[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 1er novembre 2011
En présence de M. le juge Russell
ENTRE :
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et INARA ALI
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] La Cour est saisie d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision, en date du 7 janvier 2011, (la décision) par laquelle un agent d’immigration désigné (l’agent) du Centre régional de programme de l’immigration de Buffalo (New York) a refusé la demande de visa de résident permanent présentée par les demandeurs en vertu du paragraphe 75(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement).
CONTEXTE
[2] Le demandeur principal, Abdulaziz Ali, est un citoyen des États‑Unis originaire du Pakistan. Farida Ali (Farida) est son épouse et Inara Ali (Inara) est sa fille adoptive. Farida et Inara sont toutes les deux citoyennes du Pakistan.
[3] En mars 2008, les demandeurs ont présenté une demande de visas de résident permanent en vertu du Programme des travailleurs qualifiés (fédéral). Leur demande était fondée sur les qualifications du demandeur principal. À l’appui de la demande, le demandeur principal a soumis les pièces suivantes : relevés des gains T4 (les feuillets T4) pour 2008 et 2009, bordereaux de paie pour les mois d’octobre et de novembre 2008, lettre dressant la liste des divers emplois qu’il avait exercés entre août 1978 et 2008 et lettres d’appui de divers employeurs, dont la plus récente remontait à 2003. Il a également soumis un relevé de notes et une lettre du registraire chargé du service d’inscription et de tenue des dossiers à l’Université du Koweït, un dossier scolaire de l’étudiant de l’Université Loyola de Chicago (Illinois) ainsi qu’un certificat IELTS (International English Language Testing System). Les demandeurs ont également produit leurs passeports et les documents d’adoption concernant Inara.
[4] En mai 2009, un fonctionnaire du Consulat général du Canada (le Consulat général), qui est identifié sous les initiales SM dans les notes du STIDI, a estimé qu’il était nécessaire d’organiser une entrevue pour confirmer l’authenticité des liens entre le demandeur principal et Farida et Inara, des antécédents professionnels du demandeur principal, du diplôme de l’Université du Koweït du demandeur principal, de l’emploi réservé du demandeur principal, des diplômes d’études de Farida et des relations familiales des demandeurs au Canada. Le Consulat général a fixé l’entrevue au 2 septembre 2010, mais les demandeurs ne s’y sont pas présentés.
[5] Le Consulat général a constaté, après que les demandeurs se furent renseignés au sujet de l’état de leur demande en décembre 2010, qu’ils n’avaient pas reçu la lettre les convoquant à l’entrevue. Le Consulat général a fixé une nouvelle entrevue pour le 6 janvier 2011. Le demandeur principal s’est présenté et l’agent l’a interrogé.
[6] Les notes du STIDI indiquent que l’agent a informé le demandeur principal de l’objet de l’entrevue et lui a précisé qu’il pouvait être interrogé sur tout autre aspect de sa demande. L’agent a interrogé le demandeur principal au sujet de ses liens familiaux au Canada, de ses études, de l’adoption de sa fille et de ses antécédents professionnels. À la fin de l’entrevue, l’agent a expliqué au demandeur principal que sa demande était refusée et qu’une lettre de refus suivrait.
[7] Le 11 janvier 2011, le conseiller en immigration des demandeurs a envoyé à l’agent un courriel dans lequel il exprimait ses préoccupations au sujet des questions qui avaient été posées au demandeur principal relativement à ses diplômes lors de l’entrevue. Dans ce courriel, le conseiller passait en revue les diplômes du demandeur principal et affirmait que les relevés de notes originaux pouvaient être produits sur demande. Le consulat général a répondu par lettre datée du 20 janvier 2011 que la demande avait déjà été refusée et que les demandeurs pouvaient présenter une autre demande s’ils disposaient de nouveaux renseignements.
LA DÉCISION CONTESTÉE
[8] En l’espèce, la décision consiste en la lettre adressée par l’agent aux demandeurs le 7 janvier 2011 et en les notes du STIDI versées au dossier.
[9] L’agent a attribué au demandeur principal un total de 48 points répartis comme suit :
Catégorie Points attribués Maximum
Âge 0 10
Études 05 25
Expérience de travail 15 21
Emploi réservé au Canada 10 10
Compétence dans les langues officielles 08 24
Adaptabilité 10 10
TOTAL 48 100
[10] Les passages de la décision qui sont en litige dans la présente affaire se rapportent aux points que l’agent a attribués pour l’expérience de travail, les études et la compétence dans les langues officielles.
Expérience de travail
[11] L’agent a attribué au demandeur principal 15 points pour son expérience de travail. L’agent estimait qu’il n’avait pas fourni des documents suffisants pour justifier ses prétentions quant aux emplois qu’il avait exercés entre 1998 et 2008. Il n’avait pas soumis de document objectif établissant ses revenus, tel que des déclarations W‑2 (déclaration de salaire et d’impôt relativement aux emplois exercés aux États‑Unis), des déclarations de revenus ou des bordereaux de paie. Le demandeur principal a toutefois soumis des feuillets T4 canadiens se rapportant à l’emploi qu’il avait exercé pour Illustrate Inc. en 2008 et 2009.
[12] L’agent a également relevé plusieurs contradictions entre l’expérience de travail déclarée par le demandeur principal dans sa demande et les réponses qu’il avait données à l’entrevue. L’agent lui a demandé comment il avait pu travailler pour Elegant Accent à Reading, en Pennsylvanie, d’avril 2000 à mai 2002, ainsi qu’il le déclarait dans sa demande, alors qu’il avait affirmé à l’entrevue qu’il se trouvait au Pakistan entre 2000 et 2004. Le demandeur principal n’a pas répondu à cette question.
[13] L’agent a également émis d’autres réserves au sujet de l’expérience de travail déclarée par le demandeur principal pour la période comprise entre 2005 et 2008. Dans sa demande, le demandeur principal affirmait qu’il avait été travailleur autonome aux États‑Unis. Toutefois, lors de son entrevue, il a déclaré qu’il vivait au Canada depuis 2004. Invité à expliquer cette contradiction, le demandeur principal a déclaré qu’il exploitait en fait l’entreprise à partir de l’adresse de son beau‑frère en Illinois. L’agent a appris que cette entreprise n’avait pas été officiellement enregistrée en Illinois et qu’elle n’avait jamais fourni de biens ou de services. Lorsque l’agent lui a demandé pourquoi il avait mentionné une entreprise qui n’avait jamais exercé d’activités, le demandeur principal a répondu qu’il voulait garder cette entreprise en activité afin de l’exploiter plus tard pour le cas où il retournerait aux États‑Unis.
