations contradictoires concernant la nature de sa participation aux activités de l’OLP. L’ASFC conclut que ces facteurs défavorables l’emportent sur les facteurs favorables et établissent que sa présence au Canada serait préjudiciable à l’intérêt national.

 

[34]           L’ASFC examine ensuite brièvement les [TRADUCTION] « avantages sociaux, culturels et économiques » que pourrait procurer au Canada l’octroi d’une dispense ministérielle. L’étude de la preuve l’amène à déclarer satisfaisants l’établissement de Mme Haj Khalil au Canada et son adoption des valeurs démocratiques canadiennes.

[35]           L’ASFC poursuit l’examen en envisageant la question sous l’angle [TRADUCTION] « de la sûreté et de la sécurité du Canada, ainsi que de ses relations et obligations internationales et bilatérales ». Après avoir rappelé les déclarations de Mme Haj Khalil selon lesquelles elle n’avait jamais été membre du Fatah et qu’une erreur de traduction expliquait qu’elle semblait s’être auparavant présentée ainsi, l’ASFC conclut que ces déclarations sont probablement fausses. Premièrement, quatre traducteurs ont travaillé à la demande d’asile de Mme Haj Khalil, et il paraît peu vraisemblable qu’ils aient tous commis la même erreur. Deuxièmement, la preuve donne à penser que Mme Haj Khalil, plutôt que d’être une simple journaliste, entretenait des rapports privilégiés avec les cadres supérieurs du Fatah et de l’OLP. Troisièmement, elle craignait qu’on ne découvre qu’elle était rémunérée sur la quote-part du Fatah pendant ses séjours en Syrie entre 1982 et 1990, et elle savait avant d’arriver au Canada qu’il y avait une différence entre les membres et les non-membres du Fatah. Enfin, si elle nie maintenant avoir été membre du Fatah, elle n’en a pas moins décidé à plusieurs occasions de se présenter comme ex‑membre de cette organisation dans des déclarations sous serment. Qui plus est, il lui aurait été possible de corriger ces déclarations dans le cadre de l’audition de sa demande d’asile et de ses entretiens avec des fonctionnaires de l’immigration. Or, note l’ASFC, elle n’a rétracté ses affirmations sur cette question qu’après avoir fait l’objet de sa première déclaration d’interdiction de territoire en 2000. L’ASFC en conclut que son refus actuel d’assumer la qualité d’ex‑membre du Fatah vise à minimiser sa participation aux activités de celui‑ci.

 

[36]           L’ASFC examine ensuite les témoignages d’expert du procès civil de 2007 concernant le rôle de Mme Haj Khalil dans l’organisation. Elle conclut que la demanderesse était membre de fait du Fatah – qui était assuré de sa loyauté et avait toute confiance en elle –, qu’elle connaissait les buts et les méthodes de l’OLP et du Fatah, et qu’elle y souscrivait. La preuve indique, selon l’ASFC, que le Fatah choisissait vraisemblablement avec soin les gens qu’il embauchait pour travailler à FAT. Il y a lieu de penser qu’on exigeait loyauté et dévouement des personnes qui devaient être rémunérées sur la quote-part du Fatah, et qu’on les traitait comme des membres de celui‑ci. L’ASFC fait observer que, pendant la période pertinente, l’OLP et le Fatah formaient pour l’essentiel une seule et même organisation et partageaient les mêmes objectifs. Mme Haj Khalil travaillait dans l’appareil de propagande de l’organisation, qui exaltait l’usage de la violence à des fins politiques. En outre, selon la preuve, le fait que Mme Haj Khalil ait accompagné Yasser Arafat dans ses voyages à l’étranger témoignait d’une [TRADUCTION] « situation tout à fait privilégiée ». En effet, toujours selon la preuve, Arafat était très soucieux de sécurité, de sorte que ne devaient pouvoir voyager avec lui que des personnes considérées comme loyales et dignes de confiance.

