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Date : 20111110

Dossier : IMM‑2222‑11

Référence : 2011 CF 1297

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 novembre 2011

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

 

ENTRE :

 

JOSE ALMEJO SANTILLAN

MARIA DEL ROSARIO GARCIA IBARRA

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Jose Almejo Santillan et son épouse, Maria Del Rosario Garcia Ibarra, sollicitent le contrôle judiciaire de la décision datée du 18 mars 2011 par laquelle un membre de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a refusé leurs demandes d’asile et de protection fondées sur l’article 96 et sur le paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

 

[2]               Les demandeurs sont des citoyens mexicains. M. Almejo Santillan (le demandeur) soutient qu’il a été menacé et battu par des individus associés à des entreprises locales qui seraient impliquées dans du trafic illégal de stupéfiants. La demande de Mme Ibarra est fondée sur celle du demandeur.

 

[3]               La SPR a conclu que le demandeur n’était pas crédible et a rejeté la demande d’asile.

 

[4]               Je suis d’avis que la conclusion de la SPR au sujet de la crédibilité était raisonnable au vu de la preuve dont celle‑ci était saisie et, pour les motifs exposés ci‑après, je rejette la demande de contrôle judiciaire.

 

Les faits à l’origine du litige

[5]               Le demandeur a déclaré pendant son témoignage qu’il avait été vice‑président du comité d’action civique de la ville de Santa Cruz de Miramar, municipalité de San Blas, État de Nayarit, au Mexique. Le comité était responsable des projets de travaux publics au profit de la collectivité et tirait ses revenus d’un droit prélevé sur les ventes de spiritueux par les restaurants et d’autres entreprises. Le demandeur, qui était chargé de percevoir le droit, a essuyé un refus de la part de deux entreprises qui exploitaient un restaurant et a appris que certaines personnes associées aux deux entreprises participaient également au trafic de drogues illégales.

 

[6]               Le demandeur a informé la police et il croit que le signalement qu’il a fait est venu aux oreilles de ces individus. Le demandeur a été menacé le 16 octobre 2008, puis battu le 28 octobre 2009 par des individus parce qu’il avait fait un signalement à la police. Il soutient avoir rencontré ces criminels à sept occasions différentes entre le 16 octobre 2008 et le 19 mars 2009. Il a demandé à plusieurs occasions à la police de le protéger des menaces de mort et agressions dont son épouse et lui‑même faisaient l’objet. Il a précisé que le gang de criminels portait le nom de Mara Salvatrucha13.

 

[7]               Le demandeur affirme qu’il n’a reçu pour ainsi dire aucune aide de la police. Malgré le fait que l’ensemble des membres du comité et lui‑même ont démissionné du poste qu’ils occupaient au gouvernement, le gang de criminels a continué à le menacer et à le harceler. Craignant de se faire tuer par ces individus, le demandeur et son épouse sont partis et sont arrivés au Canada le 24 mars 2009.

 

[8]               Les deux demandeurs ont sollicité la protection du gouvernement canadien en qualité de réfugiés le 14 avril 2009. Leurs demandes ont été réunies conformément au paragraphe 49(1) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, parce que la SPR estimait que le demandeur et son épouse devaient se fonder sur leurs témoignages respectifs pour appuyer leurs demandes.

 

La décision faisant l’objet du contrôle

[9]               Le 18 mars 2011, la SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention ou de personnes à protéger et a rejeté leurs demandes d’asile. De l’avis de la SPR, la question déterminante portait sur la crédibilité de la version du demandeur.

 

[10]           Après avoir souligné que le témoignage d’un demandeur d’asile est présumé être véridique, à moins qu’il n’existe des motifs valides d’en douter, la SPR a souligné que les contradictions, les écarts et les invraisemblances relevés dans la preuve présentée par un demandeur étaient des motifs reconnus qui permettaient de conclure à un manque de crédibilité. La SPR a précisé que cette règle s’appliquait également aux omissions dans les déclarations antérieures d’un demandeur, peu importe qu’elles aient été faites aux responsables canadiens de l’immigration lors de l’arrivée au Canada, au cours d’examens préalables effectués sous serment, à l’audience ou dans le formulaire de renseignements personnels (FRP).

 

[11]           La SPR a essentiellement formulé trois conclusions défavorables quant à la crédibilité dans sa décision. La première concerne la dénonciation que le demandeur soutient avoir déposée auprès de la police le 28 octobre 2008.