[14] L’agent n’a attribué aucun point pour l’expérience de travail que le demandeur prétendait avoir accumulée aux États‑Unis et au Pakistan en raison de l’absence de preuves documentaires pour la période comprise entre 1998 et 2008, c’est‑à‑dire la période de dix ans précédant le dépôt de sa demande, et des réponses insatisfaisantes du demandeur principal. L’agent a accordé au demandeur principal 15 points pour son expérience de travail parce qu’il avait obtenu un permis de travail temporaire en juillet 2008.
Études
[15] L’agent a attribué cinq points au titre des études en raison de ses doutes sérieux au sujet du diplôme de premier cycle que le demandeur affirmait avoir obtenu de l’Université du Koweït.
[16] En premier lieu, l’agent a signalé que le demandeur principal avait produit une attestation qu’il prétendait provenir du registraire chargé du service d’inscription et de tenue des dossiers à l’Université du Koweït et qui portait la mention [traduction] « À QUI DE DROIT ». L’agent a déclaré que dans ce document, daté du 12 décembre 1998, cinq polices de caractères différentes avaient été utilisées et que le texte était mal aligné. Le relevé de notes que le demandeur principal avait produit était une photocopie qui portait aussi la mention [traduction] « À QUI DE DROIT ».
[17] En deuxième lieu, l’agent a fait observer que le demandeur principal prétendait avoir obtenu son diplôme en 1976 alors que les relevés de notes et la lettre étaient postérieurs de douze ans à ce diplôme. Toutefois, selon le dossier certifié du tribunal, les relevés de notes et la lettre étaient en fait datés de 1998. Interrogé à ce sujet, le demandeur principal a répondu que l’original du diplôme avait brûlé dans un incendie au Koweït et qu’il avait communiqué avec l’Université en 1998 pour obtenir une copie de son relevé de notes. Quand on lui a demandé pourquoi il n’avait pas communiqué avec l’Université du Koweït pour obtenir une copie de remplacement de son diplôme ainsi qu’une copie certifiée conforme de ses relevés de notes, le demandeur principal a répondu que le Koweït n’était pas un pays très évolué et qu’il avait envoyé de nombreux courriels au Koweït et avait fait de nombreux appels téléphoniques pour obtenir le remplacement de son diplôme, mais qu’il n’avait jamais obtenu la collaboration des autorités. L’agent a demandé au demandeur principal s’il avait des copies des courriels en question, ce à quoi le demandeur principal a répondu par la négative.
[18] L’agent a écrit dans les notes du STIDI qu’il avait expliqué au demandeur principal que le site Internet et les directives à suivre pour demander le statut de résident permanent
[traduction] [indiquaient] clairement les documents requis, de sorte que, s’il choisissait de faire fi de ces instructions, il acceptait le risque que l’insuffisance de ces documents pose problème lorsqu’il s’agirait de faire la preuve de ses études.
En réponse à l’affirmation du demandeur principal suivant laquelle il avait été admis à un programme de maîtrise à l’Université Loyola de Chicago, ce qui démontrait qu’il était titulaire d’un diplôme de premier cycle, l’agent a répondu qu’on ne pouvait se fier à des renseignements de seconde main ou à du ouï-dire.
[19] L’agent a décidé que les documents soumis par le demandeur principal pour justifier ses études étaient insuffisants et lui a attribué cinq points pour avoir terminé ses études secondaires.
Compétence dans les langues officielles
[20] L’agent a attribué au demandeur principal un total de huit points pour ses compétences en anglais en raison de sa maîtrise moyenne des quatre aptitudes évaluées (écouter, parler, lire et écrire). L’agent a expliqué que son évaluation reposait sur les éléments de preuve à l’appui qui lui avaient été soumis.
Conclusion
[21] Le demandeur principal n’avait pas accumulé les 67 points minimums requis et a donc refusé sa demande.
QUESTIONS EN LITIGE
[22] Les demandeurs soulèvent les questions suivantes dans leurs observations écrites, mais ils ont modifié leur thèse lors de l’instruction de la présente demande de contrôle judiciaire :
a. L’agent a‑t‑il commis une erreur dans son attribution de points sous les rubriques des études, de la compétence linguistique et de l’expérience de travail?
b. Le demandeur principal s’est‑il vu privé de la possibilité de répondre, du fait que l’agent ne l’a pas informé que l’entrevue comporterait des questions au sujet de son expérience de travail, de ses études et de sa compétence en anglais?
c. Les motifs de l’agent étaient‑ils suffisants?
d. L’agent avait‑il un parti pris?
DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES
[23] Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :
Immigration économique 12. …
(2) La sélection des étrangers de la catégorie « immigration économique » se fait en fonction de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada. |
Economic Immigration 12. …
(2) A foreign national may be selected as a member of the economic class on the basis of their ability to become economically established in Canada.
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[24] Les dispositions suivantes du Règlement s’appliquent également en l’espèce :
Travailleurs qualifiés (fédéral)
75. (1) Pour l’application du paragraphe 12(2) de la Loi, la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents du fait de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada, qui sont des travailleurs qualifiés et qui cherchent à s’établir dans une province autre que le Québec.
(2) Est un travailleur qualifié l’étranger qui satisfait aux exigences suivantes :
a) il a accumulé au moins une année continue d’expérience de travail à temps plein au sens du paragraphe 80(7), ou l’équivalent s’il travaille à temps partiel de façon continue, au cours des dix années qui ont précédé la date de présentation de la demande de visa de résident permanent, dans au moins une des professions appartenant aux genre de compétence 0 Gestion ou niveaux de compétences A ou B de la matrice de la Classification nationale des professions — exception faite des professions d’accès limité;
b) pendant cette période d’emploi, il a accompli l’ensemble des tâches figurant dans l’énoncé principal établi pour la profession dans les descriptions des professions de cette classification;
c) pendant cette période d’emploi, il a exercé une partie appréciable des fonctions principales de la profession figurant dans les descriptions des professions de cette classification, notamment toutes les fonctions essentielles.