 

[37]           L’ASFC fait remarquer que FAT constituait l’organe principal de propagande de l’OLP et, à ce titre, faisait l’éloge de la violence terroriste. Mme Haj Khalil a écrit quelque 200 articles pour ce journal. Elle a expliqué que le directeur de celui‑ci définissait le cadre des articles et les grandes idées à y exprimer, mais que les journalistes restaient libres de rédiger à leur façon sans devoir se conformer scrupuleusement à une ligne de parti. Or, fait observer l’ASFC, Mme Haj Khalil a déclaré dans le procès civil de 2007 qu’elle était tenue d’employer des termes tels que [TRADUCTION] « sioniste », « martyrs » et « courageuse opération » lorsqu’elle rendait compte d’attentats terroristes contre des civils, et qu’il lui fallait écrire ce qu’on lui disait pour conserver son emploi.

 

[38]           L’ASFC note qu’aucun élément de preuve n’indique que Mme Haj Khalil s’opposait à cette forme de contrôle exercée par la direction du journal ou que ses convictions personnelles étaient en contradiction avec celles de l’organisation. Selon ses premières déclarations, poursuit l’ASFC, la demanderesse exprimait ses propres opinions dans les articles qu’elle écrivait et elle souscrivait aux principes de l’OLP antérieurs aux Accords d’Oslo, selon lesquels il fallait éliminer l’État d’Israël et considérer ses citoyens comme des cibles légitimes d’attentats. L’ASFC conclut de ces éléments que Mme Haj Khalil admettait alors le bien-fondé du terrorisme comme moyen d’action politique, et que son travail pour FAT a présenté l’usage de la violence sous un jour favorable et contribué à la diffusion des méthodes et des buts de l’organisation. Néanmoins, ajoute l’ASFC, Mme Haj Khalil n’a participé à aucune action violente, pas plus qu’elle n’a exercé d’activités de recrutement ou de collecte de fonds.

 

[39]           L’ASFC constate également que Mme Haj Khalil n’a pas exprimé de remords d’avoir été membre du Fatah. Elle n’a pas reconnu la nature qui était celle de l’OLP aussi bien que du Fatah pendant qu’elle en était membre, ni le caractère terroriste des méthodes qui à l’époque faisaient explicitement partie intégrante de leur stratégie. Elle a rompu ses liens avec l’OLP et le Fatah seulement parce qu’elle refusait de s’installer en Irak comme ils le lui demandaient, et non pas parce qu’elle trouvait à redire aux moyens qu’ils mettaient en œuvre pour atteindre leurs fins. Cependant, l’ASFC constate aussi que Mme Haj Khalil croit maintenant à l’État de droit et n’est plus partisane du terrorisme. Et même si elle adhérait de nouveau au Fatah, l’intérêt national du Canada n’en subirait pas de préjudice, puisque cette organisation est aujourd’hui un parti politique légitime.

 

[40]           L’ASFC note ensuite que plusieurs contradictions entachent les déclarations faites par Mme Haj Khalil au cours des instances en immigration et au civil auxquelles elle a participé au Canada. Après une brève récapitulation de ces contradictions, l’ASFC conclut qu’elles démontrent que Mme Haj Khalil n’a pas été entièrement franche et pourrait avoir fait de fausses déclarations pour atteindre ses buts.

 

[41]           L’ASFC prend acte de la conviction de Mme Haj Khalil que les fonctionnaires de l’immigration refusent de revenir sur leur appréciation défavorable de sa personne et de l’OLP malgré les éléments de preuve et les éclaircissements qu’elle a présentés. La demanderesse affirme avoir été choisie pour cible par le gouvernement canadien simplement parce qu’elle a exercé ses droits de libre expression et de libre association en tant que journaliste pour l’OLP, organisation vouée à la lutte pour l’autodétermination des Palestiniens. Elle fait valoir que la décision d’octroyer ou non la dispense ministérielle ne devrait pas être déterminée par des motifs politiques et que les recommandations antérieures sur sa demande témoignaient de la position politique du gouvernement actuel, qu’elle décrit comme [TRADUCTION] « ouvertement pro-israélienne et fondée sur un point de vue chrétien-sioniste ». L’ASFC répond à ces assertions que chaque demande de dispense est examinée à part et au fond; la décision d’accorder ou non la dispense est de nature discrétionnaire et appartient au seul ministre.

 

                        iii)         Recommandation

 

[42]           L’ASFC effectue ensuite une [TRADUCTION] « mise en balance finale ». Elle répète que le critère applicable à la dispense ministérielle consiste à apprécier les facteurs relatifs à l’admissibilité du demandeur en fonction des objectifs explicites de la LIPR, ainsi que des obligations et intérêts nationaux et internationaux du Canada.

