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Date : 20111107


Dossier : IMM-1106-11

Référence : 2011 CF 1268

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 novembre 2011

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

YAN CHEN

 

demanderesse

 

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire d’une décision datée du 1er février 2011 par laquelle la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la CISR) a rejeté l’appel qu’elle avait interjeté à l’encontre d’une décision rejetant sa demande de parrainage de son époux afin que celui-ci acquière le statut de résident permanent. Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

 

[2]               Mme Yan Chen, la demanderesse, originaire de la République populaire de Chine (la RPC), est résidente permanente du Canada. Elle a voulu parrainer son époux, M. Feng, et le fils de celui-ci à titre de résidents permanents. Tous deux sont citoyens de la RPC. Leurs demandes ont été rejetées par un agent des visas à Hong Kong. La demande de M. Feng a été rejetée en application des articles 39 et 11 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (L.C. 2001, ch. 27) (la LIPR) ainsi que du paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002-227) (le RIPR), au motif que M. Feng ne serait pas en mesure de subvenir à ses propres besoins au Canada et que le mariage entre Mme Chen et lui n’était pas authentique. Mme Chen a porté en appel cette décision auprès de la SAI, et l’appel a par la suite été rejeté.

 

[3]               Mme Chen a déjà été mariée à deux reprises et son époux actuel, M. Jin Feng, a déjà été marié une fois. Mme Chen a acquis le statut de résidente permanente du Canada à l’époque où son deuxième époux l’avait parrainée avec succès. Mme Chen et M. Feng ont tous deux des enfants issus de leurs mariages antérieurs. Mme Chen a une fille âgée de 24 ans qui vit avec son ami de coeur à Vancouver (Canada), et M. Feng a une fille âgée de 16 ans et un fils âgé de 21 ans. La fille de M. Feng n’était pas incluse dans la demande de parrainage.

 

[4]               L’authenticité d’un mariage est une question de fait, et elle commande l’application de la norme de la raisonnabilité conformément à l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190; Buenavista c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 609. En l’espèce, la question en litige consiste donc à savoir si la décision que la SAI a rendue au sujet de l’appel en matière de parrainage est raisonnable.

 

[5]               La Cour signale que Mme Chen n’a pas contesté le fait que la SAI a confirmé la conclusion de l’agent des visas selon laquelle son époux, M. Feng, était incapable de subvenir financièrement à ses besoins et à ceux de son fils au Canada. Le texte de l’article 39 de la LIPR est le suivant :

39. Emporte interdiction de territoire pour motifs financiers l’incapacité de l’étranger ou son absence de volonté de subvenir, tant actuellement que pour l’avenir, à ses propres besoins et à ceux des personnes à sa charge, ainsi que son défaut de convaincre l’agent que les dispositions nécessaires — autres que le recours à l’aide sociale — ont été prises pour couvrir leurs besoins et les siens.

39. A foreign national is inadmissible for financial reasons if they are or will be unable or unwilling to support themself or any other person who is dependent on them, and have not satisfied an officer that adequate arrangements for care and support, other than those that involve social assistance, have been made.

 

 

 

Analyse

 

[6]               Les arguments qui m’ont été soumis sont de deux ordres : premièrement, Mme Chen et M. Feng n’ont pas conclu un mariage authentique et, deuxièmement, un manquement à la justice naturelle a eu lieu à l’audience.

 

[7]               L’article 4 du RIPR présente le cadre législatif applicable :

4. (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou

 

des partenaires conjugaux, selon le cas :

 

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

 

b) n’est pas authentique.

4. (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common-law partnership or conjugal partnership

 

 

 

(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

 

(b) is not genuine.

 

[8]               Conformément à cet article 4, la SAI a confirmé la décision concernant la non‑authenticité du mariage de Mme Chen et de M. Feng :

D’après les éléments de preuve dont j’ai été saisi, je conclus que l’appelante ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve, soit de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que le mariage ne visait pas principalement l’acquisition, par le demandeur, d’un statut aux termes de la Loi et qu’il est authentique. Par conséquent, l’appel est rejeté.