(3) Si l’étranger ne satisfait pas aux exigences prévues au paragraphe (2), l’agent met fin à l’examen de la demande de visa de résident permanent et la refuse.
Critères de sélection
76. (1) Les critères ci‑après indiquent que le travailleur qualifié peut réussir son établissement économique au Canada à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) :
a) le travailleur qualifié accumule le nombre minimum de points visé au paragraphe (2), au titre des facteurs suivants :
(i) les études, aux termes de l’article 78,
(ii) la compétence dans les langues officielles du Canada, aux termes de l’article 79,
(iii) l’expérience, aux termes de l’article 80,
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Federal Skilled Worker Class
75. (1) For the purposes of subsection 12(2) of the Act, the federal skilled worker class is hereby prescribed as a class of persons who are skilled workers and who may become permanent residents on the basis of their ability to become economically established in Canada and who intend to reside in a province other than the Province of Quebec.
(2) A foreign national is a skilled worker if
(a) within the 10 years preceding the date of their application for a permanent resident visa, they have at least one year of continuous full‑time employment experience, as described in subsection 80(7), or the equivalent in continuous part‑time employment in one or more occupations, other than a restricted occupation, that are listed in Skill Type 0 Management Occupations or Skill Level A or B of the National Occupational Classification matrix;
(b) during that period of employment they performed the actions described in the lead statement for the occupation as set out in the occupational descriptions of the National Occupational Classification; and
(c) during that period of employment they performed a substantial number of the main duties of the occupation as set out in the occupational descriptions of the National Occupational Classification, including all of the essential duties.
(3) If the foreign national fails to meet the requirements of subsection (2), the application for a permanent resident visa shall be refused and no further assessment is required.
Selection criteria
76. (1) For the purpose of determining whether a skilled worker, as a member of the federal skilled worker class, will be able to become economically established in Canada, they must be assessed on the basis of the following criteria:
(a) the skilled worker must be awarded not less than the minimum number of required points referred to in subsection (2) on the basis of the following factors, namely,
(i) education, in accordance with section 78,
(ii) proficiency in the official languages of Canada, in accordance with section 79,
(iii) experience, in accordance with section 80, |
NORME DE CONTRÔLE
[25] Dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a expliqué qu’il n’était pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à la question particulière qui lui est soumise est bien arrêtée par la jurisprudence, la cour de révision peut l’adopter. C’est seulement lorsque cette recherche s’avère infructueuse que la cour de révision entreprend l’analyse des quatre éléments qui permettent d’arrêter la norme de contrôle.
[26] Dans Kniazeva c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2006 CF 268, le juge Yves de Montigny a statué que l’appréciation d’une demande de résidence permanente dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) relève de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire à l’égard duquel la Cour doit faire preuve d’une très grande retenue. De plus, dans Persaud c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2009 CF 206, le juge John O’Keefe a estimé que la norme de contrôle applicable en ce qui concerne une décision relative à la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) était celle de la décision raisonnable (voir également Tong c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 165). La norme de contrôle en ce qui concerne la première question est celle de la décision raisonnable.
[27] La Cour qui contrôle une décision en fonction de la norme de la décision raisonnable se demande « si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité, [laquelle] tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59). En d’autres termes, la Cour ne doit intervenir que si la décision est déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».
[28] La possibilité de répondre et le caractère suffisant des motifs sont des questions d’équité procédurale. Dans Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] ACS no 28, la Cour suprême du Canada a jugé que la norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale était celle de la décision correcte. De plus, dans Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 53, la Cour d’appel fédérale a statué que « [l]a question de l’équité procédurale est une question de droit. Aucune déférence n’est nécessaire. Soit le décideur a respecté l’obligation d’équité dans les circonstances propres à l’affaire, soit il a manqué à cette obligation ». La norme de contrôle applicable à la deuxième et à la troisième question est donc celle de la décision correcte.
[29] De plus, dans Dunsmuir, précité, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit, au paragraphe 50 :
La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.
[30] Dans Committe for Justice and Liberty c Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 RCS 369, [1976] ACF no 118, le juge de Grandpré explique, à la page 394, que le critère permettant de juger s’il y a eu partialité est le suivant :
[...] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle‑même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d’appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait‑elle que, selon toute vraisemblance, M. Crowe, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »
Malgré le fait que le juge de Grandpré était dissident, cet énoncé du critère applicable a par la suite été repris par la Cour suprême du Canada dans R c RDS, [1997] 3 RCS 484, [1997] ACF no 84 [RDS], dans lequel le juge Cory déclare ce qui suit, au paragraphe 114 :
La charge d’établir la partialité incombe à la personne qui en allègue l’existence […] De plus, la crainte raisonnable de partialité sera entièrement fonction des faits de l’espèce.
La question de savoir si l’agent avait un parti pris est une question de fait qui relève de la compétence de la cour de révision (voir également Martinez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1065).
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Les demandeurs
L’attribution des points par l’agent est erronée
Études
[31] Les demandeurs soutiennent que l’agent a commis une erreur en ne reconnaissant pas le baccalauréat ès sciences de l’Université du Koweït du demandeur principal. Ils affirment que l’original du diplôme a brûlé dans un incendie et qu’ils n’avaient pas réussi à obtenir une copie de remplacement de l’Université du Koweït.
[32] Pour démontrer l’authenticité des diplômes du demandeur principal, les demandeurs font valoir que ce dernier n’aurait jamais pu s’inscrire à une maîtrise s’il n’avait pas déjà un baccalauréat. L’agent a commis une erreur selon eux en n’acceptant pas que ce fait démontrait que les diplômes produits étaient authentiques. Si l’agent avait accepté cet élément de preuve, le demandeur principal aurait obtenu 20 points pour ses études.
Expérience de travail
[33] Les demandeurs affirment que le demandeur principal a exercé les emplois suivants au cours de la période de dix ans précédant le dépôt de la demande :
· Juillet 1997 à janvier 2000 : Conestoga Wood Specialyies [sic], Inc., Reading (Pennsylvanie), États‑Unis.
· Avril 2000 à mai 2002 : Elegent [sic] Accent, Reading (Pennsylvanie), États‑Unis.
· Novembre 2002 à janvier 2005 : Paper Centre International, Karachi, Pakistan.
· Janvier 2005 à août 2008 : Data Management Solutions, Prairie View (Illinois), États‑Unis.