 

[12]           La SPR a souligné que le demandeur avait été invité à expliquer la raison pour laquelle il n’était indiqué nulle part dans son FRP initial qu’il était allé voir la police le 28 octobre 2008. La SPR n’a pas accepté l’explication du demandeur selon laquelle la personne qui l’a aidé à remplir le FRP n’a pas tenu compte de ce renseignement. Étant donné que les directives sur la façon de remplir le FRP énonçaient assez clairement qu’il était nécessaire d’inclure « tous les événements importants et les raisons » ayant mené à la demande d’asile, la SPR a conclu qu’il n’était pas raisonnable de penser que la personne ayant aidé le demandeur aurait omis de faire état de la dénonciation. La SPR a conclu que le demandeur était en possession de la dénonciation lorsque le FRP a été préparé. Elle a souligné que l’omission d’un fait important dans le FRP d’un demandeur d’asile suffisait à tirer une conclusion défavorable quant à sa crédibilité et, pour tous ces motifs, la SPR a décidé que le demandeur n’était pas un témoin crédible.

 

[13]           La SPR a également décidé que le demandeur avait déposé une dénonciation frauduleuse au soutien de la demande, parce que les éléments importants de la dénonciation n’étaient pas crédibles. Le premier élément est le fait que la dénonciation était datée du 22 octobre 2008 alors que le demandeur a soutenu qu’il avait été attaqué le 28 octobre 2008. Le deuxième élément est le fait que, selon la dénonciation, l’attaque a eu lieu à 18 h plutôt qu’à 15 h, comme le demandeur l’avait affirmé dans le FRP modifié. Le troisième élément est le fait que la dénonciation ne comportait pas certaines marques habituellement observées dans les documents similaires établis par la police mexicaine.

 

[14]           La SPR a souligné que, lorsqu’il a été invité à expliquer la raison pour laquelle le document de la police était daté du 22 octobre 2008 si le rapport avait été établi le 22 octobre 2008, le demandeur a répondu qu’il avait remarqué cette erreur et qu’il avait tenté de la faire corriger, mais que le superviseur de la police lui a dit que c’était commettre un crime que de modifier la date. La SPR n’était pas convaincue qu’il n’y avait aucune procédure judiciaire permettant de corriger une erreur aussi évidente. La SPR a également conclu que le demandeur n’avait pas expliqué l’écart entre son FRP et la dénonciation en ce qui a trait à l’heure à laquelle il avait été attaqué : selon le premier, l’attaque serait survenue vers 15 h alors que, d’après la dénonciation, l’attaque a eu lieu à 18 h. Enfin, la SPR a constaté que la dénonciation ne comportait aucune marque manuscrite et qu’aucun trait n’avait été tiré sur les pages, contrairement à ce qu’elle avait observé dans d’autres documents policiers au cours d’audiences antérieures mettant en cause le Mexique.

 

[15]           De plus, la SPR a conclu que le demandeur n’était pas crédible, parce que son témoignage n’était corroboré par aucun document indépendant et comportait des incohérences et parce que certains renseignements ne figuraient pas dans l’exposé circonstancié du FRP au sujet de l’aide demandée aux policiers.

 

[16]           La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas mentionné dans son FRP initial qu’il était allé voir la police le 16 octobre 2008, le 28 octobre 2008, en novembre 2008, le 2 janvier 2009, le 23 février 2009 et le 29 mars 2009. La SPR a rejeté l’explication du demandeur selon laquelle la personne qui l’avait aidé à rédiger l’exposé avait qualifié ces renseignements de « camelotes » qu’il valait mieux ne pas soumettre. De l’avis de la SPR, il n’était pas raisonnable de penser que la personne responsable de la préparation du FRP aurait choisi de ne pas mentionner ces dates, étant donné, surtout, qu’elle avait ces renseignements à portée de main, puisqu’ils étaient consignés sur une clé USB.

 

[17]           La SPR a accordé peu de poids au rapport médical de la demanderesse, parce que celui‑ci ne mentionnait que certains problèmes liés à la grossesse de Mme Ibarra sans en préciser la cause. La SPR a relevé des incohérences entre le rapport médical du demandeur et le témoignage de celui‑ci au sujet de l’endroit où il avait été traité et de l’absence de date, ce qui soulevait des doutes quant à l’authenticité du document. La SPR a à nouveau tiré une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité du demandeur.