 

 

[9]               L’avocate de Mme Chen soutient qu’en tirant une telle conclusion, la SAI a procédé à un examen microscopique des faits et qu’elle a présenté ou interprété de manière erronée les éléments de preuve qui lui avaient été soumis.

 

[10]           En se fondant sur le témoignage de Mme Chen et de M. Feng, la SAI a conclu que les éléments de preuve présentés n’étaient pas suffisamment convaincants et étaient, à certains égards, irréconciliables. Le commissaire de la SAI a écrit :

Quant à savoir quand les intéressés sont devenus des amis de cœur, la question a été examinée longuement à l’audience. L’appelante n’a pu expliquer de façon satisfaisante comment sa relation avec le demandeur – une relation amicale, a-t-elle dit –, avait pu se muer en une relation amoureuse en février 2006. Elle s’est rendue en Chine en novembre 2006. Elle a fait enregistrer son mariage avec le demandeur deux jours après son arrivée en Chine. À l’audience, elle n’a produit aucun élément de preuve pour expliquer comment sa relation avec le demandeur, d’amicale qu’elle était, a évolué au point que ce dernier l’a demandée en mariage et qu’elle a accepté sa demande en septembre 2006. L’absence d’une explication satisfaisante sur ce point important mine sa crédibilité et dément son assertion selon laquelle le mariage est authentique.

 

[…]

 

J’estime que bon nombre des éléments de preuve présentés en l’espèce ne sont pas convaincants, y compris la majeure partie des dépositions des témoins sur des points importants relatifs à leurs premières rencontres et à l’évolution globale de leur relation.

 

[11]           Lorsqu’un des époux contredit dans une large mesure le témoignage de l’autre, on ne peut pas dire que le décideur a procédé à un examen microscopique parce qu’il a estimé que ces contradictions importantes minaient la crédibilité de l’un des époux ou des deux. Dans la présente affaire, Mme Chen a été contredite par M. Feng relativement à des faits qui étaient importants. Il y a des réponses qui n’ont pas été données ou qui, quant elles l’ont été, étaient contradictoires, à la suite de questions concernant la raison pour laquelle Mme Chen avait attendu deux ans avant de présenter la demande de résidence permanente, la raison pour laquelle la fille de M. Feng n’avait pas été incluse dans la demande de parrainage et la fréquence avec laquelle Mme Chen parlait avec les enfants de M. Feng au téléphone. Ces contradictions étayent la conclusion de la SAI selon laquelle les témoignages de Mme Chen et de M. Feng étaient irréconciliables.

 

[12]           La SAI a également signalé que M. Feng avait confondu les circonstances qui avaient mené au premier divorce de son épouse et celles qui avaient mené à son deuxième divorce. Le commissaire de la SAI a pensé raisonnablement que, dans un mariage authentique, ces circonstances seraient connues.

 

[13]           La SAI a également signalé que la relation entre les demandeurs, d’amicale qu’elle était en février 2006, s’était muée en une proposition et une acceptation de mariage en septembre 2006, avec peu de contacts entre les deux, ce qui étayait sa remarque selon laquelle « [l’]absence d’une explication satisfaisante sur ce point important mine sa crédibilité et dément son assertion selon laquelle le mariage est authentique ».

 

[14]           De plus, la SAI a relevé une différence marquée quant à la mesure dans laquelle Mme Chen s’entretenait avec les deux enfants de M. Feng. La SAI a aussi souligné que M. Feng était très proche de sa fille, mais que Mme Chen n’avait parlé à cette dernière qu’à six reprises avant la date de la demande, et pas une seule fois à son fils. La SAI a également conclu que Mme Chen n’avait pas montré que les efforts qu’elle avait faits pour trouver un emploi à M. Feng au Canada étaient ceux auxquels on s’attendrait raisonnablement de la part d’une épouse.