[34] Le demandeur principal aurait dû obtenir le maximum de 21 points sous cette rubrique.
Compétence en anglais
[35] Les demandeurs soutiennent que l’agent aurait dû accorder 16 points au demandeur principal dans la catégorie de la compétence en anglais. Ils affirment que le demandeur principal maîtrise très bien la langue anglaise, signalant qu’il a fait ses études primaires, secondaires et universitaires de premier cycle en anglais. Ils signalent également que le demandeur principal a fait des études de maîtrise aux États‑Unis et qu’il est un citoyen américain qui a étudié, travaillé et enseigné aux États‑Unis.
[36] Finalement, les demandeurs signalent les résultats du test IELTS du 7 février 2005 qu’ils ont soumis avec leur demande. Ce document prouve la compétence en anglais du demandeur principal, qui aurait dû recueillir 16 points à ce chapitre.
[37] Le demandeur principal aurait ainsi obtenu plus que les 67 points exigés pour la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) si l’agent lui avait accordé le bon nombre de points, et leur demande n’aurait pas dû être refusée.
L’agent a violé le droit à l’équité procédurale du demandeur principal
[38] Les demandeurs affirment que l’agent a manqué à l’obligation d’équité procédurale à laquelle il était tenu envers le demandeur principal en ne lui disant pas qu’on lui poserait, à l’entrevue du 6 janvier 2011, des questions au sujet de son expérience de travail, de ses études et de sa compétence en anglais. Si l’agent le lui avait dit, le demandeur principal aurait été en mesure de produire des documents et des renseignements qui auraient permis de répondre aux préoccupations de l’agent.
[39] Les demandeurs affirment que l’agent n’a jamais indiqué dans sa correspondance, et notamment dans la demande d’entrevue, qu’il avait des réserves au sujet des études, de l’expérience de travail et de la compétence en anglais du demandeur principal. Cette façon de procéder va à l’encontre de Hernandez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 429, qui, selon les demandeurs, oblige les agents à informer les demandeurs de l’objet de l’entrevue. Ils signalent que, dans la lettre de convocation à l’entrevue, les seuls documents expressément réclamés étaient les passeports et les permis de conduire des demandeurs. Lors de l’entrevue, l’agent a demandé au demandeur principal de lui produire ses déclarations W‑2 et le demandeur principal a répondu qu’il ne les avait pas avec lui étant donné qu’il ne savait pas qu’il devait les apporter. Le demandeur principal aurait apporté toutes les pièces se rapportant à ses emplois antérieurs si on les lui avait demandées dans la lettre de convocation à l’entrevue.
[40] Les demandeurs affirment que l’agent leur a refusé la possibilité de répondre lorsqu’il a rendu sa décision au sujet du dossier sans leur accorder la possibilité de soumettre d’autres pièces justificatives qui auraient permis de répondre aux préoccupations soulevées par l’agent lors de l’entrevue. Les demandeurs soulignent que la décision a été rendue à la fin de l’entrevue, les privant ainsi de la possibilité de répondre.
[41] Les demandeurs affirment également que les lettres qui leur avaient été envoyées en prévision de l’entrevue les autorisaient légitimement à s’attendre à ce que l’expérience de travail du demandeur principal ne fasse pas partie des questions qui seraient abordées à l’entrevue. Ils ont été pris au dépourvu lorsque l’agent a réclamé des pièces justificatives au sujet des antécédents professionnels du demandeur principal, étant donné que les lettres que le Consulat général leur avait adressées indiquaient seulement qu’ils devaient avoir avec eux des pièces d’identité.
Les motifs de l’agent étaient insuffisants
[42] Les demandeurs signalent que, suivant Healey c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 355, la question de savoir si la décision est suffisamment motivée est une question d’équité procédurale. Ils affirment que l’agent n’a pas motivé suffisamment sa décision.
L’agent avait un parti pris
[43] Les demandeurs affirment que l’agent avait un parti pris. Ils soutiennent qu’il a rendu sa décision sur le dossier en se fondant sur d’autres motifs que ceux qui sont prévus au paragraphe 76(1) du Règlement. Les demandeurs ont retiré cette allégation lors de l’audience relative au contrôle judiciaire.
Le défendeur
Questions préliminaires
[44] Le défendeur soulève deux questions préliminaires. En premier lieu, les demandeurs n’ont pas produit d’affidavit établissant les faits invoqués à l’appui de la demande. Or, l’alinéa 10(2)d) des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22 oblige le demandeur à produire de tels affidavits pour pouvoir mettre sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire en état. Le défendeur affirme que, même si les demandeurs ont soumis à la Cour les documents qu’ils affirment avoir présentés à l’agent, ils ne les ont pas produits sous forme d’affidavit.
[45] En second lieu, le défendeur souligne que les demandeurs ont produit une lettre complémentaire dans une enveloppe scellée contenant une copie certifiée conforme des relevés de notes du demandeur principal à l’Université du Koweït. Le défendeur affirme que la Cour ne devrait pas tenir compte de cette lettre étant donné qu’elle n’avait pas été portée à la connaissance de l’agent au moment de sa décision. Le défaut de produire un relevé de notes certifié conforme est la raison pour laquelle l’agent n’a accordé au demandeur principal que cinq points pour ses études; les demandeurs ne peuvent maintenant tenter de corriger la situation en soumettant ce document dans le cadre d’un contrôle judiciaire.
L’agent n’a pas violé le droit à l’équité procédurale du demandeur principal
[46] Le défendeur affirme qu’il incombait aux demandeurs de convaincre pleinement l’agent quant à tous les facteurs positifs justifiant leur demande (voir Oladipo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 366, au paragraphe 24, à l’appui de cette proposition). L’agent n’avait pas l’obligation d’offrir aux demandeurs plusieurs possibilités de le convaincre au sujet des éléments essentiels qu’ils avaient pu oublier. Le rôle de l’agent consiste à évaluer la demande sur la foi des renseignements et des pièces justificatives qui lui ont été soumis.
[47] Le défendeur soutient que lorsque les pièces soumises sont ambiguës ou sont insuffisantes pour convaincre l’agent, celui‑ci n’a aucune obligation générale en droit de réclamer des renseignements additionnels avant de rejeter la demande (Veryamani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1268). Se fondant sur Hassani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283, le défendeur affirme également que l’agent n’est pas tenu de faire part de ses réserves avant de rendre sa décision lorsque ces réserves découlent directement des exigences du Règlement.