 

[18]           La SPR a aussi mentionné que le demandeur n’avait fourni aucun document au sujet de la plainte dans laquelle il aurait dénoncé les commerces avec lesquels le comité était aux prises. La SPR a conclu que, en qualité de témoin et d’ex‑vice‑président du comité, le demandeur aurait dû pouvoir obtenir des copies des documents de la plainte en s’adressant au bureau du procureur. Enfin, la SPR a commenté brièvement les lettres d’appui que le demandeur avait fournies. Elle a constaté qu’aucune de ces lettres ne renvoyait aux événements précis que le demandeur avait relatés ou ne désignait les Mara Salvatrucha13 comme étant l’organisation criminelle qui persécutait les demandeurs. La SPR a donc accordé peu de poids à ces lettres.

 

[19]           La SPR a conclu que, étant donné que le demandeur n’était pas crédible, elle n’était pas tenue d’analyser la question de la protection de l’État ni celle d’une possibilité de refuge intérieur en ce qui concerne la demande des demandeurs.

 

Les dispositions législatives pertinentes

[20]           L’article 96 et le paragraphe 97(1) de la LIPR sont ainsi libellés :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés

par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them Personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, And

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

[21]           Voici l’extrait pertinent du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 :

18.1 (4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue que l’office fédéral, selon le cas :

 

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

18.1 (4) The Federal Court may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

 

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;

 

La question en litige

[22]           La question à trancher dans la présente affaire est de savoir si la décision de la SPR était déraisonnable.

 

La norme de contrôle

[23]           Dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, la Cour suprême du Canada a décidé qu’il n’y avait que deux normes de contrôle : la décision correcte pour les questions de droit et la raisonnabilité pour les questions mixtes de fait et de droit. Elle a également conclu que, lorsque la norme de contrôle applicable a été déterminée plus tôt, il n’est pas nécessaire de répéter l’analyse qui s’y rapporte.

 

[24]           La Cour fédérale a décidé que les conclusions en matière de vraisemblance et de crédibilité sont de nature factuelle. La norme de contrôle à appliquer aux évaluations en matière de crédibilité et de vraisemblance est la norme de la raisonnabilité et elle doit être appliquée avec un degré très élevé de déférence : Wu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 929, au paragraphe 17.

 

[25]           En ce qui concerne l’équité procédurale, il est bien reconnu que la norme de contrôle applicable est la décision correcte : Groulx c Cormier, 2007 CF 293, 325 FTR 69, au paragraphe 14.

 

Analyse

[26]           La crédibilité est toujours une question en litige dans les décisions de la SPR. Les conclusions en matière de vraisemblance et de crédibilité sont de nature factuelle et appellent un degré élevé de déférence : Kumara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1172. La Cour fédérale ne devrait intervenir que si la SPR a rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait : alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales.

 

[27]           La SPR a conclu que le demandeur n’était pas crédible. Pour en arriver à cette conclusion, elle s’est fondée sur plusieurs incohérences et omissions. Sauf dans un cas (qui est commenté ci‑dessous), le demandeur a été invité à expliquer les incohérences et omissions que la SPR avait relevées. Le demandeur n’a pu fournir une explication satisfaisante.

 

Omissions du FPR

[28]           La SPR a conclu que le demandeur avait omis de mentionner certains renseignements importants dans l’exposé circonstancié de son FPR au sujet de l’aide demandée aux policiers. Ces omissions ont conduit la SPR à conclure que, dans l’ensemble, le demandeur n’était pas crédible. À mon avis, c’est là la conclusion la plus importante que la SPR a tirée.

 

[29]           Il est bien établi que, si des incidents pertinents et importants ne sont pas relatés dans le FPR et qu’ils sont révélés plus tard au cours de la procédure de la demande d’asile, la Commission peut considérer que cela affecte la crédibilité du demandeur, si ce dernier ne peut pas fournir une explication valable : Adewoyin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 905.

 

[30]           Dans la présente affaire, la SPR a souligné que le demandeur n’avait nullement mentionné dans son FRP qu’il était allé voir la police après les incidents qui seraient survenus le 16 octobre 2008, le 28 octobre 2008, en novembre 2008, le 2 janvier 2009, le 23 février 2009 et le 29 mars 2009. Lorsqu’il s’est fait demander d’expliquer ces omissions importantes que comportait son exposé circonstancié de son FRP, le demandeur a déclaré à l’audience que la personne qui l’avait aidé à rédiger le FRP n’avait pas cru pertinent d’inclure les renseignements, les qualifiant de « camelotes » qu’il valait mieux laisser de côté. Selon le demandeur, cette personne lui a dit d’inclure uniquement les renseignements qu’il pourrait étayer au moyen de documents.