 

[43]           L’ASFC conclut que Mme Haj Khalil n’a pas démontré que les facteurs favorables l’emportent sur les facteurs défavorables dans son cas. Son travail de journaliste à FAT, explique l’ASFC, a servi à faire paraître sous un jour favorable le recours à la violence terroriste pour atteindre des buts politiques. L’ASFC note également que la présence sur notre territoire d’une personne ayant eu des liens avec un groupe terroriste est préjudiciable aux intérêts nationaux et internationaux du Canada pour ce qui concerne la nécessité d’entretenir de bonnes relations avec les autres États, comme elle va à l’encontre de ses obligations dans la lutte contre le terrorisme. Elle constate que Mme Haj Khalil a joué un rôle de confiance à l’OLP à une époque où celle‑ci pratiquait systématiquement le terrorisme et que toute la lumière n’est pas faite sur la nature exacte de ce rôle. En conséquence, après avoir apprécié et mis en balance les facteurs pertinents, l’ASFC conclut que Mme Haj Khalil n’a pas démontré que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national.

 

[44]           Le ministre a adopté la recommandation de l’ASFC et rejeté la demande de dispense.

 

V.        La décision de l’agente sur l’interdiction de territoire était-elle inéquitable ou déraisonnable?

 

                        i)          L’équité

[45]           Mme Haj Khalil soutient que l’agente a manqué à son obligation d’équité envers elle en ne motivant pas suffisamment sa décision et en ne l’interrogeant pas. Plus précisément, elle fait remarquer que l’agente a tiré des conclusions défavorables sur sa crédibilité sans expliquer pourquoi il conviendrait de ne pas ajouter foi à ses déclarations sous serment touchant ses liens avec l’OPL et le Fatah, se contentant de qualifier ces déclarations d’intéressées.

 

[46]           En outre, Mme Haj Khalil soutient que l’agente aurait dû l’interroger avant de conclure que ses déclarations n’étaient pas dignes de foi. Elle avait explicitement demandé à être interrogée et, en tout état de cause, les principes de la justice fondamentale exigeaient qu’on l’entende avant de tirer des conclusions défavorables sur sa crédibilité.

 

[47]           À mon sens, l’agente n’était pas tenue d’interroger Mme Haj Khalil. Celle‑ci avait déjà été interrogée par les agents qui avaient analysé antérieurement ses déclarations. L’agente avait le droit de se fonder sur la seule preuve au dossier. Mme Haj Khalil avait eu toute possibilité de présenter ses arguments : il n’était pas nécessaire de procéder à un interrogatoire de plus.

 

[48]           J’estime également que l’agente a suffisamment motivé le rejet des déclarations de Mme Haj Khalil concernant ses liens avec l’OLP et le Fatah. Le décideur qui tire des conclusions sur la crédibilité du demandeur doit expliquer clairement sur quoi il se fonde pour rejeter ses déclarations. La pure et simple constatation du caractère intéressé de ces déclarations serait un truisme : qu’attendre en effet du demandeur sinon des éléments de preuve qui étayent sa demande? Pour pouvoir rejeter la version des faits proposée par le demandeur, le décideur doit invoquer des motifs clairs et précis, par exemple des contradictions, des incohérences ou des invraisemblances relevées par rapport à d’autres éléments de preuve disponibles.

 

[49]           Dans la présente espèce, le raisonnement de l’agente me paraît suffisamment intelligible et transparent. S’il est vrai qu’elle a qualifié d’[TRADUCTION] « intéressées » les affirmations par lesquelles Mme Haj Khalil s’était distanciée de sa déclaration antérieure comme quoi elle avait été membre du Fatah, ce n’était pas là le seul fondement de la conclusion défavorable sur la crédibilité de la demanderesse. L’agente a expressément cité les éléments de preuve produits devant elle. Elle a ainsi rappelé que Mme Haj Khalil avait travaillé 15 ans comme journaliste pour l’organe principal de l’OLP, qu’elle était rémunérée sur la quote-part du Fatah, qu’elle avait écrit de nombreux articles présentant sous un jour favorable les actions de l’OLP et du Fatah, et qu’elle avait accompagné Yasser Arafat dans de nombreux voyages à l’étranger. L’agente a aussi explicitement cité les éléments de preuve documentaire et de preuve d’expert dont elle disposait.