[48] Le défendeur invoque Malik c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1283 [Malik] à l’appui de la proposition que l’obligation d’équité à laquelle l’agent est tenu envers le demandeur qui présente une demande de résidence permanente dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) est peu exigeante. Il signale que, dans Malik, le juge Robert Mainville a déclaré ce qui suit aux paragraphes 26 et 29 :
[…] le demandeur n’a pas un droit absolu d’entrer au Canada et d’y demeurer : Chiarelli, précité, pages 733‑734. Il a sollicité la résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés, et la procédure prévue par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, et par son Règlement, prévoient l’application de critères clairs et précis, selon un système de notation, ce qui laisse peu de pouvoir discrétionnaire aux agents des visas et qui ne requiert pas en principe une entrevue ou autre type de rencontre avec les candidats. La nature du régime réglementaire, le rôle de la décision de l’agent des visas dans le régime global, enfin la procédure choisie, tout cela n’appelle donc pas la mise en place de garanties procédurales absolues au‑delà de ce que prévoit déjà la loi, si ce n’est la garantie procédurale de la communication de renseignements aux candidats concernant les critères appliqués et les documents requis pour une bonne évaluation de leurs demandes de visas. La décision de faire droit ou non à une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés est évidemment importante pour l’intéressé, mais elle ne l’est pas au point de porter atteinte aux libertés fondamentales ou autres droits fondamentaux d’un candidat, comme pourrait le faire une procédure criminelle ou, dans le contexte de l’immigration, une procédure d’expulsion. En outre, aucun engagement n’est pris envers les candidats selon lequel ils bénéficieront d’une entrevue ou recevront une notification additionnelle si des documents sont manquants ou insuffisants, ce qui limite considérablement les attentes des candidats en ces matières.
[…]
Dans ces conditions, l’obligation d’équité envers le demandeur est faible et, en tout état de cause, elle a été remplie ici à la faveur de l’avis préalable qui lui a été envoyé et qui précisait clairement la procédure qui serait suivie et les documents qui étaient nécessaires au soutien de sa demande.
[49] En l’espèce, les demandeurs n’ont pas soumis de documents suffisants pour appuyer leur prétention en ce qui concerne les études et l’expérience de travail du demandeur principal. Le demandeur principal n’a recueilli que cinq points pour ses études parce qu’il n’avait produit qu’une photocopie de son relevé de notes ainsi qu’une lettre de référence au lieu de soumettre une copie certifiée conforme. Le défendeur souligne que les directives à suivre pour remplir la demande ainsi que le site Web indiquent clairement quels documents doivent être produits.
[50] Le défendeur affirme que l’agent n’avait pas l’obligation de faire part aux demandeurs de ses réserves étant donné que celles‑ci s’expliquaient par l’insuffisance de la preuve présentée et le défaut de satisfaire aux exigences du Règlement. Le demandeur principal a recueilli 15 points pour son expérience de travail parce qu’aucun des emplois qu’il avait exercés entre 1998 et 2008 n’était appuyé par des éléments de preuve objectifs quant au revenu qu’il avait gagné, des déclarations de revenus, des déclarations W‑2 ou des bordereaux de paie.
L’agent a tenu compte de l’ensemble de la preuve et a suffisamment motivé sa décision
[51] Le défendeur soutient qu’il n’est pas nécessaire que les motifs de l’agent soient exhaustifs. Se fondant sur Lake c Canada (Ministre de la Justice), 2008 CSC 23, le défendeur affirme que l’obligation de motiver sa décision se justifie par le fait qu’elle permet à l’intéressé de comprendre pourquoi la décision a été prise et de permettre à la cour de révision de se prononcer sur son bien‑fondé. En l’espèce, les motifs de l’agent répondent à ces critères.
[52] En tout état de cause, la question de la suffisance des motifs ne constitue pas un motif de contrôle judiciaire distinct. Dans R c Sheppard, 2002 CSC 26, la Cour suprême a jugé qu’il suffit au demandeur de démontrer que les motifs comportent des lacunes et que ces lacunes ont nui à l’exercice du droit que lui reconnaît la loi de demander l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire.
[53] Le défendeur souligne que les notes du STIDI ne font pas partie de la décision de l’agent et qu’elles fournissent des détails qui complètent la décision officielle communiquée sous forme de lettre. Ensemble, ces documents informent les demandeurs des motifs pour lesquels l’agent a refusé leur demande. En l’espèce, la lettre de refus et les notes du STIDI comptent en tout 15 pages. Il ressort de ses motifs que l’agent a bien compris les questions et les éléments de preuve pertinents. De plus, il explique clairement les raisons pour lesquelles il attribue 48 points au demandeur principal et refuse sa demande.
L’agent a agi de façon équitable
[54] Le défendeur soutient que les demandeurs reprochent à tort à l’agent d’avoir fait preuve de partialité simplement parce qu’ils n’ont pas obtenu ce qu’ils souhaitaient.
[55] Le défendeur affirme que Martinez, précité, a posé le principe que le critère de la crainte raisonnable de partialité consiste à se demander à quelle conclusion arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique et à se demander si cette personne croirait, selon toute vraisemblance, que l’auteur de la décision a, consciemment ou non, rendu une décision injuste. Il faut faire preuve de rigueur pour conclure à la partialité, réelle ou apparente, et il faut établir une réelle probabilité de partialité car un simple soupçon est insuffisant (voir RDS, précité, aux paragraphes 112 et 113).
[56] Le défendeur affirme qu’il n’y aucun élément de preuve en l’espèce permettant de conclure à une partialité réelle ou à une crainte raisonnable de partialité. Après avoir interrogé le demandeur principal et tenu compte de l’ensemble de la preuve, l’agent avait le droit de tirer les conclusions auxquelles il est parvenu au sujet de la preuve des demandeurs. Le simple fait qu’une décision défavorable a été rendue ne saurait justifier une crainte raisonnable de partialité.
ANALYSE
[57] Les demandeurs ont demandé la résidence permanente dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral), mais ils n’ont pas soumis d’éléments de preuve documentaire suffisants pour justifier les prétentions du demandeur principal et ils n’ont pas expliqué de façon satisfaisante certaines des contradictions manifestes relevées dans les renseignements fournis. Les demandeurs cherchent maintenant à reprocher à l’agent des problèmes dont ils sont les seuls responsables.