 

[31]           La SPR n’a pas accepté l’explication du demandeur. Elle a souligné qu’il était indiqué ce qui suit à la question 31 du FPR : « Sur les deux pages qui suivent, exposez dans l’ordre chronologique tous les événements importants et les raisons qui vous ont amené à demander l’asile au Canada. [...] Précisez les mesures que vous avez prises pour obtenir la protection d’une autorité de votre pays et les résultats obtenus ». [Souligné dans l’original]. De l’avis de la SPR, il n’était pas raisonnable de penser que la personne qui a aidé le demandeur à remplir son FRP aurait choisi de ne pas faire état des dates auxquelles il a demandé l’aide de la police, plus précisément du fait qu’il a déposé une dénonciation auprès de la police après l’incident du 28 octobre 2008.

 

[32]           Le demandeur a été menacé et agressé à plusieurs occasions. L’allégation selon laquelle la police ne les a pas aidés ni protégés représente un élément crucial de la demande d’asile du demandeur qui se sont enfuis parce que la police ne les protégeait pas. Le demandeur reproche à la personne qui l’a aidé à préparer le FRP d’avoir omis ces renseignements, mais il admet ne pas avoir formulé de plainte au sujet de ce mauvais conseil.

 

[33]           À mon avis, il était raisonnablement loisible à la SPR de conclure que ces omissions appuyaient dans l’ensemble une conclusion défavorable en ce qui a trait à la crédibilité du demandeur.

 

Dénonciation auprès de la police

[34]           La SPR a relevé deux incohérences importantes dans la dénonciation que le demandeur soutient avoir déposée le 28 octobre 2008.

 

[35]           D’abord, la SPR a souligné que la dénonciation était datée du 22 octobre, alors que le demandeur affirme avoir été attaqué le 28 octobre. Ailleurs dans le document, il est mentionné que l’attaque est survenue le 28 octobre. Le demandeur reconnaît l’erreur de date, mais soutient que, lorsqu’il a tenté de la faire corriger, il s’est fait dire que [traduction] « c’était un crime que de modifier la date d’un document qui a déjà été rédigé et qui constitue un élément de preuve ». La SPR n’a pas accepté cette explication, estimant qu’il existait sans doute une procédure judiciaire permettant de corriger les incohérences évidentes. Cette conclusion est appuyée par les dates différentes inscrites dans le document lui‑même. La contradiction touchant les dates est évidente à l’examen de la dénonciation elle‑même.

 

[36]           La SPR souligne que, selon la dénonciation, l’incident serait survenu à 18 h. Or, le demandeur a déclaré au cours de son témoignage que l’incident s’était produit à 15 h. Le demandeur a modifié son FRP pour remplacer « 15 h » par « 18 h »; cependant, il a ensuite affirmé que l’attaque avait eu lieu à 17 h.

 

[37]           La troisième réserve que la SPR avait au sujet de la dénonciation concernait le fait qu’elle ne comportait « aucune inscription manuscrite attestant son authenticité, alors qu’il est arrivé au tribunal de voir de telles marques inscrites sur d’autres documents policiers au cours d’audiences antérieures en matière d’immigration, mettant elles aussi en cause le Mexique ».

 

[38]           Les demandeurs ont vivement contesté cette conclusion. Ils soutiennent que la SPR s’est fondée sur des éléments de preuve extrinsèques qui ne leur ont pas été fournis pour qu’ils en prennent connaissance, ce qui constituait un manquement à l’équité procédurale. De l’avis des demandeurs, il était déraisonnable de la part de la SPR de se fonder sur ces éléments de preuve extrinsèques pour conclure que la dénonciation était frauduleuse.

 

[39]           Cependant, il convient de souligner que c’est le demandeur qui a fourni la dénonciation, laquelle ne constitue pas un élément de preuve extrinsèque. De plus, la SPR a soulevé clairement la question de l’absence d’inscriptions manuscrites sur la dénonciation. C’est ce qui ressort du passage suivant de la transcription du dossier certifié du tribunal :

[traduction]

Q :    Mais les dates de votre dénonciation ne correspondent pas à la date de la plainte. J’ai déjà vu des dénonciations du Mexique et elles comportent habituellement des traits et des initiales dans les marges.

 

Je sais que nous avons déjà eu cette discussion, maître. C’est ce que j’ai vu dans d’autres dénonciations du Mexique; la vôtre ne comporte aucune de ces marques, que ce soit des traits ou des initiales dans les marges, et votre date est erronée sur ce document.