 

[50]           Bref, la décision de l’agente est suffisamment motivée.

                        ii)         Le caractère raisonnable

 

[51]           Le ministre soutient que les conclusions de l’agente selon lesquelles Mme Haj Khalal avait été membre du Fatah et qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que celui‑ci s’était livré au terrorisme étaient raisonnables au vu de la preuve.

 

[52]           Le ministre fait remarquer qu’il convient, selon la jurisprudence, d’interpréter le terme « membre » de manière libérale et sans restriction aucune; voir Potesh, précité. J’admets que ce terme est susceptible d’une interprétation libérale, mais il n’y aurait guère de sens à l’interpréter sans restriction aucune, puisqu’on le viderait ainsi de toute signification.

 

[53]           La question est de savoir si l’agente disposait d’éléments de preuve propres à étayer sa conclusion que Mme Haj Khalil avait été membre d’une organisation dont il y avait des motifs raisonnables de croire qu’elle s’était livrée au terrorisme. À mon sens, comme je l’expliquais plus haut, les conclusions de l’agente étaient suffisamment étayées par la preuve dont elle disposait et il faut par conséquent les considérer comme raisonnables.

 

[54]           L’agente a pris en considération les propres déclarations de Mme Haj Khalil concernant ses liens avec le Fatah, ainsi que la preuve documentaire et la preuve d’expert. De même, pour ce qui concerne le point de savoir si le Fatah s’était livré au terrorisme, l’agente a pris en compte les objectifs de cette organisation et la responsabilité qu’elle portait d’actions violentes exécutées en vue de les atteindre. Or ces actions comprenaient des attentats contre des touristes, des diplomates et d’autres civils.

 

[55]           À mon avis, la conclusion de l’agente selon laquelle il y a des motifs raisonnables de croire que le Fatah s’est livré au terrorisme est raisonnable au vu de la preuve.

VI.       La décision par laquelle le ministre a rejeté la demande de dispense est-elle déraisonnable ou contraire à la Charte?

 

[56]           Les facteurs qu’il convient de prendre en considération sous le régime du paragraphe 34(2) ont récemment été définis par le juge Denis Pelletier dans Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Agraira, 2011 CAF 103 [Agraira]. Le juge Pelletier, après examen du contexte législatif de ce paragraphe, conclut que « les principaux, voire les seuls, facteurs dont on tient compte lors du traitement des demandes de dispense ministérielle sont la sécurité nationale et la sécurité publique, sous réserve uniquement de l’obligation du ministre de se conformer à la loi et à la Constitution ». Il précise bien aussi qu’il ne s’agit pas dans ce contexte de mettre en balance les contributions du demandeur aux intérêts nationaux du Canada avec les préjudices potentiels à ces intérêts. La sécurité nationale et la sûreté publique sont au premier rang des préoccupations. Les facteurs qui seraient pertinents pour l’analyse de la situation du demandeur dans le cadre d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ne le sont pas pour l’examen d’une demande de dispense ministérielle. De même, le pouvoir discrétionnaire du ministre n’est pas limité par l’obligation de prendre en compte les obligations internationales du Canada, puisqu’une conclusion d’interdiction de territoire canadien n’entraîne pas nécessairement le renvoi du demandeur.

[57]           Cependant, le champ d’application des dispenses ministérielles reste étroit. Le juge Pelletier (s’appuyant sur le paragraphe 110 de Suresh) fait observer que peuvent bénéficier d’une telle dispense les personnes qui ont adhéré à une organisation terroriste sous la contrainte ou en ignorant son caractère. Ce n’est manifestement pas là le seul cas envisageable; le juge Pelletier ajoute qu’« [i]l peut exister d’autres situations dans lesquelles des personnes qui tomberaient par ailleurs sous le coup du paragraphe 34(1) de la LIPR pourraient justifier leur conduite de manière à se soustraire aux conséquences d’une interdiction de territoire » (paragraphe 64).

