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 Date: 20111107


Dossier : IMM-1260-11

Référence : 2011 CF 1263

Ottawa (Ontario), le 7 novembre 2011

En présence de monsieur le juge Martineau

 

ENTRE :

 

BEHZAD KHALILZADEH

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur est citoyen iranien. Il conteste la légalité d’une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, Section de la protection des réfugiés (le tribunal), rejetant sa demande d’asile au motif qu’il n’est pas crédible, et objectivement parlant, qu’il n’est pas exposé à un danger personnalisé advenant un retour dans son pays.

 

[2]               Essentiellement, le demandeur craint d’être persécuté et pour sa vie parce qu’il a refusé de divulguer aux autorités iraniennes l’identité d’une source possédant des informations au sujet des circonstances de la mort de Zahra Kazemi, la journaliste irano-canadienne décédée en juillet 2003 dans une prison de son pays. L’implication du demandeur dans les activités déclarées illégales de la compagnie Gold Quest International, une compagnie de vente de type pyramidal, serait le prétexte invoqué par les autorités pour l’arrêter ou le rechercher encore aujourd’hui. De plus, le demandeur dit être un « réfugié sur place » parce qu’il a participé à des manifestations organisées à Montréal contre le régime iranien après les élections présidentielles de juin 2009.

 

[3]               Dans sa décision motivée, le tribunal conclut que le demandeur n’est ni un « réfugié » au sens de la Convention ni une « personne à protéger ». Bien entendu, le demandeur n’est pas d’accord avec le raisonnement et les conclusions du tribunal. Par exemple, comment expliquer que le tribunal ait ignoré ou n’ait accordé aucun poids aux déclarations du frère du demandeur et de Mehdi Saberi (dont il sera question plus loin), qui appuient les allégations de persécution et de risque du demandeur?

 

[4]                Avec force et conviction, le demandeur soumet que s’il n’en était des erreurs de fait du tribunal, la demande d’asile serait autrement fondée. Mais ceci n’est pas le test à appliquer. La norme de contrôle étant celle de la décision raisonnable, la Cour doit limiter son contrôle « à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59).

 

[5]               Ceci dit, il est bien établi que le tribunal est présumé avoir soupesé toute la preuve dont il est saisi et en avoir tenu compte jusqu'à preuve du contraire (notamment Santos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 706 au para 25), et en l’espèce, le demandeur ne m’a pas convaincu que la conclusion générale du tribunal est déraisonnable.

 

[6]               En premier lieu, le tribunal n’a pas cru que le demandeur s’était échappé d’Iran une première fois en 2006 comme il l’a allégué dans son formulaire de renseignements personnels (FRP). La conclusion du tribunal s’appuie sur la preuve au dossier et ne m’apparait pas déraisonnable en l’espèce. Aux dires du demandeur, il a aussi fait une demande d’asile en Suède en 2006 et est retourné en Iran en 2008. Considérant la réponse négative du demandeur à l’audience au sujet des documents officiels (soi-disant laissés en Suède) et l’ignorance du nom de son avocat en Suède, et vu également l’absence de toute demande de sa représentante afin d’obtenir un délai pour se procurer ces documents, le demandeur ne saurait aujourd’hui se plaindre qu’il y a eu violation de la justice naturelle. Il était simplement trop tard pour soumettre en preuve au tribunal une lettre non-traduite d’un tribunal d’appel en matière d’immigration à Stockholm, datée du 28 février 2008, que le demandeur dit aujourd’hui n’avoir reçue qu’après avoir été informé de la décision négative du tribunal.

 

[7]               Deuxièmement, le tribunal n’a pas retenu l’allégation du demandeur selon laquelle il a été suspendu en juillet 2003 de son travail de journaliste à temps partiel après avoir fait un rapport au bureau de rédaction relatant les circonstances suspectes de la mort de Madame Kazemi. Rappelons que selon son FRP, une source non-identifiée lui aurait alors appris que Zahra Kazemi n’était pas morte de causes naturelles, mais à la suite d’un coup à la tête. Le demandeur aurait toutefois refusé de divulguer le nom de cette source à son supérieur, et quelque temps après, des agents du service de renseignement l’auraient interrogé et même menacé s’il persistait dans son refus.

 

[8]               Or, le tribunal a jugé invraisemblable toute cette partie de son récit, puisque, selon la preuve au dossier, la mort de Madame Kazemi avait été reportée par les médias internationaux dès le 11 juillet 2003, et le vice président iranien avait publiquement admis, le 13 juillet 2003, que celle-ci était morte en prison. Le demandeur aurait donc pu avoir obtenu ces informations autrement que par une source clandestine : une inférence qu’autorisait la preuve au dossier et qui ne m’apparait pas déraisonnable compte tenu des autres problèmes de crédibilité du demandeur.

