[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Toronto (Ontario), le 10 novembre 2011
En présence de monsieur le juge Hughes
ENTRE :
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et
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ET DE L’IMMIGRATION
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1]
La
demanderesse est d’âge adulte et citoyenne du Mexique. Elle est arrivée au Canada
avec sa fille en 2007 et a demandé l’asile. Sa demande a été rejetée, et la décision
a été maintenue lors d’un contrôle judiciaire (2009 CF 106). En novembre 2009,
une décision défavorable a été rendue sur sa demande d’examen des risques avant
renvoi (ERAR). Elle a demandé une dispense pour
motifs d’ordre humanitaire. Dans une
décision écrite datée du 21 janvier 2011, la demanderesse a été
avisée que la dispense ne lui était pas accordée. Il s’agit du contrôle
judiciaire de cette décision.
[2] La demande sera rejetée pour les motifs énoncés ci‑dessous.
[3] Il ne fait aucun doute que la vie de la demanderesse au Mexique a été ponctuée d’épreuves et de violence infligée par ses partenaires. Sa première fille, née au Mexique, est décédée apparemment d’un empoisonnement. La demanderesse a eu un fils, né au Mexique, qui aurait subi du harcèlement. Le fils et sa famille vivent maintenant au Canada, mais le dossier n’indique pas sous quel statut, le cas échéant, ils se trouvent au Canada. Le troisième enfant, conçu par un dénommé Garcia, est la fille qui a accompagné la demanderesse au Canada. Le dossier ne précise pas le statut de cette fille ni le lieu où elle se trouve.
[4] Une mesure de renvoi a été prise contre la demanderesse, mais cette dernière ne s’est pas présentée à l’audience préalable au renvoi. Elle est quand même parvenue à obtenir un permis de travail. Elle a travaillé dans un couvent où elle faisait des tâches ménagères, puis dans une garderie. Le dossier ne précise pas si la demanderesse travaille toujours et, le cas échéant, à quel endroit.
[5] La demanderesse prétend qu’elle a peur de retourner au Mexique pour différentes raisons, notamment parce que Garcia la pourchasserait et continuerait de la maltraiter, et aussi parce qu’un homme identifié seulement comme « Victor », qui aurait tenté de lui extorquer de l’argent sous la menace de violence, continuerait ses manigances. À l’audience, l’avocate de la demanderesse a retiré les allégations concernant Victor.
[6]
L’agente
chargée d’examiner la demande CH a rédigé neuf pages de motifs détaillés
et a conclu que les motifs invoqués par la demanderesse ne correspondaient pas à
des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées; la demande de
dispense a donc été refusée.
[7] L’avocate de la demanderesse soulève trois questions dans le cadre de la demande visant à faire annuler la décision de l’agente :
1. L’agente a‑t‑elle tiré des conclusions déraisonnables à la lumière des éléments de preuve lui ayant été présentés? À cet égard, trois questions sont soulevées :
§ L’agente a‑t‑elle négligé d’apprécier la preuve concernant la possibilité que la demanderesse soit retrouvée au Mexique par les personnes lui voulant du mal?
§ L’agente a‑t‑elle sous‑estimé la preuve psychologique concernant la demanderesse?
§ L’agente a‑t‑elle sous‑estimé la preuve concernant le degré de violence qui existe au Mexique?
2. L’agente a‑t‑elle manqué à son obligation d’équité procédurale en ne justifiant pas suffisamment sa décision de rejeter la preuve contradictoire contenue au dossier?
3. L’agente a‑t‑elle manqué à son obligation d’équité procédurale en se fondant sur des éléments de preuve extrinsèques sans donner à la demanderesse la possibilité de présenter des observations?
[8] Je traiterai en premier lieu de la nature générale du contrôle d’une décision CH. La Cour suprême du Canada a établi dans l’arrêt Baker c Canada (MCI), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 51, que la loi témoigne de l’intention de laisser au ministre une très grande latitude dans sa décision d’accorder ou non une dispense pour des raisons d’ordre humanitaire. Comme le juge Russell de la Cour fédérale l’a souligné dans Hinzman c Canada (MCI), 2009 CF 415, au paragraphe 39, la Cour ne doit intervenir que si la décision est déraisonnable, au sens où elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
[9] S’agissant de la première question soulevée par la demanderesse, à savoir si l’agente a tiré des conclusions déraisonnables à la lumière de la preuve, l’avocate a bien tenté de démontrer qu’on peut facilement localiser une personne en soudoyant les responsables du registre des électeurs, une pratique assez courante semble‑t‑il. L’agente a jugé qu’un tel scénario était peu probable dans le cas de la demanderesse, une conclusion qui ne me paraît pas déraisonnable. Elle a ensuite conclu que Garcia et « Victor » ne seraient pas informés du retour de la demanderesse et que celle‑ci ne serait plus une cible pour eux. Cette conclusion n’était pas déraisonnable.