[58] Il convient d’aborder les deux questions préliminaires soulevées par le défendeur. Premièrement, les demandeurs n’ont pas joint d’affidavit à la présente demande. Toutefois, en l’espèce, les documents et les éléments de preuve sur lesquels les demandeurs se fondaient (à l’exception des relevés de notes officiels de l’Université du Koweït dont nous traiterons au paragraphe suivant) se trouvent dans le dossier certifié du Tribunal. Je suis d’avis que je peux me fier sur le dossier certifié du Tribunal pour examiner les questions de fond soulevées par les demandeurs.
[59] La seconde question préliminaire soulevée par le défendeur porte sur le fait que les demandeurs ont produit une lettre complémentaire dans une enveloppe scellée contenant une copie certifiée conforme de relevés de notes de l’Université du Koweït. Le défendeur affirme que la Cour ne devrait pas tenir compte de cette lettre étant donné qu’elle n’avait pas été portée à la connaissance de l’agent au moment de la décision.
[60] Cette question a été traitée dans Chopra c Canada (Conseil du Trésor), (1999), [1999] ACF no 835, 168 FTR 273, au paragraphe 5, par le juge Jean‑Eudes Dubé :
Selon de nombreux arrêts, seuls les éléments de preuve dont le décideur initial disposait devraient être examinés par la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Ces décisions sont fondées sur l’idée selon laquelle le contrôle judiciaire ne vise pas à permettre de déterminer si la décision de l’office en question est absolument correcte, mais plutôt si l’office avait raison, compte tenu du dossier dont il disposait. La Cour d’appel fédérale a statué que lorsque l’affidavit est clairement irrégulier, il doit être radié si une requête est présentée avant l’audience relative au contrôle judiciaire.
[61] Comme les relevés de notes officiels n’avaient pas été soumis à l’agent et qu’ils constituaient en fait la principale raison pour laquelle l’agent n’a attribué que cinq points pour les études, il ne sera pas tenu compte en l’espèce des relevés de notes certifiés conformes que les demandeurs ont soumis après la décision de l’agent.
Points attribués
[62] Les demandeurs affirment que l’agent a commis une erreur dans la façon dont il a attribué des points pour les catégories des études, de la compétence linguistique et de l’expérience de travail. Ainsi qu’il a été jugé dans Kniazeva, précité, l’appréciation d’une demande de résidence permanente dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) relève de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire à l’égard duquel la Cour doit faire preuve d’une très grande retenue, et la norme de contrôle applicable à cette décision est celle de la décision raisonnable.
[63] En l’espèce, je suis d’avis que la détermination des points d’appréciation effectuée par l’agent était raisonnable.
Études
[64] Les demandeurs devaient produire des documents suffisants pour démontrer à l’agent que le demandeur principal avait suivi avec succès ses études de baccalauréat et obtenu un diplôme de l’Université du Koweït. Or, ils ne l’ont pas fait.
[65] L’agent a conclu que les documents fournis n’étaient pas acceptables. Les deux documents remontaient à 1998, alors que le demandeur principal prétendait avoir obtenu son diplôme en 1976. L’agent a fait observer qu’on trouvait cinq polices de caractères différentes dans la lettre et que le texte semblait mal aligné. De plus, au lieu de soumettre une copie certifiée conforme de ses relevés de notes dans une enveloppe scellée comme il devait le faire, le demandeur principal n’a fourni qu’une photocopie. L’agent a expressément interrogé le demandeur principal au sujet de ces documents et les réponses qu’il a obtenues ne l’ont pas satisfait.
[66] La conclusion de l’agent suivant laquelle les documents n’étaient pas crédibles est une conclusion de fait à l’égard de laquelle la Cour doit faire preuve d’une grande retenue. Étant donné que les relevés de notes n’étaient pas des originaux soumis dans des enveloppes scellées provenant d’une université ainsi qu’il était exigé, le demandeur principal n’a tout simplement pas soumis les bons documents pour justifier ses affirmations concernant ses études. La conclusion et la décision de l’agent de n’accorder au demandeur principal que cinq points appartenaient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au sens de Dunsmuir.
Expérience de travail
[67] Le paragraphe 80(1) du Règlement prévoit que l’expérience de travail du demandeur appartenant à la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) doit être évaluée en fonction du nombre d’années d’expérience de travail au cours des dix années précédant la date de sa demande. Ainsi, comme les demandeurs ont soumis leur demande en mars 2008, la période pertinente est celle comprise entre mars 1998 et mars 2008.
[68] Les demandeurs ont soumis un grand nombre de documents pour démontrer la vaste expérience de travail accumulée par le demandeur principal, en commençant par le poste qu’il avait occupé à l’Université du Koweït entre 1976 et 1978. Toutefois, une grande partie de la documentation présentée par les demandeurs ne me semble pas pertinente en ce qui concerne leur demande. Bien qu’à première vue, elles semblent constituer une liasse de documents confirmant l’expérience de travail du demandeur principal, ces pièces ne représentent en fait qu’un nombre très peu élevé de documents attestant l’expérience de travail accumulée par le demandeur au cours de la période applicable prescrite par le Règlement.
[69] Comme nous l’avons déjà signalé, l’expérience de travail pertinente revendiquée par les demandeurs dans leur demande est la suivante :
a. Juillet 1997 à janvier 2000 : Conestoga Wood Specialyies [sic], Inc., Reading (Pennsylvanie), États‑Unis.
b. Avril 2000 à mai 2002 : Elegent [sic] Accent, Reading (Pennsylvanie), États‑Unis.
c. Novembre 2002 à janvier 2005 : Paper Centre International, Karachi, Pakistan.
d. Janvier 2005 à août 2008 : Data Management Solutions, Prairie View (Illinois), États‑Unis.
[70] Les demandeurs n’ont soumis aucun document objectif établissant les revenus gagnés par le demandeur principal auprès de ces quatre employeurs. Ils n’ont rien présenté au sujet de l’emploi qu’aurait exercé le demandeur principal chez Conestoga Wood Specialyies [sic] Inc., Elegant Accent ou Data Management Solutions. Le seul document qui confirme l’expérience de travail du demandeur principal est une lettre déclarant qu’il a travaillé pour Paper Centre International comme gérant et qu’il gagnait 25 000 roupies par mois.