[58]           Il est évident que l’analyse de la demande de Mme Haj Khalil par l’ASFC fait entrer en ligne de compte des facteurs que le juge Pelletier a déclarés dénués de pertinence, à savoir des éléments qu’on prendrait normalement en considération dans l’examen d’une demande de dispense pour motifs d’ordre humanitaire et des questions relatives aux relations internationales du Canada. L’ASFC a pris en considération les diverses contributions (sociales, culturelles et économiques) que Mme Haj Khalil a apportées au Canada, ainsi que son degré d’établissement dans notre pays. Elle a aussi apprécié des facteurs défavorables tels que son absence de remords, ses déclarations contradictoires et sa critique des fonctionnaires de l’immigration. L’ASFC a manifestement pris en compte les facteurs internationaux et bilatéraux, pour ensuite mettre en balance tous les facteurs favorables avec tous les facteurs défavorables afin d’établir sa recommandation. Par contre, ni l’ASFC ni le ministre n’ont explicitement examiné le point de savoir si la présence de Mme Haj Khalil au Canada soulèverait des problèmes de sûreté de l’État ou de sécurité publique. La preuve semblait indiquer que Mme Haj Khalil ne menaçait en rien la sûreté ou la sécurité du Canada. Cependant, comme cette question n’a pas été explicitement examinée, il est impossible de dire comment l’ASFC ou le ministre se seraient prononcés sur sa demande s’ils avaient suivi la démarche exposée par le juge Pelletier. En conséquence, force m’est d’accueillir la présente demande de contrôle judiciaire. Par cette décision, la nécessité d’examiner les moyens de Mme Haj Khalil fondés sur la Charte se trouve écartée.

VII.      Conclusion et décision

 

[59]           Je conclus que l’agente qui a déclaré Mme Haj Khalil interdite de territoire canadien ne l’a pas traitée de manière inéquitable et que sa décision n’était pas déraisonnable au vu de la preuve dont elle disposait. En conséquence, je dois rejeter la demande de contrôle judiciaire de cette décision (IMM‑3769‑10).

[60]           Toutefois, je dois accueillir la demande de contrôle judiciaire du refus de dispense ministérielle opposé à Mme Haj Khalil (IMM‑3767‑10) et ordonner au ministre de réexaminer sa demande de dispense conformément aux principes exposés dans l’arrêt Agraira, précité.

[61]           Les parties ont demandé l’autorisation de présenter des observations touchant la proposition d’une question à la certification. J’examinerai toutes observations de cette nature qui seront déposées dans les dix jours suivant le prononcé du présent jugement.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE COMME SUIT :

1.                  La demande de contrôle judiciaire IMM‑3767‑10 est accueillie.

2.                  La demande de dispense formée par Mme Haj Khalil est renvoyée devant le ministre pour réexamen.

3.                  La demande de contrôle judiciaire IMM‑3769‑10 est rejetée.

4.                  Les parties pourront déposer des observations concernant la proposition d’une question à la certification dans les dix jours suivant le prononcé du présent jugement.

5.                  Comme les motifs du présent jugement se rapportent à la fois aux dossiers IMM‑3767‑10 et IMM‑3769‑10, l’original en sera déposé au second et une copie en sera versée au premier.

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


ANNEXE

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27

 

Objet en matière d’immigration

 

  3. (1) En matière d’immigration, la présente loi a pour objet :

 

[…]

 

  i) de promouvoir, à l’échelle internationale, la justice et la sécurité par le respect des droits de la personne et l’interdiction de territoire aux personnes qui sont des criminels ou constituent un danger pour la sécurité;

[…]

 

Compétence générale du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

 

  4. (1) Sauf disposition contraire du présent article, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration est chargé de l’application de la présente loi.

 

[...]

 

Compétence du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile

 

    (2) Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile est chargé de l’application de la présente loi relativement :

 

[...]

 

      d) à la prise des décisions au titre des paragraphes 34(2), 35(2) ou 37(2).

 

Désignation des agents

 

Restriction

 

  6. (3) Ne peuvent toutefois être déléguées les attributions conférées par le paragraphe 77(1) et la prise de décision au titre des dispositions suivantes : 34(2), 35(2) et 37(2)a).