 

[9]               Troisièmement, le demandeur raconte qu’en septembre 2003, des agents ont procédé à une descente dans le bureau de vente de la Gold Quest International, où il travaillait avec son ami et associé, Mehdi Saberi. Pendant son absence, les agents ont arrêté son ami. Voyant un lien direct avec les problèmes qu’il avait eus à son journal, le demandeur quitte alors Téhéran pour vivre en cachette à Karaj, puis à Tabriz, où il effectue des petits boulots. Nous avons vu plus haut que le tribunal n’a pas cru que le demandeur a quitté l’Iran en 2006 pour y revenir en 2008. Quoiqu’il en soit, vu que M. Saberi n’a été libéré qu’en mars 2010, soit plus de six ans plus tard, le demandeur craint aujourd’hui d’être persécuté et de subir un traitement cruel et inusité s’il doit retourner en Iran.

 

[10]           En l’espèce, le tribunal pouvait raisonnablement conclure que l’implication passée du demandeur dans les activités de la Gold Quest, objectivement parlant, n’était pas un motif valable de crainte de persécution ou de crainte pour sa vie. D’une part, selon le FRP du demandeur et son témoignage devant le tribunal, celui-ci n’était plus un membre actif de la compagnie lorsque les activités de la Gold Quest ont été déclarées illégales et que ses bureaux ont été fermés à Téhéran en septembre 2005. Le demandeur a mentionné dans son FRP et son témoignage devant le tribunal qu’il avait cessé de travailler pour la Gold Quest en septembre 2003, mais qu’il avait continué de payer des frais d’abonnement dans l’espérance de récupérer un montant de 25 000 $ que la compagnie lui devait à titre de commission. Qui plus est, le tribunal pouvait raisonnablement conclure qu’il n’y avait aucune preuve tangible que les autorités iraniennes étaient à la recherche du demandeur (les activités ayant eu lieu plusieurs années auparavant), et que même si cela était le cas, aucune preuve n’avait été faite relativement à la nature des peines que le demandeur risquerait aujourd’hui.

 

[11]           Au risque de me répéter, le demandeur soumet sa propre interprétation des faits et invite cette Cour à se substituer au tribunal pour conclure que la descente en septembre 2003 aux bureaux de la Gold Quest n’était qu’un simple prétexte, le motif réel étant relié à l’affaire Kazemi. À mon avis, il n’était toutefois pas déraisonnable de considérer que le demandeur n’avait pas rencontré son fardeau de la preuve, compte tenu de l’ensemble des circonstances, notamment si l’on accepte sa version des faits, qu’il soit retourné en Iran en août 2008 sans être arrêté et qu’il se soit également écoulé plus de sept ans depuis qu’il n’est plus un membre actif de la Gold Quest.

 

[12]           Quatrièmement, le demandeur conteste la légalité de la conclusion du tribunal à l’effet qu’il n’est pas un « réfugié sur place ». Celle-ci ne m’apparait pas déraisonnable même si le demandeur a participé à des manifestations contre le régime iranien à Montréal. Le fait que rien ne démontre que celui-ci ait été photographié ou identifié d’une autre manière durant ces manifestations, où ont participé des centaines de manifestants, m’apparait un facteur pertinent, bien qu’il ne soit pas nécessairement déterminant. Tout dépend des circonstances de chaque cas qu’il faut au demeurant évaluer en ayant en vue toute la preuve documentaire (Zaree c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 889 au para 14). N’empêche, les maigres allégations du demandeur dans son FRP et ses réponses à l’audience ne laissaient pas beaucoup de choix au tribunal au niveau de l’analyse et peuvent expliquer ici le caractère assez sommaire des motifs de rejet à cet égard.

 

[13]           Pour conclure, la conclusion générale du tribunal à l’effet que le demandeur n’a pas rencontré le fardeau de prouver qu’il pourrait être persécuté ou exposé à un risque personnalisé advenant un retour en Iran m’apparait raisonnable à tous égards et ne doit pas être révisée par la Cour.

 

[14]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire doit échouer. Aucune question de portée générale n’a été proposée par les procureurs à la Cour.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question ne sera certifiée.

 

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1260-11

 

INTITULÉ :                                       BEHZAD KHALILZADEH c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 1 novembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                      le 7 novembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Annie Bélanger

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Jocelyne Murphy

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bélanger, Fiore

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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