[71] En ce qui concerne l’emploi exercé par le demandeur principal pour Elegent [sic] Accent aux États‑Unis, l’agent a également conclu que cette prétention contredisait la réponse que le demandeur principal avait donnée lors de son entrevue, lorsqu’il avait expliqué qu’il avait vécu au Pakistan de 2000 à 2004. L’agent a également fait observer que le demandeur principal n’avait pas soumis de déclarations de revenus, de déclarations W‑2 ou de bordereaux de paie pour justifier ses prétentions quant aux emplois qu’il avait exercés aux États‑Unis entre 1997 et 2002. Vu l’insuffisance de la preuve présentée, l’agent a estimé qu’il ne pouvait attribuer de points au demandeur principal pour le travail qu’il prétendait avoir effectué pour les deux entreprises américaines.
[72] Finalement, l’agent n’a pas non plus été en mesure d’attribuer de points au demandeur principal pour le travail autonome qu’il avait effectué pour Data Management Solutions. Comme dans le cas des autres emplois qu’il affirmait avoir exercés, le demandeur principal n’a fourni aucun élément de preuve objectif attestant ses revenus pour la période comprise entre janvier 2005 et août 2008.
[73] L’agent a par ailleurs fait observer que les demandeurs affirmaient que Data Management Solutions, l’entreprise pour laquelle le demandeur principal avait travaillé entre 2005 et 2008, se trouvait aux États‑Unis alors que les demandeurs affirmaient par ailleurs vivre au Canada depuis 2004. Interrogé à ce sujet, le demandeur principal a répondu que l’entreprise était en fait exploitée à partir de l’adresse de son beau‑frère aux États‑Unis. De plus, l’agent a appris que l’entreprise n’avait jamais été immatriculée en Illinois et qu’elle n’avait jamais fourni de biens ou de services. L’agent a conclu qu’aucun point ne devait être attribué au demandeur principal pour ce présumé emploi. Cette conclusion était raisonnable.
[74] La décision de l’agent de ne pas accorder au demandeur le nombre de points requis était raisonnable vu l’ensemble de la preuve ou l’insuffisance de la preuve.
Compétence en anglais
[75] L’agent a accordé en tout huit points pour les compétences du demandeur principal en anglais en raison de sa maîtrise moyenne des quatre aptitudes évaluées (écouter, parler, lire et écrire). L’agent a expliqué que son évaluation reposait sur les éléments de preuve à l’appui qui lui avaient été soumis.
[76] Suivant la liste de contrôle des documents (annexe A), le demandeur principal avait le choix de soumettre les résultats originaux d’un examen administré par une organisation d’évaluation linguistique autorisée ou de fournir une autre preuve écrite de ses compétences linguistiques. Les résultats des tests devaient être des originaux et ne devaient pas dater de plus d’un an après la présentation de la demande. La liste de contrôle précise clairement que les photocopies ne sont pas acceptées.
[77] La liste de contrôle précisait également que le demandeur principal pouvait fournir d’autres éléments de preuve par écrit, y compris des observations écrites exposant en détail sa formation en anglais et son usage de l’anglais, des documents officiels attestant qu’il avait fait des études en anglais, des documents officiels attestant son expérience de travail en anglais ainsi que tout autre document pertinent.
[78] Il semble que l’agent ait fondé son évaluation sur les observations écrites du demandeur principal. Le demandeur principal a effectivement soumis des résultats de tests, mais ceux‑ci dataient de toute évidence de plus d’un an, puisqu’ils remontaient au 7 février 2005. La page finale des notes de l’agent indiquait également que le demandeur principal n’avait pas subi de test d’anglais aux fins d’évaluation de ses compétences dans cette langue.
[79] Étant donné qu’aucune évaluation objective des compétences linguistiques du demandeur principal en anglais n’avait été soumise, l’agent devait se fonder sur les observations écrites du demandeur principal pour évaluer ses compétences en anglais. Il s’agissait d’une décision qui relevait de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et à l’égard de laquelle la Cour doit faire preuve de retenue. La décision de l’agent d’attribuer huit points sur la foi des éléments de preuve justificatifs fournis par les demandeurs n’était pas déraisonnable. Lors de l’examen de la demande de contrôle judiciaire, l’avocat du demandeur a expliqué à la Cour que son client ne contestait plus les conclusions tirées par l’agent sur ce point.
Équité procédurale
[80] Les questions d’équité procédurale sont assujetties à la norme de contrôle de la décision correcte. Les demandeurs soutiennent essentiellement que l’agent n’a pas fait preuve comme il le devait d’équité procédurale à leur égard étant donné qu’il ne leur avait pas fait part de ses réserves. Les demandeurs affirment que s’il leur avait fait part de ses réserves au sujet des études et de l’expérience de travail du demandeur principal, ils auraient été en mesure de lui fournir les documents et les éléments de preuve nécessaires et de répondre à ses préoccupations.
[81] À mon avis, l’agent n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale envers les demandeurs.
[82] Premièrement, ainsi que l’affirme le défendeur, la Cour a précisé, dans Malik, précité, au paragraphe 26, que l’obligation d’équité procédurale à laquelle les demandeurs ont droit est limitée sauf en ce qui concerne « la garantie procédurale de la communication de renseignements aux candidats concernant les critères appliqués et les documents requis pour une bonne évaluation de leurs demandes ». Les demandeurs n’affirment pas qu’ils n’étaient pas au courant des critères utilisés et des documents exigés lorsqu’ils ont soumis leur demande. Ils affirment qu’ils n’ont été mis au courant des réserves de l’agent après avoir déposé leur demande et avant l’entrevue.
[83] Deuxièment, « [s]elon la jurisprudence, il incombe au demandeur de présenter une demande assortie de tous les documents justificatifs pertinents et de fournir, à l’appui de cette demande, une preuve crédible suffisante. Le demandeur doit présenter “la meilleure preuve possible” » (Oladipo, précité, au paragraphe 24). En principe, lorsque ses questions découlent directement des exigences de la loi ou de son règlement d’application, l’agent n’est pas tenu d’offrir une occasion au demandeur de répondre à ces questions (Ramos‑Frances c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 142, au paragraphe 8).
[84] C’est effectivement le cas en l’espèce. Les préoccupations soulevées par l’agent au sujet de l’expérience de travail que le demandeur principal affirmait posséder découlaient directement des exigences du Règlement et du défaut du demandeur principal de fournir des documents permettant d’établir son expérience de travail.