 

[15]           Les réponses que les deux ont données à la SAI montraient qu’ils n’avaient qu’une connaissance superficielle l’un de l’autre. M. Feng n’était pas au courant des détails des mariages antérieurs de Mme Chen – ni ne savait grand-chose d’autre à son sujet; on s’attendrait à ce qu’un époux actuel en sache davantage. Une lecture de la transcription étaye la conclusion selon laquelle Mme Chen et M. Feng se sont exprimés vaguement à propos de la nature de leur relation et de leur mariage.

 

[16]           La conclusion de la SAI selon laquelle le témoignage du couple n’était pas suffisamment convaincant (« cogency » dans la version anglaise de la présente décision) appartient également aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Selon le Canadian Oxford English Dictionary (deuxième édition), le mot cogency signifie [traduction] « force probante » ou « caractère convaincant ». Ni Mme Chen ni M. Feng n’ont fourni une preuve qui justifiait une conclusion plus convaincante que celle que la SAI a tirée. Je ne suis pas d’avis que la SAI a procédé à un examen microscopique des faits.

 

 

Manquement à la justice naturelle

 

[17]           Il s’agit là d’un argument attrayant, mais il n’en reste pas moins qu’on ne peut pas le retenir. Certes, le commissaire de la SAI a montré qu’il se préoccupait du temps réservé aux questions posées à l’audience, mais on ne peut pas dire que les restrictions de temps ont porté préjudice à Mme Chen ou à son conseil à l’audience ou les a empêchés de faire valoir sa cause. Le commissaire de la SAI a bel et bien dit à un certain moment au conseil de Mme Chen qu’il ne serait autorisé qu’à poser une seule question supplémentaire et il en a discuté avec lui et a perdu ainsi du temps; il lui a toutefois bel et bien permis d’interroger longuement sa cliente en plus de poser cette unique question.

 

[18]           Je note également que : 1) la durée de l’audience était prévue pour une demi-journée, ce que le commissaire de la SAI a considéré comme 3,5 heures d’audition. Le conseil de Mme Chen a convenu du délai au début de l’audience et ne s’est pas opposé au temps alloué; 2) le conseil du ministre a été soumis aux mêmes limites de temps; 3) Mme Chen n’a pas subi de préjudice sur le plan du fond, ou sur celui de la procédure, car elle a pu présenter autant d’éléments de preuve que le temps disponible le permettait; 4) le commissaire de la SAI a indiqué au conseil de répartir son temps avec soin entre ses deux témoins, et ce dernier a déclaré qu’il le ferait dans le délai alloué.

 

[19]           Les cours de justice, à tous les échelons, et les tribunaux administratifs ont le pouvoir discrétionnaire, voire l’obligation, de veiller à trouver un juste équilibre entre le fait d’assurer une audience complète et équitable et celui d’assurer un accès efficace et efficient à la justice. La manière dont cet équilibre est fixé est discrétionnaire, mais les cours de contrôle veilleront toujours à ce que les aspects fondamentaux de la justice naturelle ne soient pas compromis. Le droit à une audience équitable et complète n’oblige pas les tribunaux administratifs, ou les cours de justice, à renoncer au contrôle qu’ils exercent sur les dossiers en faveur des parties. Ce qui constitue une audience équitable est principalement une analyse contextuelle, éclairée par la nature des droits en litige, ainsi que les dispositions du régime législatif ou réglementaire qui sous-tend le processus décisionnel. Une audience équitable n’est pas forcément la « plus complète » des audiences. En définitive, la détermination de l’équité, au stade du contrôle, consistera à savoir si le demandeur ou la partie ont eu la possibilité de répliquer aux arguments avancés contre eux.

 

[20]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[21]           Aucune question à certifier n’a été proposée et il ne s’en pose aucune.


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question à certifier n’a été proposée et il ne s’en pose aucune.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1106-11

 

INTITULÉ :                                       YAN CHEN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 6 octobre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :
                              Le juge Rennie

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 7 novembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Krassina Kostadinov

POUR LA DEMANDERESSE

 

Asha Gafar

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lorne Waldman & Associates
Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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