 

R :     Nous avons constaté ça et nous avons communiqué avec le chef du poste de police, qui a fini par nous dire que c’était un crime que de modifier la date d’un document qui avait déjà été rédigé et qui constituait un élément de preuve. Il a expliqué ensuite ce qui s’était passé.

 

[40]           Il est évident que le demandeur a eu l’occasion de répondre aux préoccupations de la SPR au sujet de l’absence d’inscriptions manuscrites. Le commissaire a mentionné à l’audience qu’il avait déjà vu des dénonciations du Mexique et que celle du demandeur ne correspondait pas aux documents dont il avait déjà été saisi. La SPR avait le droit de se fonder sur cette expérience et sur cette connaissance pour faire part de ses préoccupations au demandeur, qui n’a rien dit au sujet de l’absence d’inscriptions manuscrites. L’avocate du demandeur a fourni plus tard des observations écrites et, à nouveau, elle n’a nullement commenté les préoccupations de la SPR au sujet de l’absence d’inscriptions manuscrites.

 

[41]           À mon avis, les demandeurs ont été informés de la préoccupation à l’audience et tant le demandeur que son avocate ont eu la possibilité de répondre à la mention par le commissaire de son expérience et de l’absence d’inscriptions manuscrites. Ils ne l’ont pas fait. Les demandeurs ont tort de soutenir que la SPR ne leur a pas fourni l’occasion de répondre à cette préoccupation de la SPR.

 

[42]           L’évaluation factuelle que la SPR a faite de la dénonciation appartient aux issues possibles acceptables.

 

[43]           Eu égard à la déférence qu’appellent les conclusions de fait d’un décideur, je conclurais que la SPR avait le droit de décider que ces incohérences, qui n’ont pas été tranchées à sa satisfaction, donnaient lieu à une conclusion défavorable au sujet de l’authenticité de la dénonciation.

 

Rapport médical

[44]           Les demandeurs ont mentionné un cas où la SPR avait commis une erreur lorsqu’elle a évalué la preuve dont elle était saisie.

 

[45]           La SPR a accordé peu de poids aux deux rapports médicaux que les demandeurs ont fournis dans le cadre des observations qu’ils ont présentées après l’audience. Les demandeurs s’opposent uniquement aux motifs de la SPR concernant le rapport médical du demandeur.

 

[46]           Il convient d’abord de citer la partie de la décision de la SPR que les demandeurs contestent :

Le deuxième rapport médical mentionne que le demandeur d’asile principal a été vu par des médecins à l’Institut mexicain de sécurité sociale (IMSS). Le tribunal présume que ce rapport médical a été présenté afin d’appuyer le témoignage livré par le demandeur d’asile principal à la première séance de l’audience, le 29 novembre 2010. Le tribunal conclut que ce rapport ne concorde pas avec le témoignage du demandeur d’asile principal, puisque ce dernier a déclaré s’être rendu dans une petite clinique le 28 octobre 2008 et s’être rendu à l’IMSS après l’incident qui serait survenu le 26 décembre 2008. Le tribunal souligne également qu’aucune date n’est inscrite sur ce document pour attester le moment où il a été produit, ce qui soulève des doutes quant à son authenticité. Le tribunal conclut également que cette lettre médicale ne vient pas corroborer les propos du demandeur d’asile principal en ce qui concerne l’établissement médical où il se serait rendu le 28 octobre 2008 et, par conséquent, n’accorde que peu de poids à ce document. Le tribunal estime que les tentatives du demandeur d’asile principal de corroborer son témoignage concernant les événements du 28 octobre 2008 ont simplement fait ressortir les contradictions par rapport aux déclarations qu’il avait faites dans le passé. Le tribunal tire une conclusion défavorable quant à la crédibilité des documents soumis par le demandeur d’asile principal après l’audience, car les renseignements fournis au sujet de l’établissement médical où le demandeur d’asile se serait rendu le 28 octobre 2008 ne concordent pas avec les déclarations précédentes de ce dernier. Pour ces motifs, à savoir les contradictions relevées dans ses propos, le tribunal conclut que le demandeur d’asile principal n’est pas un témoin fiable et digne de foi.

 

[47]           Les demandeurs reprochent à la SPR :

a)         d’avoir mal interprété les renseignements figurant dans le rapport médical pour conclure à l’existence d’une contradiction;

 

b)         de ne pas les avoir informés de cette contradiction et de ne pas leur avoir donné l’occasion de répondre à cette préoccupation.