[85] L’agent n’avait aucune obligation d’informer le demandeur principal avant l’entrevue qu’il avait des réserves au sujet de son expérience de travail. Il incombait aux demandeurs de fournir les documents nécessaires.
[86] L’agent n’était pas tenu d’informer le demandeur principal de ses réserves au sujet de son expérience de travail, mais il était toutefois assujetti à cette obligation, à mon avis, pour ce qui est de ses réserves quant aux études que le demandeur principal affirmait avoir suivies. Voici les balises que propose à cet égard le juge Richard Mosley dans Hassani, précité, au paragraphe 24 :
… Il ressort clairement de l’examen du contexte factuel des décisions mentionnées ci‑dessus que, lorsque les réserves découlent directement des exigences de la loi ou d’un règlement connexe, l’agent des visas n’a pas l’obligation de donner au demandeur la possibilité d’y répondre. Lorsque, par contre, des réserves surgissent dans un autre contexte, une telle obligation peut exister. C’est souvent le cas lorsque l’agent des visas a des doutes sur la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité de renseignements fournis par le demandeur au soutien de sa demande, comme dans Rukmangathan, ainsi que dans John […]
[87] Les réserves exprimées par l’agent au sujet des études que le demandeur principal prétendait avoir effectuées découlaient du défaut du demandeur principal de fournir les documents requis, mais elles soulevaient également des questions de crédibilité et de fiabilité en ce qui concerne la lettre et les relevés de notes de l’Université du Koweït que les demandeurs avaient fournis. Suivant Hassani, précité, l’agent avait l’obligation d’informer le demandeur principal de ses préoccupations et de lui offrir l’occasion d’y répondre. La question qui se pose est celle de savoir si l’agent a rempli cette obligation.
[88] Dans Liao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 1926, le juge Pierre Blais explique que l’agent des visas s’acquitte de cette obligation d’informer le demandeur s’il oriente comme il se doit ses questions ou s’il demande des renseignements raisonnables qui donnent au demandeur la possibilité de répondre à ses préoccupations.
[89] Il ressort clairement des notes du STIDI que l’agent a discuté des attestations d’études avec le demandeur principal. L’agent lui a demandé pourquoi les documents remontaient à 1998 et pourquoi il n’était pas entré en communication avec l’Université du Koweït pour obtenir une nouvelle copie de son diplôme ainsi qu’une copie certifiée conforme de ses relevés de notes. Lorsque le demandeur principal lui a répondu qu’il avait tenté de le faire, mais qu’il n’avait pas obtenu la collaboration des autorités universitaires, l’agent lui a demandé s’il avait amené avec lui des copies des courriels dans lesquels il avait réclamé les documents en question. Le demandeur principal a répondu par la négative.
[90] L’agent a également expliqué au demandeur principal que, lorsqu’il avait demandé pour la première fois le statut de résident permanent, le site Internet et les instructions indiquaient clairement quels documents il devait produire et ajoutaient que, s’il choisissait de ne pas suivre ces instructions, il acceptait le risque que l’insuffisance de ces documents pose problème quant à la preuve de ses études. L’agent a signalé que le demandeur principal avait déclaré que, étant donné qu’il avait été admis à l’Université Loyola aux États‑Unis, l’agent devait considérer que l’Université Loyola avait vérifié l’authenticité du diplôme qu’il avait obtenu au Koweït. L’agent a répété qu’on ne pouvait se fier à des renseignements de seconde main ou à du ouï‑dire pour faire la preuve des études. L’agent n’a pas agi de façon déraisonnable en faisant part au demandeur principal de ses réserves ou en décidant qu’il était nécessaire de produire des relevés de notes officiels dans des enveloppes scellées.
[91] En l’espèce, l’agent avait de toute évidence des réserves au sujet de la crédibilité et de la fiabilité des attestations d’études fournies par les demandeurs. L’agent a soulevé ces réserves lors de l’entrevue et a accordé au demandeur principal l’occasion d’y répondre. Malheureusement, les réponses données par le demandeur principal n’ont pas convaincu l’agent de l’authenticité des documents fournis et l’agent a finalement décidé de ne pas les accepter.
[92] À mon avis, les demandeurs ont eu amplement l’occasion de faire valoir leur point de vue. Les demandeurs ont été en mesure de soumettre tous les documents requis à l’appui pour justifier lors de la présentation de leur demande initiale les études, l’expérience de travail et la compétence en anglais du demandeur. Ils ont également eu l’occasion de répondre aux préoccupations soulevées par l’agent au cours de l’entrevue. L’agent n’avait pas l’obligation d’accorder un délai supplémentaire au demandeur principal pour « soumettre de nouveau » des documents qui auraient répondu aux réserves qu’il avait encore à la fin de l’entrevue. Comme nous l’avons déjà précisé, il incombait aux demandeurs de présenter leurs meilleurs arguments au moment de la présentation de la demande.
[93] Je conclus que l’agent n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale envers les demandeurs. Il est de jurisprudence constante que l’obligation de l’agent à cet égard était peu élevée et, compte tenu des faits et des notes du STIDI, l’agent s’est clairement acquitté de cette obligation.
[94] Je conclus que les demandeurs n’ont pas démontré l’existence de motifs permettant de conclure que l’agent a commis en l’espèce une erreur justifiant l’infirmation de sa décision. La décision négative qu’il a rendue s’explique par le défaut des demandeurs de soumettre les documents requis avec leur demande et par l’omission du demandeur principal de répondre de façon satisfaisante aux préoccupations soulevées lors de l’entrevue.
[95] Les parties conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est du même avis.
JUGEMENT
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
2. Il n’y a aucune question à certifier.
« James Russell »
Juge
Traduction certifiée conforme
Sandra de Azevedo, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM‑695‑11
INTITULÉ : ABDULAZIZ ALI, FARIDA ALI et INARA ALI
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 3 octobre 2011
DATE DES MOTIFS : Le 1er novembre 2011
COMPARUTIONS :
Tyler Warren
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POUR LES DEMANDEURS
|
Monmi Gaswami
|
POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Tyler David Warren Winnipeg (Manitoba)
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POUR LES DEMANDEURS
|
John H. Sims, c.r. Sous‑procureur général du Canada
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POUR LE DÉFENDEUR
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