[10]
L’avocate
de la demanderesse conteste ensuite les conclusions tirées par l’agente au
sujet de l’évaluation psychologique de la demanderesse. L’agente a reconnu que la
violence subie par la demanderesse a laissé des séquelles. Elle a toutefois conclu
qu’une aide était disponible au Mexique et que la preuve fournie ne démontrait
pas de manière satisfaisante que la demanderesse n’y aurait pas accès. Cette
conclusion était raisonnable.
[11] L’avocate soutient ensuite que l’agente n’a pas apprécié correctement le degré de violence qui existe au Mexique, en particulier contre les femmes. La preuve produite comprenait une copie d’un affidavit d’Alicia Elena Pérez Duarte y Noroña daté du 10 mars 2010, une copie d’un affidavit de Jimena Avalos Capin daté du 4 juin 2010 et une copie d’un affidavit de Francisco Roco‑Martinez daté du 7 juin 2010. Soulignons qu’il s’agit de copies d’affidavits qui ont été préparées pour d’autres procédures, semble‑t‑il, et non expressément pour la présente instance. Il semble que ces documents soient maintenant généralement accessibles au public. Un agent pourrait admettre de tels documents en preuve s’ils étaient jugés crédibles ou dignes de foi dans les circonstances, mais ces copies n’ont pas qualité d’affidavits d’experts préparés spécialement pour la procédure en cours. Il s’agit d’éléments de preuve qui, au même titre que les articles de journaux ou les rapports sur les conditions existant dans le pays, doivent être pris en considération et appréciés à leur juste valeur dans les circonstances.
[12] L’agente a conclu que la situation courante au Mexique n’est pas idéale, mais que l’État est en mesure de protéger ses citoyens. Cette conclusion n’est pas déraisonnable.
[13] Il m’apparaît que la demanderesse souhaite simplement que la Cour apprécie de nouveau la preuve qui a été présentée à l’agente. Eu égard au vaste pouvoir discrétionnaire délégué à l’agente, j’estime que cette dernière n’a pas tiré des conclusions déraisonnables quant à la preuve.
[14] La deuxième question soulevée par l’avocate de la demanderesse porte sur le caractère suffisant des motifs. À cet égard, l’avocate s’est référée aux critères établis par la Cour d’appel fédérale dans Administration de l’aéroport international de Vancouver c Alliance de la fonction publique du Canada, 2010 CAF 158, au paragraphe 16 en particulier. Les motifs doivent énoncer le fondement de la décision de façon à ce qu’il soit compréhensible, rationnel et logique; un observateur doit pouvoir analyser et comprendre la décision et les motifs qui la sous‑tendent.
[15] Malgré les efforts déployés par l’avocate de la demanderesse pour souligner d’éventuelles lacunes et faiblesses dans les motifs de l’agente, ceux‑ci me paraissent suffisants et satisfont aisément aux critères établis dans l’arrêt cité au paragraphe précédent.
[16] La troisième question soulevée par l’avocate de la demanderesse tient au fait que, dans ses motifs, l’agente s’est référée à un rapport du Département d’État des États‑Unis sur la situation au Mexique et à un rapport similaire de Freedom House. Aucun de ces documents n’avait été déposé par la demanderesse ni porté spécialement à sa connaissance préalablement à la communication des motifs. Il s’agit toutefois de rapports publics faciles à obtenir, le genre de documents auxquels il est souvent fait référence dans ce genre d’instance. Dans Mancia c Canada (MCI), [1998] 3 CF 461, répondant à une question certifiée, la Cour a déclaré que l’obligation d’équité n’exige pas que de tels documents soient communiqués au demandeur avant que l’affaire soit tranchée.
[17] En conclusion, la demande est rejetée. Aucun avocat n’a demandé qu’une question soit certifiée.
JUGEMENT
POUR LES MOTIFS SUSMENTIONNÉS,
LA COUR STATUE que :
1. La demande est rejetée.
2. Aucune question n’est certifiée.
3. Aucuns dépens ne sont adjugés.
Traduction certifiée conforme
Julie Boulanger, LL.M.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1468-11
INTITULÉ : RICARDA ROSARIO HERNANDEZ c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 9 novembre 2011
DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT : Le 10 novembre 2011
COMPARUTIONS :
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Ada Mok |
POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Avocats
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POUR LA DEMANDERESSE |
Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR
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