 

 

[48]           Il appert d’un examen du rapport médical traduit que la SPR a mal interprété les renseignements figurant dans le rapport médical. Voici l’extrait pertinent du rapport médical traduit :

[traduction]

Le présent certificat est établi à la demande de l’intéressé, quelle qu’en soit l’utilité pour lui, le 12 décembre 2010, dans l’unité médicale rurale de l’institut de sécurité sociale du Mexique ‑ Opportunidades no 19, Santa Cruz de Miramar, municipalité de San Blas, entité Nayarit, Mexique [non souligné dans l’original].

 

[49]           D’abord, contrairement à la conclusion que la SPR a tirée, il semble que la date à laquelle cette lettre a été établie figure dans le document lui‑même, soit le 12 décembre 2010. En deuxième lieu, et surtout, il semble que le rapport médical ait été établi par l’unité médicale rurale, ce qui va à l’encontre de la décision de la SPR selon laquelle le rapport médical contredisait le témoignage du demandeur, qui avait affirmé s’être rendu dans une petite clinique le 28 octobre 2008. Il appert du rapport que le demandeur s’est rendu dans un établissement médical rural le 28 octobre 2008, soit à la date qu’il a mentionnée.

 

[50]           Les demandeurs soutiennent que cette erreur a incité la SPR à juger le demandeur non crédible et que, par conséquent, la conclusion de la SPR au sujet de la crédibilité dans la présente affaire n’était ni fiable ni raisonnable. De l’avis des demandeurs, il s’agit là d’une erreur susceptible de contrôle.

 

[51]           Cependant, il est clairement établi dans la jurisprudence sur cette question que, lorsque la conclusion globale relative à la crédibilité tirée par la Commission est suffisamment étayée par des motifs qui résistent au contrôle judiciaire selon la norme de la décision manifestement déraisonnable, elle n’est pas écartée par d’autres conclusions qui ne satisfont pas à cette norme : Agbon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1573, au paragraphe 10.

 

[52]           Ce n’est pas seulement parce qu’elle a conclu que le rapport médical comportait des contradictions que la SPR a jugé que le demandeur n’était pas crédible. La SPR s’est fondée sur l’omission de renseignements et d’événements importants (signalement à la police de menaces et d’attaques) dans le FRP du demandeur et sur la dénonciation frauduleuse faite à la police. Eu égard à l’ensemble de la décision de la SPR, la conclusion de celle‑ci selon laquelle le demandeur n’était pas crédible demeure raisonnable, même si la SPR a commis une erreur au sujet du rapport médical.

 

[53]           En dernier lieu, en ce qui concerne l’allégation des demandeurs selon laquelle la SPR a commis un manquement à l’équité procédurale en omettant de les informer de la contradiction découlant apparemment du rapport médical et en leur donnant l’occasion d’y répondre, je suis d’avis qu’aucune erreur n’a été commise.

 

[54]           Les demandeurs ont eu la possibilité de soumettre des documents après leur audience et la SPR a tenu compte de ces documents. Il appert clairement de la jurisprudence que les agents d’immigration ne sont pas tenus de fournir au demandeur un « résultat intermédiaire » des lacunes que comporte sa demande : Rukmangathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 284, 247 FTR 147.

 

[55]           La SPR n’était donc tenue de faire part aux demandeurs de ses préoccupations découlant des observations présentées après l’audience. Ce serait là un fardeau très lourd pour la SPR. Il faut se rappeler qu’il appartenait aux demandeurs de présenter une preuve crédible et corroborante au soutien de leur demande.

 

[56]           Les préoccupations que les documents présentés après l’audience ont fait naître dans l’esprit de la SPR n’ont pas été portées à l’attention des demandeurs. Cependant, tel qu’il est mentionné plus haut, il n’était pas obligatoire qu’elles le soient. En tout état de cause, j’en suis arrivé à la conclusion que la SPR a commis une erreur au sujet du document médical du demandeur, mais que cette erreur n’a pas fait de l’ensemble de la décision de la SPR une décision déraisonnable.

 

Conclusion

[57]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée.

 

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑2222‑11

 

INTITULÉ :                                       JOSE ALMEJO SANTILLAN, MARIA DEL ROSARIO CARGIA IBARRA c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 1er novembre 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MANDAMIN

 

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 10 novembre 2011

 

 

COMPARUTIONS

 

Alyssa Manning

 

POUR LES DEMANDEURS

 

John Provart

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

VanderVennen Lehrer

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto, Ontario

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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