 

 

[…]

 

Personne protégée

 

  21. (2) Sous réserve d’un accord fédéro-provincial visé au paragraphe 9(1), devient résident permanent la personne à laquelle la qualité de réfugié ou celle de personne à protéger a été reconnue en dernier ressort par la Commission ou celle dont la demande de protection a été acceptée par le ministre — sauf dans le cas d’une personne visée au paragraphe 112(3) ou qui fait partie d’une catégorie réglementaire — dont l’agent constate qu’elle a présenté sa demande en conformité avec les règlements et qu’elle n’est pas interdite de territoire pour l’un des motifs visés aux articles 34 ou 35, au paragraphe 36(1) ou aux articles 37 ou 38.

 

 

[…]

 

Interprétation

 

  33. Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

 

 

Sécurité

 

  34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

 

  a) être l’auteur d’actes d’espionnage ou se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s’entend au Canada;

 

  b) être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;

 

  c) se livrer au terrorisme;

 

d) constituer un danger pour la sécurité du Canada;

 

  e) être l’auteur de tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada;

 

  f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b) ou c).

 

Exception

 

    (2) Ces faits n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national.

 

 

Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi Constitutionnelle de 1982, Édictée comme l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch.11

 

  1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

 

[…]

 

Garanties juridiques

 

  7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

 

Objectives — immigration

 

  3. (1) The objectives of this Act with respect to immigration are

 

 

  (i) to promote international justice and security by fostering respect for human rights and by denying access to Canadian territory to persons who are criminals or security risks;

 

Minister of Citizenship and Immigration

 

 

  4. (1) Except as otherwise provided in this section, the Minister of Citizenship and Immigration is responsible for the administration of this Act.

 

 

Minister of Public Safety and Emergency Preparedness

 

    (2) The Minister of Public Safety and Emergency Preparedness is responsible for the administration of this Act as it relates to

 

 

     (d) determinations under any of subsections 34(2), 35(2) and 37(2).

 

Designation of officers

 

Exception

 

  6. (3) Notwithstanding subsection (2), the Minister may not delegate the power conferred by subsection 77(1) or the ability to make determinations under subsection 34(2) or 35(2) or paragraph 37(2)(a).

 

 

Protected person

 

  21. (2) Except in the case of a person described in subsection 112(3) or a person who is a member of a prescribed class of persons, a person whose application for protection has been finally determined by the Board to be a Convention refugee or to be a person in need of protection, or a person whose application for protection has been allowed by the Minister, becomes, subject to any federal-provincial agreement referred to in subsection 9(1), a permanent resident if the officer is satisfied that they have made their application in accordance with the regulations and that they are not inadmissible on any ground referred to in section 34 or 35, subsection 36(1) or section 37 or 38.

 

 

Rules of interpretation

 

  33. The facts that constitute inadmissibility under sections 34 to 37 include facts arising from omissions and, unless otherwise provided, include facts for which there are reasonable grounds to believe that they have occurred, are occurring or may occur.

 

Security

 

  34. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

 

  (a) engaging in an act of espionage or an act of subversion against a democratic government, institution or process as they are understood in Canada;

 

  (b) engaging in or instigating the subversion by force of any government;

 

 

  (c) engaging in terrorism;

 

  (d) being a danger to the security of Canada;

 

 

  (e) engaging in acts of violence that would or might endanger the lives or safety of persons in Canada; or

 

  (f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b) or (c).

 

Exception

 

    (2) The matters referred to in subsection (1) do not constitute inadmissibility in respect of a permanent resident or a foreign national who satisfies the Minister that their presence in Canada would not be detrimental to the national interest.

 

Canadian Charter of Rights and Freedoms, Part I of the Constitution Act, 1982, being Schedule B to the Canada Act 1982 (UK), 1982, c 11

 

  1. The Canadian Charter of Rights and Freedoms guarantees the rights and freedoms set out in it subject only to such reasonable limits prescribed by law as can be demonstrably justified in a free and democratic society.

 

 

...

 

Legal Rights

 

  7. Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIERS :                                      IMM‑3767‑10 et IMM‑3769‑10

 

INTITULÉ :                                       NAWAL HAJ KHALIL c MSPPC

 

ET

 

NAWAL HAJ KHALIL c MCI et MSPPC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 11 mai 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 21 novembre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Barbara Jackman

 

POUR LA DEMANDERESSE

John Loncar

Marina Stefonovic

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jackman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

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